Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
La SCEA du Batardeau a demandé au tribunal administratif de Dijon :
1°) d'annuler l'arrêté du préfet de l'Yonne du 21 juillet 2017 ayant défini les " points d'eau " du département de l'Yonne à prendre en compte pour l'application de l'arrêté ministériel du 4 mai 2017, relatif à la mise sur le marché et à l'utilisation des produits phytopharmaceutiques et de leurs adjuvants visés à l'article L. 253-1 du code rural et de la pêche maritime, ensemble les décisions implicites ayant rejeté ses recours gracieux et hiérarchique ;
2°) de condamner l'Etat à verser une indemnité et une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
Par un jugement n° 1800137 du 1er mars 2019, le tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 15 mai 2019, la SCEA du Batardeau, représentée par Me Plets Duguet, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Dijon du 1er mars 2019 et l'arrêté du préfet de l'Yonne du 21 juillet 2017 ayant défini les " points d'eau " du département de l'Yonne à prendre en compte pour l'application de l'arrêté ministériel du 4 mai 2017, relatif à la mise sur le marché et à l'utilisation des produits phytopharmaceutiques et de leurs adjuvants visés à l'article L. 253-1 du code rural et de la pêche maritime, ensemble les décisions implicites ayant rejeté ses recours gracieux et hiérarchique ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 84 150 euros pour l'indemnisation du préjudice des consorts A..., lié aux interdictions posées par l'arrêté préfectoral du 21 juillet 2017, avec intérêts de droit à compter de la date de la première demande d'indemnisation formée auprès du préfet, avec capitalisation des intérêts échus à compter de cette même formalité ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la décision a été prise par une autorité incompétente ;
- l'arrêté est insuffisamment motivé ;
- la décision est entachée d'un vice de procédure substantiel ;
- l'arrêté viole la loi et une liberté fondamentale ;
- l'arrêté est entaché d'erreur de droit ;
- l'arrêté est entaché d'erreur de fait ;
- l'arrêté est entaché d'erreur de qualification juridique des faits et d'erreur manifeste d'appréciation ;
- le préfet de l'Yonne a commis un détournement de pouvoir.
Par un mémoire en défense, enregistré le 27 avril 2021, le ministre de l'agriculture et de l'alimentation conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par la SCEA du Batardeau ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 26 mars 2021, la clôture d'instruction a été fixée au 27 avril 2021.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de l'environnement ;
- le code rural et de la pêche maritime ;
- le code de justice administrative.
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Fédi, président-assesseur,
- et les conclusions de M. Deliancourt, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. La société d'exploitation agricole (SCEA) du Batardeau a demandé au tribunal administratif de Dijon d'annuler l'arrêté du préfet de l'Yonne du 21 juillet 2017 ayant défini les " points d'eau " du département de l'Yonne à prendre en compte pour l'application de l'arrêté ministériel du 4 mai 2017, relatif à la mise sur le marché et à l'utilisation des produits phytopharmaceutiques et de leurs adjuvants visés à l'article L. 253-1 du code rural et de la pêche maritime, ensemble les décisions implicites du préfet de l'Yonne, du ministre de la transition écologique et solidaire et du ministre de l'agriculture et de l'alimentation ayant rejeté ses recours gracieux et hiérarchique du 25 novembre 2017. Le tribunal administratif de Dijon a rejeté la demande de la SCEA du Batardeau par un jugement du 1er mars 2019 dont elle relève appel.
2. Si l'article 1er de l'arrêté ministériel du 4 mai 2017, relatif à la mise sur le marché et à l'utilisation des produits phytopharmaceutiques et de leurs adjuvants visés à l'article L. 253-1 du code rural et de la pêche maritime, dispose que " Les points d'eau à prendre en compte pour l'application du présent arrêté sont définis par arrêté préfectoral dûment motivé dans un délai de deux mois après la publication du présent arrêté ", un tel délai visant seulement à ce que les points d'eau à prendre en compte soient définis sur l'ensemble du territoire national de manière concomitante, n'a pas été fixé à peine de nullité et ne constitue pas une garantie pour les administrés. Par suite, l'appelante ne peut utilement invoquer d'une part, la circonstance que l'arrêté préfectoral a été pris deux mois et deux semaines après la publication de l'arrêté ministériel, le 7 mai 2017, au Journal officiel d'autre part, que le respect du délai lui aurait permis de pas engager de recours contre cet arrêté en période de grands travaux et de moisson.
3. L'arrêté litigieux a, d'une part, défini, pour le département de l'Yonne, les " points d'eau " pour lesquels des mesures de prévention de la pollution devaient être appliquées et les " éléments du réseau hydrographique " sur lesquels l'application directe de produits phytosanitaires était interdite, puis d'autre part, a rappelé les sanctions pénales encourues en cas de violation de ces dispositions. Par suite, le moyen tiré du défaut de motivation de l'arrêté attaqué manque en fait.
