Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. J... C... et autres ont demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 3 octobre 2018 par lequel le maire d'Yvoire a délivré un permis de construire à la SARL Le Rossy, ainsi que la décision du 31 janvier 2019 rejetant leur recours gracieux.
Par un jugement n° 1902088 du 22 avril 2020, le tribunal administratif de Grenoble a fait droit à cette demande.
Procédure devant la cour
I - Par une requête, enregistrée le 18 juin 2020 sous le n° 20LY01619, et un mémoire en réplique, enregistré le 4 janvier 2021, qui n'a pas été communiqué, la commune d'Yvoire, représentée par la SELARL Cabinet d'avocats Philippe Petit et Associés, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 22 avril 2020 ;
2°) de mettre solidairement à la charge des demandeurs de première instance une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les écritures de M. C... produites sans le ministère d'avocat comme pièce à l'appui du mémoire en défense doivent être écartées des débats ;
- les premiers juges ont méconnu leur office et insuffisamment motivé le jugement attaqué en méconnaissance de l'article L. 9 du code de justice administrative en s'abstenant de qualifier l'intérêt des lieux avoisinants pour apprécier l'atteinte auquel le projet lui porterait ;
- c'est à tort que les premiers juges ont retenu le moyen tiré de la méconnaissance de l'article UC 11.2 du règlement du plan local d'urbanisme (PLU) en se fondant sur la seule volumétrie du projet sans en évaluer, au regard de la règle générale posée à l'article 11.0, l'impact sur les lieux avoisinants ; le secteur ne comporte aucune homogénéité architecturale ; les constructions avoisinantes ne présentent aucun caractère typique ou remarquable ; elles présentent une hauteur sensiblement équivalente ; l'emprise au sol du projet n'est pas révélatrice puisque le projet se présente comme un ensemble de six constructions distinctes ; de nombreuses dispositions ont été prises pour assurer son insertion paysagère et l'architecte des bâtiments de France a d'ailleurs émis un avis favorable ;
- les conclusions d'appel incident sont doublement irrecevables en ce qu'elles n'ont pas pour objet de critiquer le dispositif du jugement et faute d'avoir été notifiées en application de l'article R. 600-1 du code de l'urbanisme.
Par un mémoire en défense, enregistré le 27 novembre 2020, M. C... et autres, représentés par Me E..., concluent au rejet de la requête, et par la voie de l'appel incident, à l'annulation de ce jugement, à l'annulation du permis de construire du 3 octobre 2018 ainsi que de la décision de rejet de leur recours gracieux et demandent qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge de la commune d'Yvoire et de la SARL Le Rossy en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- le jugement est régulier ;
- l'article UC 11 du règlement du PLU est méconnu comme l'ont retenu les premiers juges ;
- le projet méconnaît l'article UC 3.1 du règlement du PLU en l'absence d'aire de retournement, ce qui pose une difficulté pour l'accès des véhicules de secours, des camions de collecte des ordures ménagères et des véhicules de déneigement ;
- le projet méconnaît l'article UC 7 du règlement du PLU, dès lors que les terrasses de certains bâtiments projetés sont situées à moins de 4 mètres des limites séparatives ; cet article est illégal du fait de l'imprécision de sa rédaction ; un recul de 4 mètres est inadapté au projet querellé ;
- le projet méconnaît l'article UC 10 du règlement du PLU ; les combles doivent être requalifiés en étage supplémentaire au regard notamment de la hauteur des plafonds et des très nombreuses ouvertures ;
- le projet méconnaît l'article UC 11.4 du règlement du PLU dès lors que l'orientation Est-Ouest de la majorité des faîtages environnants n'est pas respectée, particulièrement pour les bâtiments B et F ;
- le PLU méconnaît l'article L. 151-43 du code de l'urbanisme en l'absence d'indication en annexe de la canalisation d'évacuation des eaux usées, qui constitue une servitude et le permis de construire de la SARL Le Rossy délivré sur ce fondement est illégal.
