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24/06/2021 | FRANCE | N°19LY04159

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 4ème chambre, 24 juin 2021, 19LY04159


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Le préfet de la Loire a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler la " charte d'amitié " signée le 21 octobre 2018 par les maires des communes de Saint-Etienne et de Chouchi.

Par un jugement n° 1808761 du 19 septembre 2019, le tribunal administratif de Lyon a annulé cette charte.

Procédure devant la cour

Par une requête, enregistrée le 15 novembre 2019, la commune de Saint-Etienne, représentée par Me A..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement susmentionné d

u 19 septembre 2019 du tribunal administratif de Lyon ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somm...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Le préfet de la Loire a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler la " charte d'amitié " signée le 21 octobre 2018 par les maires des communes de Saint-Etienne et de Chouchi.

Par un jugement n° 1808761 du 19 septembre 2019, le tribunal administratif de Lyon a annulé cette charte.

Procédure devant la cour

Par une requête, enregistrée le 15 novembre 2019, la commune de Saint-Etienne, représentée par Me A..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement susmentionné du 19 septembre 2019 du tribunal administratif de Lyon ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement est irrégulier en ce qu'il est insuffisamment motivé en n'ayant pas répondu à son argumentation selon laquelle la charte litigieuse ne constitue pas un acte pris par le maire au nom de la commune sur le fondement des compétences communales mais relève du droit à la liberté d'expression des élus locaux, et concernant son argumentation tirée de l'incompétence de la juridiction administrative pour connaître de la charte d'amitié ;

- la juridiction administrative est incompétente pour connaître de la charte d'amitié, qui ne constitue pas une décision administrative mais une pétition de principe traduisant la liberté d'expression des élus locaux ;

- le déféré préfectoral est irrecevable dès lors que la charte d'amitié ne constitue pas un acte faisant grief susceptible de faire l'objet d'un tel déféré, n'étant pas un acte soumis à l'obligation de transmission au sens de l'article L. 2131-2 du code général des collectivités territoriales, ni un acte adopté au nom de la commune au sens de l'article L. 2131-3 du même code, ni une convention au sens de l'article L. 1115-1 de ce code, en l'absence d'action concrètement envisagée et d'engagement financier, mais un acte de droit commun n'ayant fait l'objet d'aucune délibération, dépourvu de tout caractère contraignant, constituant une simple déclaration d'intention et de principe du maire découlant de sa liberté d'expression ;

- la charte d'amitié, qui ne constitue ni une reconnaissance de l'indépendance du Haut-Karabakh vis-à-vis de laquelle elle est neutre ni une prise de position du maire au nom de la France mais une déclaration d'intention ayant pour objet de manifester son soutien aux populations et de favoriser les échanges et les retours d'expérience entre les populations des deux communes dans plusieurs domaines, n'est pas contraire aux engagements internationaux de la France ;

- elle relève du droit à la liberté d'expression des élus locaux et sa censure porte une atteinte excessive à cette liberté du maire et est contraire à l'article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire enregistré le 6 mars 2020, le préfet de la Loire conclut au rejet de la requête de la commune de Saint-Etienne.

Il fait valoir que :

- le moyen tiré de la liberté d'expression étant inopérant lorsque l'auteur de la décision est incompétent, le tribunal n'était pas tenu de répondre au moyen tiré de ce que la charte d'amitié n'était pas un acte pris par le maire au nom de la commune mais relevait de la liberté d'expression des élus locaux dès lors que la signature de cette charte relevait de la compétence du conseil municipal et non du maire ;

- les autres moyens soulevés par la commune ne sont pas fondés.

Par lettres du 28 mai 2021, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur le moyen relevé d'office et tiré du caractère inexistant de la charte litigieuse en ce que la commune de Saint-Etienne est manifestement incompétente pour reconnaître, à travers la commune de Chouchi, la République du Haut-Karabagh, alors qu'une telle reconnaissance ne peut émaner que de l'Etat en application des dispositions des articles 5, 14, 20 et 52 de la Constitution.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. B... ;

- les conclusions de M. Savouré, rapporteur public ;

- les observations de Me C..., représentant la commune de Saint-Etienne.

