Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
La SARL Sérénéthique a demandé au tribunal administratif de Lyon de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge pour la période du 1er octobre 2010 au 31 décembre 2011 pour un montant, en droits et pénalités, de 59 083 euros.
Par un jugement n° 1800837 du 21 mai 2019, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 21 juillet 2019, la SARL Sérénéthique, représentée par Me Dursent, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge pour la période du 1er octobre 2010 au 31 décembre 2011 pour un montant, en droits et pénalités, de 59 083 euros ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les dispositions de l'article 202 D de l'annexe II du code général des impôts font obligation aux agents de l'administration fiscale de se livrer à leurs propres vérifications des opérations qui leur sont soumises pour déterminer si elles relèvent ou non d'une activité entrant dans le champ de la formation professionnelle continue et ouvrent droit à l'exonération prévue par le a) du 4° du 4 de l'article 261 du code général des impôts et appliquer des pénalités, sans pouvoir s'estimer liés par les conclusions des autorités administratives contrôlant l'application de la législation du travail ;
- elle disposait bien, pour ses actions de formation, de locaux, de moyens humains et de moyens techniques et pédagogiques ;
- la preuve de l'existence des formations et de leur nature n'est pas remise en cause par le seul constat que certains stages résidentiels se tenaient le week-end, ce qui se justifiait par la disponibilité de ses clients ; seules les heures de formation, à l'exception des activités de loisirs, ont par ailleurs été facturées ; les formations dispensées avaient bien une finalité professionnelle ; le très faible pourcentage d'anomalies, elles-mêmes contestables, portant sur les signatures de stagiaires ou le cas d'un unique stagiaire en congés payés sur une journée de formation ne permet pas de remettre en cause la réalité des actions de formation ; elle n'a pas établi de documents justificatifs à l'insu de ses clients ; les discordances de dates s'expliquent par des reports contraints de formations, imputables à des dysfonctionnements dans le traitement des demandes de prise en charge par les organismes collecteurs agréés ; elle produit des attestations probantes de ses stagiaires ;
- en conséquence, la remise en cause de l'exonération de taxe sur la valeur ajoutée n'est pas justifiée ;
- l'application de pénalités n'est pas davantage fondée ;
- elle méconnaît le principe de proportionnalité des peines en présence d'un cumul de sanctions fiscales, et en l'absence d'appréciation individuelle, pour chacune des formations en litige, des manœuvres frauduleuses invoquées.
Par un mémoire en défense, enregistré le 26 février 2020, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par l'appelante ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code du travail ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Le Frapper, première conseillère,
- les conclusions de M. Vallecchia, rapporteur public,
- et les observations de Me Dursent, représentant la SARL Sérénéthique ;
Considérant ce qui suit :
1. La SARL Sérénéthique exerce une activité principale de conseil en organisation et de formation auprès de cabinets dentaires, à laquelle elle a adjoint une activité complémentaire de formation professionnelle continue auprès d'artisans et commerçants, bénéficiant d'une exonération de taxe sur la valeur ajoutée, en application du a) du 4° du 4 de l'article 261 du code général des impôts. Après un contrôle sur place, le préfet de la région Rhône-Alpes, par une décision du 11 avril 2013 confirmée le 29 juillet 2013 lui a fait obligation de rembourser certaines sommes à ses cocontractants du fait de prestations non exécutées avant le 26 novembre 2009, et de verser au Trésor public une somme de 255 952 euros au titre de prestations non exécutées postérieurement à cette date, outre une somme de même montant du fait de l'établissement de faux documents. La demande de la SARL Sérénéthique tendant à l'annulation de cette décision a été rejetée en dernier lieu par une décision, désormais irrévocable, de la cour administrative d'appel de Lyon du 10 décembre 2018. Par une proposition de rectification contradictoire du 18 juillet 2014, intervenue à l'issue d'une vérification de comptabilité, l'administration fiscale a par ailleurs remis en cause l'exonération de taxe sur la valeur ajoutée dont avait bénéficié la SARL Sérénéthique et lui a en conséquence notifié des rappels pour la période du 1er octobre 2010 au 31 décembre 2011, assortis de pénalités de 80% pour manœuvres frauduleuses et pour l'essentiel maintenus après observations de la contribuable et saisine de l'interlocuteur départemental. La société requérante relève appel du jugement du 21 mai 2019 par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à la décharge, en droits et pénalités, des impositions supplémentaires mises en recouvrement à son encontre à hauteur de 59 083 euros.
2. En premier lieu, aux termes de l'article 202 D de l'annexe 2 au code général des impôts : " Les agents de l'administration des impôts contrôlent l'application des articles 202 A à 202 C et s'assurent notamment que les opérations qui ouvrent droit à exonération relèvent d'une activité entrant dans le cadre de la formation professionnelle continue ".
