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16/12/2021 | FRANCE | N°20LY00643

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 7ème chambre, 16 décembre 2021, 20LY00643


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner l'État à lui verser une indemnité d'un montant de 165 000 euros en réparation des préjudices ayant résulté d'un accident survenu en service, le 12 juin 2010.

Par jugement n° 1800069 du 12 décembre 2019, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour

Par requête enregistrée le 12 février 2020, présentée pour M. B..., il est demandé à la cour :

1°) d'annuler ce

jugement n° 1800069 du 12 décembre 2019 du tribunal administratif de Grenoble ;

2°) après avoir ordonné a...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner l'État à lui verser une indemnité d'un montant de 165 000 euros en réparation des préjudices ayant résulté d'un accident survenu en service, le 12 juin 2010.

Par jugement n° 1800069 du 12 décembre 2019, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour

Par requête enregistrée le 12 février 2020, présentée pour M. B..., il est demandé à la cour :

1°) d'annuler ce jugement n° 1800069 du 12 décembre 2019 du tribunal administratif de Grenoble ;

2°) après avoir ordonné avant dire droit une nouvelle expertise, de condamner l'État au versement d'une indemnité de 83 744,84 euros en réparation des préjudices subis et non réparés par sa pension ;

3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 4 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les frais de l'expertise.

Il soutient que :

- l'expertise ordonnée par le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble s'est déroulée dans des conditions irrégulières en raison de l'absence d'impartialité de l'expert désigné, qui exerçait des fonctions d'attaché dans le service dirigé par le médecin qui assistait le ministère de la défense lors de ces opérations, organisées dans les locaux de ce service, et il y a lieu, en conséquence, d'ordonner une nouvelle mesure d'expertise en désignant un expert impartial ;

- dès lors qu'il a été victime d'une très nette dégradation de ses capacités auditives, à partir de l'accident de service du 12 juin 2010, lui occasionnant un trouble sonore aigu de l'oreille gauche, non constaté antérieurement, jusqu'à être déclaré inapte définitif au service, la responsabilité de l'État doit être engagée en raison d'une faute et il doit obtenir la réparation intégrale des préjudices en résultant.

Par mémoire enregistré le 1er décembre 2020, la ministre des armées conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la défense ;

- le code des pensions civiles et militaires ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Seillet, président assesseur ;

- et les conclusions de M. Chassagne, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., engagé dans la Marine nationale, le 23 mars 2010, pour une durée de quatre ans, a ressenti, le 12 juin 2010, au cours d'un exercice de tir, une douleur dans l'oreille gauche et a été examiné par un médecin le soir même avec réalisation d'une audiométrie. En 2014, alors qu'il était sur le point de souscrire un nouveau contrat dans l'armée de l'Air, les examens médicaux pratiqués ont décelé un déficit auditif important le rendant inapte à la poursuite de sa carrière militaire. Au vu d'un rapport d'expertise, déposé le 21 juillet 2015 par l'expert désigné le 25 mars 2015 par le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble, qui concluait, d'une part, que le déficit cochléaire gauche dont souffre M. B... n'avait pas une origine traumatique et ne pouvait donc pas être en lien de causalité avec l'exercice de tir du 12 juin 2010, et, d'autre part, que les conditions d'activité de l'intéressé postérieurement à cet exercice n'avaient pas eu pour effet d'aggraver son déficit auditif, le tribunal administratif de Grenoble a, par un jugement du 12 décembre 2019, rejeté la demande de M. B... tendant à la condamnation de l'État à réparer les préjudices qu'il impute à des fautes de l'État. M. B... relève appel de ce jugement.

2. Il appartient au juge, saisi d'un moyen mettant en doute l'impartialité d'un expert, de rechercher si, eu égard à leur nature, à leur intensité, à leur date et à leur durée, les relations directes ou indirectes entre cet expert et l'une ou plusieurs des parties au litige sont de nature à susciter un doute sur son impartialité. En particulier, doivent en principe être regardées comme suscitant un tel doute les relations professionnelles s'étant nouées ou poursuivies durant la période de l'expertise.

3. En premier lieu, contrairement à ce qui est soutenu en défense devant la cour, la circonstance que M. B... n'avait pas contesté l'impartialité de l'expert en première instance ne fait pas obstacle à ce qu'il soulève, pour la première fois en appel, dans le cadre d'un litige indemnitaire s'appuyant sur les conclusions d'une expertise judiciaire, un moyen tiré de l'absence d'impartialité de leur auteur.

