Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. A... D... a demandé au tribunal administratif de Clermont-Ferrand d'annuler la décision du préfet du Cantal du 15 mai 2017 portant déchéance de droits et demande de remboursement de l'aide à l'installation de jeunes agriculteurs qu'il a perçue, la décision implicite du ministre de l'agriculture rejetant son recours hiérarchique du 26 juin 2017 et l'ordre de recouvrer du 26 juin 2017 émis à son encontre par l'agence de services et de paiement.
Par un jugement n° 1701955 du 7 novembre 2018, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté cette demande.
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 3 janvier 2019, M. D..., représenté par Me Meral (SELARL Aurijuris), avocat, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Clermont-Ferrand du 7 novembre 2018 ;
2°) d'annuler la décision du préfet du Cantal du 15 mai 2017, ensemble la décision implicite du ministre de l'agriculture rejetant son recours hiérarchique du 26 juin 2017 ;
3°) d'annuler l'ordre de recouvrer du 26 juin 2017 émis à son encontre par l'agence de services et de paiement en vue du paiement de la somme de 30 800 euros ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- les premiers juges ont entaché leur jugement d'erreurs de fait et de droit ;
- la durée de son engagement était de cinq ans, et non de dix ans ;
- les décisions en litige sont intervenues au terme d'un contrôle irrégulier diligenté au-delà du délai de 5 ans prévu par l'article 13 du règlement du 15 décembre 2006, par l'article D. 343-18 du code rural et de la pêche maritime et par la circulaire du 14 février 2013 ;
- le fait générateur de la demande de remboursement était prescrit, que ce soit en application de la prescription quadriennale ou de l'article 3 du règlement du 18 décembre 1995 ;
- la sanction en litige n'est pas justifiée et est disproportionnée, en méconnaissance de l'article 2 du règlement du 18 décembre 1995.
Par un mémoire en défense enregistré le 20 juillet 2020, le ministre de l'agriculture et de l'alimentation conclut au rejet de la requête.
Il expose que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 19 octobre 2020, la clôture de l'instruction a été fixée, en dernier lieu, au 18 décembre 2020.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le règlement (CE, Euratom) n° 2988/95 du conseil du 18 décembre 1995 ;
- le règlement (CE) n° 1698/2005 du conseil du 20 septembre 2005 ;
- le règlement (CE) n° 1974/2006 de la commission du 15 décembre 2006 ;
- le code rural et de la pêche maritime ;
- le code de justice administrative.
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B... C..., première conseillère,
- et les conclusions de M. Samuel Deliancourt, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. Le 1er janvier 2008, M. D... s'est installé comme agriculteur et a bénéficié à ce titre d'une " dotation jeune agriculteur " (DJA) d'un montant de 30 800 euros. A la suite d'un contrôle diligenté le 19 janvier 2017, le préfet du Cantal a, par décision du 15 mai 2017, prononcé la déchéance de ses droits à cette aide et prescrit le remboursement de la somme reçue. Un titre exécutoire a été émis à son encontre par le président directeur général de l'agence de services et de paiement (ASP) le 26 juin 2017. Par courrier du même jour, M. D... a formé un recours hiérarchique, lequel a été implicitement rejeté par le silence conservé à son égard par le ministre en charge de l'agriculture. M. D... a demandé l'annulation de ces trois décisions au tribunal administratif de Clermont-Ferrand, lequel a rejeté ses demandes par un jugement du 7 novembre 2018. M. D... relève appel de ce jugement et doit être regardé comme ayant également entendu sollicité la décharge des sommes dont le paiement lui est réclamé.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article 1er du règlement (CE, Euratom) n° 2988/95 du 18 décembre 1995 relatif à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes : " 1. Aux fins de la protection des intérêts financiers des Communautés européennes, est adoptée une réglementation générale relative à des contrôles homogènes et à des mesures et des sanctions administratives portant sur des irrégularités au regard du droit communautaire. / 2. Est constitutive d'une irrégularité toute violation d'une disposition du droit communautaire résultant d'un acte ou d'une omission d'un opérateur économique qui a ou aurait pour effet de porter préjudice au budget général des Communautés ou à des budgets gérés par celles-ci, soit par la diminution ou la suppression de recettes provenant des ressources propres perçues directement pour le compte des Communautés, soit par une dépense indue ". Aux termes de l'article 3 du même règlement : " 1. Le délai de prescription des poursuites est de quatre ans à partir de la réalisation de l'irrégularité visée à l'article 1er paragraphe 1. Toutefois, les réglementations sectorielles peuvent prévoir un délai inférieur qui ne saurait aller en deçà de trois ans. / Pour les irrégularités continues ou répétées, le délai de prescription court à compter du jour où l'irrégularité a pris fin. Pour les programmes pluriannuels, le délai de prescription s'étend en tout cas jusqu'à la clôture définitive du programme. / La prescription des poursuites est interrompue par tout acte, porté à la connaissance de la personne en cause, émanant de l'autorité compétente et visant à l'instruction ou à la poursuite de l'irrégularité. Le délai de prescription court à nouveau à partir de chaque acte interruptif. / (...) / 3. Les États membres conservent la possibilité d'appliquer un délai plus long que celui prévu respectivement au paragraphe 1 et au paragraphe 2 ".
