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20/01/2022 | FRANCE | N°19LY04404

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 4ème chambre, 20 janvier 2022, 19LY04404


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

La commune de Saint-Paul-Trois-Châteaux a demandé au tribunal administratif de Grenoble :

- de condamner la société OTV venue aux droits de la société MSE Sud-Est à lui verser, au titre de sa garantie décennale ou à défaut au titre de sa garantie de bon fonctionnement, une indemnité de 963 409,65 euros, assortie des intérêts moratoires et de la capitalisation des intérêts, correspondant aux désordres affectant la station d'épuration ;

- de mettre à la charge de la société OTV la somm

e de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jug...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

La commune de Saint-Paul-Trois-Châteaux a demandé au tribunal administratif de Grenoble :

- de condamner la société OTV venue aux droits de la société MSE Sud-Est à lui verser, au titre de sa garantie décennale ou à défaut au titre de sa garantie de bon fonctionnement, une indemnité de 963 409,65 euros, assortie des intérêts moratoires et de la capitalisation des intérêts, correspondant aux désordres affectant la station d'épuration ;

- de mettre à la charge de la société OTV la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1704928 du 26 septembre 2019, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête, enregistrée le 29 novembre 2019, la commune de Saint-Paul-Trois-Châteaux, représentée par le cabinet Joffe et Associés, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1704928 du 26 septembre 2019 du tribunal administratif de Grenoble ;

2°) de condamner la société OTV à lui verser, à titre principal, sur le fondement de la garantie décennale des constructeurs et, à titre subsidiaire, sur le fondement de la garantie de bon fonctionnement, la somme de 619 509,65 euros en réparation des désordres affectant le robot épandeur de boue de la station d'épuration des eaux usées ;

3°) de mettre à la charge de la société OTV la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement est irrégulier pour être entaché de contradiction interne entre ses motifs et son dispositif ;

- le jugement est entaché d'une erreur de droit sur la notion d'impropriété de l'ouvrage à sa destination et d'une erreur de fait sur les conséquences des dysfonctionnements avérés du robot épandeur ;

- les dysfonctionnements du robot épandeur rendent la station d'épuration impropre à sa destination dès lors qu'ils génèrent un risque sanitaire réel ;

- le recours à un site de compostage agréé pour le traitement des boues, solution non pérenne tant au niveau du risque sanitaire induit que du surcoût financier, ne pouvait être retenu pour écarter la responsabilité décennale de la société MSE ;

- le délai biennal de la garantie de bon fonctionnement a été interrompu dès lors que la société MSE a reconnu sa responsabilité dans le dysfonctionnement du robot épandeur en réalisant de multiples interventions sur ce robot et en déclinant un plan d'action pour assurer son fonctionnement correct ;

- elle a subi en raison des dysfonctionnements du robot épandeur des préjudices liés aux frais de remise en état d'un montant de 3 409,46 euros TTC, les frais de 2011 à décembre 2018 de détournement de boue d'un montant de 586 595,59 euros TTC, à parfaire et les frais et honoraires d'expertise d'un montant de 9 504,60 euros TTC.

Par un mémoire en défense enregistré le 15 septembre 2020, la société OTV, venant aux droits de la société MSE Sud-Est, représentée par Me Cavoizy conclut, à titre principal, au rejet de la requête, à titre subsidiaire, à la condamnation de la société Saur à la relever indemne des condamnations prononcées à son encontre, à la minoration des sommes demandées par la commune et, en tout état de cause, à la condamnation de la commune de Saint-Paul-Trois-Châteaux aux dépens, y compris les frais d'expertise et à ce qu'il soit mis à sa charge la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- le dysfonctionnement du robot épandeur ne rend pas la station d'épuration, qui a continué à fonctionner, impropre dans son ensemble à sa destination ;

- la demande au titre de la garantie de fonctionnement est prescrite, le simple fait qu'elle ait accepté de réaliser de menus travaux afin d'aider le maître d'ouvrage et son exploitant dans le cadre de difficultés de mise en œuvre ne saurait valoir reconnaissance de responsabilité et la saisine du tribunal aux fins de référé expertise étant postérieure de six années à la date de réception ;

- la société Saur la relèvera et garantira de toute condamnation prononcée à son encontre dès lors qu'elle a commis une faute en ne procédant pas à l'entretien du robot épandeur pendant de nombreuses années ;

- les frais techniques (coût du remplacement des pièces, analyses et autres) devront être mis à la charge de l'exploitant, qui s'est manifestement abstenu d'entretenir le matériel durant des années ;

- les frais de détournement de boue ne sont pas justifiés en ce qui concerne les quantités de boue et les coûts unitaires d'évacuation, qui ont été multipliés par quatre sans explication entre 2012 et 2014 et ne procèdent que d'un accord entre la commune et son exploitant, alors que le coût prévisionnel défini initialement de l'évacuation des boues inscrit pour 43 800 euros par an pour 255 tonnes doit être déduit ;

