Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
Mme D... B... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du 18 février 2020 par lequel le préfet de la Haute-Savoie a rejeté sa demande d'admission au séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination.
Par un jugement n° 2002012 du 4 juin 2020, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 9 juillet 2020, et un mémoire complémentaire enregistré le 1er février 2021, qui n'a pas été communiqué, Mme D... B..., représentée par Me F..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 4 juin 2020 ;
2°) d'annuler cet arrêté du 18 février 2020 ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Haute-Savoie de lui délivrer un titre de séjour ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa demande dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt, après lui avoir délivré sans délai une autorisation provisoire de séjour ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros à verser à son conseil au titre des dispositions combinées de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement est irrégulier, les premiers juges ne s'étant pas assurés de l'existence de la décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, et n'ayant pas pris en compte l'existence d'une procédure devant la Cour nationale du droit d'asile ;
- le préfet ne pouvait prendre l'arrêté en litige, avant que la Cour nationale du droit d'asile ne statue sur son recours contre la décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ;
- l'arrêté a été pris par une personne incompétente ;
- la décision de refus de séjour est insuffisamment motivée ;
- la décision de refus de séjour méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision fixant le pays de destination méconnaît l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
La requête a été communiquée au préfet de la Haute-Savoie, qui n'a pas produit de mémoire en défense.
Par courrier du 27 janvier 2021, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce qu'était susceptible d'être soulevé d'office le moyen tiré de l'irrecevabilité des moyens de légalité externe, qui relèvent d'une cause juridique distincte des moyens soulevés en première instance.
Mme B... a présenté ses observations en réponse au moyen, par un mémoire enregistré le 1er février 2021.
Par décision du bureau d'aide juridictionnelle en date du 7 octobre 2020, Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
La présidente de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Besse, président-assesseur ;
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., ressortissante kosovare, née en 1978, est entrée en France pour la dernière fois en juillet 2015. Elle a fait une demande d'asile, qui a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, le 18 décembre 2015, décision confirmée par la Cour nationale du droit d'asile le 22 décembre 2016. Par arrêté du 10 février 2017, le préfet du Haut-Rhin a refusé de lui délivrer un titre de séjour et assorti ce refus d'une obligation de quitter le territoire français. Après que l'intéressé a déposé une nouvelle demande de titre de séjour, le préfet du Haut-Rhin l'a assignée à résidence en vue d'une mesure d'éloignement par arrêté du 18 octobre 2017. Mme B..., qui est demeurée en France, a déposé le 21 novembre 2019 une demande de réexamen de sa demande d'asile. Le 16 décembre 2019, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides a rejeté cette demande comme irrecevable. Par arrêté du 18 février 2020, le préfet de la Haute Savoie a rejeté sa demande d'admission au séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination. Mme B... relève appel du jugement du 4 juin 2020 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la régularité du jugement :
2. Mme B... n'ayant pas contesté en première instance la possibilité pour le préfet de la Haute-Savoie de l'obliger à quitter le territoire français avant qu'il ait été statué définitivement sur le réexamen de sa demande d'asile, et la requérante ayant au demeurant elle-même produit la décision par laquelle l'Office français de protection des réfugiés et apatrides avait rejeté cette demande de réexamen, le magistrat désigné n'a pas méconnu son office en statuant sans avoir demandé communication de cette décision ni pris en compte l'existence d'une procédure devant la Cour nationale du droit d'asile. Par suite, le moyen tiré de l'irrégularité du jugement attaqué doit être écarté.
Sur le refus de séjour :
3. En premier lieu, Mme B... n'a invoqué en première instance que des moyens de légalité interne. Si elle soutient devant la cour que l'arrêté du 18 février 2020 a été pris par une autorité incompétente et est insuffisamment motivé, ces moyens, fondés sur une cause juridique distincte, constituent une demande nouvelle irrecevable en appel.
4. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 743-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Le demandeur d'asile dont l'examen de la demande relève de la compétence de la France et qui a introduit sa demande auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides bénéficie du droit de se maintenir sur le territoire français jusqu'à la notification de la décision de l'office ou, si un recours a été formé, dans le délai prévu à l'article L. 731-2 contre une décision de rejet de l'office, soit jusqu'à la date de la lecture en audience publique de la décision de la Cour nationale du droit d'asile, soit, s'il est statué par ordonnance, jusqu'à la date de la notification de celle-ci. L'attestation délivrée en application de l'article L. 741-1, dès lors que la demande d'asile a été introduite auprès de l'office, vaut autorisation provisoire de séjour et est renouvelable jusqu'à ce que l'office et, le cas échéant, la cour statuent. ". Aux termes de l'article L. 743-2 du même code : " Par dérogation à l'article L. 743-1, sous réserve du respect des stipulations de l'article 33 de la convention relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951, et de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, adoptée à Rome le 4 novembre 1950, le droit de se maintenir sur le territoire français prend fin et l'attestation de demande d'asile peut être refusée, retirée ou son renouvellement refusé lorsque : (...) 7° L'office a pris une décision de rejet dans les cas prévus au I et au 5° du III de l'article L. 723-2 ; (...) " L'article L. 723-2 de ce code prévoit : " I. - L'office statue en procédure accélérée lorsque : 1° Le demandeur provient d'un pays considéré comme un pays d'origine sûr en application de l'article L. 722-1 ; 2° Le demandeur a présenté une demande de réexamen qui n'est pas irrecevable. (...) ". Enfin, la décision du 9 octobre 2015 fixant la liste des pays d'origine sûrs mentionne en son article 1er le Kosovo.
5. La demande de réexamen de demande d'asile de Mme B... ayant fait l'objet de la procédure accélérée et ayant été rejetée par décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 16 décembre 2019, notifiée le 26 décembre 2019, son droit de se maintenir en France avait expiré. Dès lors, et alors même que l'intéressée avait présenté un recours devant la Cour nationale du droit d'asile, le préfet de la Haute-Savoie pouvait légalement abroger l'attestation de demande d'asile de Mme B... et l'obliger à quitter le territoire français.
6. En troisième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
7. Il ressort des pièces du dossier que Mme B... résidait en France depuis moins de cinq années, à la date de la décision en litige, et qu'elle s'y maintenait en dépit d'une mesure d'éloignement. Si elle présente un état de stress post-traumatique, il ne ressort pas des pièces du dossier que, contrairement à ce qu'avait estimé le médecin de l'agence régionale de santé, saisi dans le cadre d'une précédente demande de titre de séjour, elle ne pourrait avoir accès à un traitement approprié au Kosovo. Par ailleurs, l'intéressée a passé l'essentiel de sa vie au Kosovo, malgré plusieurs séjours en France, et n'établit pas qu'elle ne pourrait y mener une vie privée en raison des risques qu'elle y encourrait. Dans ces conditions, et alors même que la requérante fait état d'une activité associative en France, la décision de refus de séjour ne porte pas à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise et ne méconnaît pas les stipulations citées au point précédent de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Sur la décision fixant le pays de destination :
8. Aux termes de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui fait l'objet d'une mesure d'éloignement est éloigné : / 1° A destination du pays dont il a la nationalité, sauf si l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ou la Cour nationale du droit d'asile lui a reconnu le statut de réfugié ou lui a accordé le bénéfice de la protection subsidiaire ou s'il n'a pas encore été statué sur sa demande d'asile ; / 2° Ou à destination du pays qui lui a délivré un document de voyage en cours de validité ; / 3° Ou à destination d'un autre pays dans lequel il est légalement admissible. / Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne d sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ". Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".
9. Mme B... soutient avoir été menacée au Kosovo par ses frères qui se sont opposés à son mariage avec son époux, dont elle indique par ailleurs être sans nouvelles. Toutefois, l'intéressée, dont les demandes d'asile ont toutes été rejetées, y compris sa demande de réexamen par décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 16 décembre 2019, confirmée par ordonnance du 2 juin 2020 de la Cour nationale du droit d'asile, ne produit à l'appui de ses allégations aucun élément de nature à établir l'existence de risques réels et sérieux de traitements contraires aux stipulations de l'article 3 précité auxquels elle prétend être exposée en cas de retour au Kosovo. Par suite, la décision fixant le pays de destination ne méconnaît pas les dispositions et stipulations citées au point précédent.
10. Il résulte de ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande. Ses conclusions aux fins d'injonction et celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées par voie de conséquence.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... C... épouse B... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Savoie.
Délibéré après l'audience du 22 février 2021 à laquelle siégeaient :
Mme E... A..., présidente de chambre,
M. Thierry Besse, président-assesseur,
Mme H... G..., première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 mars 2021.
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N° 20LY01792