4. Aux termes de l'article L. 123-19-1 du code de l'environnement : " I. Le présent article définit les conditions et limites dans lesquelles le principe de participation du public, prévu à l'article 7 de la Charte de l'environnement, est applicable aux décisions, autres que les décisions individuelles, des autorités publiques ayant une incidence sur l'environnement lorsque celles-ci ne sont pas soumises, par les dispositions législatives qui leur sont applicables, à une procédure particulière organisant la participation du public à leur élaboration. (...) II. (...) le projet d'une décision mentionnée au I, accompagné d'une note de présentation précisant notamment le contexte et les objectifs de ce projet, est mis à disposition du public par voie électronique (...). Les observations et propositions du public, déposées par voie électronique ou postale, doivent parvenir à l'autorité administrative concernée dans un délai qui ne peut être inférieur à vingt et un jours à compter de la mise à disposition prévue au même premier alinéa. / Le projet de décision ne peut être définitivement adopté avant l'expiration d'un délai permettant la prise en considération des observations et propositions déposées par le public et la rédaction d'une synthèse de ces observations et propositions. Sauf en cas d'absence d'observations et propositions, ce délai ne peut être inférieur à quatre jours à compter de la date de la clôture de la consultation. (...). Au plus tard à la date de la publication de la décision et pendant une durée minimale de trois mois, l'autorité administrative qui a pris la décision rend publics, par voie électronique, la synthèse des observations et propositions du public avec l'indication de celles dont il a été tenu compte, les observations et propositions déposées par voie électronique ainsi que, dans un document séparé, les motifs de la décision (...) ". En se bornant à reprendre l'analyse du tribunal administratif, lequel a jugé notamment que ni ces dispositions, ni aucun texte, ni aucun principe ne font obstacle à ce que la période de consultation du public soit fixée du 19 juin au 9 juillet 2017, alors que les exploitants agricoles concernés sont pris par les travaux de moisson et qu'une note de présentation a été mise à la disposition du public sur le site internet de la préfecture à compter du 19 juin 2017, tout en soutenant que ces informations ne prouvent nullement que les dispositions légales précitées ont été respectées, sans apporter de critique sérieuse à cette analyse, la SCEA du Batardeau n'établit pas que l'arrêté préfectoral serait entaché d'un vice de procédure substantiel justifiant son annulation.
5. La circonstance, que l'arrêté préfectoral contesté se borne à faire référence à l'article L. 215-7-1 du code de l'environnement et à l'article D. 615-46 du code rural et de la pêche maritime pour définir les cours d'eau, sans en reprendre les définitions contenues dans ces deux articles, est sans influence sur sa légalité.
6. Aux termes de l'article L. 215-7-1 du code de l'environnement : " Constitue un cours d'eau un écoulement d'eaux courantes dans un lit naturel à l'origine, alimenté par une source et présentant un débit suffisant la majeure partie de l'année. / L'écoulement peut ne pas être permanent compte tenu des conditions hydrologiques et géologiques locales ". Aux termes de l'article D. 615-46 du code rural et de la pêche maritime : " I. Les agriculteurs qui demandent les aides soumises aux règles de conditionnalité prévues par la politique agricole commune et qui disposent de terres agricoles localisées à moins de cinq mètres de la bordure d'un des cours d'eau définis par arrêté du ministre chargé de l'agriculture sont tenus de conserver une bande tampon pérenne le long de ces cours d'eau, de sorte qu'une largeur de cinq mètres au minimum soit maintenue entre eux et la partie cultivée des terres agricoles susmentionnées. / L'utilisation de fertilisants minéraux ou organiques sur les surfaces consacrées à la bande tampon est interdite. Sauf dans les cas prévus par l'article L. 251-8, l'utilisation de traitements phytopharmaceutiques est également interdite sur ces surfaces. (...) ". Il ressort des pièces du dossier d'une part, que l'arrêté attaqué a pris en compte le ru de Montgerin traversant la propriété de la SCEA du Batardeau sur le fondement du seul article D. 615-46 du code rural et de la pêche maritime, d'autre part, que le ru litigieux a été identifié dans la cartographie des cours d'eau définie par l'arrêté ministériel du 24 avril 2015 modifié, pris pour la transposition de la directive " nitrates " et relatif aux règles de bonnes conditions agricoles et environnementales (BCAE). Par suite, la circonstance que les tracés concernant la propriété de l'appelante, qui ne correspondraient pas à la définition légale du cours d'eau et à un lit naturel, ne sont pas alimentés par une source et ne présentent pas de débit suffisant, est inopérante. De même, si la SCEA du Batardeau soutient que la cartographie des cours d'eau apparaissant sur les parcelles exploitées par M. A... conduit à prévoir une zone tampon, avec pour effet d'interdire l'exploitation d'une zone de 1,61 hectare et de rendre inexploitable le reste de la parcelle, compte tenu de l'impossibilité d'arrêter les machines de traitement autour des tracés, elle ne produit aucun élément hydrographique de nature à apprécier la consistance du ru litigieux et l'impact supposé des mesures en litige sur son exploitation.