Considérant ce qui suit :

1. La commune de Saint-Etienne relève appel du jugement n° 1808761 du 19 septembre 2019 par lequel le tribunal administratif de Lyon a annulé la charte d'amitié que son maire a conclue le 21 octobre 2018 avec le maire de la commune de Chouchi, présentée à cette occasion comme située sur le territoire de la République autoproclamée du Haut-Karabakh.

Sur la régularité du jugement :

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés. ".

3. Le tribunal administratif, qui n'était pas tenu de répondre à tous les arguments présentés par la commune de Saint-Etienne, a répondu suffisamment aux moyens de celle-ci tirés de ce que la contestation d'une telle charte ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative et qu'elle ne constitue pas un acte pris par le maire au nom de la commune sur le fondement des compétences communales mais traduirait le droit à la liberté d'expression des élus locaux.

4. En second lieu, la charte litigieuse, conclue et signée par les maires de deux communes au nom de celles-ci, ne peut être assimilée à une prise de position individuelle de ces élus dans le cadre de leur libre expression, dès lors notamment qu'elle a pour ambition déclarée d'établir entre ces collectivités des liens d'amitié, de développer leurs relations, de mettre en place des programmes communs et de favoriser des échanges et le partage d'expériences et de pratiques professionnelles. Dans cette mesure, cette charte est constitutive d'un acte administratif relevant de la compétence de la juridiction administrative, notamment dans le cadre du contrôle de légalité exercé par le représentant de l'Etat. C'est donc à bon droit que les premiers juges ont écarté l'exception d'incompétence soulevée par la commune de Saint-Etienne.

Sur le bien-fondé du jugement :

5. En premier lieu, aux termes de l'article L. 2131-3 du code général des collectivités territoriales : " Les actes pris au nom de la commune autres que ceux mentionnés à l'article L. 2131-2 (qui dresse la liste des actes adoptés par le maire ou le conseil municipal, obligatoirement transmis au représentant de l'Etat pour l'exercice du contrôle de légalité, au nombre desquels les délibérations du conseil municipal ou les décisions prises par délégation du conseil municipal en application de l'article L. 2122-22 à l'exception de certaines délibérations) sont exécutoires de plein droit dès qu'il a été procédé à leur publication ou affichage ou à leur notification aux intéressés. Le représentant de l'Etat peut en demander communication à tout moment. Il ne peut les déférer au tribunal administratif, dans un délai de deux mois à compter de leur communication, que si sa demande a été présentée dans le délai de deux mois à compter de la date à laquelle les actes sont devenus exécutoires. ". Aux termes de l'article L. 2131-6 du même code : " Le représentant de l'Etat dans le département défère au tribunal administratif les actes mentionnés à l'article L. 2131-2 qu'il estime contraires à la légalité dans les deux mois suivant leur transmission. Sur demande du maire, le représentant de l'Etat dans le département l'informe de son intention de ne pas déférer au tribunal administratif un acte des autorités communales qui lui a été transmis en application des articles L. 2131-1 à L. 2131-5. Lorsque le représentant de l'Etat dans le département défère un acte au tribunal administratif, il en informe sans délai l'autorité communale et lui communique toutes précisions sur les illégalités invoquées à l'encontre de l'acte concerné. (...) ".

6. Il résulte des dispositions de l'article L. 2131-6 du code général des collectivités territoriales que le représentant de l'Etat dans le département peut déférer au juge administratif tous actes des collectivités territoriales qu'il estime contraires à la légalité, y compris ceux présentant un caractère préparatoire, comme une déclaration d'intention ou un voeu.

