Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
La société d'exercice libéral par action simplifiée (SELAS) Eurofins Labazur Rhône-Alpes a demandé au tribunal administratif de Grenoble de prononcer la décharge des suppléments de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, de taxe additionnelle à cette cotisation et des frais de gestion correspondants auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2011, 2012 et 2013.
Par un jugement n° 1701492 du 14 juin 2019, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 5 août 2019 et le 2 juin 2020, la SELAS Eurofins Labazur Rhône-Alpes, représentée par Me Brisson, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de prononcer la décharge de ces impositions et des pénalités correspondantes ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'article 1586 sexies du code général des impôts se réfère expressément à la notion comptable de services extérieurs, qui s'entend comme l'ensemble des charges comptabilisées en comptes 611 à 629 du plan comptable général ; la comptabilisation des honoraires en compte 622610, conforme aux normes comptables et non remise en cause par l'administration, traduit le fait que les biologistes ne sont pas des salariés mais des professionnels indépendants ; en conséquence, leurs honoraires se rattachent à la catégorie des services extérieurs visée à l'article 1586 sexies du code général des impôts et sont déductibles de la valeur ajoutée pour le calcul de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises ;
- la doctrine administrative référencée BOI-CVAE-BASE-20 § 250 confirme expressément que pour déterminer l'assiette de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, il convient purement et simplement de se référer aux rubriques comptables.
Par un mémoire, enregistré le 2 avril 2020, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par la société appelante ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 30 août 2021 la clôture d'instruction a été fixée au 1er octobre 2021 en application des articles R. 613-1 et R. 613-3 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de la santé publique ;
- la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990 ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Lesieux, première conseillère,
- et les conclusions de Mme Vinet, rapporteure publique,
Considérant ce qui suit :
1. La SELAS Labazur Rhône-Alpes, devenue Eurofins Labazur Rhône-Alpes, qui a pour activité l'exploitation d'un laboratoire d'analyses médicales multisites, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er janvier 2011 au 30 septembre 2013, prolongée jusqu'au 30 juin 2014 en matière de taxes sur le chiffre d'affaire, au cours de laquelle le vérificateur a notamment exclu du poste comptable " autres achats et charges externes " les rémunérations versées aux biologistes associés et a rehaussé d'autant les bases imposables à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises au titre des années 2011, 2012 et 2013. En conséquence, la SELAS a été assujettie, selon la procédure de rectification contradictoire, à des suppléments de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, de taxe additionnelle à cette cotisation et de frais de gestion au titre de ces années, lesquels ont été assortis des intérêts de retard. La SELAS Eurofins Labazur Rhône-Alpes relève appel du jugement du 14 juin 2019 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à la décharge de ces impositions et des pénalités correspondantes.
Sur le bien-fondé de l'imposition :
En ce qui concerne l'application de la loi fiscale :
2. D'une part, aux termes de l'article 1447-0 du code général des impôts : " Il est institué une contribution économique territoriale composée d'une cotisation foncière des entreprises et d'une cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises ". Aux termes du II de l'article 1586 ter de ce code : " 1. La cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises est égale à une fraction de la valeur ajoutée produite par l'entreprise, telle que définie à l'article 1586 sexies (...) ". L'article 1586 sexies du même code, dans sa version applicable aux années en litige, précise que : " I.- Pour la généralité des entreprises, à l'exception des entreprises visées aux II à VI : (...) 4. La valeur ajoutée est égale à la différence entre : / a) d'une part, le chiffre d'affaires tel que défini au 1, majoré (...) b) Et, d'autre part : - les achats stockés de matières premières et autres approvisionnements, les achats d'études et prestations de services, les achats de matériel, équipements et travaux, les achats non stockés de matières et fournitures, les achats de marchandises et les frais accessoires d'achat ; / - diminués des rabais, remises et ristournes obtenus sur achats ; / -la variation négative des stocks ; / - les services extérieurs diminués des rabais, remises et ristournes obtenus, à l'exception des loyers ou redevances afférents aux biens corporels pris en location ou en sous-location pour une durée de plus de six mois ou en crédit-bail ainsi que les redevances afférentes à ces biens lorsqu'elles résultent d'une convention de location-gérance (...) - les taxes sur le chiffre d'affaires et assimilées, les contributions indirectes, la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (...) - les autres charges de gestion courante, autres que les quotes-parts de résultat sur opérations faites en commun ; / - les dotations aux amortissements pour dépréciation afférentes aux biens corporels donnés en location ou sous-location pour une durée de plus de six mois, donnés en crédit-bail ou faisant l'objet d'un contrat de location-gérance, en proportion de la seule période de location, de sous-location, de crédit-bail ou de location-gérance ; / - les moins-values de cession d'éléments d'immobilisations corporelles et incorporelles, lorsqu'elles se rapportent à une activité normale et courante (...) ". Aux termes de l'article 38 quater de l'annexe III au code général des impôts : " Les entreprises doivent respecter les définitions édictées par le plan comptable général, sous réserve que celles-ci ne soient pas incompatibles avec les règles applicables pour l'assiette de l'impôt ".
