Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
La commune de Dunières a demandé au tribunal administratif de Clermont-Ferrand :
- de condamner solidairement la société St Groupe et la société W Architectes à supporter le coût de la réfection totale du sol de son gymnase pour un montant de 80 111,67 euros, indexé sur l'évolution de l'indice du coût de la construction à la date du jugement à intervenir ;
- de condamner la société St Groupe et la société W Architectes à lui verser la somme de 30 000 euros au titre du préjudice subi ;
- de condamner la société St Groupe et la société W Architectes aux dépens, comprenant le coût de l'expertise ;
- de mettre à la charge la société St Groupe et la société W Architectes la somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 1700932 du 7 novembre 2019, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a condamné in solidum les sociétés St Groupe et W Architectes à verser la somme de 26 036,30 euros TTC à la commune de Dunières, mis les frais d'expertise à hauteur de 50 % à la charge solidaire des sociétés St Groupe et W Architectes, pour un montant de 1 941,78 euros, et de 50 % à la charge de la commune de Dunières pour un montant de 1 941,77 euros, condamné la société St Groupe à garantir la société W Architectes à concurrence de 50 % des condamnations mises à sa charge et rejeté le surplus des conclusions des parties.
Procédure devant la cour
Par une requête, enregistrée le 2 janvier 2020, et un mémoire enregistré le 1er avril 2020, la société W Architectes, représentée par la Selarl Tournaire Meunier, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement susmentionné du 7 novembre 2019 du tribunal administratif de Clermont-Ferrand et de rejeter la demande de la commune de Dunières ;
2°) de condamner la société St Groupe à la garantir et relever indemne de l'intégralité des sommes susceptibles d'être mises à sa charge en principal, intérêts et frais ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Dunières la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- sa responsabilité décennale ne peut être engagée dès lors qu'elle n'est pas intervenue dans le choix technique du revêtement de sol sportif, réalisé entre les seules commune et société St Groupe, que ce sol respectait une glissance conforme à la norme NF EN14904 et que l'excès de glissance a pour origine unique la faute commise par la commune s'agissant des conditions d'entretien du sol ;
- sa mise hors de cause au titre d'un prétendu manquement à son devoir de conseil concernant la remise des DOE à la commune sera confirmée ;
- en tout état de cause, le coût de remise en état du sol sportif doit être fixé à 2 112,44 euros TTC, la commune ne pouvant être indemnisée du changement intégral du sol à hauteur de 80 111,67 euros ;
- la demande de dommages et intérêts à hauteur de 30 000 euros de la commune sera rejetée dès lors qu'elle est responsable de son propre préjudice, dont elle ne justifie d'ailleurs pas ; le préjudice de jouissance allégué ne peut être corrélé avec le temps d'utilisation et le montant du coût des travaux ;
- le jugement contesté sera annulé en ce qu'il a condamné in solidum les constructeurs au paiement de la somme de 26 036,30 euros en appliquant un taux de vétusté sur le coût de remise en état à neuf du revêtement de sol sportif ;
- la société St Groupe est responsable des préconisations formulées au titre des méthodes et produits d'entretien du sol sportif et la garantira donc en totalité, dès lors qu'elle n'est pas intervenue pour définir les préconisations techniques relatives à l'entretien du sol sportif.