3. Ces dispositions n'ont, en tout état de cause, ni pour objet, ni pour effet, d'interdire au vérificateur, après exercice de son droit de communication auprès de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi, de s'approprier les conclusions d'un contrôle effectué par cette administration, à l'issue de ses propres vérifications. En l'espèce, il résulte clairement des termes de la proposition de rectification que le vérificateur a porté sa propre appréciation sur les pièces, pour l'essentiel identiques, qui lui étaient soumises, sans s'estimer lié par les conclusions de la mission de contrôle, dont il a seulement entendu confirmer la validité. Il n'était par ailleurs pas tenu, tant pour procéder aux rappels en cause que pour appliquer des pénalités pour manœuvres frauduleuses, d'examiner individuellement les justifications apportées, ou non, pour chacune des formations en litige.
4. En deuxième lieu, aux termes de l'article 261 du code général des impôts : " Sont exonérés de la taxe sur la valeur ajoutée : / (...) 4. (Professions libérales et activités diverses) : / 4° a. les prestations de services et les livraisons de biens qui leur sont étroitement liées, effectuées dans le cadre : / (...) de la formation professionnelle continue, telle qu'elle est définie par les dispositions législatives et réglementaires qui la régissent, assurée soit par des personnes morales de droit public, soit par des personnes de droit privé titulaires d'une attestation délivrée par l'autorité administrative compétente reconnaissant qu'elles remplissent les conditions fixées pour exercer leur activité dans le cadre de la formation professionnelle continue (...) ". Aux termes de l'article L. 6362-6 du code du travail, relatif au contrôle de la formation professionnelle continue, dans sa rédaction antérieure au 1er janvier 2019 : " Les organismes prestataires d'actions de formation entrant dans le champ de la formation professionnelle continue au sens de l'article L. 6313-1 présentent tous documents et pièces établissant la réalité de ces actions. / A défaut, celles-ci sont réputées ne pas avoir été exécutées (...) ".
5. Sous réserve des cas où la loi attribue la charge de la preuve au contribuable, il appartient au juge de l'impôt, au vu de l'instruction et compte tenu, le cas échéant, de l'abstention d'une des parties à produire les éléments qu'elle est seule en mesure d'apporter et qui ne sauraient être réclamés qu'à elle-même, d'apprécier si la situation du contribuable entre dans le champ de l'assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée ou, le cas échéant, s'il remplit les conditions légales d'une exonération.
6. Il résulte de l'instruction que la SARL Sérénéthique a facturé certaines prestations proposées en " formule résidentielle " comprenant un hébergement hôtelier malgré la proximité du lieu de résidence des stagiaires ainsi que des activités de loisirs telles qu'initiations œnologiques, spa, massages, voile, dont elle ne justifie toujours pas qu'elles entraient dans le champ de la formation professionnelle continue et se déroulaient en particulier en-dehors des temps de formation qu'elles étaient censées accompagner, en l'absence de toute convention de formation, de programme ou même de convocation s'y rapportant. Il n'est par ailleurs toujours pas justifié que le coût de ces prestations de loisirs n'aurait pas été inclus dans le montant des prestations financées par les organismes collecteurs, ce qui ne saurait se déduire de la seule circonstance que le résultat de la requérante aurait été déficitaire.
7. La SARL Sérénéthique ne justifie ensuite pas plus en appel qu'en première instance avoir disposé de locaux adaptés à une formation à caractère professionnel, en particulier à ses formations dites " transversales ", en se bornant, compte tenu de ce qui a été dit au point 6, à se prévaloir de factures d'hôtel, au demeurant non produites, qui porteraient sur des locations de salles, ou d'une facture relative à la location d'une salle, émise par l'établissement de discothèque à l'enseigne " Le Pink ", dont il ne se déduit pas que la salle en cause serait nécessairement pourvue d'équipements adaptés à la tenue de séminaires et qui ne mentionne ni la date ni la nature de l'utilisation de la salle. L'attestation non circonstanciée du propriétaire d'un local à Bandol qui aurait été mis à sa disposition au cours des années 2009 et 2010 ne permet pas davantage de justifier que ce local, dont rien, et en particulier aucune convocation, ne justifie qu'il aurait par ailleurs effectivement accueilli des formations, était techniquement adapté à l'accueil de formations professionnelles. Si la société a conclu, en février 2011, un bail commercial pour un autre local situé à Bandol, ce contrat précise que le local est exclusivement destiné à des actions de conseil et formation concernant des chirurgiens-dentistes dont ne relèvent pas les actions de formation en litige, et la requérante n'apporte aucun élément de nature à justifier que ce local aurait néanmoins accueilli, en contradiction avec ses obligations contractuelles vis-à-vis du bailleur, une partie des formations en litige.
