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02/12/2021 | FRANCE | N°19LY02308

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 5ème chambre, 02 décembre 2021, 19LY02308


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. et Mme B... ont demandé au tribunal administratif de Lyon de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux auxquelles ils ont été assujettis au titre de l'année 2013 ainsi que des pénalités correspondantes, et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre des frais liés au litige.

Par un jugement n° 1805813 du 30 avril 2019, le tribunal administratif de Lyon a rejeté leurs demandes.

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Par une requête et un mémoire, enregistrés le 14 juin 2019 et le 10 mars 2020, M. et Mme ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. et Mme B... ont demandé au tribunal administratif de Lyon de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux auxquelles ils ont été assujettis au titre de l'année 2013 ainsi que des pénalités correspondantes, et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre des frais liés au litige.

Par un jugement n° 1805813 du 30 avril 2019, le tribunal administratif de Lyon a rejeté leurs demandes.

Procédure devant la cour

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 14 juin 2019 et le 10 mars 2020, M. et Mme B..., représentés par Me Sastre, demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles ils ont été assujettis au titre de l'année 2013 ainsi que des pénalités correspondantes ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- la soulte stipulée en contrepartie de l'opération d'apport de titres était destinée à être bloquée sur le compte courant d'associé de M. B... afin de constituer la garantie d'un prêt demandé pour financer des travaux dans l'établissement de la SCI Fouillouse, et présentait ainsi un intérêt économique, et non fiscal, pour la société bénéficiaire de l'apport et pour le groupe ;

- les prélèvements sur le compte courant d'associé ont été effectués après le refus par le siège de la banque d'accorder le prêt instruit en agence ;

- l'administration comme le tribunal ont reconnu que l'opération d'apport de titres avec soulte était justifiée par un intérêt économique, de sorte que le recours à la procédure d'abus de droit est irrégulier, contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges ;

- l'administration fiscale n'a dès lors pas apporté la preuve qui lui incombe de l'abus de droit.

Par un mémoire en défense, enregistré le 13 février 2020, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par M. et Mme B... ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Le Frapper, première conseillère,

- les conclusions de M. Vallecchia, rapporteur public,

- et les observations de Me Sastre, représentant M. et Mme B... ;

Considérant ce qui suit :

1. La SARL Fimareb, détenue quasi intégralement, à l'exception d'une unique part, par M. B..., est une société holding soumise à l'impôt sur les sociétés détenant totalement ou partiellement 4 filiales, dont la société Respej à concurrence de 10%, le surplus étant détenu par M. B.... Le requérant a fait apport à la SARL Fimareb, le 28 novembre 2013, de la totalité de ses titres de la société Respej, évalués à la somme de 1 500 000 euros, en contrepartie de 137 000 parts de la SARL Fimareb d'une valeur unitaire de 10 euros et d'une soulte d'un montant de 130 000 euros. L'opération a généré une plus-value placée en report d'imposition sur le fondement de l'article 150-0 B ter du code général des impôts. Estimant que la stipulation de la soulte était constitutive d'un abus de droit, l'administration fiscale, par proposition de rectification contradictoire du 12 décembre 2016, a soumis la partie de la plus-value correspondant à la soulte à l'impôt sur le revenu et aux prélèvements sociaux. M. et Mme B... relèvent appel du jugement du 30 avril 2019 par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté leur demande tendant à la décharge des impositions supplémentaires auxquelles ils ont ainsi été assujettis au titre de l'année 2013, ainsi que des pénalités correspondantes.

Sur le bien-fondé de l'imposition :

2. Aux termes de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction applicable au litige : " Afin d'en restituer le véritable caractère, l'administration est en droit d'écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes constitutifs d'un abus de droit, soit que ces actes ont un caractère fictif, soit que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes ou de décisions à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, si ces actes n'avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles. / En cas de désaccord sur les rectifications notifiées sur le fondement du présent article, le litige est soumis, à la demande du contribuable, à l'avis du comité de l'abus de droit fiscal. L'administration peut également soumettre le litige à l'avis du comité. / Si l'administration ne s'est pas conformée à l'avis du comité, elle doit apporter la preuve du bien-fondé de la rectification ".

