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17/06/2021 | FRANCE | N°20LY01748

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 3ème chambre, 17 juin 2021, 20LY01748


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

1°) Mme B... F... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler la décision du 27 mars 2014 par laquelle le président du conseil général de la Drôme l'a licenciée de son emploi d'assistante familiale et de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1403309 du 22 mars 2016, le tribunal administratif de Grenoble a annulé cette décision du 27 mars 2014 et mis à la charge du département de la Drôme le versement à Mme F.

.. d'une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice adm...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

1°) Mme B... F... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler la décision du 27 mars 2014 par laquelle le président du conseil général de la Drôme l'a licenciée de son emploi d'assistante familiale et de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1403309 du 22 mars 2016, le tribunal administratif de Grenoble a annulé cette décision du 27 mars 2014 et mis à la charge du département de la Drôme le versement à Mme F... d'une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la cour

I - Par une requête n° 16LY01539 enregistrée le 4 mai 2016 et un mémoire enregistré le 25 mai 2018, ce dernier n'ayant pas été communiqué, le département de la Drôme, représenté par Me G... (H...-G...-I... et Associés), avocat, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 22 mars 2016 ;

2°) de rejeter la demande de Mme F... ;

3°) de mettre à la charge de Mme F... une somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- en l'absence, sur la minute du jugement, de toutes les signatures imposées par les dispositions du code de justice administrative, le jugement du tribunal administratif de Grenoble est irrégulier ;

- il justifie qu'aucun des vingt-trois enfants en attente de placement pendant la période d'attente de Mme F... ne pouvait lui être confié ;

- aucun des autres moyens soulevés par Mme F... devant les premiers juges n'est fondé.

Par un mémoire en défense, enregistré le 22 septembre 2016, Mme F..., représentée par Me E..., avocat, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge du département de la Drôme en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- le jugement est régulier ;

- le département, qui a retenu l'absence d'enfant à lui confier au cours de cette période, ne pouvait légalement se fonder sur le fait qu'elle a refusé, au cours de cette période, d'accueillir deux enfants ;

- le département de la Drôme ne justifie pas que le projet éducatif des mineurs en attente de placement impliquait qu'aucun ne puisse lui être confié au cours de la période du 1er novembre 2013 au 28 février 2014 ;

- le refus de lui confier des enfants est fondé sur un motif autre que celui allégué ;

- elle reprend les moyens qu'elle a soulevés en première instance, tirés de ce que la décision en litige est entachée de vice de procédure, de détournement de pouvoir et de discrimination et de ce qu'elle fait suite à une décision illégale, prise le 2 juillet 2012, de lui retirer les deux enfants qu'elle accueillait.

Par une décision n° 423603 du 1er juillet 2020, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé l'arrêt rendu le 26 juin 2018, et a renvoyé à la cour le jugement de l'affaire.

II - Par courriers du 6 juillet 2020, les parties ont été informées du renvoi à la cour administrative d'appel de Lyon, de l'affaire qui a été enregistrée sous le n°20LY01749.

Par deux mémoires, enregistrés le 26 août 2020 et le 26 mai 2021, le département de la Drôme, représenté par Me G..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 22 mars 2016 ;

2°) de rejeter la demande de Mme F... présentée devant le tribunal administratif ;

3°) de mettre à la charge de Mme F... une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- c'est à tort que, pour annuler la décision du 27 mars 2014, le tribunal administratif de Grenoble a estimé que cette décision méconnaissait l'article L. 423-32 du code de l'action sociale et des familles ;

- les moyens présentés à l'encontre de la décision de licenciement au titre de la légalité externe et interne doivent être écartés.

Par un mémoire enregistré le 29 septembre 2020, Mme F... représentée par Me E... :

1°) conclut au rejet de la requête du département de la Drôme ;

2°) à l'annulation de la décision du 27 mars 2014 par laquelle le président du conseil général de la Drôme l'a licenciée de son emploi d'assistante familiale ;

3°) et à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge du département de la Drôme sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que les moyens présentés par le département de la Drôme ne sont pas fondés.