- les frais de détournement de boues doivent être établis sur la base de 154 euros la tonne ;

- le coût majoré multiplié par 4 était limité à 15 tonnes par an et au respect par l'exploitant des dispositions de l'article 21.2 du contrat d'exploitation qui prévoit que celui-ci doit prendre en charge la maintenance préventive annuelle et poussée du robot, alors que cet entretien n'a pas été réalisé ;

- le coût du remplacement du robot n'est pas justifié et elle ne saurait être condamnée à supporter le coût de son amélioration ;

- le préjudice de la commune devra être évalué à la date du dépôt du rapport, soit le 12 octobre 2016, date à laquelle la cause et l'étendue des dommages étant connues, il pouvait être procédé aux réparations.

Par un mémoire enregistré le 2 décembre 2020, la société Saur, représente par Me de Angelis, conclut à la confirmation du jugement contesté en ce qu'il a rejeté les demandes de la société OTV présentées à son encontre, au rejet de toute demande tendant à sa condamnation, à la condamnation de la société OTV à réparer l'intégralité des préjudices invoqués par la commune de Saint-Paul-Trois-Châteaux et à ce qu'il soit mis à la charge de la société OTV la somme de 7 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- les demandes de la société OTV dirigées à son encontre sont irrecevables dès lors que ni sa garantie décennale, eu égard à sa seule qualité d'exploitant, ni sa responsabilité contractuelle, en l'absence de contrat conclu entre elle et la société OTV, ne peuvent être actionnées contre elle ;

- ces demandes sont infondées dès lors qu'elle n'a commis aucune faute en lien direct avec les désordres invoqués ;

- les désordres constatés sont exclusivement imputables à la société OTV au titre de sa responsabilité décennale.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la construction et de l'habitation ;

- le code des marchés publics ;

- le code civil ;

- le code de justice administrative.

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Rivière ;

- les conclusions de M. Savouré, rapporteur public ;

- les observations de Me Mollet pour la commune de Saint-Paul-Trois-Châteaux, celles de Me Cavoizy pour la société OTV et celles de Me Delhaye pour la société Saur.

Considérant ce qui suit :

1. La commune de Saint-Paul-Trois-Châteaux a conclu le 26 octobre 1990 un marché public de maîtrise d'œuvre pour la conception d'une station d'épuration des eaux usées sur son territoire, puis, le 31 août 2004, avec un groupement d'entreprises solidaires, dont les sociétés OTV et MSE Sud Est, un marché public de travaux pour la construction de cette station d'épuration. Par un avenant n°1, signé le 15 février 2006, la société OTV et la commune de Saint-Paul-Trois-Châteaux ont ajouté au marché initial la réalisation de nouveaux travaux au nombre desquels l'automatisation de la distribution des boues issues du traitement des eaux par l'usage d'un robot épandeur. Les travaux ont été réceptionnés le 12 mai 2006 avec des réserves qui ont été levées le 26 juin 2006 avec effet au 12 mai 2006. Par un contrat d'affermage, la commune a délégué à la société Saur France le soin exclusif d'assurer la gestion du service de collecte, transport et traitement des eaux usées et des résidus d'épuration, collecte et transport des eaux pluviales et contrôle technique des installations d'assainissement non collectif et lui a confié l'entretien de la station d'épuration des eaux usées et notamment les travaux d'entretien des ouvrages accessoires et des équipements. A partir du mois de septembre 2006, des dysfonctionnements du robot épandeur ont été constatés. Sur demande de la commune de Saint-Paul-Trois-Châteaux, une expertise a été ordonnée sur ce point le 14 mars 2013 par le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble et le rapport de l'expert déposé le 12 octobre 2016. La commune de Saint-Paul-Trois-Châteaux a demandé au tribunal administratif de Grenoble la condamnation de la société MSE Sud Est, aux droits de laquelle est venue la société OTV, à l'indemniser des préjudices subis en raison du dysfonctionnement du robot épandeur. Par un jugement n° 1704928 du 26 septembre 2019, dont la commune de Saint-Paul-Trois-Châteaux relève appel, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne, à titre principal, la responsabilité décennale :

2. Il résulte des principes qui régissent la garantie décennale des constructeurs que des désordres apparus dans le délai d'épreuve de dix ans, de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination dans un délai prévisible, engagent leur responsabilité, même s'ils ne se sont pas révélés dans toute leur étendue avant l'expiration du délai de dix ans. La responsabilité décennale du constructeur peut être recherchée pour des dommages survenus sur des éléments d'équipement dissociables de l'ouvrage s'ils rendent celui-ci impropre à sa destination. La circonstance que les désordres affectant un élément d'équipement fassent obstacle au fonctionnement normal de cet élément n'est pas de nature à engager la responsabilité décennale du constructeur si ces désordres ne rendent pas l'ouvrage lui-même impropre à sa destination.

