Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
La commune de Montmiral a demandé au tribunal administratif de Grenoble, à titre principal, d'ordonner à l'Office national des forêts (ONF) et à la société Cheval frères de mettre en conformité trois routes forestières avec le marché de travaux conclu pour leur réalisation dans un délai de six mois ou, à titre subsidiaire, de condamner in solidum l'ONF et la société Cheval frères à lui payer la somme de 188 822,33 euros.
Par un jugement n° 1706272 du 11 avril 2019, le tribunal a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 20 mai 2019, la commune de Montmiral, représentée par Me A..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) à titre principal, d'ordonner à l'Office national des forêts (ONF) et à la société Cheval frères de mettre en conformité trois routes forestières avec le marché de travaux conclu pour leur réalisation, dans un délai de six mois à compter de l'arrêt à intervenir ;
3°) à titre subsidiaire, de condamner in solidum l'ONF et la société Cheval frères à lui payer la somme de 188 822,33 euros TTC ;
4°) à titre infiniment subsidiaire, de condamner in solidum l'ONF et la société Cheval frères à lui verser la somme de 33 275 euros ;
5°) de mettre in solidum à la charge de l'ONF et de la société Cheval frères la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
6°) de mettre in solidum à la charge de l'ONF et de la société Cheval frères les dépens.
Elle soutient que :
- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, les travaux réalisés ne sont conformes ni au marché ni aux règles de l'art, notamment au regard de la composition des couches de base et de roulement ;
- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, qui n'a pas tenu compte de la présence d'un maître d'oeuvre, la réception des travaux n'a pas mis fin à la relation contractuelle puisqu'elle a été prononcée avec une réserve ;
- la non-conformité des travaux ayant été décidée sciemment par le maître d'oeuvre et l'entrepreneur, sans validation du maître d'ouvrage, leurs responsabilités contractuelles sont engagées ;
- l'ONF et la société Cheval frères doivent, en application de l'article 39 du CCAG, mettre en conformité les travaux réalisés avec les règles de l'art et les spécifications du marché ou, à tout le moins, être condamnées à lui verser 168 287,01 euros TTC, représentant le coût des travaux de reprise, et 20 535,32 euros TTC représentant celui de la maitrise d'oeuvre.
Par un mémoire en défense, enregistré le 4 octobre 2019, la société Cheval TP, venant aux droits de la société Cheval frères, représentée par Me B..., conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de la commune de Montmiral une somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- la réception des travaux a été prononcée sans réserve sur le matériau utilisé ;
- du fait de sa présence lors des réunions de chantier, le maître d'ouvrage a renoncé à se prévaloir d'une non-conformité de la variante retenue par rapport au cahier des clauses techniques particulières ;
- faute de désordres actuels et à défaut de certitude de leur apparition à moyen ou à long terme, la demande de mise en conformité et la demande indemnitaire de la commune excèdent son droit à réparation intégrale.
Par un mémoire en défense, enregistré le 15 juin 2020, l'ONF, représenté par la SELARL Duflot et associés, avocats, conclut :
1°) à titre principal au rejet de la requête ;
2°) à titre subsidiaire, en cas de condamnation in solidum prononcée à son encontre, à être entièrement garantie par la société Cheval TP ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Montmiral une somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que :
- la réception des travaux et le décompte général et définitif de la maitrise d'oeuvre ont mis fin à sa responsabilité contractuelle ;
- les conditions pour engager la responsabilité contractuelle ne sont pas réunies ;
- la demande infiniment subsidiaire de la commune, visant à obtenir la condamnation in solidum de l'ONF et de la société Cheval TP au paiement de la somme de 33 275 euros au titre des travaux indûment réglés à la société Cheval TP, est irrecevable car nouvelle en appel.
Par courrier en date du 25 mars 2021, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur le moyen relevé d'office tiré de l'irrecevabilité, compte tenu de leur objet, des conclusions présentées à titre principal par la commune de Montmiral.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code des marchés publics ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme D...,
- les conclusions de M. Savouré, rapporteur public,
- et les observations de Me C..., représentant l'ONF.
Considérant ce qui suit :
1. La commune de Montmiral a confié la maitrise d'oeuvre de son projet de réalisation de trois tronçons de routes forestières à l'ONF et les travaux à la société Cheval Frères, aux droits de laquelle est venue la société Cheval TP. La réception des travaux, assortie de réserves, est intervenue le 29 juin 2015. Après la remise le 22 juin 2017 du rapport définitif de l'expertise ordonnée le 28 novembre 2016 par le président du tribunal administratif de Grenoble, la commune de Montmiral a demandé à ce tribunal, à titre principal, d'ordonner à l'Office national des forêts (ONF) et à la société Cheval frères de mettre en conformité les trois routes forestières avec le marché de travaux dans un délai de six mois ou, à titre subsidiaire, de condamner in solidum l'ONF et la société Cheval frères à lui payer la somme de 188 822,33 euros. Par un jugement du 11 avril 2019 dont la commune de Montmiral relève appel, le tribunal a rejeté à sa demande.
