Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du 16 octobre 2017 par lequel le maire de Tignes l'a mis en demeure de cesser immédiatement les travaux qu'il avait entrepris sur la parcelle cadastrée B n° 859, et de condamner l'Etat à lui verser une somme de 10 000 euros au titre des préjudices qu'il a subis du fait de cet arrêté.
Par un jugement n°1800603 du 3 décembre 2019, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 31 janvier 2020, et un mémoire en réplique enregistré le 27 juillet 2021, M. B... A..., représenté par la SELARL QG Avocats, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 3 décembre 2019 ;
2°) d'annuler cet arrêté du 16 octobre 2017 ;
3°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 15 000 euros en réparation des préjudices subis du fait de cet arrêté ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- aucun procès-verbal ne lui a été adressé avant l'arrêté en litige ;
- il n'a pas été mis à même de présenter utilement ses observations avant l'arrêté, en méconnaissance des dispositions de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration ;
- les travaux entrepris étaient conformes au permis de construire, valant permis de démolir, qui lui avait été délivré ;
- le système de protection du chantier est conforme aux préconisations du bureau d'études ;
- en raison de l'arrêté en litige, il a été contraint de cesser les travaux, qui n'ont pu être achevés que plusieurs mois plus tard ; il a subi de ce fait un préjudice, qui peut être évalué à la somme de 15 000 euros.
Par des mémoires enregistrés les 27 mars 2020 et 10 septembre 2021, ce dernier mémoire n'ayant pas été communiqué, la commune de Tignes, représentée par la SELAS Fiducial Legas By Lamy, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge du requérant au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- aucun des moyens de la requête d'appel n'est fondé ;
- les conclusions indemnitaires sont irrecevables, en l'absence de demande préalable.
Par un mémoire en défense enregistré le 6 juillet 2021, la ministre de la transition écologique conclut au rejet de la requête.
Elle s'en remet aux écritures de première instance produites par le préfet de la Savoie.
La clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au 10 septembre 2021, par une ordonnance en date du 27 juillet 2021.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Thierry Besse, président-assesseur,
- les conclusions de M. Jean-Simon Laval, rapporteur public,
- les observations de Me Charbin pour M. A... et celles de Me Delzanno pour la commune de Tignes ;
Considérant ce qui suit :
1. Le 11 mai 2015, le maire de Tignes a délivré à M. A... un permis de construire en vue de la réhabilitation d'un bâtiment agricole en habitation. A la suite du constat d'un déblaiement plus important que celui autorisé, le maire de Tignes a invité l'intéressé à déposer une demande de permis modificatif, qui a été rejetée par un arrêté en date du 30 novembre 2016. Le 23 décembre 2016, le maire de Tignes a pris un arrêté interruptif de travaux. M. A... a déposé le 10 mars 2017 une nouvelle demande de permis de construire modificatif. Le 14 août 2017, le maire de Tignes a délivré le permis sollicité, en l'assortissant de prescriptions, tenant notamment au respect des préconisations qui avaient été émises, pour la réalisation des travaux, par une étude géotechnique réalisée en juillet par la société Sigsol. Le 5 octobre 2017, un procès-verbal a été dressé par un agent de la mairie de Tignes qui a constaté l'importance des déblaiements et un non-respect des règles de sécurité fixées par l'étude de la société Sigsol. Par arrêté du 16 octobre 2017, le maire de Tignes, agissant au nom de l'Etat, a prescrit l'interruption des travaux. M. A... relève appel du jugement du 3 décembre 2019 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté et à l'indemnisation de son préjudice.
Sur la légalité de l'arrêté du 16 octobre 2017 :
2. Aux termes de l'article L. 480-2 du code de l'urbanisme : " (...) Dès qu'un procès-verbal relevant l'une des infractions prévues à l'article L. 480-4 du présent code a été dressé, le maire peut également, si l'autorité judiciaire ne s'est pas encore prononcée, ordonner par arrêté motivé l'interruption des travaux (...) ". Aux termes de l'article L. 480-4 du même code : " Le fait d'exécuter des travaux mentionnés aux articles L. 421-1 à L. 421-5 en méconnaissance des obligations imposées par les titres Ier à VII du présent livre et les règlements pris pour leur application ou en méconnaissance des prescriptions imposées par un permis de construire, de démolir ou d'aménager ou par la décision prise sur une déclaration préalable est puni d'une amende comprise entre 1 200 euros et un montant qui ne peut excéder, soit, dans le cas de construction d'une surface de plancher, une somme égale à 6 000 euros par mètre carré de surface construite, démolie ou rendue inutilisable au sens de l'article L. 430-2, soit, dans les autres cas, un montant de 300 000 euros. En cas de récidive, outre la peine d'amende ainsi définie un emprisonnement de six mois pourra être prononcé (...) ".
