Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
Mme B... a demandé au président du tribunal administratif de Dijon :
- d'annuler l'arrêté du 23 novembre 2020 par lequel le préfet du Doubs a prononcé son transfert aux autorités portugaises, ainsi que l'arrêté du même jour l'assignant à résidence pendant 45 jours,
- d'enjoindre au préfet du Doubs, sous astreinte de 150 euros par jour de retard à compter d'un délai de 15 jours suivant la notification du jugement, de lui délivrer une attestation de demande d'asile en procédure normale ou, à défaut, de prendre une nouvelle décision de transfert incluant ses enfants mineurs confiés à l'aide sociale à l'enfance,
- de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Par un jugement n° 2003255 du 1er décembre 2020, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Dijon, après avoir admis Mme B... au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire (article 1er), a annulé les deux arrêtés (article 2), a enjoint au préfet du Doubs de délivrer à Mme B..., dans un délai de quinze jours à compter de la notification du jugement, l'attestation de demande d'asile mentionnée à l'article L. 741-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (article 3), et a mis à la charge de l'Etat le versement à Me A..., conseil de Mme B..., d'une somme de 1 000 euros au titre des frais liés au litige (article 4).
Procédures devant la cour
Par deux requêtes et des mémoires enregistrés le 16 décembre 2020 et le 18 mars 2021, ce dernier n'ayant pas été communiqué, le préfet du Doubs demande à la cour, sous le n° 20LY03721, d'annuler ce jugement et, sous le n° 20LY03722, de surseoir à son exécution.
Il soutient que :
- l'arrêté de transfert n'est pas entaché d'erreur d'appréciation, alors que les juges des enfants, auxquels il n'a pas demandé la mainlevée des mesures de placement, n'ont pas souhaité confier à Mme B... la garde de ses enfants préalablement délaissés, qu'une information judiciaire couverte par le secret est en cours concernant les faits, notamment de délaissement d'enfants, ayant conduit à l'interpellation de l'intéressée, et que les mesures judiciaires prises à l'égard des enfants mineurs laissés seuls sur le territoire français ne sauraient permettre de faire échec à un transfert au Portugal, Etat membre responsable de la demande d'asile, aucun élément ne venant par ailleurs attester de liens effectifs et étroits entre la requérante et ses autres enfants majeurs ;
- en conséquence, l'arrêté d'assignation à résidence est également légal ;
- en vertu de l'article L. 742-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le juge administratif ne peut, lorsqu'il annule une décision de transfert, qu'enjoindre de procéder à un réexamen et non de délivrer une attestation de demande d'asile ;
- ces moyens sont sérieux et de nature à justifier que le sursis à exécution du jugement soit ordonné.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 28 janvier 2021 sous le n° 20LY03721 et le 14 janvier 2021, régularisé le 7 février 2021 par voie dématérialisée, sous le n° 20LY03722, Mme B..., représentée par la Selarl Quentin A..., conclut au rejet des requêtes et demande à la cour de mettre à la charge de l'Etat, dans chacune des affaires, le versement à elle ou à son conseil, d'une somme de 2 500 euros au titre des frais liés au litige.
Elle soutient que :
sous le n° 20LY03721 :
- la décision de transfert méconnaît l'intérêt supérieur de ses enfants mineurs faisant l'objet de mesures d'assistance éducative et confiés à l'aide sociale à l'enfance faute de logement approprié, et porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale, alors qu'elle n'est pas déchue de son autorité parentale, que rien ne démontre qu'elle n'entretiendrait pas des liens soutenus avec ses enfants majeurs également présents en France et qu'elle ne fait à sa connaissance l'objet d'aucune procédure judiciaire ;
- la décision de transfert méconnaît également les articles 3 et 17 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013, dès lors qu'un transfert au Portugal implique de manière certaine un retour en Angola, les autorités portugaises n'accordant jamais l'asile aux ressortissants angolais, et qu'aucune garantie n'a été obtenue au préalable quant à la prise en charge adaptée de l'ensemble de la famille en cas de retour au Portugal ;
- le préfet a méconnu en outre les articles 7, 26 et 29-2 du règlement en ne l'informant pas suffisamment des délais de transfert et en la plaçant dans l'impossibilité d'opérer un transfert volontaire en l'absence de délivrance d'un laissez-passer ;
- la compétence des autorités portugaises pour l'examen de sa demande d'asile n'est pas établie ;
- le préfet s'est estimé en situation de compétence liée pour prescrire son transfert, sans prendre en considération ses observations relatives à ses liens personnels en France justifiant la mise en oeuvre de la clause dérogatoire ;
- l'illégalité de la décision de transfert entraîne l'illégalité de l'assignation à résidence ;
sous le n° 20LY03722 :
- la requête à fin de sursis à exécution est irrecevable en application de l'article R. 811-17-1 du code de justice administrative, faute d'avoir été accompagnée d'une copie de la requête d'appel ;
- elle est également irrecevable en application de l'article R. 811-15 du code de justice administrative, dès lors qu'il n'est pas démontré à la fois que le jugement devrait être annulé et que les conclusions de première instance auraient dû être rejetées ;
- les moyens soulevés par le préfet ne sont pas sérieux, pour les motifs précédemment visés sous le n° 20LY03721 ;
- les autres moyens qu'elle avait soulevés en première instance, et précédemment visés sous le n° 20LY03721, étaient de nature à justifier l'annulation prononcée.
