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03/03/2022 | FRANCE | N°21LY02761

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 5ème chambre, 03 mars 2022, 21LY02761


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. A... a demandé au président du tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du 15 juin 2021 du préfet de la Haute-Savoie lui faisant obligation de quitter le territoire français dans le délai de 30 jours, fixant le pays à destination duquel il est susceptible d'être reconduit d'office et prononçant une interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée d'un an, d'enjoindre sous astreinte au préfet de la Haute-Savoie de réexaminer sa situation et de le munir d'une autorisati

on provisoire de séjour dans un délai de quinze jours, et de mettre à la cha...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. A... a demandé au président du tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du 15 juin 2021 du préfet de la Haute-Savoie lui faisant obligation de quitter le territoire français dans le délai de 30 jours, fixant le pays à destination duquel il est susceptible d'être reconduit d'office et prononçant une interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée d'un an, d'enjoindre sous astreinte au préfet de la Haute-Savoie de réexaminer sa situation et de le munir d'une autorisation provisoire de séjour dans un délai de quinze jours, et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des frais liés au litige.

Par un jugement n° 2104406 du 28 juillet 2021, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Grenoble a rejeté ses demandes.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 7 août 2021, M. A..., représenté par Me Djinderedjian, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 15 juin 2021 du préfet de la Haute-Savoie ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Haute-Savoie de réexaminer sa situation et de lui délivrer un récépissé de demande de titre de séjour dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- l'arrêté attaqué méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- il porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale, en méconnaissance de l'article 8 de la même convention ;

- l'interdiction de retour est insuffisamment motivée, tous les critères n'ayant pas été examinés.

La requête a été communiquée au préfet de la Haute-Savoie, qui n'a pas produit de mémoire en défense.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 3 novembre 2021.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée ;

- le code de justice administrative ;

Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique le rapport de Mme Le Frapper, première conseillère ;

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., ressortissant de République de Guinée né le 22 juillet 1980, a déclaré être entré irrégulièrement en France le 1er décembre 2019. Sa demande de protection internationale a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 13 octobre 2020 et par la Cour nationale du droit d'asile le 14 mai 2021. Par un arrêté du 15 juin 2021, le préfet de la Haute-Savoie lui a alors fait obligation de quitter dans un délai de trente jours le territoire français, sur le fondement du 4° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, a fixé le pays à destination duquel il est susceptible d'être reconduit d'office, et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an. M. A... relève appel du jugement du 28 juillet 2021 par lequel la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Grenoble a rejeté ses demandes tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur la légalité de l'obligation de quitter le territoire français :

2. En premier lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

3. Il ressort des pièces du dossier que M. A... n'était présent que depuis 18 mois sur le territoire français, où il n'allègue pas disposer d'attaches personnelles, alors qu'il est père de deux enfants mineurs dont l'un au moins réside en Guinée et où il n'est pas dépourvu d'attaches familiales. Par suite, alors même que le comportement adopté par M. A... depuis son arrivée en France serait irréprochable, la mesure d'éloignement ne porte pas d'atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale. Le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit ainsi être écarté.

4. En second lieu, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales est inopérant à l'encontre de l'obligation de quitter le territoire français, qui n'a ni pour objet, ni pour effet de fixer le pays de destination de la mesure d'éloignement.

Sur la légalité de la décision fixant le pays de destination :

5. En premier lieu, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".

6. Si M. A... soutient être exposé à des risques de mauvais traitements en cas de retour en Guinée, en raison de son appartenance ethnique et de l'animosité d'un concurrent du commerce de pièces détachées qu'il exploitait, lequel l'aurait dénoncé aux autorités pour trafic d'armes, il n'apporte aucun élément probant au soutien du récit versé aux débats, lequel n'est pas dépourvu d'invraisemblances et ne saurait suffire à démontrer davantage qu'un litige d'ordre privé. Le certificat médical, particulièrement laconique, du 30 janvier 2020 ne saurait pour sa part démontrer l'origine et le motif des coups qui auraient été portés à la tête de M. A..., lesquels ont pu résulter d'une altercation ponctuelle. Par suite, M. A... ne démontre pas la réalité, l'actualité et le caractère personnel des risques qu'il estime encourir en cas de retour en Guinée. Le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit, par suite, être écarté.

7. En second lieu, en l'absence d'obstacle avéré à ce que M. A... poursuive sa vie privée et familiale en Guinée, où il dispose d'attaches personnelles et familiales, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.

Sur la légalité de l'interdiction de retour sur le territoire français :

8. Aux termes de l'article L. 612-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsque l'étranger n'est pas dans une situation mentionnée aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative peut assortir la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français.

Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder deux ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français ". Aux termes de l'article L. 612-10 du même code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. / Il en est de même pour l'édiction et la durée de l'interdiction de retour mentionnée à l'article L. 612-8 (...) ". Selon l'article L. 613-2 du même code : " (...) les décisions d'interdiction de retour et de prolongation d'interdiction de retour prévues aux articles L. 612-6, L. 612-7, L. 612-8 et L. 612-11 sont distinctes de la décision portant obligation de quitter le territoire français. Elles sont motivées ".