3. Aux termes de l'article 20 du règlement (CE) n° 1698/2005 du conseil du 20 septembre 2005 concernant le soutien au développement rural par le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) : " L'aide en faveur de la compétitivité des secteurs agricole et forestier concerne : a) des mesures visant à améliorer les connaissances et à renforcer le potentiel humain par : (...) ii) l'installation de jeunes agriculteurs (...) ". Selon l'article 22 de ce même règlement : " 1. L'aide prévue à l'article 20, point a) ii), est accordée aux personnes qui : a) sont âgées de moins de 40 ans et s'installent pour la première fois dans une exploitation agricole comme chef d'exploitation ; b) possèdent les compétences et les qualifications professionnelles suffisantes ; c) présentent un plan de développement pour leurs activités agricoles (...) ". Ces conditions sont notamment précisées à l'article D. 343-5 du code rural et de la pêche maritime.
4. En l'absence d'un texte spécial fixant, dans le respect du principe de proportionnalité, un délai de prescription plus long pour le reversement des aides accordées, dans le cadre du soutien au développement rural apporté par le Feader, qui comporte notamment l'aide aux jeunes agriculteurs, seul le délai de prescription de quatre années prévu au premier alinéa du 1 de l'article 3 du règlement (CE, Euratom) n° 2988/95 du 18 décembre 1995 cité ci-dessus est applicable. Ce délai de prescription de quatre ans commence à courir, en cas d'irrégularité continue ou répétée, à compter du jour où celle-ci a pris fin, quelle que soit la date à laquelle l'administration nationale a pris connaissance de cette irrégularité.
5. Il résulte de l'arrêté du préfet du Cantal du 26 juillet 2007 que le bénéfice de la " dotation jeune agriculteur " accordée à M. D... était conditionné au respect par ce dernier des engagements souscrits à l'occasion de sa demande. Il résulte du formulaire signé à cette fin par M. D... le 2 avril 2007 qu'il s'est ainsi engagé, conformément aux dispositions de l'article D. 343-5 du code rural et de la pêche maritime dans leur rédaction alors applicable, notamment à " exercer une activité professionnelle en qualité de chef d'exploitation agricole pendant une durée minimale de cinq ans à compter de la date de [son] installation " et à " effectuer les travaux de mise en conformité des équipements repris qui sont exigés par la réglementation relative à la protection de l'environnement dans un délai de trois ans à compter de la date d'installation ". La méconnaissance de ces engagements constitue des irrégularités au sens de l'article 1er du règlement du 18 décembre 1995. Le délai de prescription de quatre années mentionné à l'article 3, paragraphe 1, du règlement du 18 décembre 1995 court à compter de la réalisation de chacune de ces irrégularités. S'agissant de l'engagement d'exercer pendant cinq années en qualité de chef d'exploitation agricole, l'irrégularité a été constituée dès que l'activité agricole de M. D... a perdu son caractère principal. Présentant un caractère continu, elle s'est poursuivie jusqu'au terme des cinq années concernées par cet engagement. Cette irrégularité ayant ainsi pris fin au terme de ces cinq années, le délai de prescription des poursuites à son égard a couru dès cette date. Celui-ci était dès lors échu à compter du 1er janvier 2017. S'agissant de l'engagement de mettre aux normes les équipements reçus dans un délai de trois ans, l'irrégularité était constituée, et le délai de prescription a par suite commencé à courir, dès l'échéance de ce délai. Le délai de prescription était ainsi échu dès le 1er janvier 2015. Il est constant que le préfet du Cantal, qui ne peut utilement se prévaloir de la date à laquelle l'administration a pris connaissance de ces irrégularités, n'a porté à la connaissance de M. D... aucun acte susceptible d'interrompre ces délais de prescription avant le contrôle diligenté le 19 janvier 2017 et la mise en demeure consécutive du 8 mars 2017. Il en résulte que M. D... est fondé à soutenir que les poursuites susceptibles d'être engagées en raison des irrégularités sur lesquelles se fondent les décisions et le titre exécutoire en litige étaient prescrites.
6. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. D... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté sa demande.
Sur les frais liés au litige :
7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros à verser à M. D... en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Clermont-Ferrand du 7 novembre 2018 est annulé.
Article 2 : La décision du préfet du Cantal du 15 mai 2017, la décision implicite du ministre de l'agriculture rejetant le recours hiérarchique de M. D... du 26 juin 2017 et l'ordre de recouvrer d'un montant 30 800 euros émis le 26 juin 2017 par le président directeur général de l'agence de services et de paiement sont annulés.
Article 3 : M. D... est déchargé de l'obligation de payer la somme de 30 800 euros mise à sa charge par l'ordre de recouvrer émis le 26 juin 2017 par l'agence de services et de paiement.
Article 4 : L'Etat versera à M. D... une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... D..., à l'agence de services et de paiement et au ministre de l'agriculture et de l'alimentation.
Délibéré après l'audience du 2 mars 2021, à laquelle siégeaient :
M. Gilles Fédi, président-assesseur, assurant la présidence de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
M. Pierre Thierry, premier conseiller,
Mme B... C..., première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 mars 2021.
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N° 19LY00012