4. En second lieu, il résulte de l'instruction et, en particulier, d'un organigramme produit par M. B..., que l'expert désigné par le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble le 25 mars 2015, exerçait, à la date des opérations d'expertise qu'il a conduites le 21 juillet 2015, des fonctions d'attaché au sein du service de chirurgie ORL et des pathologies liées au sommeil de l'hôpital des armées Desgenettes à Lyon, dans les locaux duquel s'est déroulée cette expertise, et que le chef de ce service, qui était donc le supérieur hiérarchique de l'expert, a assisté aux opérations d'expertise en qualité d'assistant technique du ministère de la défense, défendeur à l'instance. L'existence de relations professionnelles et hiérarchiques existant durant la période de l'expertise entre, d'une part, le médecin chargé d'assister l'administration au cours des opérations d'expertise conduites dans son propre service, et, d'autre part, l'expert désigné par le juge des référés, est de nature à faire naître un doute sur l'impartialité dudit expert.

5. La violation du principe d'impartialité de l'expert constitue une irrégularité du jugement attaqué. Il y a lieu dès lors, d'annuler le jugement du 12 décembre 2019.

6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Grenoble.

7. Dans ces conditions, l'état de l'instruction du dossier ne permettant pas à la cour de se prononcer sur la responsabilité de l'État, il y a lieu pour la cour, avant dire droit sur la demande de M. B..., d'ordonner une nouvelle expertise médicale aux fins précisées par le dispositif ci-après.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1800069 du 12 décembre 2019 du tribunal administratif de Grenoble est annulé.

Article 2 : Il sera, avant de statuer sur la demande de M. B..., procédé à une expertise contradictoire.

L'expert aura pour mission :

1°) de se faire remettre tous documents nécessaires et notamment le dossier de M. B..., d'entendre tous sachants ;

2°) de préciser l'état de santé de M. B... avant l'exercice de tirs à blanc en rafale effectué le 12 juin 2010 ;

3°) de décrire les lésions que M. B... impute à l'accident qui s'est déroulé lors de l'exercice du 12 juin 2010 et d'émettre un avis sur leur relation avec un fait imputable à l'État, avec l'état initial de l'intéressé ou avec d'autres causes ;

4°) de donner tous les éléments utiles permettant d'apprécier si les conditions de service dans lesquelles M. B... à continuer de servir après le 12 juin 2010 ont contribuées à aggraver les lésions que le requérant impute à l'exercice ;

5°) de fixer la date de consolidation de l'état de santé de M. B... et si celle-ci n'est pas acquise d'indiquer le délai à l'issue duquel un nouvel examen devra être réalisé ; de donner toutes informations sur une évolution probable ;

6°) d'évaluer les éventuels préjudices découlant d'un manquement sus-évoqué de l'État ; de quantifier l'éventuelle perte de chance subie par M. B... d'éviter de voir son état de santé se dégrader en raison de ces manquements ;

7°) d'apporter à la cour tous éléments utiles à la solution du litige dont il est saisi.

Article 3 : Pour l'accomplissement de sa mission, l'expert convoquera les parties, examinera M. B..., se fera remettre l'ensemble de ses dossiers médicaux, les rapports des expertises prescrites par l'administration ainsi que tous les documents utiles à l'accomplissement de sa mission et pourra entendre tous sachants.

Article 4 : L'expert sera désigné par le président de la cour. Après avoir prêté serment, l'expert accomplira la mission définie à l'article 1er ci-dessus dans les conditions prévues par les articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative. Il ne pourra recourir à un sapiteur sans l'autorisation préalable du président de la cour. Il communiquera un pré-rapport aux parties, en vue d'éventuelles observations, avant l'établissement de son rapport définitif.

Article 5 : L'expert déposera son rapport en deux exemplaires au greffe de la cour. Des copies seront notifiées par l'expert aux parties. Avec leur accord, ces notifications pourront s'opérer sous forme électronique.

Article 6 : Tous droits, moyens et conclusions des parties sur lesquels il n'est pas statué par le présent arrêt sont réservés jusqu'en fin d'instance.

Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et à la ministre des armées.

Délibéré après l'audience du 25 novembre 2021 à laquelle siégeaient :

M. Arbarétaz, président de chambre ;

M. Seillet, président assesseur ;

Mme Burnichon, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 décembre 2021.

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N° 20LY00643

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 20LY00643
Date de la décision : 16/12/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

54-07-03 Procédure. - Pouvoirs et devoirs du juge. - Pouvoirs du juge de plein contentieux.


Composition du Tribunal
Président : M. ARBARETAZ
Rapporteur ?: M. Philippe SEILLET
Rapporteur public ?: M. CHASSAGNE
Avocat(s) : CABINET GARRY ET ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 28/12/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2021-12-16;20ly00643 ?
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