Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
Mme C... A... E... a demandé au tribunal administratif de Dijon d'annuler l'état exécutoire d'un montant de 50 499,83 euros émis à son encontre le 31 décembre 2017, l'état exécutoire d'un montant de 9 414,58 euros émis à son encontre le 16 mars 2018, la mise en demeure de payer en date du 29 mars 2018, l'acte de saisie de ses meubles émis le 1er juin 2018, et de prononcer la décharge de l'obligation de payer ces sommes.
Par un jugement n° 1801623 du 26 mars 2019, le tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 3 juin 2019, et un mémoire ampliatif enregistré le 5 août 2019, Mme A... E..., représentée par la SELARLU Legipublic Avocats, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 26 mars 2019 ;
2°) d'annuler ces titres exécutoires émis les 31 décembre 2017 et 16 mars 2018 ainsi que la mise en demeure en date du 29 mars 2018 et, en conséquence, l'acte de saisie des meubles ;
3°) de prononcer la décharge de l'obligation de payer les sommes de 9 414,58 et 50 499,83 euros ;
4°) à titre subsidiaire d'ordonner, avant-dire droit, une expertise tendant à déterminer si les travaux mis à sa charge par les arrêtés de péril ont été effectués, s'ils étaient conformes à ces arrêtés et si leur montant était conforme aux prix du marché ;
5°) de mettre à la charge de la commune de Joigny la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement n'a pas répondu au moyen selon lequel les factures émises ne correspondent pas à des travaux effectivement réalisés et est insuffisamment motivé ;
- les titres exécutoires mentionnent de façon insuffisamment précise les bases de liquidation et sont insuffisamment motivés, alors que le premier titre exécutoire, ainsi que les pièces qui y auraient été jointes, ne lui a jamais été notifié ;
- les travaux mis à sa charge soit n'ont pas été exécutés, soit ne correspondent pas aux prescriptions du rapport d'expertise ;
- les travaux entrepris ne sont pas conformes aux règles de l'art et sont inachevés.
Par un mémoire enregistré le 5 décembre 2019, la commune de Joigny, représentée par la SCP Seban et Associés, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 500 euros soit mise à la charge de la requérante au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient qu'aucun des moyens de la requête d'appel n'est fondé.
La clôture de l'instruction a été fixée au 14 décembre 2020, par une ordonnance en date du 12 novembre 2020.
Par courrier en date du 27 janvier 2021, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que la cour était susceptible de soulever d'office le moyen tiré de l'incompétence de la juridiction administrative pour connaître de la contestation de l'acte de saisie des meubles, qui constitue un acte de poursuite.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la construction et de l'habitation ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le livre des procédures fiscales ;
- le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Besse, président-assesseur ;
- les conclusions de M. Jean-Simon Laval, rapporteur public,
- les observations de Me F..., substituant Me B..., pour la commune de Joigny ;
Considérant ce qui suit :
1. Le 23 juin 2016, un agent de la commune de Joigny a constaté un effondrement des planchers de l'immeuble situé 8, rue Jean Chéreau, qui avait fait l'objet en 2011 d'un arrêté de péril ordinaire sans que des travaux aient été exécutés par la suite, et estimé que cet effondrement était susceptible d'affaiblir la structure du bâtiment. Par arrêtés des 1er et 8 juillet 2016, le maire de Joigny, constatant l'état de péril imminent de l'immeuble et les dangers en résultant pour la stabilité de l'immeuble voisin, a mis en demeure les propriétaires de l'immeuble de réaliser les travaux jugés nécessaires pour la consolidation de l'immeuble avant le 30 septembre 2016, sous peine d'exécution d'office par la commune. La commune ayant fait exécuter d'office les travaux, elle a adressé à Mme A... E..., devenue propriétaire de l'immeuble par succession, un titre exécutoire d'un montant de 50 499,83 euros émis à son encontre le 31 décembre 2017, et un titre exécutoire d'un montant de 9 414,58 euros émis le 16 mars 2018. Mme A... E... a demandé au tribunal administratif de Dijon d'annuler ces deux titres exécutoires, ainsi que la mise en demeure de payer en date du 29 mars 2018, et l'acte de saisie de ses meubles émis le 1er juin 2018, et de la décharger de l'obligation de payer les sommes de 50 499,83 et 9 414,58 euros. Elle relève appel du jugement du 26 mars 2019 par lequel le tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande.