2°) Mme B... F... a demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner le département de la Drôme à lui verser une indemnité de 445 645,84 euros, outre intérêts de droit capitalisés, en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis à raison de l'illégalité fautive des décisions par lesquelles le président du conseil départemental a mis fin à l'accueil de deux enfants qu'elle recevait en tant qu'assistante familiale et l'a licenciée, et de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1503095 du 22 mars 2016, le tribunal administratif de Grenoble a condamné le département de la Drôme à verser à Mme F... une indemnité de 4 000 euros intérêts inclus, a mis à la charge du département le versement d'une somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et a rejeté le surplus des conclusions des parties.

Procédure devant la cour

I - Par une requête n° 16LY01553, enregistrée le 6 mai 2016, et des mémoires, enregistrés les 4 avril 2017, 11 janvier 2018 et 27 avril 2018, Mme F..., représentée par Me E..., avocat, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) de réformer ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 22 mars 2016 en portant à 20 000 euros le montant de l'indemnité que le département de la Drôme a été condamné à lui verser au titre de son préjudice moral et en condamnant le département de la Drôme à lui verser, en outre, une indemnité de 54 125,34 euros au titre de son préjudice matériel, sommes assorties des intérêts légaux à compter du 1er avril 2015 et des intérêts capitalisés à compter du 1er avril 2016 ;

2°) de mettre à la charge du département de la Drôme une somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- c'est à bon droit que les premiers juges ont retenu que la décision du 2 juillet 2012 par laquelle le département de la Drôme lui a retiré deux enfants qu'elle accueillait à titre permanent était entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;

- la décision du 27 mars 2014 par laquelle ce département l'a licenciée est également entachée d'illégalité fautive ;

- ces décisions, qui ne sont motivées que par sa nouvelle situation de couple, sont discriminatoires ;

- elle est fondée à solliciter une indemnité de 41 150,49 euros au titre de son préjudice patrimonial et de 20 000 euros au titre de son préjudice moral et des troubles dans ses conditions d'existence.

Par un mémoire en défense, enregistré le 27 septembre 2016, et des mémoires complémentaires, enregistrés les 20 avril 2017 et 25 mai 2018, ce dernier n'ayant pas été communiqué, le département de la Drôme, représenté par Me G... (H...-G...-I... et Associés), avocat, conclut :

1°) au rejet de la requête ;

2°) à l'annulation des articles 1er, 2 et 3 du jugement du tribunal administratif de Grenoble du 22 mars 2016 et au rejet de la demande ;

3°) à ce qu'une somme de 3 500 euros soit mise à la charge de Mme F... en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que :

- sa décision du 2 juillet 2012 n'est entachée ni d'erreur manifeste d'appréciation ni de discrimination ;

- le retrait des enfants ne peut être regardé comme brusque, dès lors qu'il a été réalisé dans les conditions prévues par l'article L. 421-16 du code de l'action sociale et des familles et qu'il a été mis en oeuvre plus d'un mois après avoir été décidé ;

- la décision de licenciement du 27 mars 2014 n'est entachée d'aucune illégalité ;

- les prétentions indemnitaires de Mme F... au titre du préjudice matériel qu'elle aurait subi sont infondées.

Par une décision n° 423600 du 1er juillet 2020, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé l'arrêt rendu le 26 juin 2018, et a renvoyé à la cour le jugement de l'affaire.

II - Par courriers du 6 juillet 2020, les parties ont été informées du renvoi à la cour administrative d'appel de Lyon, de l'affaire qui a été enregistrée sous le n° 20LY01748.

Par un mémoire enregistré le 29 septembre 2020, Mme F... représentée par Me E..., demande à la cour :

1°) de réformer ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 22 mars 2016 ;

2°) de condamner le département de la Drôme à lui verser une indemnité de 108 419,69 euros en réparation de ses préjudices patrimoniaux et extra-patrimoniaux occasionnés par la décision de licenciement du 27 mars 2014, assortie des intérêts légaux à compter du 1er avril 2015 et des intérêts capitalisés à compter du 1er avril 2016 ;

3°) et à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge du département de la Drôme sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que la décision du 27 mars 2014 par laquelle le département de la Drôme l'a licenciée est entachée d'une illégalité fautive de nature à justifier l'indemnisation de son préjudice patrimonial et de son préjudice moral et des troubles dans ses conditions d'existence.