Les parties ont été informées, sous le n° 20LY03722, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de de ce que, du fait du traitement au fond de la requête 20LY03721, les conclusions à fin de sursis à exécution du jugement du 1er décembre 2020 perdront leur objet et qu'il n'y aura plus lieu pour la cour d'y statuer.
Par un mémoire en réponse au moyen d'ordre public enregistré le 26 février 2021, le préfet du Doubs demande à la cour de se prononcer sur le bien-fondé de sa requête à fin de sursis à exécution présentée dans les délais.
Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 24 février 2021.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention relative aux droits de l'enfant signée à New-York le 26 janvier 1990 ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme C..., première conseillère,
- les conclusions de M. Vallecchia, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., ressortissante d'Angola née le 27 décembre 1972, a déclaré être entrée pour la dernière fois en France, où se trouvaient cinq de ses enfants, au cours du mois de février 2020. A l'issue de la procédure de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen de sa demande d'asile enregistrée le 26 mai 2020, le préfet du Doubs a, par deux arrêtés du 23 novembre 2020, ordonné sa remise aux autorités portugaises et son assignation à résidence pour une durée de 45 jours. Le préfet du Doubs, par les deux requêtes susvisées, relève appel et demande le sursis à exécution du jugement du 1er décembre 2020 par lequel la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Dijon a annulé ces deux arrêtés sur le fondement de l'article 3-1 de la convention relative aux droits de l'enfant, lui a enjoint de délivrer à Mme B... une attestation de demande d'asile et a mis à sa charge les frais liés à l'instance.
2. Les requêtes n° 20LY03721 et 20LY03722 sont relatives au même jugement et présentent à juger les mêmes questions, il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.
Sur la requête n° 20LY03721 :
3. En premier lieu, aux termes de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Il résulte de ces stipulations, qui peuvent être utilement invoquées à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir et sont applicables non seulement aux décisions qui ont pour objet de régler la situation personnelle d'enfants mineurs mais aussi à celles qui ont pour effet d'affecter, de manière suffisamment directe et certaine, leur situation, que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale, dans toutes les décisions les concernant, à l'intérêt supérieur des enfants, qui est, en principe, de vivre ou d'entretenir des liens avec les personnes titulaires à leur égard de l'autorité parentale.
