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08/12/2021 | FRANCE | N°20LY00541

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 2ème chambre, 08 décembre 2021, 20LY00541


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. et Mme B... C... ont demandé au tribunal administratif de Grenoble de prononcer la décharge des prélèvements sociaux auxquels ils ont été assujettis au titre des années 2012, 2013 et 2014.

Par un jugement n° 1705257 du 6 décembre 2019, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour

Par une requête, enregistrée le 7 février 2020, M. et Mme C..., représentés par Me Talon-Chapelle, demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;>
2°) de prononcer la décharge de ces prélèvements sociaux, à hauteur de la somme de 89 345 euros, assortie...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. et Mme B... C... ont demandé au tribunal administratif de Grenoble de prononcer la décharge des prélèvements sociaux auxquels ils ont été assujettis au titre des années 2012, 2013 et 2014.

Par un jugement n° 1705257 du 6 décembre 2019, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour

Par une requête, enregistrée le 7 février 2020, M. et Mme C..., représentés par Me Talon-Chapelle, demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de prononcer la décharge de ces prélèvements sociaux, à hauteur de la somme de 89 345 euros, assortie des intérêts moratoires ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- l'administration ne pouvait soumettre leurs revenus du patrimoine aux prélèvements sociaux sans méconnaître le principe d'unicité de la législation sociale résultant de l'article 11 du règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 ;

- la circonstance que M. C... ne bénéficie pas de prestations sociales versées par le régime de sécurité sociale français fait obstacle à ce qu'il cotise à ce même régime ;

- M. C... ne pouvait être regardé comme relevant de la législation française pour la branche maladie ;

- le prélèvement de solidarité de 2 % qui participait, au titre des années en litige, au financement des régimes obligatoires de sécurité sociale en France, entre également dans le champ d'application du règlement (CE) n° 883/2004 du 29 avril 2004.

Par un mémoire, enregistré le 24 juillet 2020, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- l'accord entre la Communauté européenne et ses Etats membres, d'une part, et la Confédération suisse, d'autre part, sur la libre circulation des personnes, fait à Luxembourg le 21 juin 1999, son annexe II, ensemble les décisions n° 2/2003 du 15 juillet 2003 et n° 1/2012 du 31 mars 2012 du comité mixte ;

- le règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 ;

- le code de l'action sociale et des familles ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Evrard, présidente-assesseure,

- et les conclusions de Mme Vinet, rapporteure publique,

Considérant ce qui suit :

1. M. C..., qui exerce une activité salariée en Suisse, était fiscalement domicilié en France au titre des années 2012, 2013 et 2014. Il a fait usage de la faculté d'exemption ouverte par l'annexe II de l'accord du 21 juin 1999 entre la Communauté européenne et ses Etats membres, d'une part, et la Confédération suisse, d'autre part, sur la libre circulation des personnes et a souscrit, ainsi que le permettait alors le II de l'article L. 380-3-1 du code de la sécurité sociale, un contrat auprès d'un assureur privé, la société GMC devenue Henner, qui a couvert le risque maladie au titre de ces trois années. M. et Mme C... ont été assujettis aux prélèvements sociaux sur les revenus de capitaux mobiliers, les plus-values de cession de valeur mobilière et les revenus fonciers de source française qu'ils ont perçus au cours des années 2012, 2013 et 2014. Ils ont saisi l'administration fiscale d'une demande de décharge de ces impositions en se prévalant du principe de l'unicité de la législation applicable en matière sociale résultant de l'article 11 du règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale. L'administration n'a fait que partiellement droit à cette demande, en maintenant à leur charge une fraction de la contribution sociale généralisée au titre des années 2012, 2013 et 2014, une fraction du prélèvement social au titre des années 2013 et 2014, ainsi que l'intégralité de la contribution additionnelle au prélèvement social au titre des années 2012, 2013 et 2014, au motif que ces prélèvements ou fractions de prélèvements étaient affectés au financement de l'assurance-maladie, et l'intégralité du prélèvement de solidarité au taux de 2 % au titre de ces trois années, au motif que ce prélèvement était situé en dehors du champ d'application du règlement (CE) n° 883/2004. M. et Mme C... relèvent appel du jugement du 6 décembre 2019 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté leur demande tendant à la décharge de ces impositions.