3. Les dispositions précitées de l'article 1586 sexies du code général des impôts fixent la liste limitative des catégories d'éléments comptables qui doivent être pris en compte dans le calcul de la valeur ajoutée, valeur en fonction de laquelle est calculée la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises. Il y a lieu, pour déterminer si une charge ou un produit se rattache à l'une de ces catégories, de se reporter aux normes comptables dans leur rédaction en vigueur lors de l'année d'imposition concernée, sous réserve que celles-ci ne soient pas incompatibles avec les règles applicables pour l'assiette de l'impôt.
4. D'autre part, aux termes de l'article L. 6211-7 du code de la santé publique, dans sa version applicable au litige : " Un examen de biologie médicale est réalisé par un biologiste médical ou, pour certaines phases, sous sa responsabilité ". Aux termes de L. 6212-1 de ce code : " Un laboratoire de biologie médicale est une structure au sein de laquelle sont effectués les examens de biologie médicale. (...) " Aux termes de l'article L. 6213-7 de ce code : " Le laboratoire de biologie médicale est dirigé par un biologiste médical dénommé biologiste-responsable. Le biologiste médical bénéficie des règles d'indépendance professionnelle reconnues au médecin et au pharmacien dans le code de déontologie qui leur est applicable. Le biologiste-responsable exerce la direction du laboratoire dans le respect de ces règles ". L'article L. 6213-9 du même code précise que " (...) les laboratoires de biologie médicale privés sont dirigés par un biologiste-responsable qui en est le représentant légal. / Lorsque la structure juridique d'un laboratoire de biologie médicale permet l'existence de plusieurs représentants légaux, ces représentants sont dénommés biologistes-coresponsables. Les médecins spécialistes qualifiés en anatomie et cytologie pathologiques peuvent être désignés comme coresponsables. / Les biologistes-coresponsables et les médecins spécialistes qualifiés en anatomie et cytologie pathologiques désignés comme coresponsables exercent ensemble les fonctions et les attributions habituellement dévolues au biologiste-responsable ". Selon l'article L. 6213-10 de ce code : " Le biologiste-responsable, les biologistes-coresponsables et les médecins spécialistes qualifiés en anatomie et cytologie pathologiques coresponsables ne peuvent exercer cette fonction que dans un seul laboratoire de biologie médicale ". Enfin, selon l'article L. 6223-1 de ce code : " Un laboratoire de biologie médicale privé est exploité en nom propre, ou sous la forme : (...) 3° D'une société d'exercice libéral régie par la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990 relative à l'exercice sous forme de sociétés des professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé et aux sociétés de participations financières de professions libérales (...) ".
5. Il résulte de l'instruction que pour la détermination de la valeur ajoutée produite par l'entreprise au cours des exercices clos en 2011, 2012 et 2013, la SELAS Eurofins Labazur Rhône-Alpes a déduit au titre des " autres achats et charges externes " respectivement les sommes de 708 387 euros, 1 428 154,81 euros et 1 406 055,27 euros correspondant au solde débiteur du compte 622 610 " honoraires de production " sur lequel ont été comptabilisés les honoraires versés aux biologistes associés pour l'exécution de leurs prestations techniques. Elle justifie cette imputation comptable par le fait que les biologistes associés sont, en vertu des dispositions du code de la santé publique précitées, des professionnels libéraux exerçant leur activité en toute indépendance et fait valoir que l'assiette de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises est définie par référence aux notions comptables en vigueur au cours de la période d'imposition et que les choix comptables des entreprises constituent des décisions de gestion opposables à l'administration.