Par des mémoires enregistrés les 17 janvier 2020, 3 avril 2020 et 23 avril 2020, ce dernier n'ayant pas été communiqué, la commune de Dunières, représentée par Me Bellut, demande à la cour :
1°) de réformer le jugement attaqué en condamnant solidairement la société St Groupe et la société W Architectes au paiement de la somme de 66 092,13 euros au titre de la réfection totale de l'ouvrage, indexé sur l'indice du coût de la construction entre la date du marché et celle de l'arrêt à intervenir ;
2°) de condamner les mêmes sociétés à lui verser la somme de 12 016,75 euros à titre de dommages et intérêts, outre actualisation à compter du 16 mai 2020 et jusqu'à l'arrêt à intervenir ;
3°) de rejeter les demandes des sociétés St Groupe et W Architectes ;
4°) de condamner solidairement les sociétés St Groupe et W Architectes aux dépens comprenant le coût de l'expertise ;
5°) de mettre solidairement à la charge des sociétés St Groupe et W Architectes la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- la société St Groupe engage sa responsabilité décennale dès lors qu'elle n'a pas respecté son obligation de livraison d'un produit conforme au marché, qui, concernant la glissance qui s'est dégradée avec le temps, était très proche de la limite basse admise ;
- la société W Architectes engage sa responsabilité décennale dès lors qu'elle n'a pas respecté son obligation de surveillance des travaux et des matériaux mis en œuvre, qu'elle n'a pas formulé de réserve quant à la qualité du revêtement mis en œuvre, en particulier sa glissance, qui n'était pas adapté à la pratique du sport et conforme à la norme EN 14904 ;
- le nettoyage du sol n'est pas à l'origine du désordre ;
- les sociétés St Groupe et W Architectes, qui n'ont donné aucune consigne particulière de nettoyage, ont en tout état de cause manqué à leur devoir de conseil ;
- la solution proposée par la société St Groupe consistant à décaper chimiquement le vernis de surface du revêtement n'était pas satisfaisante compte tenu du risque de danger pour les usagers en cas de terrain glissant ;
- les travaux de réparation doivent être évalués à la somme de 66 092,13 euros outre indexation, en tenant compte d'un taux de vétusté retenu à juste titre par le tribunal ;
- elle a subi un préjudice de jouissance de 12 016,75 euros sur une durée de trois ans en tenant compte d'un coefficient de vétusté de 15 %.
Par un mémoire enregistré le 20 mars 2020 et un mémoire enregistré le 19 janvier 2022, la société St Groupe, représentée par Me Inquimbert, demande à la cour :
1°) à titre principal, de réformer le jugement contesté et de rejeter la demande de la commune de Dunières tendant à la réfection du revêtement litigieux ;
2°) à titre subsidiaire, de retenir le partage de responsabilité dans les proportions retenues par les premiers juges, de rejeter la demande de réparation des désordres de la commune excédant la somme de 2 112,44 euros TTC et de rejeter l'appel en garantie de la société W Architectes ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Dunières la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- sa responsabilité décennale ne peut être engagée dès lors que c'est bien un revêtement Top Elastik 33 avec un linoléum de 3,2 mm conforme à la norme 14-904 atteignant un coefficient de glissement d'une valeur de 85 qui a été mis en œuvre ;
- le désordre de nature décennale n'est pas la conséquence du remplacement du linoléum Marmorette sport 3,2 par du linoléum Marmorette LP X 3,2 ;
- l'expert a relevé que le produit livré n'était pas inadapté à la pratique du sport ;
- elle a bien mis en œuvre une sous-construction bois de type Top Elastik 33, seul le linoléum de 3,2 mm d'épaisseur est de marque différente ; cela ne saurait aboutir à une non-conformité au motif que le revêtement n'était pas de marque Top Elastik 33 ;
- le fait que le linoléum soit de marque différente est sans incidence à partir du moment où le complexe, dans son ensemble, est de type Top Elastik, avec un linoléum de 3,2 mm et que les résultats des tests de glissance pratiqués sont dans la norme ;
- la glissance du sol résulte d'un défaut d'entretien ou d'un entretien inapproprié de la surface par le maître d'ouvrage, qui était bien en possession du DOE, qui, remis à la livraison, précisait la marque du produit de nettoyage conseillé, son dosage en pourcentage ainsi que le type de disque à utiliser par l'auto-laveuse ;
- la réfection totale du sol sportif n'est pas justifiée par la seule glissance du revêtement, ni préconisée techniquement par l'expert ;
- le préjudice d'immobilisation n'est pas justifié, le gymnase n'ayant jamais cessé d'être utilisé.