Sur les conclusions tendant à la décharge des cotisations de contribution sociale généralisée, de prélèvement social et de contribution additionnelle au prélèvement social :

2. En vertu de l'article 11 du règlement n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, les personnes auxquelles ce règlement est applicable ne sont soumises qu'à la législation sociale d'un seul Etat membre. Conformément à ce principe d'unicité de législation, ce règlement prévoit que l'exercice d'une activité salariée ou non salariée dans un Etat membre implique normalement l'application de la législation sociale de cet Etat.

3. Depuis le 1er avril 2012, en vertu de la décision n° 1/2012 du 31 mars 2012 du comité mixte qui a modifié l'annexe II de l'accord entre la Communauté européenne et ses Etats membres, d'une part, et la Confédération suisse, d'autre part, sur la libre circulation des personnes du 21 juin 1999, l'annexe XI du règlement n° 883/2004 a été complétée par des dispositions prévoyant que les personnes exerçant une activité en Suisse sont soumises à la législation de cet Etat en matière d'assurance maladie alors même qu'elles n'y résideraient pas, mais que les résidents de certains Etats, dont la France depuis la décision n° 2/2003 du 15 juillet 2003 du comité mixte, peuvent demander à être exemptés de cette affiliation obligatoire sous réserve de prouver qu'elles bénéficient dans l'Etat de résidence d'une couverture en cas de maladie.

4. Aux termes de l'article L. 380-3-1 du code de la sécurité sociale dans sa rédaction applicable au litige : " I. - Les travailleurs frontaliers résidant en France et soumis obligatoirement à la législation suisse de sécurité sociale au titre des dispositions de l'accord du 21 juin 1999 entre la Communauté européenne et ses Etats membres, d'une part, et la Confédération suisse, d'autre part, sur la libre circulation des personnes, mais qui, sur leur demande, sont exemptés d'affiliation obligatoire au régime suisse d'assurance maladie en application des dispositions dérogatoires de cet accord, sont affiliés obligatoirement au régime général dans les conditions fixées par l'article L. 380-1. / II. - Toutefois, les travailleurs frontaliers occupés en Suisse et exemptés d'affiliation obligatoire au régime suisse d'assurance maladie peuvent demander à ce que les dispositions du I ne leur soient pas appliquées, ainsi qu'à leurs ayants droit, jusqu'à la fin des dispositions transitoires relatives à la libre circulation des personnes entre la Suisse et l'Union européenne, soit douze ans à partir de l'entrée en vigueur de l'accord du 21 juin 1999 précité, à condition d'être en mesure de produire un contrat d'assurance maladie les couvrant, ainsi que leurs ayants droit, pour l'ensemble des soins reçus sur le territoire français (...) ". Il résulte de ces dispositions que, par dérogation à la règle de rattachement définie par le règlement (CE) n° 883/2004, les personnes résidant en France et exerçant une activité en Suisse, qui ont demandé à bénéficier de la clause d'exemption ouverte par l'annexe II de l'accord du 21 juin 1999, relèvent, pour la couverture maladie, de la seule législation française, qui prescrit leur affiliation au régime général et, pendant une période transitoire s'achevant le 31 mai 2014, les autorisait, sur demande, à souscrire un contrat d'assurance auprès d'un opérateur privé en lieu et place de leur affiliation au régime général.