Sur les conclusions présentées à titre principal :
2. Il n'appartient pas au juge administratif d'intervenir dans l'exécution d'un contrat administratif en adressant des injonctions à ceux qui ont contracté avec l'administration lorsque celle-ci dispose à l'égard de ces derniers des pouvoirs nécessaires pour assurer l'exécution du contrat. La commune de Montmiral disposait, en application de l'article 41.6 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux, du pouvoir de faire exécuter aux frais et risques du titulaire, après mise en demeure demeurée infructueuse, les malfaçons ayant fait l'objet de réserves lors de la réception. Par suite, ses conclusions principales sont irrecevables.
Sur les conclusions présentées à titre subsidiaire et à titre infiniment subsidiaire sur le fondement de la responsabilité contractuelle :
En ce qui concerne leur recevabilité :
3. En appel, la commune de Montmiral demande à la cour, à titre subsidiaire, de condamner in solidum l'ONF et la société Cheval frères à lui payer la somme de 188 822,33 euros TTC et, à titre infiniment subsidiaire, de condamner in solidum les mêmes à lui verser la somme de 33 275 euros. Ces dernières conclusions, qui ne font que limiter le montant du préjudice dont elle demande à être indemnisée sur le fondement de la responsabilité contractuelle ne sont pas nouvelles en appel. Par suite, la fin de non-recevoir opposée à ce titre par l'ONF doit être écartée.
En ce qui concerne la responsabilité de la société Cheval TP et de l'ONF :
4. L'ONF a indiqué qu'il a été intégralement réglé de ses prestations réalisées en exécution du marché de maîtrise d'oeuvre passé avec la commune de Montmiral de sorte qu'elles doivent être regardées comme ayant fait l'objet d'un décompte général et définitif. Toutefois, l'Office ne justifie pas avoir été entièrement réglé. Par suite, il n'est pas fondé à soutenir que l'intervention d'un décompte général définitif ferait obstacle à ce que la commune recherche sa responsabilité contractuelle.
5. Le cahier des clauses techniques particulières (CCTP) prévoyait, pour la réalisation des trois routes, outre un terrassement réalisé avec les matériaux issus du chantier, un empierrement composé d'au moins deux couches superposées, l'une, en fond, avec du matériau de diamètre 20/60 mm, l'autre, en surface avec du matériau de diamètre de 0/30 mm à 0/40 mm. Le CCTP précisait que l'épaisseur totale de ces deux couches devrait être de 30 à 50 cm après compactage en fonction des caractéristiques des lieux. Il indiquait que ce matériau serait fourni, transporté et mis en place par l'entrepreneur qui devrait indiquer dans son offre les caractéristiques techniques des matériaux qu'il utilisera. Dans le bordereau des prix unitaires (BPU), ces deux couches sont prévues, celle composée de cailloux de diamètre 20/60 mm de 20 à 40 cm d'épaisseur, recouverte par celle constituée de grave de diamètre 0/30 à 0/40 mm sur 10 cm d'épaisseur. Ce bordereau prévoit, en fonction de chaque route une épaisseur totale qui varie entre 20 et 50 cm en fonction des endroits.
6. Il résulte du constat réalisé à la demande de la commune, maitre d'ouvrage, le 15 juin 2015 et du rapport d'expertise du 22 juin 2017 qu'au lieu de réaliser, au-dessus du terrassement avec les matériaux issus du chantier, deux couches en matériaux fournis par l'entrepreneur conformément aux stipulations contractuelles, ce dernier a réalisé la couche de base, soit celle constituée de cailloux de diamètre 20/60 mm de 20 à 40 cm d'épaisseur, avec des matériaux pris sur place, et l'a recouverte d'une couche de roulement, composée de grave de diamètre de 0/30 mm à 0/40 mm sur une épaisseur d'une vingtaine de centimètres, au lieu de 10 centimètres. Par suite, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, les travaux réalisés par l'entrepreneur n'étaient pas conformes aux stipulations contractuelles.
7. Il résulte du procès-verbal de réception des travaux, qui renvoie aux réserves portées dans le compte rendu de la réunion de chantier n° 5, que ces malfaçons sont au nombre de celles qui, contrairement à ce qu'a indiqué le tribunal, ont fait l'objet de réserves. Si le procès-verbal de réception a indiqué qu'il convenait de rendre les travaux des pistes conformes à ceux fixés dans le cahier des charges, notamment en matière d'épaisseur de grave, le compte rendu de la réunion de chantier n° 5 faisait clairement apparaître que la réserve portait également sur le fait que l'entrepreneur avait réalisé une couche de base en réutilisant des matériaux issus des travaux sans utiliser, comme prévu, ceux définis par les pièces contractuelles.