7. Aux termes de l'article L. 253-7 du code de l'environnement : " I.- Sans préjudice des missions confiées à l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail et des dispositions de l'article L. 211-1 du code de l'environnement, l'autorité administrative peut, dans l'intérêt de la santé publique ou de l'environnement, prendre toute mesure d'interdiction, de restriction ou de prescription particulière concernant la mise sur le marché, la délivrance, l'utilisation et la détention des produits mentionnés à l'article L. 253-1 du présent code et des semences traitées par ces produits. Elle en informe sans délai le directeur général de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail. L'autorité administrative peut interdire ou encadrer l'utilisation des produits phytopharmaceutiques dans des zones particulières, et notamment : (...) 2° Les zones protégées mentionnées à l'article L. 211-1 du code de l'environnement. ". En l'espèce, l'arrêté litigieux qui n'interdit l'utilisation de produits phytopharmaceutiques qu'à proximité des points d'eau sur une faible partie de la surface totale des parcelles exploitées, ne comporte pas d'interdiction générale et absolue d'exploiter, contrairement à ce qui est soutenu et ne présente pas de caractère disproportionné au regard des objectifs de protection de la santé publique et de l'environnement poursuivis par l'arrêté en cause. En se bornant à soutenir que les parcelles concernées par les tracés de la cartographie des cours d'eau se voient appliquer des zones tampons, d'un minimum cinq mètres de large, sans traitement phytosanitaire et sans fertilisation, et que les exploitants agricoles sont donc contraints de laisser un couvert herbacé, arbustif ou arboré et ne peuvent plus exploiter les parties de ces parcelles, qui sont d'ailleurs susceptibles de s'étendre avec l'actualisation annuelle de la cartographie visée par l'arrêté contesté, la SCEA du Batardeau n'établit pas que l'arrêté préfectoral méconnaitrait la liberté d'entreprendre et les stipulations de l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
8. Aux termes de l'article L. 253-1 du code de l'environnement : " I. (...) L'autorité administrative peut interdire ou encadrer l'utilisation des produits phytopharmaceutiques dans des zones particulières, et notamment (...) 2° Les zones protégées mentionnées à l'article L. 211-1 du code de l'environnement (...) ". Aux termes de l'article 1er de l'arrêté du 4 mai 2017 relatif à la mise sur le marché et à l'utilisation des produits phytopharmaceutiques et de leurs adjuvants visés à l'article L. 253-1 du code rural et de la pêche maritime : " Aux fins du présent arrêté, on entend par (...) " Points d'eau " : cours d'eau définis à l'article L. 215-7-1 du code de l'environnement et éléments du réseau hydrographique figurant sur les cartes 1/25 000 de l'Institut géographique national. Les points d'eau à prendre en compte pour l'application du présent arrêté sont définis par arrêté préfectoral (...) " Aux termes de l'article 4 du même arrêté : " Est interdite toute application directe de produit sur les éléments du réseau hydrographique. Ceux-ci comprennent notamment les points d'eau mentionnés à l'article 1, les bassins de rétention d'eaux pluviales, ainsi que les avaloirs, caniveaux et bouches d'égouts. ". Contrairement à ce que soutient l'appelante, l'article 4 de l'arrêté du 4 mai 2017, qui a été pris sur le fondement de l'article L. 253-1 du code de l'environnement, qui renvoyait à son article 1er pour la définition et la localisation des points d'eau, comportait des précisions suffisantes pour le rendre opposable et applicable, notamment s'agissant de l'appréciation par le préfet des éléments du réseau hydrographique figurant sur les cartes 1/25 000 de l'Institut Géographique National.
9. La simple circonstance alléguée, selon laquelle les restrictions imposées aux exploitants agricoles sont trop contraignantes dans la mesure où elles rendent inexploitables des parcelles, alors que la pollution n'est pas démontrée et que seuls 10 % des points d'eau souterraine ne respectent pas la norme de 50g/ml de nitrate fixée par la directive cadre sur l'eau, n'est pas constitutive d'une erreur de fait, contrairement à ce qui est soutenu, alors même qu'il n'est pas contesté que la carte de vulnérabilité des bassins d'alimentation des captages de la zone en cause est sensible aux pollutions diffuses.
10. Le moyen tiré de ce que le préfet de l'Yonne a entaché sa décision d'une erreur de qualification juridique des faits et d'une erreur manifeste d'appréciation est insuffisamment développé pour permettre à la Cour d'en apprécier le bien-fondé.
11. Si l'appelante soutient que l'arrêté attaqué, qui ne prévoit pas de sanction en cas de non-respect des prescriptions, a été pris, eu égard au montant élevé des amendes encourues, dans un but " davantage en lien avec les finances publiques qu'avec la protection de l'environnement ", le détournement de pouvoir ainsi allégué n'est pas établi.
12. Il résulte de tout ce qui précède que la SCEA du Batardeau n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions aux fins d'indemnisation d'un montant de 84 150 euros et celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.
DECIDE:
Article 1er : La requête de la SCEA du Batardeau est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SCEA du Batardeau et au ministre de l'agriculture et de l'alimentation.
Délibéré après l'audience du 2 novembre 2021, à laquelle siégeaient :
M. Jean-Yves Tallec, président de chambre,
M. Gilles Fédi, président-assesseur,
Mme Bénédicte Lordonné, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 novembre 2021.
3
N° 19LY01836