Par deux mémoires, enregistrés le 18 mars 2021 et le 26 mai 2021, le département de la Drôme, représenté par Me G..., demande à la cour :

1°) de rejeter la demande de Mme F... présentée devant le tribunal administratif ;

2°) de mettre à la charge de Mme F... une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les moyens présentés par l'intéressée ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l'action sociale et des familles ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;

- la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations ;

- le code de justice administrative.

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Fédi, président-assesseur,

- les conclusions de M. Deliancourt, rapporteur public,

- et les observations de Me E..., représentant Mme F..., et celles de Me D..., représentant le département de la Drôme ;

Considérant ce qui suit :

1. Par une décision du 2 juillet 2012, le président du conseil général de la Drôme a retiré à Mme F..., assistante familiale employée par le département depuis le 30 août 2002, les deux enfants qui lui étaient confiés, puis, par une décision du 27 mars 2014, a procédé à son licenciement. Par deux jugements du 22 mars 2016, le tribunal administratif de Grenoble a annulé pour excès de pouvoir la décision du 27 mars 2014 et a condamné le département à verser à Mme F... une indemnité de 4 000 euros, intérêts compris, au titre du préjudice moral résultant du retrait des deux enfants qu'elle accueillait. Par deux arrêts du 26 juin 2018, la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté l'appel formé par le département de la Drôme contre le premier de ces jugements et a partiellement fait droit à l'appel de Mme F... contre le second jugement, en portant à 26 217 euros, assortis des intérêts au taux légal et de leur capitalisation, la somme que le département de la Drôme devait lui verser, dont 5 000 euros au titre du préjudice moral résultant du retrait des deux enfants qu'elle accueillait et 21 217 euros au titre du préjudice matériel résultant de son licenciement. Les deux arrêts du 26 juin 2018 ont été annulés par une décision du 23 octobre 2020 du Conseil d'Etat, lequel a renvoyé à la cour administrative de Lyon le jugement de deux affaires, qu'il y a lieu de joindre pour statuer par une même décision, dès lors qu'elles concernent la situation d'un même agent.

Sur la légalité de la décision de licenciement du 27 mars 2014 :

2. Aux termes de l'article L. 423-32 du code de l'action sociale et des familles, applicable aux assistants familiaux employés par des personnes morales de droit public conformément à son article L. 422-1 : " L'employeur qui n'a pas d'enfant à confier à un assistant familial pendant une durée de quatre mois consécutifs est tenu de recommencer à verser la totalité du salaire à l'issue de cette période s'il ne procède pas au licenciement de l'assistant familial fondé sur cette absence d'enfants à lui confier ". Aux termes de l'article L. 423-35 du même code, applicable aux mêmes assistants familiaux en vertu du même article : " Dans le cas prévu à l'article L .423-32, si l'employeur décide de procéder au licenciement, il convoque l'assistant familial par lettre recommandée avec demande d'avis de réception et le reçoit en entretien dans les conditions prévues aux articles L. 1232-2 à L. 1232-4 du code du travail. La lettre de licenciement ne peut être expédiée moins d'un jour franc après la date pour laquelle le salarié a été convoqué à l'entretien. L'employeur doit indiquer à l'assistant familial, au cours de l'entretien et dans la lettre recommandée, le motif pour lequel il ne lui confie plus d'enfants ".