8. L'article 8 du CCTP relatif à l'organisation du chantier prévoit qu'aucune modification des types de matériaux précisés au BPU et au CCTT ne pourra être décidée par l'adjudicataire sans l'accord préalable du maître d'oeuvre et que le maître d'oeuvre se réserve le droit de modifier la qualité des matériaux sous réserve de convenir au préalable d'un accord d'exécution avec le maître d'ouvrage et le titulaire du marché. S'il apparait que le maître d'oeuvre a donné son accord sur les modifications proposées par l'entrepreneur, aucun accord n'a été recherché puis donné par le maître d'ouvrage sur cette modification. Il n'apparait pas, au vu des compte-rendus de réunions de chantier que ce point aurait été abordé et aurait donné lieu, à cette occasion, à l'accord du maître d'ouvrage. Le simple fait pour le maître d'ouvrage d'avoir participé aux réunions de chantier qui avaient lieu sur place ne permet pas d'établir qu'il avait forcément connaissance cette proposition de variante et qu'il avait, implicitement, accepté cette modification du mode constructif.
9. Dans son rapport, tout en notant qu'aucun désordre n'était apparu à la date de ses opérations sur les ouvrages, l'expert a cependant souligné que cette variante, qui avait permis à la société Cheval frères d'économiser l'achat et le transport de matériaux, n'était pas conforme aux règles de l'art.
10. Par suite, en proposant, pour l'un, et en acceptant, pour l'autre, une solution alternative non conforme aux règles de l'art, et en la mettant en oeuvre sans l'autorisation du maître d'ouvrage, l'entrepreneur et le maître d'oeuvre ont commis des fautes de nature à engager leur responsabilité.
En ce qui concerne l'évaluation du préjudice :
11. La commune demande à être indemnisée d'une somme de 188 822,33 euros TTC représentant le coût des travaux de reprise des ouvrages, maitrise d'oeuvre comprise, afin de rendre les travaux conformes aux stipulations contractuelles et aux règles de l'art.
12. L'expert a noté, dans son rapport, que le dimensionnement des différentes couches des routes, tel que prévu au CCTP, n'était pas non plus conforme aux règles de l'art, que la durée de vie d'une route forestière était de l'ordre de 8 à 10 ans et qu'aucun désordre n'était apparu sur les ouvrages. Dans ces conditions, la commune de Montmiral doit être regardée comme n'ayant pas subi d'autre préjudice que celui d'avoir supporté un surcoût injustifié sur les travaux réalisés. Dans son rapport, l'expert a estimé que la variante mise en oeuvre par la société Cheval TP lui a procuré une économie de 33 275 euros HT à défaut d'avoir justement apprécié les coûts d'achats de matériaux pour facturer l'empierrement à 25 euros par m3. Toutefois, dès lors que la société Cheval TP a facturé l'empierrement à seulement environ 15,30 euros par m3 (7,60 euros par m2 sur une hauteur de 50 centimètres environ), le surcoût supporté par la collectivité doit seulement être évalué à la somme de 13 000 euros HT environ. La commune n'ayant pas été subventionnée de la totalité du montant des travaux, l'ONF n'est pas fondé à soutenir qu'elle n'aurait pas, pour ce motif, subi de préjudice. Par suite, il y a lieu de condamner in solidum l'ONF et la société Cheval TP à l'indemniser à hauteur de 15 600 euros TTC.
En ce qui concerne l'appel en garantie :
13. En égard aux rôles respectifs de la société Cheval TP et de l'ONF dans la survenue du dommage, il y a lieu de condamner la société Cheval TP à garantir l'ONF à hauteur de 50 % de la condamnation prononcée à leur encontre.
Sur les dépens :
14. Aux termes de l'article R. 761-1 du code de justice administrative : " Les dépens comprennent les frais d'expertise, d'enquête et de toute autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'Etat (...). ".
15. Les frais de l'expertise ordonnée par le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble, taxés et liquidés à la somme de 5 725,40 euros, sont mis à la charge définitive de l'ONF et de la société Cheval TP à hauteur de 50 % chacun.
16. Les frais résultant pour l'une des parties de la production d'un constat d'huissier ne sont pas compris dans les dépens. Par suite, les conclusions de la commune de Montmiral tendant au remboursement, sur le fondement de ces dispositions, des frais de constat d'huissier et de sondages de sol qu'elle a engagés de sa propre initiative doivent être rejetées.
Sur les frais du litige :
17. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'ONF et la société Cheval TP la somme de 1 000 euros à verser chacun à la commune de Montmiral au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. En revanche, les mêmes dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la commune de Montmiral, qui n'est pas, dans la présente instance, partie perdante.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1706272 du 11 avril 2019 du tribunal administratif de Grenoble est annulé.
Article 2 : L'ONF et la société Cheval TP sont condamnés à verser in solidum à la commune de Montmiral la somme de 15 600 euros TTC.
Article 3 : L'ONF est garantie par la société Cheval TP à hauteur de 50 % de la condamnation solidaire prononcée à leur encontre.
Article 4 : Les frais d'expertise, taxés et liquidés à la somme de 5 725,40 euros, sont mis à la charge de l'ONF et de la société Cheval TP à hauteur de 50 % chacun.
Article 5 : L'ONF et la société Cheval TP verseront chacun à la commune de Montmiral la somme de 1 000 euros au titre des frais du litige.
Article 6 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Montmiral, à la société Cheval TP et à l'ONF.
Délibéré après l'audience du 6 mai 2021, à laquelle siégeaient :
M. d'Hervé, président,
Mme Michel, président assesseur,
Mme D..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 27 mai 2021.
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N° 19LY01863