Sur la compétence de la juridiction administrative :
2. L'article L. 16175 du code général des collectivités territoriales dispose : " (...) 2° La contestation qui porte sur la régularité d'un acte de poursuite est présentée selon les modalités prévues à l'article L. 281 du livre des procédures fiscales (...) ". L'article L. 281 du livre de procédures fiscales, auquel il est ainsi renvoyé, dispose : " Les contestations relatives au recouvrement des impôts, taxes, redevances, amendes, condamnations pécuniaires et sommes quelconques dont la perception incombe aux comptables publics doivent être adressées à l'administration dont dépend le comptable qui exerce les poursuites. / (...) Les contestations relatives au recouvrement ne peuvent pas remettre en cause le bien-fondé de la créance. Elles peuvent porter : / 1° Sur la régularité en la forme de l'acte ; / 2° A l'exclusion des amendes et condamnations pécuniaires, sur l'obligation au paiement, sur le montant de la dette compte tenu des paiements effectués et sur l'exigibilité de la somme réclamée. / Les recours contre les décisions prises par l'administration sur ces contestations sont portés dans le cas prévu au 1° devant le juge de l'exécution. Dans les cas prévus au 2°, ils sont portés : / (...) c) Pour les créances non fiscales des collectivités territoriales, des établissements publics locaux et des établissements publics de santé, devant le juge de l'exécution. "
3. Il résulte des termes mêmes des dispositions de l'article L. 281 du livre des procédures fiscales que la contestation par le débiteur d'un acte de poursuite délivré en vue du recouvrement d'une créance non fiscale d'une collectivité territoriale ou d'un établissement public local, lorsque cette contestation porte sur la régularité en la forme de l'acte ou bien sur l'obligation au paiement, le montant de la dette compte tenu des paiements effectués ou l'exigibilité de la somme réclamée, relève de la compétence du juge de l'exécution.
4. Mme A... E... demande l'annulation de la mise en demeure de payer qui lui a été adressée le 29 mars 2018 et de l'acte de saisie de ses meubles émis le 1er juin 2018 à son encontre pour le recouvrement de créances liées aux travaux exécutés d'office sur l'immeuble lui appartenant. De telles conclusions se rapportent à la contestation d'un acte de poursuite délivré en vue du recouvrement d'une créance non fiscale d'une collectivité territoriale, dont il n'appartient pas à la juridiction administrative de connaître. Elles doivent, par suite, être rejetées comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître.
Sur la régularité du jugement :
5. Les premiers juges, qui n'étaient pas tenus de répondre à tous les arguments avancés par Mme A... E..., ont mentionné les travaux dont les arrêtés de péril imminent ordonnaient la réalisation, décrit l'état des travaux tel que constaté par constat d'huissier établi à la demande de la requérante, et considéré que la requérante n'établissait pas que le montant des travaux exécutés d'office et mis à sa charge ne correspondaient pas à des travaux effectivement réalisés. Ils ont ainsi répondu au moyen selon lequel les factures émises ne correspondent pas à des travaux réalisés, qui n'était au demeurant assorti d'aucune précision, et suffisamment motivé leur jugement. Par suite, le moyen tiré de l'irrégularité du jugement doit être écarté.
Sur les conclusions à fins d'annulation et de décharge :
6. L'annulation d'un titre exécutoire pour un motif de régularité en la forme n'implique pas nécessairement, compte tenu de la possibilité d'une régularisation par l'administration, l'extinction de la créance litigieuse, à la différence d'une annulation prononcée pour un motif mettant en cause le bien-fondé du titre. Il en résulte que, lorsque le requérant choisit de présenter, outre des conclusions tendant à l'annulation d'un titre exécutoire, des conclusions à fin de décharge de la somme correspondant à la créance de l'administration, il incombe au juge administratif d'examiner prioritairement les moyens mettant en cause le bien-fondé du titre qui seraient de nature, étant fondés, à justifier le prononcé de la décharge.