3. Il résulte de ces dispositions qu'un employeur de droit public peut procéder au licenciement d'un assistant familial s'il n'a pas d'enfant à lui confier pendant une durée d'au moins quatre mois consécutifs. Un tel licenciement, qui ne peut être motivé par le fait que l'assistant familial ne remplit plus les conditions de l'agrément, situation régie par d'autres dispositions du code de l'action sociale et des familles, doit être justifié soit par l'absence de tout enfant à confier à l'assistant familial, soit par la circonstance que le département a été conduit, par une appréciation soumise au contrôle du juge, pour assurer la meilleure prise en charge des enfants, au regard notamment, de leur âge, de leur situation familiale et de leur santé, des conditions définies par l'agrément de l'assistant familial concerné et des disponibilités d'autres assistants familiaux, à ne pas confier d'enfant pendant cette période à l'assistant familial dont le licenciement est envisagé. En revanche, il ne résulte ni de ces dispositions, ni d'aucun principe qu'un tel licenciement ne pourrait être légalement motivé que par la circonstance que l'employeur public serait contraint de ne plus confier d'enfant à l'assistant maternel concerné par des raisons d'intérêt général dont il devrait justifier.

4. Mme F... a été licenciée par décision du 27 mars 2014 au seul motif que le département de la Drôme ne disposait pas d'enfants pouvant lui être confiés depuis quatre mois, laquelle décision précisait que " durant la période d'attente, qui est comprise entre le 1er novembre 2013 au 28 février 2014, 23 mineurs ont été confiés à d'autres assistants familiaux sur l'ensemble du département : deux tiers ont été confiés à des assistants familiaux en situation d'attente ou en capacité d'accueil non atteinte, au regard du projet éducatif de chaque enfant, un tiers pour des raisons géographiques. "

5. Il ressort des pièces du dossier, notamment des écritures du département qui précisent dans le détail l'âge et la situation des enfants, qu'en raison de contraintes géographiques par rapport au domicile de Mme F..., treize des vingt-trois enfants ne pouvaient lui être confiés. Ensuite, il est constant que le placement d'une jeune fille de quinze ans auprès d'une assistante familiale, accueillant principalement des adolescents, était plus adapté qu'un placement auprès de Mme F..., qui avait fait état de sa préférence pour l'accueil de mineurs de 0 à 14 ans. De même, cinq enfants ont été confiés à des assistants familiaux spécialisés dans l'accueil urgent ou de courte durée, spécialisation dont Mme F... ne disposait pas auprès du département de la Drôme. En outre, une fratrie de deux enfants a été accueillie chez une assistante familiale elle-même en situation d'attente. Ainsi, dans les circonstances décrites avec précision par l'administration et non sérieusement contestées par Mme F..., le département de la Drôme a pu, à bon droit, ne pas confier à l'intéressée ces vingt et un enfants.

6. En revanche, il ne ressort pas des pièces du dossier que la fratrie de deux enfants, C... et Léa, placés par le département de la Drôme le 13 novembre 2013, pendant la période en litige, n'aurait pas pu être confiée à Mme F.... En effet, le département de la Drôme allègue d'une part, que pour préparer la fin de la prise en charge de ces deux enfants par le foyer de la Buissonnière, implanté en Savoie, prévue le 13 novembre 2013, il a, dès le 25 juin 2013, organisé une réunion d'équipe pour préparer l'arrivée des deux enfants mineurs, alors que Mme F... accueillait encore deux enfants et qu'à cette date, la période d'attente de quatre mois n'avait pas encore commencé à courir d'autre part, que dès le 13 août 2013, il avait proposé à un autre assistant familial d'accueillir les enfants, pour mieux les préparer à rejoindre ce nouveau foyer. Toutefois, en se bornant à se prévaloir de ces deux seules circonstances, la collectivité n'établit pas en quoi ce placement constituait une meilleure prise en charge et aurait été contraire aux intérêts des deux enfants, ni pourquoi elle n'a pas examiné la possibilité de confier cette fratrie à Mme F.... En outre, il ressort des pièces du dossier, que, le 10 septembre 2013, Mme F... avait indiqué aux services du département qu'elle ne souhaitait pas poursuivre l'accueil du jeune A... au-delà du 30 septembre 2013. Par ailleurs, la famille d'accueil pressentie en août 2013 se trouvait elle-même en surcapacité d'accueil à son domicile, situé dans un lieu géographiquement plus éloigné des centres d'intérêts des enfants C... et Léa que celui de Mme F.... De plus, le département de la Drôme ne peut utilement reprocher à Mme F... son refus d'accueillir deux enfants durant la période d'attente, dès lors qu'il s'agissait de l'accueil permanent d'un jeune garçon de seize ans, suite au décès de son assistante familiale, alors que Mme F... avait indiqué sa préférence pour un enfant âgé de 0 à 14 ans, argument que le département de la Drôme présente d'ailleurs pour justifier sa décision de ne pas confier certains enfants à l'intéressée. De même, il ne peut être reproché à cette dernière son refus d'accueil provisoire d'un garçon de 4 ans et demi pour une courte période d'un mois pendant l'hospitalisation de sa mère. Par suite, dans de telles circonstances, si le département de la Drôme avait confié du 1er novembre 2013 au 28 février 2014 à Mme F..., ainsi qu'il en avait la possibilité, les deux enfants C... et Léa, son licenciement n'aurait pas pu être prononcé. Dans ces conditions, faute de lui avoir confié l'accueil de ces deux enfants, le département de la Drôme a entaché sa décision portant licenciement de Mme F... d'une illégalité fautive de nature à engager sa responsabilité.

