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27/05/2021 | FRANCE | N°20LY00066

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 5ème chambre, 27 mai 2021, 20LY00066


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 7 janvier 2020 et 23 février 2021, la société Distrev, représentée par Me B..., demande à la cour :

1°) d'annuler l'arrêté du 8 novembre 2019 du maire de la commune de Lugrin accordant un permis de construire à la société Mont pour l'extension d'un bâtiment commercial d'enseigne Intermarché situé sur le territoire de la commune ;

2°) de mettre à la charge de la commune de Lugrin la somme de 3 000 euros à lui verser au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrativ

e.

Elle soutient que :

- elle dispose d'un intérêt à agir et que sa requête est recev...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 7 janvier 2020 et 23 février 2021, la société Distrev, représentée par Me B..., demande à la cour :

1°) d'annuler l'arrêté du 8 novembre 2019 du maire de la commune de Lugrin accordant un permis de construire à la société Mont pour l'extension d'un bâtiment commercial d'enseigne Intermarché situé sur le territoire de la commune ;

2°) de mettre à la charge de la commune de Lugrin la somme de 3 000 euros à lui verser au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle dispose d'un intérêt à agir et que sa requête est recevable ;

- l'arrêté attaqué ne mentionne pas qu'une autorisation spécifique doit être obtenue en vertu de l'article L. 111-8 du code de la construction et de l'habitation pour la création de deux cellules commerciales livrées brutes ;

- il n'est pas démontré que les membres de la Commission nationale d'aménagement commercial ont été régulièrement convoqués au regard des dispositions de l'article R. 752-35 du code de commerce ;

- le projet n'est pas compatible avec le schéma de cohérence territoriale du Chablais ;

- le projet méconnaît l'article L. 752-6 du code de commerce et porte atteinte aux objectifs d'aménagement du territoire et de développement durable ce qui aurait dû conduire la Commission nationale d'aménagement commercial à émettre un avis défavorable.

Par deux mémoires, enregistrés les 3 décembre 2020 et 26 février 2021 (non communiqué), la société Mont, représentée par Me C..., conclut à l'irrecevabilité et au rejet de la requête et demande, à titre subsidiaire, à la Cour de surseoir à statuer dans l'attente de la délivrance du permis de construire modificatif sollicité et de mettre à la charge de la requérante la somme de 6 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- la requête de la société Distrev est irrecevable faute pour la requérante d'avoir un intérêt pour agir et de justifier de son action au titre de l'article R. 600-4 du code de l'urbanisme ;

- les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Par un mémoire, enregistré le 5 janvier 2021, la commune de Lugrin, représentée par Me A..., conclut à l'irrecevabilité et au rejet de la requête et demande à la Cour de mettre à la charge de la requérante la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- la requête de la société Distrev est irrecevable faute de lui avoir été notifiée en vertu de l'article R. 600-1 du code de l'urbanisme ;

- les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Une ordonnance du 29 janvier 2021 a fixé la clôture de l'instruction au 26 février 2021.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de commerce ;

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme D..., première conseillère,

- les conclusions de M. Vallecchia, rapporteur public,

- et les observations de Me B... pour la société Distrev, de Me C... pour la société Mont et de Me C..., substituant Me A..., pour la commune de Lugrin ;

Considérant ce qui suit :

1. La société Distrev, en application de l'article L. 425-4 du code de l'urbanisme et de l'article L. 752-17 du code de commerce, a formé un recours à l'encontre de l'avis favorable du 14 juin 2019 de la Commission départementale d'aménagement commercial de la Haute-Savoie sur le projet, porté par la société Mont, d'agrandissement de 499 m² de la surface de vente d'un magasin Intermarché qu'elle exploite situé sur le territoire de la commune de Lugrin portant la surface de vente à 2 836 m². La Commission nationale de l'aménagement commercial a, par avis du 24 octobre 2019, rejeté ce recours et émis un avis favorable au projet. Par arrêté du 8 novembre 2019, le maire de la commune de Lugrin a délivré un permis de construire tenant lieu d'autorisation d'exploitation commerciale à la société Mont en vue de la réalisation du projet susvisé et la création de deux cellules commerciales livrées brutes. La société Distrev, qui exploite sur le territoire de la commune d'Evian-les-Bains, situé à 7 kilomètres du lieu d'implantation du projet, un supermarché à l'enseigne Carrefour Market, à dominante alimentaire, demande, par sa requête, l'annulation de cet arrêté.