II - Par une requête, enregistrée le 5 août 2020 sous le n° 20LY02202, et un mémoire en réplique, enregistré le 6 janvier 2021, qui n'a pas été communiqué, la SARL Le Rossy, représentée par la SELAS Cabinet LEGA-CITE, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 22 avril 2020 ;
2°) de mettre à la charge de chacun des demandeurs de première instance une somme de 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les premiers juges ont commis une erreur de droit en appréciant le projet au regard des seules dispositions relatives à la volumétrie des constructions, sans rechercher si ledit projet portait atteinte à la qualité des lieux environnants, alors qu'il convient de faire une lecture globale de l'article UC 11.2 du règlement du PLU ;
- c'est à tort que les premiers juges ont retenu le moyen tiré de la méconnaissance de l'article UC 11.2 du règlement du PLU ; le secteur est dépourvu d'intérêt particulier et les constructions caractérisées par leur hétérogénéité en terme de destination, de gabarit et de style architectural ; le projet n'est pas plus volumineux que les immeubles collectifs existants au sud ; il est conforme à la vocation de la zone UC ;
- les conclusions d'appel incident sont irrecevables en ce qu'elles n'ont pas pour objet de critiquer le dispositif du jugement.
Par un mémoire en défense, enregistré le 27 novembre 2020, M. C... et autres, représentés par Me E..., concluent au rejet de la requête, par la voie de l'appel incident, à l'annulation de ce jugement, à l'annulation du permis de construire du 3 octobre 2018 ainsi que de la décision de rejet de leur recours gracieux et demandent qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge de la commune d'Yvoire et de la SARL Le Rossy en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils font valoir les mêmes moyens que ceux énoncés dans l'instance n° 20LY01619.
Par lettre du 8 décembre 2020, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que la cour est susceptible de relever d'office l'irrecevabilité des conclusions d'appel incident des intimés tendant à l'annulation du jugement leur ayant donné satisfaction.
M. C... et autres ont présenté, dans chacune des deux instances, un mémoire, enregistré le 15 décembre 2020, en réponse à ce moyen d'ordre public, et qui n'a pas été communiqué.
Ils font valoir que la jurisprudence de la cour opposant dans un tel cas l'irrecevabilité de l'appel incident est attentatoire au droit au recours effectif et au principe du double degré de juridiction.
La clôture de l'instruction a été fixée pour les deux instances au 7 janvier 2021 par des ordonnances du 8 décembre 2020.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme I... H..., première conseillère ;
- les conclusions de M. Jean-Simon Laval, rapporteur public ;
- les observations de Me F..., substituant Me B..., pour la commune d'Yvoire, celles de Me G... pour la SARL Le Rossy, ainsi que celles de Me E... pour M. C... et autres ;
Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêté du 3 octobre 2018, le maire d'Yvoire a accordé à la société Le Rossy un permis de construire six bâtiments comprenant 48 logements d'une surface de plancher de 3405 m² sur un terrain situé au lieu-dit " Le Rosset ". Par un jugement du 22 avril 2020, le tribunal administratif de Grenoble, sur demande de M. C... et autres, a annulé ce permis de construire. La commune d'Yvoire et la SARL Le Rossy relèvent appel de ce jugement. M. C... et autres demandent également l'annulation de ce jugement, par la voie de l'appel incident.
2. Les deux requêtes susvisées sont dirigées contre le même jugement. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.
Sur les conclusions d'appel incident de M. C... et autres :
3. Par le jugement attaqué du 22 avril 2020, le tribunal administratif de Grenoble a annulé le permis de construire délivré à la société Le Rossy le 3 octobre 2018 et la décision rejetant le recours gracieux formé contre ce permis. Ce faisant, le tribunal a fait droit aux conclusions de la demande de M. C... et autres, qui n'ont pas hiérarchisé leurs prétentions. Par suite, et quels que soient les motifs sur lesquels les premiers juges se sont fondés pour prononcer cette annulation, les conclusions d'appel incident de M. C... et autres, irrecevables, ne peuvent qu'être rejetées.