3. Pour décider l'interruption des travaux, le maire de Tignes, après avoir relevé une inexactitude sur le panneau d'affichage du permis, s'est fondé sur la méconnaissance des préconisations du rapport de la société Sigsol, tenant tant à la sécurisation du site qu'au seul usage de la bétonamit pour réaliser les travaux de déroctage de la paroi rocheuse située contre l'arrière de la maison, afin d'éviter les risques liés aux vibrations et aux projections. M. A... fait toutefois valoir que l'utilisation de la bétonamit, agent de destruction non explosif qui permet une fragmentation sans vibrations de la roche du fait de la pression d'expansion du produit, nécessite son introduction dans des forages d'environ 4 centimètres de diamètre et de plusieurs dizaines de centimètres de profondeur, percés dans la roche, ainsi qu'il ressort des fiches techniques produites au dossier. Il ressort des pièces du dossier, notamment des constatations opérées sur le site par les agents municipaux eux-mêmes et des témoignages des voisins, ainsi que des factures d'achat produites par le requérant justifiant de l'achat de bétonamit, que les bruits importants relevés sur le chantier provenaient de l'utilisation d'engins, d'une part pour creuser des forages dans la roche afin d'y introduire la bétonamit, comme le préconisait le rapport de la société Sigsol, d'autre part pour briser les morceaux tombés afin d'en faciliter le transport. Un tel usage d'engins mécaniques ne peut être regardé comme contraire aux préconisations du rapport de la société Sigsol ni, par suite, aux prescriptions dont était assorti le permis modificatif du 14 août 2017. Il ne ressort par ailleurs pas suffisamment des pièces du dossier, et notamment des constats peu précis opérés sur place, que la pose de barrières métalliques autour du chantier et de planches de bois au niveau de la paroi sur laquelle s'effectuaient les travaux de déroctage ne permettaient pas une sécurisation du site conforme aux préconisations de ce même rapport. Si l'arrêté en litige faisait état de ce que le détachement d'une partie supérieure du rocher était susceptible d'entraîner un risque pour la sécurité publique, appréciation que vient d'ailleurs contredire l'étude géotechnique réalisée quelques jours plus tard, une telle circonstance, si elle pouvait le cas échéant justifier que le maire fît usage de ses pouvoirs de police, ne constituait pas une infraction aux règles de l'urbanisme pouvant justifier l'arrêté interruptif de travaux en litige. Il en est de même des imprécisions sur le panneau d'affichage du permis de construire relevées par le maire de Tignes, agissant au nom de l'Etat, dans l'arrêté du 16 octobre 2017 litigieux.
4. Pour l'application de l'article L. 600-4-1 du code de l'urbanisme, aucun autre moyen n'apparaît, en l'état de l'instruction, susceptible de fonder l'annulation de l'arrêté du 16 octobre 2017.
5. Il résulte de ce qui précède que M. A... est fondé à demander l'annulation de l'arrêté du 16 octobre 2017 par lequel le maire de Tignes a prescrit l'interruption des travaux qu'il réalisait.
Sur les conclusions indemnitaires :
6. Aux termes de l'article R. 421-1 du code de justice administrative dans sa version applicable au litige : " La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée. Lorsque la requête tend au paiement d'une somme d'argent, elle n'est recevable qu'après l'intervention de la décision prise par l'administration sur une demande préalablement formée devant elle. "
7. M. A... n'a saisi l'administration d'aucune demande indemnitaire, ni préalablement à sa demande introductive de première instance, ni en cours d'instance. Par suite, il y a lieu de faire droit à la fin de non-recevoir opposée en première instance par le préfet de la Savoie et de rejeter comme irrecevables ses conclusions indemnitaires.
8. Il résulte de ce qui précède que M. A... est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande en ce qu'elle tendait à l'annulation de l'arrêté du maire de Tignes du 16 octobre 2017.
Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
9. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par M. A... tendant à la mise à la charge de l'Etat d'une somme au titre des frais non compris dans les dépens qu'il a exposés. Par ailleurs, la commune de Tignes, qui a la qualité d'observateur et non de partie, ne peut solliciter le remboursement des frais d'instance qu'elle a exposés.
DÉCIDE :
Article 1er : L'arrêté du 16 octobre 2017 par lequel le maire de Tignes a prescrit l'interruption des travaux réalisés par M. A... est annulé.
Article 2 : Le jugement n°1800603 du 3 décembre 2019 du tribunal administratif de Grenoble est annulé en ce qu'il a de contraire à l'article 1er.
Article 3 : Le surplus des conclusions des parties et de la commune de Tignes est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et à la ministre de la transition écologique.
Copie en sera adressée à la commune de Tignes et au procureur de la république près le tribunal judiciaire d'Albertville.
Délibéré après l'audience du 9 novembre 2021 à laquelle siégeaient :
Mme Danièle Déal, présidente de chambre,
M. Thierry Besse, président-assesseur,
Mme Christine Psilakis, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 novembre 2021.
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N° 20LY00435