Sur la légalité de l'arrêté du maire de Lugrin du 8 novembre 2019 en tant qu'il vaut autorisation d'exploitation commerciale :

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 425-3 du code de l'urbanisme : " Lorsque le projet porte sur un établissement recevant du public, le permis de construire tient lieu de l'autorisation prévue par l'article L. 111-8 du code de la construction et de l'habitation dès lors que la décision a fait l'objet d'un accord de l'autorité administrative compétente qui peut imposer des prescriptions relatives à l'exploitation des bâtiments en application de l'article L. 123-2 du code de la construction et de l'habitation. Le permis de construire mentionne ces prescriptions. Toutefois, lorsque l'aménagement intérieur d'un établissement recevant du public ou d'une partie de celui-ci n'est pas connu lors du dépôt d'une demande de permis de construire, le permis de construire indique qu'une autorisation complémentaire au titre de l'article L. 111-8 du code de la construction et de l'habitation devra être demandée et obtenue en ce qui concerne l'aménagement intérieur du bâtiment ou de la partie de bâtiment concernée avant son ouverture au public. "

3. Si la société Distrev soutient que l'arrêté attaqué ne mentionne pas qu'une autorisation spécifique doit être obtenue en vertu de l'article L. 111-8 du code de la construction et de l'habitation pour la création de deux cellules commerciales livrées brutes à l'intérieur de l'espace commercial, il ressort des pièces du dossier que le pétitionnaire a déposé à ce titre une demande de permis de construire modificatif qu'il a obtenue le 4 janvier 2021, en cours d'instance. Ce permis précise que " des autorisations complémentaires au titre de l'article L. 111-8 du code de la construction et de l'habitation devront être demandées et obtenues par les preneurs en ce qui concerne l'aménagement intérieur des deux cellules avant leur ouverture au public. " Par suite, le vice entachant le permis délivré le 8 novembre 2019 a été régularisé par le permis modificatif obtenu en cours d'instance. Le moyen soulevé par la société Distrev tiré de la méconnaissance des dispositions précitées doit ainsi être écarté. Il n'y a, en outre, plus lieu de surseoir à statuer dans l'attente de l'obtention du permis modificatif ainsi que le demande le pétitionnaire dans ses écritures.

4. En deuxième lieu, aux termes de l'article R. 752-35 du code de commerce : " La commission nationale se réunit sur convocation de son président. Cinq jours au moins avant la réunion, chacun des membres reçoit, par tout moyen, l'ordre du jour ainsi que, pour chaque dossier : / 1° L'avis ou la décision de la commission départementale ; / 2° Le procès-verbal de la réunion de la commission départementale ; / 3° Le rapport des services instructeurs départementaux ; / 4° Le ou les recours à l'encontre de l'avis ou de la décision ; / 5° Le rapport du service instructeur de la commission nationale. ".

5. Il ressort des pièces du dossier que, le 8 octobre 2019, le secrétaire de la Commission nationale d'aménagement commercial a adressé aux membres de cette commission une convocation pour la réunion du 24 octobre 2019, à laquelle était joint l'ordre du jour et où il était mentionné que tous les documents visés au même article sont disponibles, au moins cinq jours avant la tenue de la séance, sur la plateforme de téléchargement. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article R. 752-35 du code de commerce doit être écarté comme manquant en fait.

6. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 752-6 du code de commerce : " I.-L'autorisation d'exploitation commerciale mentionnée à l'article L. 752-1 est compatible avec le document d'orientation et d'objectifs des schémas de cohérence territoriale ou, le cas échéant, avec les orientations d'aménagement et de programmation des plans locaux d'urbanisme intercommunaux comportant les dispositions prévues au dernier alinéa de l'article L. 123-1-4 du code de l'urbanisme. La commission départementale d'aménagement commercial prend en considération : 1° En matière d'aménagement du territoire : a) La localisation du projet et son intégration urbaine ; b) La consommation économe de l'espace, notamment en termes de stationnement ; c) L'effet sur l'animation de la vie urbaine, rurale et dans les zones de montagne et du littoral ; d) L'effet du projet sur les flux de transports et son accessibilité par les transports collectifs et les modes de déplacement les plus économes en émission de dioxyde de carbone ; 2° En matière de développement durable : a) La qualité environnementale du projet, notamment du point de vue de la performance énergétique, du recours le plus large qui soit aux énergies renouvelables et à l'emploi de matériaux ou procédés éco-responsables, de la gestion des eaux pluviales, de l'imperméabilisation des sols et de la préservation de l'environnement ; b) L'insertion paysagère et architecturale du projet, notamment par l'utilisation de matériaux caractéristiques des filières de production locales ; c) Les nuisances de toute nature que le projet est susceptible de générer au détriment de son environnement proche. Les a et b du présent 2° s'appliquent également aux bâtiments existants s'agissant des projets mentionnés au 2° de l'article L. 752-1 ; 3° En matière de protection des consommateurs : a) L'accessibilité, en termes, notamment, de proximité de l'offre par rapport aux lieux de vie ; b) La contribution du projet à la revitalisation du tissu commercial, notamment par la modernisation des équipements commerciaux existants et la préservation des centres urbains ; c) La variété de l'offre proposée par le projet, notamment par le développement de concepts novateurs et la valorisation de filières de production locales ; d) Les risques naturels, miniers et autres auxquels peut être exposé le site d'implantation du projet, ainsi que les mesures propres à assurer la sécurité des consommateurs.(...) ".

7. Si la société Distrev soutient que le projet litigieux n'est pas compatible avec le document d'orientations générales du schéma de cohérence territoriale du Chablais qui prévoit que l'expansion des surfaces commerciales doit être limité compte tenu du fort niveau d'équipement du territoire et que les grandes surfaces alimentaires (création ou extension) devront s'implanter de préférence dans les secteurs centraux de l'unité urbaine dont ne relève pas la commune de Lugrin qui se situe dans un pôle de proximité, les orientations en question n'ont pas pour objet ni pour effet d'interdire l'extension d'un magasin existant dans un " pôle de proximité " alors qu'ainsi que le relève l'avis de la Commission nationale d'aménagement commercial le schéma de cohérence territoriale en question identifie le secteur d'implantation du projet en cause comme " zone commerciale périphérique " et que l'extension envisagée est d'ampleur limitée. En outre, il ne ressort pas des pièces du dossier que les conditions qualitatives d'implantation prescrivant de veiller particulièrement à toute création ou extension d'une grande surface commerciale en termes de desserte en transport en commun, espaces verts ou encore économie de l'espace, n'auraient pas en l'espèce été prises en compte.

8. En quatrième lieu, il résulte des dispositions précitées que l'autorisation d'aménagement commercial ne peut être refusée que si, eu égard à ses effets, le projet contesté compromet la réalisation des objectifs énoncés par la loi. Il appartient aux commissions d'aménagement commercial, lorsqu'elles statuent sur les dossiers de demande d'autorisation, d'apprécier la compatibilité du projet à ces objectifs, au vu des critères d'évaluation mentionnés à l'article L. 752-6 du code de commerce.

9. La société Distrev soutient que le projet en cause méconnaît l'article L. 752-6 du code de commerce en portant atteinte aux objectifs d'aménagement du territoire et de développement durable ce qui aurait dû conduire la Commission nationale d'aménagement commercial à émettre un avis défavorable.