4. Il n'est pas contesté que si, à la date de la décision attaquée, trois des cinq enfants de Mme B..., encore mineurs, faisaient l'objet, pour l'une, d'une mesure de tutelle ordonnée par le juge des tutelles des mineurs D... et confié au département du Doubs, et, pour les deux autres, d'un placement auprès de l'aide sociale à l'enfance de Côte d'Or, aucune décision de retrait d'autorité parentale n'a toutefois été prise à l'encontre de l'intimée. Pour répréhensibles que soient les faits, notamment de délaissement de mineurs à deux reprises, en 2019 puis en 2020, susceptibles d'être reprochés à Mme B..., il appartient au juge de l'excès de pouvoir d'apprécier concrètement l'intérêt supérieur des enfants, qui ne peut être exclusivement déterminé par le comportement antérieur des parents à leur égard. Par jugements en assistance éducative d'août et novembre 2020, concernant Pedro et Emilia, nés respectivement les 13 décembre 2006 et 8 juillet 2011, le juge des enfants du tribunal judiciaire de Dijon a, d'une part, ordonné une mesure judiciaire d'investigation éducative, d'autre part reconduit le placement à l'aide sociale à l'enfance jusqu'au 30 novembre 2021 sous forme d'un placement séquentiel suivi d'un placement au domicile de la mère à compter du 28 février 2021, sous réserve d'obtention d'un logement adapté et des conclusions de la mesure d'investigation, et accordé dans l'attente à Mme B... un droit de visite accompagné, avec évolution possible vers un droit de visite semi-accompagné voire des droits de visite et d'hébergement. Il ressort en particulier de ces jugements que les deux enfants, scolarisés depuis septembre 2020, sont bien intégrés dans leurs lieux de placement, qu'ils sont apaisés par les visites de leur mère, et enthousiastes à la perspective d'un rapprochement dans des délais proches, que le travail éducatif effectué sur le lien entre la mère et les enfants et l'ouverture progressive des droits de Mme B... commencent à porter leurs fruits, et ont notamment permis que l'intimée reçoive ses enfants pour quelques nuits pendant les vacances de la Toussaint, après validation le 16 octobre 2020 par le juge des enfants. Dans ces conditions, la circonstance que ce dernier n'ait pas encore rendu à Mme B... la garde de ses enfants ne saurait suffire à considérer que la décision de transfert ne méconnaîtrait pas leur intérêt supérieur, alors qu'elle aura nécessairement pour effet, même en admettant que l'intéressée soit mise en mesure d'engager des démarches depuis le Portugal, de faire durablement obstacle à la poursuite du travail éducatif entrepris, à la stabilisation de la situation des enfants, ainsi qu'à la reconstitution progressive de la cellule familiale recherchée par l'autorité judiciaire. Par suite, le préfet du Doubs n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Dijon a annulé l'arrêté de transfert du 23 novembre 2020, au motif qu'il méconnaissait l'intérêt supérieur des enfants garanti par les stipulations précitées du point 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
5. En second lieu, aux termes de l'article L. 742-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers en France et du droit d'asile : " Si la décision de transfert est annulée, il est immédiatement mis fin aux mesures de surveillance prévues au livre V. L'autorité administrative statue à nouveau sur le cas de l'intéressé ". Ces dispositions n'ont ni pour objet, ni pour effet, de faire obstacle à l'application de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, aux termes duquel : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution ".
6. Eu égard au motif de l'annulation de la décision de transfert de Mme B... vers le Portugal, et en l'absence de demande de substitution de motifs, le préfet du Doubs n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le premier juge lui a enjoint de délivrer à l'intéressée, dans un délai de quinze jours, l'attestation de demande d'asile mentionnée à l'article L. 741-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
7. Il résulte de ce qui précède que le préfet du Doubs n'est pas fondé à demander l'annulation du jugement du 1er décembre 2020 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Dijon.
Sur la requête n° 20LY03722 :
8. Le présent arrêt statuant sur l'appel présenté contre le jugement n° 2003255 du 1er décembre 2020 de la magistrate désignée du tribunal administratif de Dijon, les conclusions de la requête n° 20LY03722 tendant à ce qu'il soit sursis à son exécution sont privées d'objet. Il n'y a pas lieu, par suite, d'y statuer.
Sur les frais liés au litige :
9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, de mettre à la charge de l'Etat le versement au conseil de Mme B... de la somme de 1 200 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens, sous réserve qu'il renonce à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête n° 20LY03721 du préfet du Doubs est rejetée.
Article 2 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 20LY03722 du préfet du Doubs tendant au sursis à exécution du jugement n° 2003255 du 1er décembre 2020 du tribunal administratif de Dijon.
Article 3 : L'Etat versera à la Selarl Quentin A..., avocat de Mme B..., une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve de renonciation à percevoir la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à Mme E... F... B... et à la Selarl Quentin A....
Copie en sera adressée au préfet du Doubs.
Délibéré après l'audience du 25 mars 2021, à laquelle siégeaient :
M. Bourrachot, président de chambre,
Mme Dèche, présidente assesseure,
Mme C..., première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 avril 2021.
2
N°s 20LY03721-20LY03722