La commune de Dunières a produit un mémoire enregistré le 24 janvier 2022, soit postérieurement à la clôture automatique de l'instruction intervenue trois jours francs avant l'audience, qui n'a pas été communiqué.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code civil ;
- le code des marchés publics ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Rivière ;
- les conclusions de M. Savouré, rapporteur public ;
- et les observations de Me Meunier pour la société W Architectes et de Me Pons pour la société St Groupe.
Considérant ce qui suit :
1. Par un jugement n° 1700932 du 7 novembre 2019, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a condamné in solidum au titre de leur garantie décennale les sociétés W Architectes et St Groupe, respectivement membre du groupement de maîtrise d'œuvre et attributaire du lot " sol sportif " dans le cadre de l'opération de réhabilitation et de l'extension du gymnase de la commune de Dunières, à verser à cette dernière la somme de 26 036,30 euros TTC au titre des travaux de réparation des désordres affectant le sol de ce gymnase. La société W Architectes, qui conteste sa responsabilité et l'étendue des préjudices, relève appel de ce jugement. La commune de Dunières conteste par la voie de l'appel incident la faute qui lui a été imputée et le montant de l'indemnité allouée par les premiers juges. La société St Groupe demande quant à elle sa mise hors de cause.
Sur la responsabilité décennale des constructeurs :
2. Il résulte des principes qui régissent la responsabilité décennale des constructeurs que des désordres apparus dans le délai d'épreuve de dix ans, de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination dans un délai prévisible, engagent leur responsabilité, même s'ils ne se sont pas révélés dans toute leur étendue avant l'expiration du délai de dix ans. Le constructeur dont la responsabilité est recherchée sur ce fondement ne peut en être exonéré, outre les cas de force majeure et de faute du maître d'ouvrage, que lorsque, eu égard aux missions qui lui étaient confiées, il n'apparaît pas que les désordres lui soient en quelque manière imputables.
3. Le caractère décennal des désordres, qui se manifestent par une glissance excessive du sol du gymnase de Dunières, rendant l'ouvrage dangereux et par suite impropre à sa destination, n'est pas contesté.
4. Les désordres se rattachent aux périmètres respectifs d'intervention des sociétés W Architectes et St Groupe, chargées pour l'une d'une mission d'assistance du maître d'ouvrage à la réception et pour l'autre de la pose du revêtement de sol dit " sportif ", qui s'est avéré d'une part ne pas être celui prévu par le marché et d'autre part et surtout ne pas être adapté aux pratiques sportives en salle selon le fournisseur, Gerflor, en raison d'un indice de glissance très proche du seuil de 80 de la limite basse retenue par la norme NF EN 14904 de juin 2006.
5. Il résulte de l'instruction que l'apparition des désordres serait liée également à l'utilisation par la commune de produits d'entretien inadaptés, dont le Ph très élevé a provoqué un phénomène de métallisation qui a fait augmenter la glissance d'au moins 15 à 20 points, alors que le dossier des ouvrages exécutés (DOE) du lot 16 comprenait un protocole d'entretien du sol. Toutefois, alors que la réception de l'ouvrage a été prononcée sous l'unique réserve de fournir ce dossier, il ne résulte pas de l'instruction que la commune de Dunières en ait disposé en temps utile pour procéder dès la mise en service de l'équipement au nettoyage du sol du gymnase. Par suite, c'est à tort que les premiers juges lui ont imputé une faute commise à l'occasion de l'entretien du sol de nature à exonérer les sociétés St Groupe et W Architectes à hauteur de 50 % des conséquences dommageables des désordres.
6. Il résulte de ce qui précède que c'est à juste titre que les premiers juges ont estimé que la responsabilité décennale des sociétés W Architectes et St Groupe est engagée, alors même que la première de ces sociétés, chargée de la maitrise d'œuvre, n'est pas intervenue dans le choix de l'entreprise titulaire du lot 16 et donc dans le choix du revêtement en litige.