7. Ainsi, alors même qu'elle ne ferait pas grief et qu'elle ne comporterait pas de dispositions de nature juridique ou financière, le préfet de la Loire était recevable à déférer au tribunal administratif de Lyon la " charte d'amitié " litigieuse. En tout état de cause, cette charte qui a pour but d'engager la commune et ne saurait donc être assimilée à une prise de position individuelle du maire dans le cadre de sa liberté d'expression, même si cette dernière est garantie par les engagements internationaux de la France, constitue un acte pris au nom de la commune au sens des dispositions précitées de l'article L. 2131-3 du code général des collectivités territoriales. Par suite, la commune de Saint-Etienne n'est pas fondée à soutenir que le déféré du préfet de la Loire était irrecevable.

8. Aux termes de l'article L. 1115-1 du code général des collectivités territoriales : " Dans le respect des engagements internationaux de la France, les collectivités territoriales et leurs groupements peuvent mettre en oeuvre ou soutenir toute action internationale annuelle ou pluriannuelle de coopération, d'aide au développement ou à caractère humanitaire. A cette fin, les collectivités territoriales et leurs groupements peuvent, le cas échéant, conclure des conventions avec des autorités locales étrangères. Ces conventions précisent l'objet des actions envisagées et le montant prévisionnel des engagements financiers. Elles entrent en vigueur dès leur transmission au représentant de l'Etat dans les conditions fixées aux articles L. 2131-1, L. 2131-2, L. 3131-1, L. 3131-2, L. 4141-1 et L. 4141-2. Les articles L. 2131-6, L. 3132-1 et L. 4142-1 leur sont applicables ".

9. Selon les termes de la " charte d'amitié " litigieuse, les deux communes signataires, qui saluent les démarches constantes entreprises par la population du Haut-Karabagh aspirant et oeuvrant à la création et au développement d'une société libre, pacifique et démocratique, expriment leur souhait de créer des liens d'amitié entre les deux villes, de contribuer au développement des relations entre elles et de favoriser un environnement permettant la mise en place de programmes communs, en particulier dans les secteurs de l'éducation, de la culture, du sport, du commerce et de la gouvernance locale et de favoriser les échanges et le partage d'expérience et de pratiques professionnelles. Si une telle déclaration d'intentions et de programme peut être la manifestation d'une action internationale de coopération, au sens des dispositions précitées l'article L. 1115-1 du code général des collectivités territoriales, la charte en litige qui insiste surtout sur l'appartenance revendiquée de la commune de Chouchi à la République d'Artsakh (Haut-Karabagh), entité autonome autoproclamée non reconnue par la France en tant qu'Etat indépendant, loin de constituer une simple déclaration relevant de la liberté d'expression du maire, manifeste une prise de position publique sur l'existence en tant qu'entité étatique indépendante du Haut-Karabagh qui contredit directement les positions diplomatiques de la France. En signant la charte litigieuse, le maire de la commune de Saint-Etienne a, dès lors, méconnu les engagements internationaux de la France et par suite les dispositions de l'article L. 1115-1 du code général des collectivités territoriales.

10. Il résulte de tout ce qui précède que la commune de Saint-Etienne n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a annulé cette charte.

11. En conséquence, les conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative présentées par ladite commune, partie perdante, doivent être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la commune de Saint-Etienne est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Saint-Etienne et au préfet de la Loire.

Copie en sera adressée à la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales et au ministre de l'Europe et des affaires étrangères.

Délibéré après l'audience du 3 juin 2021, à laquelle siégeaient :

M. d'Hervé, président de chambre,

Mme Michel, président-assesseur,

M. B..., premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 juin 2021.

2

N° 19LY04159


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 19LY04159
Date de la décision : 24/06/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Actes législatifs et administratifs - Validité des actes administratifs - violation directe de la règle de droit - Constitution et principes de valeur constitutionnelle.

Collectivités territoriales - Dispositions générales - Contrôle de la légalité des actes des autorités locales - Déféré préfectoral.


Composition du Tribunal
Président : M. d'HERVE
Rapporteur ?: M. Christophe RIVIERE
Rapporteur public ?: M. SAVOURE
Avocat(s) : CABINET PHILIPPE PETIT et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 06/07/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2021-06-24;19ly04159 ?
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