Sur le bien-fondé du motif d'annulation retenu par le jugement attaqué :
4. Aux termes de l'article UC 11 du règlement du PLU, reproduisant l'article R. 111-27 du code de l'urbanisme : " Le permis de construire peut être refusé ou n'être accordé que sous réserve de l'observation de prescriptions spéciales si les constructions, par leur situation, leur architecture, leurs dimensions ou l'aspect extérieur des bâtiments ou ouvrages à édifier ou à modifier, sont de nature à porter atteinte au caractère ou à l'intérêt des lieux avoisinants, aux sites, aux paysages naturels ou urbains ainsi qu'à la conservation des perspectives monumentales ". Par ailleurs, selon le paragraphe 11.2 de cet article : " Les constructions doivent présenter une simplicité de volume. Leurs gabarits doivent être adaptés à l'échelle générale des constructions avoisinantes ".
5. Pour annuler le permis de construire en litige, les premiers juges ont retenu que le gabarit des bâtiments A, B et C du projet n'apparaît pas adapté à l'échelle moyenne des constructions du quartier en méconnaissance de l'article UC 11.2 du règlement du PLU.
6. Il ressort des pièces du dossier que le projet de construction doit s'implanter sur un terrain situé chemin de la Ruaz. L'environnement du projet, hétérogène, comporte majoritairement des pavillons d'un à deux étages plus combles, mais également des petits collectifs et des caravanes et constructions précaires. Le projet en litige porte sur la construction de 48 logements répartis en 6 bâtiments indépendants, répondant aux exigences de simplicité de volume des constructions énoncées par les dispositions citées au point 4. Ces bâtiments en R+1+combles s'intègrent sans rupture d'échelle dans leur environnement immédiat, quand bien même ils ont une hauteur supérieure. L'architecte des bâtiments de France a d'ailleurs rendu un avis favorable au projet. Dans ces conditions, l'autorité administrative n'a pas, en délivrant le permis de construire en litige, fait une inexacte application des dispositions de l'article UC 11 du règlement du PLU, y compris son paragraphe 11.2. Par suite, la commune et la SARL Le Rossy sont fondées à soutenir que c'est à tort que les premiers juges se sont fondés sur ce motif pour annuler le permis de construire du 3 octobre 2018.
7. Il appartient à la cour, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par les intimés en première instance et en appel.
Sur les autres moyens :
8. En premier lieu, aux termes des dispositions liminaires du règlement du PLU, la zone UC où doit s'implanter le projet est définie comme une zone d'habitat résidentiel de faible densité. Ces dispositions doivent s'interpréter en tenant compte des autres dispositions du règlement du PLU, lequel n'interdit pas l'habitat collectif. Compte tenu de ce qui a été dit au point 6, le moyen selon lequel le projet méconnaît la destination de la zone UC, combinée avec la méconnaissance de l'article 11.2 doit être écarté.
9. En deuxième lieu, aux termes de l'article 3.1 du règlement du PLU de la commune, applicable à la zone UC : " Les terrains d'assiette des constructions et installations doivent être desservis par des voies dont les caractéristiques répondent aux besoins de l'opération, notamment en ce qui concerne la circulation des engins de lutte contre l'incendie, de ramassage des ordures ménagères et de déneigement. En tout état de cause, la plateforme des voies nouvelles ne sera pas inférieure à 5 m de largeur et les voies en impasse seront aménagées pour permettre à leurs usagers de faire aisément demi-tour (...) ".
10. Il ressort de ces dispositions que les règles relatives à l'exigence d'une aire de retournement pour les voies se terminant en impasse ne sont relatives qu'à l'aménagement des voies nouvelles. Par suite, M. C... et autres ne peuvent utilement faire valoir que le projet, qui est directement desservi par le chemin de la Ruaz, ne comprend pas d'aire de retournement. Il ne ressort pas des pièces du dossier que ce chemin, qui dessert déjà plusieurs constructions, qui est rectiligne et d'une largeur suffisante, ne permettrait pas l'intervention des véhicules de lutte contre l'incendie, de ramassage des ordures ménagères et de déneigement. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions citées au point précédent doit être écarté.