3. Il résulte de ces dispositions que, lorsque l'administration use des pouvoirs que lui confère ce texte dans des conditions telles que la charge de la preuve lui incombe, elle est fondée à écarter comme ne lui étant pas opposables certains actes passés par le contribuable, dès lors que ces actes ont un caractère fictif ou que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, s'il n'avait pas passé ces actes, aurait normalement supportées, eu égard à sa situation ou à ses activités réelles. L'administration fiscale apporte cette preuve par la production de tous éléments suffisamment précis attestant du caractère fictif des actes en cause ou de l'intention du contribuable d'éluder ou d'atténuer ses charges fiscales normales. Dans l'hypothèse où l'administration s'acquitte de cette obligation, il incombe ensuite au contribuable, s'il s'y croit fondé, d'apporter la preuve de la réalité des actes contestés ou de ce que l'opération litigieuse est justifiée par un motif autre que celui d'éluder ou d'atténuer ses charges fiscales normales.

4. Aux termes de l'article 150-0 B ter du code général des impôts : " I. - L'imposition de la plus-value réalisée, directement ou par personne interposée, dans le cadre d'un apport de valeurs mobilières, de droits sociaux, de titres ou de droits s'y rapportant tels que définis à l'article 150-0 A à une société soumise à l'impôt sur les sociétés ou à un impôt équivalent est reportée si les conditions prévues au III du présent article sont remplies. Le contribuable mentionne le montant de la plus-value dans la déclaration prévue à l'article 170. / Les apports avec soulte demeurent soumis à l'article 150-0 A lorsque le montant de la soulte reçue excède 10 % de la valeur nominale des titres reçus ".

5. En application de l'article 150-0 A du code général des impôts, la plus-value qu'une personne physique retire d'un apport de titres ou droits est soumise à l'impôt sur le revenu au titre de l'année de sa réalisation. Toutefois, le contribuable bénéficie, en vertu des dispositions précitées de l'article 150-0 B ter du même code, d'un report d'imposition si l'apport est effectué à une société qu'il contrôle et que le montant de la soulte perçue, le cas échéant, n'excède pas 10 % de la valeur nominale des titres reçus à l'échange.

6. En instaurant un mécanisme de report d'imposition, le législateur a entendu favoriser les restructurations d'entreprises susceptibles d'intervenir par échange de titres en évitant que l'imposition immédiate de la plus-value constatée à l'occasion d'une telle opération, alors que le contribuable ne dispose pas des liquidités lui permettant d'acquitter cet impôt, fasse obstacle à sa réalisation. Il a cependant limité le champ de ce régime aux seules opérations pour lesquelles l'échange de titres n'est accompagné du versement de liquidités que dans une faible proportion, ce pour éviter, comme l'a jugé le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2017-638 QPC du 16 juin 2017 à propos du mécanisme du sursis d'imposition, notamment au titre de la lutte contre l'évasion fiscale, que des opérations puissent en bénéficier alors qu'elles ne se limitent pas à un échange de titres, mais dégagent également une proportion significative de liquidités. Il ne résulte toutefois pas des dispositions précitées de l'article 150-0 B ter du code général des impôts, en l'absence de toute mention explicite en ce sens, que le législateur ait entendu exclure la possibilité pour l'administration fiscale de faire application aux opérations d'apport entrant dans leurs prévisions, notamment aux opérations d'apports avec soulte lorsque le montant de celle-ci est inférieure à 10 % de la valeur nominale des titres reçus, de la procédure d'abus de droit prévue à l'article L. 64 du livre des procédures fiscales lorsque les conditions de mise en œuvre de cette procédure sont réunies. Il est dès lors loisible à l'administration, à concurrence du montant de la soulte reçue à l'occasion d'une opération d'échange de titre et sous le contrôle du juge, de recourir à cette procédure pour restituer leur véritable caractère aux versements de soultes réalisés, à l'occasion d'apports placés sous le régime de report d'imposition prévu à l'article 150-0 B ter, au bénéfice d'une application littérale de ces dispositions allant à l'encontre des objectifs poursuivis par le législateur, dans le seul but de percevoir ces sommes en franchise d'imposition, lorsqu'il s'avère que le versement de soultes ne présente pas d'intérêt économique pour la société bénéficiaire de l'apport et est motivé par la seule volonté de l'apporteur d'échapper en tout ou partie à l'impôt.