5. En premier lieu, il résulte de l'instruction que M. C... résidait en France et exerçait une activité en Suisse au titre des années 2012, 2013 et 2014, et qu'il a demandé à bénéficier de la clause d'exemption de l'assurance obligatoire suisse ouverte par l'annexe II de l'accord du 21 juin 1999. L'exercice par le requérant de cette faculté d'exemption conduit à rendre applicable, pour la couverture maladie, la législation sociale française, quand bien même cette législation prévoyait, durant les années d'imposition en litige, l'exercice d'une option entre l'affiliation au régime général et la souscription d'un contrat d'assurance auprès d'un opérateur privé. La circonstance que M. C... a fait usage de cette dernière faculté ne permet pas de le regarder comme relevant du régime de sécurité sociale suisse. Par suite, M. C..., qui relevait, pour la couverture maladie, de la seule législation française, n'est pas fondé à soutenir que les impositions restant en litige, affectées au financement de fonds participant à la couverture du risque maladie, ont été prélevées en méconnaissance du principe d'unicité de législation, ni qu'il a été soumis à une " double cotisation ".

6. En second lieu, l'obligation faite par la loi d'acquitter les prélèvements en litige est dépourvue de tout lien avec l'ouverture d'un droit à une prestation ou à un avantage servis par un régime de sécurité sociale. Ces prélèvements ont ainsi le caractère d'impositions de toute nature et non celui de cotisations de sécurité sociale au sens des dispositions constitutionnelles et législatives nationales. Par suite, M. et Mme C... ne sont pas fondés à soutenir que les revenus qu'ils tirent de leur patrimoine ne pouvaient être assujettis à ces prélèvements, au motif que M. C... ne pouvait bénéficier de prestations du système d'assurance maladie français.

Sur les conclusions tendant à la restitution du prélèvement de solidarité de 2 % :

7. Aux termes de l'article 1600-0 S du code général des impôts applicables aux années 2013 et 2014 : " I. Il est institué : / 1° Un prélèvement de solidarité sur les revenus du patrimoine mentionnés à l'article L. 136-6 du code de la sécurité sociale ; / 2° Un prélèvement de solidarité sur les produits de placement mentionnés à l'article L. 136 7 du même code. / (...) / III. Le taux des prélèvements de solidarité mentionnés au I est fixé à 2 % (...) ". Dans sa rédaction antérieure à celle applicable à compter du 1er janvier 2015 résultant de la loi du 29 décembre 2014 de finances pour 2015, le IV du même article prévoyait que le produit de ces prélèvements de solidarité était affecté, pour partie, " au fonds mentionné à l'article L. 262-24 du code de l'action sociale et des familles ", pour partie " au fonds mentionné à l'article L. 351-6 du code de la construction et de l'habitation " et enfin, pour partie, " au fonds mentionné à l'article L. 5423-24 du code du travail ".

8. Le fonds national d'aide au logement finance l'aide personnalisée au logement, la prime de déménagement prévue à l'article L. 351-5 du code de la construction et de l'habitation et les dépenses de gestion qui s'y rapportent, les dépenses du conseil national de l'habitat ainsi que l'allocation de logement relevant du titre III du livre VIII du code de la sécurité sociale et les dépenses de gestion qui s'y rapportent. Ces prestations ne relèvent d'aucune des branches de sécurité sociale au sens de l'article 3, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 883/2004. En particulier, elles ne relèvent pas de la branche qui concerne les " prestations familiales " au sens du z) de l'article 1er du règlement, dès lors qu'elles ne sont pas " destinées à compenser les charges de famille ".