11. En troisième lieu, aux termes de l'article UC 7 du règlement du PLU de la commune : " Les débords de toiture jusqu'à 1,20 m, ne sont pas pris en compte pour l'application du présent article. Les constructions doivent respecter un recul minimum de 4 m par rapport aux limites des propriétés voisines ".
12. D'une part, un requérant ne saurait utilement soutenir qu'un permis de construire a été délivré sous l'empire d'un document d'urbanisme illégal sans faire valoir que ce permis méconnaît les dispositions d'urbanisme pertinentes que l'illégalité qu'il allègue aurait pour effet de remettre en vigueur. Les intimés se sont bornés à critiquer la légalité de l'article UC 7 du règlement du PLU sans faire valoir que les dispositions du document d'urbanisme remis en vigueur font obstacle à la délivrance du permis en litige. Ce moyen ne peut, dès lors, qu'être écarté comme inopérant.
13. D'autre part, les dispositions de l'article UC 7 du règlement du PLU, dont l'objet est lié à des préoccupations d'hygiène, d'urbanisme et de protection du voisinage, ne s'appliquent pas aux terrasses de plain-pied que prévoit le projet.
14. En quatrième lieu, si les intimés ont soutenu devant le tribunal que les combles doivent être requalifiés en étage supplémentaire au regard notamment de la hauteur des plafonds et des très nombreuses ouvertures, un tel moyen ne peut qu'être écarté comme inopérant dès lors que l'article UC 10 du règlement du PLU ne règlemente pas le nombre de niveaux de construction. Le projet respecte en outre, les dispositions de cet article qui prévoient que " la hauteur des constructions ne doit pas dépasser 6,50 m à la sablière ".
15. En cinquième lieu, aux termes de l'article 11.4 du règlement du PLU de la commune : " L'orientation du faîtage principal des constructions est celle de la majorité des faîtages environnants et de préférence parallèles aux courbes de niveau ".
16. L'orientation préférentielle des faîtages parallèle aux courbes de niveau ne présente pas de caractère impératif. Par ailleurs, compte tenu de l'hétérogénéité de l'orientation des faîtages du bâti existant, celle choisie pour les bâtiments projetés, selon un axe Nord/Sud ou Est/Ouest, ne peut être regardée comme méconnaissant les dispositions citées au point précédent.
17. En dernier lieu, l'omission de la mention au PLU d'une servitude résultant de la présence d'une canalisation d'évacuation des eaux usées sur le terrain d'assiette du projet est, en tout état de cause, insusceptible de faire obstacle à la délivrance du permis de construire. Le moyen selon lequel le PLU méconnaît l'article L. 151-43 du code de l'urbanisme doit ainsi être écarté comme inopérant.
18. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner la régularité du jugement attaqué et la recevabilité de la demande de M. C... et autres devant le tribunal administratif de Grenoble, la commune d'Yvoire et la SARL Le Rossy sont fondées à soutenir que c'est à tort que, par ce jugement, le tribunal a annulé l'arrêté de permis de construire du 3 octobre 2018.
Sur les frais liés aux litiges :
19. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la somme que M. C... et autres demandent au titre des frais qu'ils ont exposés soit mise à la charge de la commune d'Yvoire ou de la SARL Le Rossy. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions des requérantes présentées au même titre.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 22 avril 2020 est annulé.
Article 2 : La demande de M. C... et autres devant le tribunal administratif de Grenoble et leurs conclusions en appel au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Les conclusions de la commune d'Yvoire et de la SARL Le Rossy au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la commune d'Yvoire, à la SARL Le Rossy et à M. J... C... pour l'ensemble des défendeurs.
Délibéré après l'audience du 22 février 2021 à laquelle siégeaient :
Mme D... A..., présidente de chambre,
M. Thierry Besse, président-assesseur,
Mme I... H..., première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 mars 2021.
2
N° 20LY01619 - 20LY02202