7. En l'espèce, il est constant que la soulte de 130 000 euros consentie à M. B... en contrepartie de l'apport de la totalité, d'une valeur estimée à 1 500 000 euros, de ses parts dans la société Respej, a été créditée le 30 novembre 2013 par la SARL Fimareb sur son compte courant d'associé, soit une somme correspondant à 8,66% de la valeur nominale des titres. L'administration établit en outre, par la production du relevé de ce compte courant d'associé, obtenu par l'exercice de son droit de communication, que l'intégralité de la soulte ainsi versée a été retirée par M. B... entre le 2 décembre 2013 et le 22 avril 2014, et qu'une somme cumulée de 72 000 euros avait notamment été retirée dès le 24 décembre 2013. L'administration fiscale, qui pouvait contester l'intérêt économique de l'octroi d'une soulte indépendamment de l'intérêt économique pour le groupe de l'opération d'échange de titres, apporte ainsi des éléments suffisamment précis attestant de l'intention du contribuable d'atténuer ses charges fiscales par l'appréhension de liquidités en franchise d'impôt, l'octroi d'une soulte n'étant manifestement pas nécessaire à l'opération de restructuration justifiant l'apport des titres, compte tenu de la répartition du capital des sociétés du groupe.

8. Pour démontrer l'intérêt économique de l'octroi d'une soulte pour la SARL Fimareb, M. et Mme B... font valoir que cette somme était destinée à être bloquée sur le compte courant d'associé de M. B..., afin de constituer une garantie bancaire en vue de l'octroi à cette société d'un prêt devant financer la réalisation de travaux de réaménagement du restaurant exploité par une autre société du groupe, et que la somme en litige n'a été retirée du compte courant d'associé qu'après l'intervention, " courant décembre 2013 ", du refus de prêt par le siège de l'établissement bancaire sollicité pour apporter son concours, et le report consécutif du projet de travaux. Les retraits du compte courant d'associé sont toutefois intervenus dès le 2 décembre, soit 2 jours après que le montant de la soulte a été crédité. Il s'ensuit soit que l'abandon du projet de travaux, projet dont la réalité à cette date n'est au demeurant corroborée par aucun autre élément que les attestations bancaires, était intervenu avant le versement de la soulte, dont l'octroi ne répondait en conséquence plus à aucun intérêt pour la société Fimareb, soit que M. B... n'a, dès l'origine, pas eu l'intention de l'affecter à la garantie du prêt. L'administration fiscale doit en conséquence être regardée comme établissant l'abus de droit.

9. Il résulte de ce qui précède que M. et Mme B... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté leurs demandes.

Sur les frais liés au litige :

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat qui n'a pas, dans la présente instance, la qualité de partie perdante, verse à M. et Mme B... la somme demandée au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. et Mme B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et Mme C... B... ainsi qu'au ministre de l'économie, des finances et de la relance.

Délibéré après l'audience du 10 novembre 2021, à laquelle siégeaient :

M. Bourrachot, président de chambre,

Mme Dèche, présidente assesseure,

Mme Le Frapper, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 2 décembre 2021.

5

N° 19LY02308


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 19LY02308
Date de la décision : 02/12/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Fiscal

Analyses

19-01-03-03 Contributions et taxes. - Généralités. - Règles générales d'établissement de l'impôt. - Abus de droit et fraude à la loi.


Composition du Tribunal
Président : M. BOURRACHOT
Rapporteur ?: Mme Mathilde LE FRAPPER
Rapporteur public ?: M. VALLECCHIA
Avocat(s) : BVFD - BERTHEAS VITROLLES DRUENNE SASTRE ET ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 14/12/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2021-12-02;19ly02308 ?
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