9. Il ressort des termes mêmes de ces dispositions que l'autorité compétente doit, pour décider de prononcer à l'encontre de l'étranger soumis à l'obligation de quitter le territoire français une interdiction de retour et en fixer la durée, tenir compte, dans le respect des principes constitutionnels, des principes généraux du droit et des règles résultant des engagements internationaux de la France, des quatre critères qu'elles énumèrent, sans pouvoir se limiter à ne prendre en compte que l'un ou plusieurs d'entre eux. La décision d'interdiction de retour doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement, de sorte que son destinataire puisse à sa seule lecture en connaître les motifs. Si cette motivation doit attester de la prise en compte par l'autorité compétente, au vu de la situation de l'intéressé, de l'ensemble des critères prévus par la loi, aucune règle n'impose que le principe et la durée de l'interdiction de retour fassent l'objet de motivations distinctes, ni que soit indiquée l'importance accordée à chaque critère.

10. Il incombe ainsi à l'autorité compétente qui prend une décision d'interdiction de retour d'indiquer dans quel cas susceptible de justifier une telle mesure se trouve l'étranger. Elle doit par ailleurs faire état des éléments de la situation de l'intéressé au vu desquels elle a arrêté, dans son principe et dans sa durée, sa décision, eu égard notamment à la durée de la présence de l'étranger sur le territoire français, à la nature et à l'ancienneté de ses liens avec la France et, le cas échéant, aux précédentes mesures d'éloignement dont il a fait l'objet. Elle doit aussi, si elle estime que figure au nombre des motifs qui justifie sa décision une menace pour l'ordre public, indiquer les raisons pour lesquelles la présence de l'intéressé sur le territoire français doit, selon elle, être regardée comme une telle menace. En revanche, si, après prise en compte de ce critère, elle ne retient pas cette circonstance au nombre des motifs de sa décision, elle n'est pas tenue, à peine d'irrégularité, de le préciser expressément.

11. En l'espèce, pour prononcer à l'encontre de M. A... une interdiction de retour d'un an, le préfet de la Haute-Savoie a indiqué que " l'examen d'ensemble de la situation de l'intéressé a été effectué, relativement au prononcé et à la durée de l'interdiction de retour " et que, " compte tenu des circonstances propres au cas d'espèce, la durée d'interdiction de retour d'un an ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit de l'intéressée au respect de sa vie privée et familiale dans la mesure où il ne justifie pas d'attaches familiales proches en France et il n'établit pas être dépourvu d'attaches familiales dans son pays d'origine ". Si cette motivation tient compte des engagements internationaux de la France, elle ne comporte pas un énoncé suffisant des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement attestant de la prise en compte effective par l'autorité préfectorale de l'ensemble des critères prévus par la loi, notamment de la durée du séjour de M. A... et de la circonstance qu'il n'avait pas encore fait l'objet d'une mesure d'éloignement. Par suite, M. A... est fondé à soutenir que l'interdiction de retour sur le territoire français est insuffisamment motivée et à en demander, pour ce motif, l'annulation.

12. Il résulte de ce qui précède que M. A... est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 15 juin 2021 du préfet de la Haute-Savoie lui faisant interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée d'un an.

Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :

13. Le présent arrêt n'implique pas nécessairement, eu égard à ses motifs, qu'il soit enjoint au préfet de la Haute-Savoie de délivrer à M. A... un récépissé de demande de titre de séjour et de réexaminer sa situation. Les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte présentées par l'appelant doivent ainsi être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

14. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement au conseil de M. A... d'une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2104406 du tribunal administratif de Grenoble du 28 juillet 2021 est annulé en tant qu'il rejette les conclusions de M. B... A... tendant à l'annulation de la décision du 15 juin 2021 du préfet de la Haute-Savoie prononçant une interdiction de retour d'un an sur le territoire français.

Article 2 : La décision du 15 juin 2021 du préfet de la Haute-Savoie prononçant une interdiction de retour d'un an à l'encontre de M. B... A... est annulée.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Savoie et au procureur de la République près le tribunal judiciaire de Chambéry.

Délibéré après l'audience du 3 février 2022, à laquelle siégeaient :

M. Bourrachot, président de chambre,

Mme Dèche, présidente assesseure,

Mme Le Frapper, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 mars 2022.

2

N° 21LY02761


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Références :

Publications
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Composition du Tribunal
Président : M. BOURRACHOT
Rapporteur ?: Mme Mathilde LE FRAPPER
Rapporteur public ?: M. VALLECCHIA
Avocat(s) : DJINDEREDJIAN

Origine de la décision
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 5ème chambre
Date de la décision : 03/03/2022
Date de l'import : 15/03/2022

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 21LY02761
Numéro NOR : CETATEXT000045299505 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2022-03-03;21ly02761 ?
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