8. En outre, si la requérante se prévaut de factures émises notamment par des salons de coiffure pour l'accueil de formations dites " techniques ", elle ne conteste pas que la plupart des factures de ses sous-traitants relatives à ces prestations de formation ne permettaient pas d'identifier l'intitulé, la nature, les dates et durées des formations, ainsi que les modalités de calcul de leur coût, de sorte qu'elle n'apporte pas les justifications qu'elle était seule en mesure d'apporter quant à la réalité et au rattachement de ces prestations au champ de la formation professionnelle, quel que soit le coût horaire retenu par l'administration à l'occasion de la vérification de comptabilité. Il résulte en particulier de l'instruction que la requérante n'a justifié ni de l'achat de matériels pédagogiques pour ces prestations, ni même de l'établissement d'un programme de formation pourtant prévu à l'article L. 6353-1 du code du travail ou encore d'une convention précisant les modalités de déroulement des formations proposées. L'allégation selon laquelle les matériels nécessaires étaient fournis soit par le prestataire lui-même, alors même que certaines actions étaient déjà facturées à un taux particulièrement bas par les sous-traitants, soit par des grossistes ou fournisseurs, n'est étayée d'aucun élément probant. La requérante ne peut en outre sérieusement soutenir que les modes d'emploi des produits utilisés pouvaient valablement se substituer à un support ou programme de formation, au seul motif que l'intérêt de ces actions résidaient dans la démonstration d'un savoir-faire particulier.
9. Par ailleurs, si la requérante conteste la remise en cause du caractère probant des feuilles d'émargement produites pour justifier de l'exécution de certaines des formations en litige, au motif qu'une minorité seulement des signatures apposées sur ces feuilles pourrait prêter à discussion, elle ne conteste toutefois pas que ces feuilles ne mentionnent pas le nom du formateur censé être intervenu et qu'elles comportent des dates ne correspondant pas aux dates effectives des formations. A cet égard, il n'est nullement justifié que la requérante aurait été contrainte de maintenir sur ces documents les dates de formation initialement fixées alors même qu'un report serait intervenu, afin de ne pas contraindre les stagiaires à réitérer leur demande de prise en charge auprès des organismes financeurs, alors qu'il résulte des termes mêmes des accords de prise en charge produits, même intervenus tardivement, qu'ils étaient valables plusieurs mois et que le stagiaire pouvait en conserver le bénéfice, même en cas de report de date, à condition d'en faire le signalement. Il s'ensuit que le défaut de caractère probant des feuilles d'émargement produites par la requérante ne saurait être imputé aux retards de traitement des organismes paritaires collecteurs agréés.
10. Par suite, quel que soit le bien-fondé de critiques ponctuelles formées par l'administration quant à la situation personnelle de quelques stagiaires et même si la requérante soutient ne pas avoir adressé elle-même de fausses demandes de prise en charge aux organismes collecteurs, il résulte suffisamment de l'instruction que les actions de formation facturées par la SARL Sérénéthique en exonération de taxe sur la valeur ajoutée soit n'ont pu être matériellement dispensées, soit ne peuvent en tout état de cause être rattachées au champ de la formation professionnelle, faute pour l'intéressée d'apporter les éléments, tels notamment que conventions, programmes de formation, ou encore convocations, qu'elle était seule en mesure d'apporter. La requérante n'est dès lors pas fondée à contester la remise en cause de l'exonération dont elle a bénéficié.
11. En dernier lieu, aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'Etat entraînent l'application d'une majoration de : / a. 40 % en cas de manquement délibéré ; / (...) c. 80 % en cas de manœuvres frauduleuses (...) ".
12. Il incombe à l'administration d'établir l'existence, de la part du contribuable, de démarches ou procédés destinés à l'égarer dans ses contrôles, caractérisant des manœuvres frauduleuses.
13. Pour infliger à la SARL Sérénéthique des pénalités de 80% pour manœuvres frauduleuses, l'administration fiscale a retenu que l'intéressée avait établi de faux documents, tels que factures et feuilles d'émargement, ayant pour objet de donner l'apparence de formations réellement dispensées, et facturé en toute connaissance de cause des prestations que les dirigeants de la société savaient ne pas avoir été exécutées ou qui n'avaient pas la nature d'actes de formation, compte tenu notamment de la disproportion entre les coûts des formateurs et le volume de chiffre d'affaires correspondant.
14. Les rappels de taxe sur la valeur ajoutée dus par la société Sérénéthique n'ayant pas le caractère d'une sanction, la requérante n'est pas fondée à soutenir que les pénalités mises à sa charge seraient constitutives d'un cumul de sanctions prohibé. Par ailleurs, la requérante ayant eu recours à des factures fictives s'agissant des formations qui sont réputées ne pas avoir été exécutées et ayant établi des feuilles d'émargement dont les dates sont fausses, il est établi qu'elle a mis en place des procédés destinés à restreindre le pouvoir de contrôle de l'administration, quand bien même cette dernière ne ferait pas valoir de dissimulation spécifique pour chacune des 300 formations en litige. Dès lors, la requérante n'est pas fondée à contester le bien-fondé des pénalités pour manœuvres frauduleuses mises à sa charge.
15. Il résulte de tout ce qui précède que la SARL Sérénéthique n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, qui n'est entaché d'aucune omission, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.
Sur les frais liés au litige :
16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat qui n'a pas, dans la présente instance, la qualité de partie perdante, verse à la SARL Sérénéthique la somme qu'elle demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la SARL Sérénéthique est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL Sérénéthique et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.
Délibéré après l'audience du 20 janvier 2022, à laquelle siégeaient :
M. Bourrachot, président de chambre,
Mme Dèche, présidente assesseure,
Mme Le Frapper, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 10 février 2022.
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N° 19LY02874