En ce qui concerne le bien-fondé de la créance :
7. Aux termes de l'article L. 511-3 du code de la construction et de l'habitation, dans sa rédaction alors applicable : " En cas de péril imminent, le maire, après avertissement adressé au propriétaire, demande à la juridiction administrative compétente la nomination d'un expert qui, dans les vingt-quatre heures qui suivent sa nomination, examine les bâtiments, dresse constat de l'état des bâtiments mitoyens et propose des mesures de nature à mettre fin à l'imminence du péril s'il la constate. / Si le rapport de l'expert conclut à l'existence d'un péril grave et imminent, le maire ordonne les mesures provisoires nécessaires pour garantir la sécurité, notamment, l'évacuation de l'immeuble. / Dans le cas où ces mesures n'auraient pas été exécutées dans le délai imparti, le maire les fait exécuter d'office. En ce cas, le maire agit en lieu et place des propriétaires, pour leur compte et à leurs frais (...) ". Aux termes de l'article L. 511-4 de ce code dans sa rédaction alors applicable : " Les frais de toute nature, avancés par la commune lorsqu'elle s'est substituée aux propriétaires ou copropriétaires défaillants, en application des dispositions des articles L. 511-2 et L. 511-3, sont recouvrés comme en matière de contributions directes. Si l'immeuble relève du statut de la copropriété, le titre de recouvrement est adressé à chaque copropriétaire pour la fraction de créance dont il est redevable (...) ". L'article R. 511-5 du code dispose dans la même rédaction que " la créance de la commune sur les propriétaires ou exploitants née de l'exécution d'office des travaux prescrits en application des articles L. 511-2 et L. 511-3 comprend le coût de l'ensemble des mesures que cette exécution a rendu nécessaires, notamment celui des travaux destinés à assurer la sécurité de l'ouvrage ou celle des bâtiments mitoyens, les frais exposés par la commune agissant en qualité de maître d'ouvrage public et, le cas échéant, la rémunération de l'expert nommé par le juge administratif ".
8. Les travaux visés par les arrêtés de péril imminent des 1er et 8 juillet 2016, dont la requérante ne conteste pas la légalité, avaient pour objet de mettre fin au danger grave et imminent que représente l'immeuble litigieux, qui menaçait de s'effondrer, pour la solidité de l'ouvrage voisin et la sécurité des usagers de la voie publique, et non de réhabiliter cet immeuble. A cette fin, le maire de Joigny avait ordonné au propriétaire de renforcer la charpente, d'enlever la toiture en mettant en place des protections en couvertine des murs périphériques et en partie verticale du mur mitoyen, de poser une protection en porte-à-faux en dessous de la corniche pour éviter les éventuelles chutes de matériaux sur le trottoir, d'évacuer les gravats afin d'éviter qu'ils n'occasionnent une pression sur les murs latéraux, de déposer les anciennes menuiseries pour éviter leur chute sur la chaussée et le domaine public, et d'obturer les baies de la façade sur rue par des panneaux en bois.
9. Il résulte de l'instruction que les tuiles du pan de toiture côté rue ont été déposées et remplacées par des plaques de tôle en bac-acier, que deux poutres en bois ont été posées entre le rez-de-chaussée et le premier étage afin d'étayer le plancher en bois et d'y déposer une structure métallique supportant la charpente, que les fenêtres de toiture, qui menaçaient de tomber dans la rue, ont été démontées. Il résulte également de l'instruction que la société en charge des travaux, qui n'était tenue que d'évacuer les seuls gravats pouvant menacer par leur poids la solidité des murs mitoyens, a déblayé 80 m3 de gravats résultant de l'effondrement partiel de la construction. Par ailleurs, et conformément aux arrêtés des 1er et 8 juillet 2016, les ouvertures côté rue ont été obturées par des panneaux de bois. Ces arrêtés n'imposaient pas de telles prescriptions pour les fenêtres ne donnant pas sur la rue, ni que soient enlevées toutes les tuiles ne donnant pas sur la rue et n'étant pas ainsi susceptibles d'occasionner des risques pour les usagers de la voie. Il ne résulte pas de l'instruction que ces travaux de consolidation auraient excédé ceux prévus par les arrêtés ou qu'ils n'auraient pas été indispensables.