7. Il résulte de ce qui précède que le département de la Drôme n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a annulé la décision du 27 mars 2014 du président du conseil général prononçant le licenciement de Mme F....

Sur la responsabilité du département de la Drôme concernant le licenciement de Mme F... :

8. En vertu des principes généraux qui régissent la responsabilité de la puissance publique, un agent public irrégulièrement évincé a droit à la réparation intégrale du préjudice qu'il a effectivement subi du fait de la mesure illégalement prise à son encontre. Sont ainsi indemnisables les préjudices de toute nature avec lesquels l'illégalité commise présente, compte tenu de l'importance respective de cette illégalité et des fautes relevées à l'encontre de l'intéressé, un lien direct de causalité. Pour l'évaluation du montant de l'indemnité due, doit être prise en compte la perte du traitement ainsi que celle des primes et indemnités dont l'intéressée avait, pour la période en cause, une chance sérieuse de bénéficier, à l'exception de celles qui, eu égard à leur nature, à leur objet et aux conditions dans lesquelles elles sont versées, sont seulement destinées à compenser des frais, charges ou contraintes liés à l'exercice effectif des fonctions en déduisant le cas échéant, le montant des rémunérations que l'agent a pu se procurer par son travail au cours de la période d'éviction.

9. Il résulte de l'instruction qu'entre les mois d'août 2005 et d'avril 2011, Mme F..., dont l'agrément portait sur trois mineurs et jeunes majeurs, a accueilli trois enfants de manière continue. L'administration, qui ne fait mention d'aucune période durant laquelle Mme F... aurait accueilli moins de trois enfants, ne peut donc utilement soutenir que son contrat de recrutement, ainsi que son avenant de 2008, n'avaient ni pour objet ni pour effet de lui garantir l'accueil permanent de trois enfants à son domicile, ni même qu'elle n'a pas accueilli, en permanence, trois enfants à son domicile. Dans ces conditions, Mme F... est fondée à soutenir qu'elle a été privée d'une chance sérieuse d'accueillir, pour le compte du département, trois enfants de façon permanente et continue au cours de la période comprise entre le 4 juin 2014, date d'effet du licenciement, et le 22 mars 2016, date de lecture du jugement n° 1403309 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a annulé la décision du 27 mars 2014 du président du conseil départemental prononçant son licenciement. Après cette date, Mme F... qui avait la possibilité de se voir, à nouveau, confier des enfants par le département, invoque un préjudice patrimonial incertain qui doit dès lors être écarté, alors même qu'elle a perçu une indemnité d'attente entre le 1er avril 2016 et le 1er octobre 2020 d'un montant de 59 526 euros. En outre, si par décision du 26 mai 2016, le président du conseil départemental a procédé à la réintégration de Mme F... pour la période du 27 mars 2014 au 22 mars 2016, il ne résulte pas de l'instruction que l'administration lui ait versé la somme correspondant aux rémunérations qu'elle aurait perçues si elle n'avait pas été illégalement évincée.