Sur les préjudices et leur réparation :
En ce qui concerne les travaux de remise en état du sol :
7. Il résulte de l'instruction, en particulier du rapport d'expertise, que les travaux de réparation des désordres doivent permettre de diminuer la glissance du revêtement du sol pour le rendre apte à l'usage auquel il est destiné et ainsi assurer le respect des normes applicables, et en particulier en réalisant un décapage chimique du vernis de surface du revêtement pour obtenir une glissance de 95. Le coût de ces travaux est évalué à la somme de 2 112,44 euros TTC. L'expert préconise qu'après l'intervention de décapage et une période d'utilisation de trois mois pendant laquelle la commune de Dunières utilisera le produit de nettoyage préconisé pour l'entretien du sol, un contrôle sera effectué par un laboratoire indépendant pour un coût TTC évalué à 1 080 euros. Si la commune de Dunières sollicite l'indemnisation d'une remise en état du sol sportif dans son intégralité, cette solution excède les limites d'une stricte reprise des désordres, l'expert ayant d'ailleurs relevé que la solution conduisant à déposer le revêtement de sol n'est pas envisageable car elle serait hors de proportion avec le préjudice subi. La commune ne démontre pas que la solution retenue par l'expert ne permettra pas de rendre le sol conforme à son usage sportif, en particulier concernant le seuil de glissance, sans risque pour la sécurité des usagers. C'est donc à tort que les premiers juges ont retenu une solution de reprise complète du sol du gymnase Il y a donc lieu de ramener à la somme de 3 192,44 euros (2 112,44 + 1 080) le montant du préjudice indemnisable de la commune et de condamner in solidum les sociétés W Architectes et St Groupe à lui verser cette somme.
8. Si la commune de Dunières demande l'indexation des sommes allouées sur l'indice du coût de la construction, l'évaluation des dommages subis doit être faite à la date à laquelle, leur cause ayant été déterminée et leur étendue prévisible étant connue, il pouvait être procédé aux travaux destinés à y remédier et à les réparer. En l'espèce, cette date est celle du 19 février 2016, à laquelle l'expert a déposé son rapport, lequel définit avec une précision suffisante la nature et l'étendue des travaux nécessaires. La commune de Dunières ne justifie ni même n'allègue s'être trouvée dans l'impossibilité technique ou financière de faire effectuer les travaux à cette période. Sa demande d'actualisation ne peut donc être accueillie.
En ce qui concerne le préjudice de jouissance :
9. La commune de Dunières n'établit pas la réalité du préjudice de jouissance dont elle sollicite l'indemnisation sur une base de 15 % du montant correspondant à la réfection complète du sol sportif.
Sur l'appel en garantie :
10. Faute pour la société St Groupe d'établir avoir transmis en temps utile à la commune de Dunières le dossier des ouvrages exécutés, la société W Architectes peut se prévaloir de cette abstention fautive et demander pour cette raison à être garantie à hauteur de 50 % de la condamnation prononcées à son encontre au point 7.
Sur les frais d'expertise :
11. Il y a lieu de mettre, eu égard à ce qui précède, les frais d'expertise à hauteur de 50 % de leur montant à la charge de la société St Groupe et pour 50 % à la charge de la société W Architectes.
Sur les conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de laisser à la charge des parties les frais qu'elles ont chacune exposés pour les besoins du litige.
DÉCIDE :
Article 1er : Les sociétés St Groupe et W Architectes sont condamnées in solidum à verser la somme de 3 192,44 euros TTC à la commune de Dunières.
Article 2 : La société St Groupe garantira la société W Architectes à hauteur de 50 % de la condamnation prononcée à l'article 1er.
Article 3 : Les frais d'expertise d'un montant de 3 883,55 euros TTC sont mis à la charge de la société W Architectes à hauteur de 50 % et de la société St groupe à hauteur de 50 %.
Article 4 : Le jugement n° 1700932 du 7 novembre 2019 du tribunal administratif de Clermont-Ferrand est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 5 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la société W Architectes, à la commune de Dunières et à la société St Groupe.
Délibéré après l'audience du 27 janvier 2022, à laquelle siégeaient :
M. d'Hervé, président de chambre,
Mme Michel, président-assesseur,
M. Rivière, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 février 2022.
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N°20LY00032