3. Il résulte de l'instruction que l'opération de travaux en litige avait pour objet la construction d'une station d'épuration des eaux usées, permettant la déshydratation des boues liquides par séchage solaire en serre avant évacuation pour un épandage agricole. Par l'avenant cité au point 1, il a été décidé d'automatiser la distribution de boues dans la serre de séchage, en particulier d'améliorer le séchage des boues par adoption d'une machine " andaineur retourneur ", totalement automatisée pour éviter le chargement quotidien des boues par engin et améliorer les conditions d'exploitation et réduire les coûts. Ce robot devait effectuer le retournement des boues et assurer leur transport depuis le point d'arrivée dans la serre jusqu'à la zone de séchage. En raison des dysfonctionnements répétés de ce robot, qui était, selon l'expert judiciaire, inapte à assurer sa fonction assignée d'épandage des boues, l'exploitant de la station d'épuration a décidé de procéder à l'évacuation des boues par bennes vers un site agréé extérieur de compostage. Toutefois, si ces dysfonctionnements ont rendu plus compliqué et onéreux le traitement des boues après épuration des eaux usées, ils n'ont pas rendu celui-ci impossible et les risques naturels induits par ces dysfonctionnements ne sont pas établis par les seuls courriers produits au dossier. Dans ces conditions, les dysfonctionnements du robot qui devait faciliter les opérations de séchage ne peuvent être regardés comme ayant rendu la station d'épuration des eaux usées impropre à sa destination. C'est donc à juste titre, et sans procéder à une appréciation contradictoire et commettre une erreur de droit, que les premiers juges ont pu estimer que les désordres invoqués n'étaient pas de nature à engager la responsabilité décennale des constructeurs.

En ce qui concerne, à titre subsidiaire, la garantie de bon fonctionnement :

4. Aux termes du point 10.1.3 " garantie de bon fonctionnement " de l'article 44.3 " Garantie Particulière " du cahier des clauses administratives particulières (CCAP) du marché litigieux : " Le délai de la garantie de bon fonctionnement est fixé à deux ans. Elle débute à la date de réception des ouvrages. Durant le délai de cette garantie, l'entreprise générale devra remédier à toute défectuosité d'ordre hydraulique, mécanique, électrique et thermique et remédier à toutes difficultés d'exploitations. (...) ". Le point 10.1.4 " garanties spécifiques " prévoit concernant les équipements électromécaniques que " cette garantie engage le titulaire, pendant le délai fixé, à effectuer ou faire effectuer à ses frais, sur simple demande du maître d'ouvrage, le remplacement ou la réparation de toutes pièces présentant des défauts d'usure, de résistance, de déformation ou de ses caractéristiques normales de fonctionnement électrique ou mécanique ". L'article 45 du même CAAP stipule : " chacune des garanties visées à l'article 44 ci-dessus démarre à compter de la date d'effet de la réception définie au 41.6 ci-dessus ou, le cas échéant de la réception partielle définie à l'article 42 ci-dessus, à l'exception des garanties particulières suivantes : équipement électromécanique : à compter de la mise en observation des ouvrages. ".

5. Il ne résulte pas de l'instruction que dans le délai biennal courant, à défaut de circonstance particulière évoquée par les parties, à compter de la réception des travaux prononcée le 12 mai 2006, la société MSE ait, notamment par une intervention ou des réparations d'une certaine ampleur, reconnu de fait sa responsabilité pour les dysfonctionnements du robot " retourneur " avant l'expiration de ce délai ou qu'une quelconque cause d'interruption de ce même délai soit intervenue. C'est donc à juste titre, et sans procéder à une appréciation contradictoire des éléments qui lui étaient soumis, que les premiers juges ont pu estimer que la demande indemnitaire de la commune au titre de la garantie de bon fonctionnement était atteinte par la prescription.

6. Il résulte de tout ce qui précède que la commune de Saint-Paul-Trois-Châteaux n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.

Sur les conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

7. Il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées à ce titre par la commune de Saint-Paul-Trois-Châteaux, partie perdante.

8. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées également à ce titre par la société OTV et par la société Saur.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la commune de Saint-Paul-Trois-Châteaux est rejetée.

Article 2 : Les conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative présentées par la société OTV et la société Saur sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Saint-Paul-Trois-Châteaux, à la société OTV, et à la société Saur.

Délibéré après l'audience du 16 décembre 2021, à laquelle siégeaient :

M. d'Hervé, président de chambre,

Mme Michel, présidente-assesseure,

M. Rivière, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 janvier 2022.

2

N° 19LY04404


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 19LY04404
Date de la décision : 20/01/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. d'HERVE
Rapporteur ?: M. Christophe RIVIERE
Rapporteur public ?: M. SAVOURE
Avocat(s) : CABINET JOFFE et ASSOCIES (SELARL)

Origine de la décision
Date de l'import : 01/02/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2022-01-20;19ly04404 ?
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