Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. B... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler l'arrêté du 11 décembre 2019 par lequel le préfet du Rhône lui a retiré sa carte de résident, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de cette mesure d'éloignement.
Par un jugement n° 1909850 du 19 mai 2020, le tribunal administratif de Lyon a rejeté cette demande.
Procédure devant la cour
Par une requête, enregistrée le 19 juin 2020, M. B..., représenté par Me Sabatier, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Lyon du 19 mai 2020 ;
2°) d'annuler les décisions du préfet du Rhône du 11 décembre 2019 ;
3°) d'enjoindre au préfet du Rhône à titre principal, de lui délivrer une carte de résident ou une carte de séjour temporaire, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- c'est à tort que le jugement a retenu l'existence d'une fraude ; l'élément intentionnel nécessaire pour caractériser la fraude n'est pas rapporté ;
- c'est à tort que le jugement a écarté la méconnaissance du droit au respect de sa vie privée et familiale ainsi que l'erreur manifeste d'appréciation entachant la décision attaquée au regard de ses conséquences sur sa situation personnelle ;
- l'obligation de quitter le territoire français est privée de base légale du fait de l'illégalité du refus de titre de séjour ;
- cette décision méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- les décisions fixant le délai de départ volontaire et le pays de destination sont privées de base légale du fait de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français.
La requête a été communiquée au préfet du Rhône, qui n'a pas produit de mémoire.
Par une décision du 19 août 2020, le bureau d'aide juridictionnelle a accordé l'aide juridictionnelle totale à M. B....
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988 modifié ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique et le décret n° 91-1266 du 19 décembre 2011 pris pour son application ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Bénédicte Lordonné, première conseillère ;
- les conclusions de M. Samuel Deliancourt, rapporteur public ;
- et les observations de Me Guillaume, représentant M. B....
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ressortissant de nationalité tunisienne, né en 1985 et entré en France en 2011, a bénéficié d'une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " valable du 7 mars 2014 au 6 mars 2015 en sa qualité de père d'un enfant français puis, sur le même fondement que ce titre de séjour, d'une carte de résident valable du 24 décembre 2015 au 23 décembre 2025. M. B... relève appel du jugement du 19 mai 2020 par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet du Rhône du 11 décembre 2019 lui retirant sa carte de résident, lui faisant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixant le pays de destination de cette mesure d'éloignement.
Sur la légalité de l'arrêté du 11 décembre 2019 :
Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens soulevés par M. B... :
2. Aux termes de l'article L. 241-2 du code des relations entre le public et l'administration : " (...) un acte administratif unilatéral obtenu par fraude peut être à tout moment abrogé ou retiré ". Faute de créer des droits, un titre de séjour obtenu par fraude peut être retiré à tout moment. Il appartient cependant à l'administration, et non au requérant dont la bonne foi se présume, d'apporter la preuve de la fraude.
3. Il ressort des pièces du dossier que, saisi en janvier 2016 d'une action en contestation de paternité par Mme M**, le tribunal de grande instance de Saint Denis de la Réunion, après réalisation d'un test génétique, a annulé cette reconnaissance de paternité au motif que M. B... n'est pas le père de l'enfant, par un jugement du 24 avril 2018, devenu définitif.
4. Pour demander l'annulation du jugement attaqué et de l'arrêté du 11 décembre 2019 en ce qu'il retire la carte de résident dont il était titulaire, le requérant fait néanmoins valoir que la reconnaissance anticipée le 7 novembre 2013 de l'enfant Inaya, née le 2 novembre 2013, ne s'inscrit pas dans une démarche frauduleuse.
5. M. B... soutient sans être contredit qu'il a rencontré Mme M**, avec laquelle il a entamé une relation amoureuse en mars 2013. L'état de grossesse de sa compagne est évalué au 26 mars 2013 selon le compte rendu d'examen d'échographie obstétricale versé au dossier de première instance, peu après leur rencontre. Il ressort des pièces du dossier que M. B... a vécu pendant un an avec Mme M** ainsi que l'enfant Inaya.
6. Ces éléments ne sont pas contestés par le préfet qui n'a pas défendu dans l'instance. Dans ces conditions, il ne ressort pas des pièces du dossier que la reconnaissance de paternité de l'enfant, que M. B... pouvait légitimement considérer comme sa fille jusqu'à l'action en contestation de paternité introduite par la mère deux ans plus tard, aurait été souscrite dans le seul but de régulariser son séjour en France et d'y obtenir un titre de séjour en qualité de parent d'un enfant français. Le certificat de résidence ne pouvant être regardé comme ayant été obtenu par fraude, faute d'élément intentionnel, le préfet ne pouvait légalement procéder à son retrait. Cette décision est donc illégale et doit être annulée, ainsi que, par voie de conséquence, les décisions obligeant M. B... à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixant le pays de destination de cette mesure d'éloignement.
7. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
8. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public (...) prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. ". Aux termes de l'article L. 911-2 du même code : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public (...) prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette décision doit intervenir dans un délai déterminé. ".
9. L'annulation prononcée par le présent arrêt, eu égard au motif qui la fonde, implique nécessairement que le préfet du Rhône restitue au requérant la carte de résident retirée. Il y a lieu de prescrire au préfet de procéder à cette restitution dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt, et, dans l'attente, de lui délivrer sans délai une autorisation provisoire de séjour.
Sur les frais d'instance :
10. M. B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Sabatier, avocat du requérant, renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée, de mettre à la charge de l'Etat le versement à cet avocat de la somme de 1 000 euros.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Lyon du 19 mai 2020 et l'arrêté du préfet du Rhône du 11 décembre 2019 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet du Rhône de restituer à M. B... la carte de résident retirée, dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt, et, dans l'attente, de lui délivrer sans délai une autorisation provisoire de séjour.
Article 3 : L'Etat versera la somme de 1 000 euros à Me Sabatier, avocat de M. B... au titre des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative, sous réserve que Me Sabatier renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B..., au ministre de l'intérieur et à Me Sabatier.
Copie en sera adressée au préfet du Rhône.
Délibéré après l'audience du 28 septembre 2021 à laquelle siégeaient :
M. Jean-Yves Tallec, président,
M. Gilles Fédi, président-assesseur,
Mme Bénédicte Lordonné, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 octobre 2021.
4
N° 20LY01653