6. Toutefois, il n'est pas contesté que les honoraires en cause sont versés aux biologistes associés en contrepartie des prestations techniques qu'ils réalisent au nom et pour le compte de la SELAS. Ces biologistes ne facturent pas leurs actes professionnels à cette société et leur rémunération, qui n'est pas individualisée, est fixée en assemblée générale. Il est par ailleurs constant que, conformément aux dispositions précitées de l'article L. 6213-10 du code de la santé publique, les biologistes coresponsables ne peuvent exercer leur fonction que dans un seul laboratoire de biologie médicale et qu'ils travaillent donc exclusivement pour le compte des clients de la SELAS Eurofins Labazur Rhône-Alpes. Ainsi, les biologistes coresponsables ne peuvent être regardés, eu égard aux liens qui les unissent à la société appelante, comme des tiers par rapport à cette société. Il s'en déduit que les honoraires que leur verse la SELAS présentent pour cette dernière le caractère de dépenses de personnel sans qu'y fasse obstacle la circonstance que ces sommes seraient imposables entre les mains de leurs bénéficiaires dans la catégorie des bénéfices non commerciaux ainsi que le fait valoir la société appelante. Ayant le caractère de dépenses de personnel, ces honoraires ne figurent pas parmi les dépenses qui, en application de l'article 1586 sexies du code général des impôts, doivent être déduites de la valeur ajoutée pour le calcul des impositions qu'il vise. Leur montant ne pouvait par conséquent pas être déduit du chiffre d'affaires de la SELAS au titre des exercices en litige pour le calcul de la valeur ajoutée servant de base au calcul de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises.
En ce qui concerne l'interprétation administrative de la loi fiscale :
7. Aux termes de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales : " Il ne sera procédé à aucun rehaussement d'impositions antérieures si la cause du rehaussement poursuivi par l'administration est un différend sur l'interprétation par le redevable de bonne foi du texte fiscal et s'il est démontré que l'interprétation sur laquelle est fondée la première décision a été, à l'époque, formellement admise par l'administration./ Lorsque le redevable a appliqué un texte fiscal selon l'interprétation que l'administration avait fait connaître par ses instructions ou circulaires publiées et qu'elle n'avait pas rapportée à la date des opérations en cause, elle ne peut poursuivre aucun rehaussement en soutenant une interprétation différente. Sont également opposables à l'administration, dans les mêmes conditions, les instructions ou circulaires publiées relatives au recouvrement de l'impôt et aux pénalités fiscales ".
8. La SELAS Eurofins Labazur Rhône-Alpes n'est pas fondée à se prévaloir de la documentation administrative référencée BOI-CVAE-BASE-20, et en particulier de son paragraphe 250, qui précise que " Les services extérieurs s'entendent de l'ensemble des charges à comptabiliser dans les comptes 611 et 613 à 629 du PCG (...) " dès lors qu'elle ne comporte aucune interprétation formelle de la loi fiscale différente de celle dont il est fait application dans le présent arrêt.
9. Il résulte de tout ce qui précède que la SELAS Eurofins Labazur Rhône-Alpes n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.
Sur les frais liés au litige :
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat qui n'a pas, dans la présente instance, la qualité de partie perdante, verse à la SELAS Eurofins Labazur Rhône-Alpes la somme qu'elle réclame au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la SELAS Eurofins Labazur Rhône-Alpes est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SELAS Eurofins Labazur Rhône-Alpes et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.
Délibéré après l'audience du 16 décembre 2021 à laquelle siégeaient :
Mme Evrard, présidente de la formation de jugement,
Mme Caraës, première conseillère,
Mme Lesieux, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 27 janvier 2022.
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N° 19LY03077