10. Si Mme A... E... fait valoir par ailleurs qu'il ressort du constat d'huissier qu'elle a produit que les tôles en acier recouvrant la toiture et dépassant de quarante centimètres environ les murs ne sont pas pourvus de gouttières, que l'huissier a relevé la présence d'un trou en façade ainsi que le maintien d'un échafaudage sur la partie arrière du bâtiment, il ne résulte pas de ces éléments que les travaux exécutés d'office par la commune, qui visaient à consolider en urgence le bâtiment afin de remédier au danger qu'il occasionnait, seraient insuffisants ou qu'ils n'auraient pas été réalisés, eu égard à leur objet, conformément aux règles de l'art.
11. Enfin, Mme A... E... n'apporte aucun élément de nature à établir que des travaux mis à sa charge n'auraient pas été exécutés, ni que ces travaux seraient inachevés, circonstance qui ne serait au demeurant pas de nature en elle-même à justifier une réduction des sommes mises à sa charge.
En ce qui concerne la régularité des titres exécutoires :
12. Aux termes de l'article 24 du décret du 7 novembre 2012 susvisé : " (...) Toute créance liquidée faisant l'objet d'une déclaration ou d'un ordre de recouvrer indique les bases de la liquidation. (...) ". Ces dispositions imposent à la personne publique qui émet un état exécutoire d'indiquer, soit dans le titre lui-même, soit par référence à un document joint à l'état exécutoire ou précédemment adressé au débiteur, les bases de la liquidation de la créance pour le recouvrement de laquelle il est émis.
13. L'état exécutoire en date du 31 décembre 2017 porte pour seule mention " Remboursement frais immeuble 8 rue Jean Chéreau ". Il ne résulte pas de l'instruction que cet état exécutoire aurait été accompagné de pièces justifiant des sommes mises à la charge de Mme A... E..., comme le soutient la commune de Joigny, qui n'assortit cette allégation d'aucun élément de preuve et n'établit d'ailleurs pas même avoir effectivement notifié cet état exécutoire à Mme A... E.... Il ne résulte par ailleurs d'aucun élément antérieur à cet état exécutoire que la commune de Joigny, qui avait seulement informé le notaire alors en charge de la succession d'un état prévisionnel des dépenses, que Mme A... E... ait reçu des indications sur le détail des sommes mises à sa charge par le titre exécutoire du 31 décembre 2017. Dans ces conditions, les seules mentions du titre exécutoire ne permettaient pas à la requérante de comprendre les modalités de calcul de la créance réclamée. Par suite, Mme A... E... est, pour ce motif, fondée à soutenir que le titre exécutoire du 31 décembre 2017 est entaché d'illégalité.
14. En revanche, Mme A... E... ne conteste pas que, comme l'ont indiqué les premiers juges, l'état exécutoire émis le 16 mars 2018, qui faisait référence aux travaux menés sur l'immeuble, dont elle avait connaissance, était accompagné de pièces justifiant du montant des sommes mises à sa charge. Il indiquait ainsi suffisamment les bases de liquidation.
15. Il résulte de ce qui précède que Mme A... E... est seulement fondée à demander l'annulation du titre exécutoire d'un montant de 50 499,83 euros émis à son encontre le 31 décembre 2017, et à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande dans cette mesure.
Sur les frais d'instance :
16. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Joigny la somme de 2 000 euros à verser à Mme A... E... au titre des frais non compris dans les dépens qu'elle a exposés. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle par ailleurs à ce qu'il soit fait droit aux conclusions de la commune de Joigny, partie perdante, tendant à la mise à la charge de Mme A... E... des frais non compris dans les dépens qu'elle a exposés.
DÉCIDE :
Article 1er : Les conclusions dirigées contre la mise à demeure de payer en date du 29 mars 2018 et l'acte de saisie des meubles en date du 1er juin 2018 sont rejetées comme portées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître.
Article 2 : L'état exécutoire d'un montant de 50 499,83 euros émis le 31 décembre 2017 à l'encontre de Mme A... E... est annulé.
Article 3 : Le jugement du 26 mars 2019 du tribunal administratif est annulé en ce qu'il a de contraire à l'article 2.
Article 4 : La commune de Joigny versera à Mme A... E... la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Les conclusions des parties sont rejetées pour le surplus.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... A... E... et à la commune de Joigny.
Délibéré après l'audience du 22 février 2021 à laquelle siégeaient :
Mme D... A..., présidente de chambre,
M. Thierry Besse, président-assesseur,
Mme H... G..., première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 mars 2021.
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N° 19LY02135