10. Il résulte de l'instruction que la rémunération mensuelle octroyée à l'intéressée s'élevait à 320 fois le SMIC horaire pour l'accueil continu et permanent de trois enfants. Entre le 4 juin 2014 et le 22 mars 2016, Mme F... aurait ainsi perçu, compte tenu d'un taux de charges sociales de 22 %, un montant total de 50 296 euros au titre de ses rémunérations mensuelles nettes, hors indemnités d'entretien ou de vacances. Du 4 juin 2014 au 31 mai 2015, elle a perçu des revenus d'un montant de 18 214 euros nets et son indemnité de licenciement d'un montant de 10 447,41 euros. Par suite, le revenu auquel elle aurait pu prétendre, si elle n'avait pas été illégalement évincée, est supérieur de 21 555 euros à celui qu'elle a perçu au cours de la période retenue. Par conséquent, Mme F... est fondée à solliciter une indemnité de 21 555 euros au titre du préjudice matériel qu'elle a subi du fait de la mesure de licenciement illégale.

11. Il résulte également de l'instruction que les conditions dans lesquelles Mme F... a été illégalement licenciée sont à l'origine d'un préjudice moral et de troubles dans les conditions d'existence dont il sera fait une juste appréciation en condamnant le département de la Drôme au versement de la somme de 4 000 euros.

12. Il résulte de ce qui précède que Mme F... est seulement fondée à demander que l'indemnité que le tribunal a condamné le département de la Drôme à lui verser soit portée à la somme de 25 555 euros.

Sur les intérêts et la capitalisation des intérêts :

13. En application de l'article 1153 du code civil, la somme que le département de la Drôme est condamné à verser à Mme F... doit être assortie des intérêts au taux légal à compter du 1er avril 2015, date de la réception par le département de la réclamation préalable présentée par l'intéressée. Mme F... a demandé la capitalisation des intérêts dans sa demande enregistrée au tribunal administratif de Grenoble le 20 mai 2015, puis dans sa requête n° 16LY01553 enregistrée le 6 mai 2016. Cette demande prend effet à compter du 1er avril 2016, date à laquelle les intérêts étaient dus pour une année entière. Il y a lieu, par suite, en application de l'article 1154 du code civil, d'ordonner la capitalisation des intérêts à compter de la date de réception de la demande préalable, soit le 1er avril 2015, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date.

Sur les frais liés au litige :

14. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du département de la Drôme le versement d'une somme de 3 000 euros à Mme F... en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de Mme F..., qui n'est pas partie perdante, la somme que demande le département de la Drôme au titre des frais non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : La requête n° 20LY1749 du département de la Drôme est rejetée.

Article 2 : Le département de la Drôme est condamné à payer à Mme F... une indemnité de 25 555 euros. Ladite somme sera augmentée des intérêts au taux légal à compter du 1er avril 2015. Les intérêts échus à la date du 1er avril 2016, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date, seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 3 : Le jugement n° 1503095 du 22 mars 2016 du tribunal administratif de Grenoble est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 4 : Le département de la Drôme versera à Mme F... une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Les conclusions du département de la Drôme présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 6 : Les conclusions de la requête n° 20LY01748 sont rejetées pour le surplus.

Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... F... et au département de la Drôme.

Délibéré après l'audience du 1er juin 2021, à laquelle siégeaient :

M. Jean-Yves Tallec, président de chambre,

M. Gilles Fédi, président-assesseur,

M. Pierre Thierry, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 juin 2021.

2

N°s 20LY01748-20LY01749


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 20LY01748
Date de la décision : 17/06/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Fonctionnaires et agents publics - Agents contractuels et temporaires - Fin du contrat - Licenciement.

Fonctionnaires et agents publics - Contentieux de la fonction publique - Contentieux de l'indemnité.


Composition du Tribunal
Président : M. TALLEC
Rapporteur ?: M. Gilles FEDI
Rapporteur public ?: M. DELIANCOURT
Avocat(s) : LAMAMRA

Origine de la décision
Date de l'import : 06/07/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2021-06-17;20ly01748 ?
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