10. Le projet litigieux se situe en bordure de la RD21 à environ 700 mètres du centre-bourg de la commune de Lugrin. Contrairement à ce que soutient la société Distrev, le projet n'emportera pas création ou occupation d'une surface supplémentaire dès lors qu'il est envisagé d'augmenter la surface de vente dans les limites du bâtiment existant par récupération des réserves et de locaux techniques. Il est en outre constant que la population de la zone du Chablais est en très forte expansion depuis plusieurs années grâce à la frontière franco-suisse. Il ressort des pièces du dossier et il est rappelé par l'avis de la Commission nationale d'aménagement commerciale que l'augmentation de trafic généré par l'extension en cause générera une augmentation de trafic très limitée, de l'ordre de 40 véhicules par jour et non de 1 080 véhicules par jour tel que revendiqué par la société Distrev, et qu'ainsi les conditions actuelles de trafic ne seront pas dégradées. En outre, la desserte en transports en commun du projet sera assurée par un arrêt de bus situé à 320 m desservi par une ligne régulière reliant Thonon-les-bains et Saint-Gingolph. Enfin, les dix places de stationnement créées par le projet seront toutes en pavés drainants n'impliquant aucune imperméabilisation supplémentaire du site. Dans ces conditions, la société Distrev ne démontre pas d'atteinte portée par le projet à l'objectif d'aménagement du territoire.

11. La société Distrev soutient que le site est ancien et peu végétalisé, qu'aucun nouvel espace vert ne sera créé et que le projet se situe entre deux zones naturelles d'intérêt écologique, faunistique et floristique (ZNIEFF) de type 1 et est susceptible d'obstruer un corridor écologique existant entre ces deux zones. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que le projet envisagé vise à apporter d'importantes améliorations au magasin existant notamment en matière de qualité environnementale. Ainsi, le projet prévoit la récupération de l'énergie calorifique des groupes de production de froid permettant de diminuer de 20% les consommations énergétiques, un éclairage de type LED, la pose d'une nouvelle isolation pour le sol, la toiture et les façades et l'installation de 50 panneaux photovoltaïques en toiture. Le projet prévoit également d'implanter 16 nouveaux arbres de haute tige. Enfin, contrairement aux allégations de la requérante, il ressort des cartes produites au dossier que le projet, qui au demeurant ne porte que sur l'extension d'un magasin précédent dans les limites de l'existant, ne se situe pas dans des ZNIEFF de type 1 et 2 constatées à proximité. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que le projet méconnaîtrait l'objectif de développement durable visé à l'article L. 752-6 du code de commerce doit être écarté.

12. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les fins de non-recevoir opposées en défense, que la société Distrev n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêté du 8 novembre 2019 par lequel le maire de Lugrin a délivré à la société Mont un permis de construire en vue de l'agrandissement de 499 m² de la surface de vente d'un magasin Intermarché qu'elle exploite situé sur le territoire de la commune.

Sur les frais liés à l'instance :

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Lugrin, qui n'est pas partie perdante dans la présente instance, la somme que demande la société Distrev au titre des frais qu'elle a exposés à l'occasion de cette instance.

14. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, sur le fondement des mêmes dispositions, de mettre à la charge de cette société le versement d'une somme de 2 000 euros à la commune de Lugrin et le versement d'une somme de 2 000 euros à la société Mont au titre des frais exposés par elles dans cette instance et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la société Distrev est rejetée.

Article 2 : La société Distrev versera à la commune de Lugrin une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La société Distrev versera à la société Mont une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Distrev, à la commune de Lugrin, à la société Mont et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.

Copie en sera adressée au président de la Commission nationale d'aménagement commercial.

Délibéré après l'audience du 29 avril 2021 à laquelle siégeaient :

M. Bourrachot, président de chambre,

Mme Dèche, présidente assesseure,

Mme D..., première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 27 mai 2021.

2

N° 20LY00066


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 20LY00066
Date de la décision : 27/05/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

14-02-01-05 Commerce, industrie, intervention économique de la puissance publique. Réglementation des activités économiques. Activités soumises à réglementation. Aménagement commercial.


Composition du Tribunal
Président : M. BOURRACHOT
Rapporteur ?: Mme Vanessa REMY-NERIS
Rapporteur public ?: M. VALLECCHIA
Avocat(s) : DEBAUSSART

Origine de la décision
Date de l'import : 15/06/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2021-05-27;20ly00066 ?
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