9. En vertu de l'article L. 262-24 du code de l'action sociale et des familles, dans sa rédaction applicable avant le 1er janvier 2015, le fonds national des solidarités actives finance une part du revenu de solidarité active. D'une part, le revenu de solidarité active constitue une prestation non contributive relevant de l'assistance sociale. D'autre part, alors même qu'il posséderait également les caractéristiques d'une législation en matière de sécurité sociale visée à l'article 3, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 883/2004 du 29 avril 2004, le revenu de solidarité active n'est, en tout état de cause, pas mentionné à l'annexe X de ce règlement qui liste les branches de sécurité sociale auxquelles il s'applique. Ainsi, le prélèvement en litige, dès lors qu'il est spécifiquement affecté au financement d'une prestation qui ne relève pas de l'article 3 du règlement (CE) n° 883/2004 du 29 avril 2004, n'entre pas lui-même dans le champ d'application de ce règlement.

10. Enfin, en vertu de l'article L. 5423-24 du code du travail, le fonds de solidarité gère les moyens de financement de l'allocation de solidarité spécifique prévue à l'article L. 5423-1 de ce code, de l'allocation équivalent retraite prévue à l'article L. 5423-18, de la prime forfaitaire prévue à l'article L. 5425-3 et de l'aide prévue au II de l'article 136 de la loi n° 96-1181 du 30 décembre 1996 de finances pour 1997. D'une part, l'allocation de solidarité spécifique, dont les bénéficiaires ont épuisé leurs droits à l'allocation d'assurance chômage et bénéficient de cette allocation au titre d'un régime de solidarité pour les travailleurs involontairement privés d'emploi, n'est pas une " prestation de chômage " au sens de l'article 3, paragraphe 1, sous h) du règlement (CE) n° 883/2004 du 29 avril 2004. Il en va de même pour l'allocation équivalent retraite qui, en vertu de l'article L. 5423-19 du code du travail, soit se substitue à l'allocation de solidarité spécifique ou au revenu minimum d'insertion devenu revenu de solidarité active, soit complète l'allocation d'assurance chômage lorsque celle-ci ne permet pas d'assurer à son bénéficiaire un minimum de ressources. Il en va également de même pour les deux autres prestations financées par le fonds de solidarité, qui sont versées, sous certaines conditions, aux personnes bénéficiaires de l'allocation de solidarité spécifique qui reprennent une activité salariée ou non salariée ou reprennent ou créent une entreprise. D'autre part, à supposer que ces prestations spéciales à caractère non contributif financées par le fonds de solidarité entrent dans le champ défini au paragraphe 1 de l'article 70 du règlement (CE) n° 883/2004, elles ne sont en tout état de cause pas énumérées à l'annexe X de ce règlement.

11. Aucune des prestations financées par les trois fonds mentionnés à l'article 1600-0 S du code général des impôts auxquels est spécifiquement affecté le prélèvement de solidarité prévu à l'article 1600-0 S du code général des impôts dans sa rédaction applicable avant le 1er janvier 2015 n'entre dans le champ d'application du règlement (CE) n° 883/2004. Dès lors que le prélèvement de solidarité est spécifiquement affecté au financement de prestations qui ne relèvent pas du règlement (CE) n° 883/2004, il n'entre pas lui-même dans le champ d'application de ce règlement. Le moyen tiré de ce que ce prélèvement méconnaît son article 11 est, dès lors, inopérant.

12. Il résulte de ce qui précède que M. et Mme C... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté leur demande. Par voie de conséquence, leurs conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, et, en tout état de cause, celles tendant au versement d'intérêts moratoires, doivent être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. et Mme C... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme B... C... et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.

Délibéré après l'audience du 4 novembre 2021, à laquelle siégeaient :

Mme Evrard, présidente de la formation de jugement,

Mme Caraës, première conseillère,

Mme Lesieux, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 8 décembre 2021.

3

N° 20LY00541


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 20LY00541
Date de la décision : 08/12/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Fiscal

Analyses

19-04 Contributions et taxes. - Impôts sur les revenus et bénéfices.


Composition du Tribunal
Président : Mme EVRARD
Rapporteur ?: Mme Aline EVRARD
Rapporteur public ?: Mme VINET
Avocat(s) : FIDAL SOCIETE D'AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 14/12/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2021-12-08;20ly00541 ?
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