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11/03/2021 | FRANCE | N°20LY02251

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 4ème chambre, 11 mars 2021, 20LY02251


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Grenoble :

- d'annuler l'arrêté en date du 2 octobre 2019 par lequel le préfet de l'Isère a refusé de lui délivrer un titre de séjour et lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours ;

- d'annuler l'arrêté en date du 16 juin 2020 par lequel le préfet de l'Isère a décidé son assignation à résidence ;

- de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 200 euros, au profit de

son conseil, en application des dispositions combinées de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 ju...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Grenoble :

- d'annuler l'arrêté en date du 2 octobre 2019 par lequel le préfet de l'Isère a refusé de lui délivrer un titre de séjour et lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours ;

- d'annuler l'arrêté en date du 16 juin 2020 par lequel le préfet de l'Isère a décidé son assignation à résidence ;

- de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 200 euros, au profit de son conseil, en application des dispositions combinées de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sous réserve que celui-ci renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

Par un jugement n° 2003521 du 8 juillet 2020, le tribunal administratif de Grenoble a annulé l'arrêté du 2 octobre 2019 en tant que le préfet de l'Isère a obligé Mme A... à quitter le territoire français et l'arrêté du 16 juin 2020 par lequel le préfet de l'Isère l'a assignée à résidence et a renvoyé le surplus des conclusions de la requête à une formation collégiale du tribunal.

Procédure devant la cour

Par une requête, enregistrée le 7 août 2020, le préfet de l'Isère demande à la cour d'annuler le jugement susmentionné du 8 juillet 2020 du tribunal administratif de Grenoble en tant qu'il a annulé son arrêté du 2 octobre 2019 par lequel il a obligé Mme A... à quitter le territoire français et celui du 16 juin 2020 par lequel il l'a assignée à résidence.

Il soutient que :

- le jugement contesté est irrégulier dès lors que le principe du contradictoire n'a pas été respecté car des éléments nouveaux produits à l'issue de l'audience ont été pris en compte par le premier juge sans permettre de débat contradictoire ;

- la situation de l'intéressée ne justifiait pas l'annulation de l'obligation de quitter le territoire français pour méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire en défense, enregistré le 1er février 2021, Mme A..., représentée par Me E..., conclut à la confirmation du jugement contesté et à ce que soit mise à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à son conseil, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1990.

Elle fait valoir que :

- la décision portant obligation de quitter le territoire français est fondée sur une décision portant refus de séjour prise en violation de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article L. 313-11, 7° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- cette décision est intervenue en violation de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et en violation de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droit de l'enfant.

Par un mémoire en intervention enregistré le 7 février 2021, M. C... A..., représenté par Me E..., conclut, à titre principal, à la confirmation du jugement attaqué et donc à l'annulation de la décision du 2 octobre 2019 du préfet de l'Isère obligeant son épouse à quitter le territoire français, à titre subsidiaire, de renvoyer la question préjudicielle suivante à la cour de justice de l'Union européenne : " une décision d'éloignement d'une ressortissante turque, motivée par l'allégation que rien n'interdit à son conjoint, résidant régulièrement en France et chef d'entreprises, de s'établir avec elle en Turquie et gérer ses entreprises françaises à distance constitue-t-elle une discrimination-directe ou indirecte-dans les conditions de travail contraire à l'article 37 de du Protocole additionnel à l'Accord d'association CE-Turquie' ".

Il soutient que :

- la décision obligeant son épouse à quitter le territoire français viole les stipulations des articles 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 3-1 de la convention internationale relative aux droit de l'enfant ;

- elle viole l'article 37 du protocole additionnel à l'accord créant une association entre la Communauté économique européenne et la Turquie du 12 septembre 1963 en étant motivée sur la circonstance qu'il pourrait transférer sa vie familiale en Turquie sans difficulté pour ses entreprises, ce qui constitue une discrimination, directe ou indirecte, dans ses conditions de travail.

Par une décision du 14 octobre 2020, Mme A... été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention internationale relative aux droit de l'enfant signée à New-York le 26 janvier 1990 ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'accord créant une association entre la Communauté économique européenne et la Turquie du 12 septembre 1963, approuvé par la décision 64-732 CEE du Conseil du 23 décembre 1963 ;

- le protocole additionnel et le protocole financier, signés le 23 novembre 1970, annexés à l'accord créant une association entre la Communauté économique européenne et la Turquie, approuvé par le règlement 2760/72/CEE du Conseil du 19 décembre 1972 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;

- le code de justice administrative ;

Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. D... ;

- et les observations de Me E..., représentant Mme A... et M. A....

Considérant ce qui suit :

1. Mme B... A..., ressortissante turque née le 15 septembre 1996, est entrée sur le territoire français le 15 décembre 2015 sous couvert d'un visa Schengen de court séjour en cours de validité. Elle a sollicité le 27 mars 2018 la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté en date du 2 octobre 2019, le préfet de l'Isère a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination en cas d'éloignement d'office. Le préfet de l'Isère a ensuite décidé d'assigner à résidence Mme A..., pour une durée de quarante-cinq jours renouvelable une fois, par un arrêté en date du 16 juin 2020. Mme A... a demandé l'annulation de ces deux arrêtés au tribunal administratif de Grenoble. Par un jugement n° 2003521 du 8 juillet 2020, dont le préfet de l'Isère relève appel, le tribunal administratif de Grenoble a annulé ces deux décisions et renvoyé le surplus des conclusions de la demande à une formation collégiale du tribunal.

Sur l'intervention de M. A... :

2. Il y a lieu d'admettre l'intervention de M. C... A..., concubin de l'appelante, qui justifie d'un intérêt suffisant au maintien du jugement attaqué.

Sur la régularité du jugement :

3. Aux termes de l'article L. 5 du code de justice administrative : " L'instruction des affaires est contradictoire. Les exigences de la contradiction sont adaptées à celles de l'urgence (...) " Aux termes de l'article R. 611-1 du même code : " (...) La requête, le mémoire complémentaire annoncé dans la requête et le premier mémoire de chaque défendeur sont communiqués aux parties avec les pièces jointes (...). / Les répliques, autres mémoires et pièces sont communiqués s'ils contiennent des éléments nouveaux ". Aux termes de l'article R. 613-3 du même code : " Les mémoires produits après la clôture de l'instruction ne donnent pas lieu à communication, sauf réouverture de l'instruction ". En vertu de l'article R. 776-24 du même code relatif à la procédure applicable à la contestation des obligations de quitter le territoire français : " Après le rapport fait par le président du tribunal administratif ou par le magistrat désigné, les parties peuvent présenter en personne ou par un avocat des observations orales. Elles peuvent également produire des documents à l'appui de leurs conclusions. Si ces documents apportent des éléments nouveaux, le magistrat demande à l'autre partie de les examiner et de lui faire part à l'audience de ses observations. ". L'article R. 776-26 du même code, applicable en cas de placement en rétention ou d'assignation à résidence de l'étranger, prévoit que " L'instruction est close soit après que les parties ont formulé leurs observations orales, soit, si ces parties sont absentes ou ne sont pas représentées, après appel de leur affaire à l'audience. ".

4. L'absence de communication à une partie, en temps utile pour y répondre, d'un mémoire ou de pièces jointes à un mémoire, sur lesquels le tribunal administratif a fondé son jugement, entache la procédure suivie d'irrégularité.

5. En l'espèce, il ressort du dossier de première instance et des termes du jugement contesté que l'audience a été fixée au 7 juillet 2020 à 14h00 et que Mme A... et son avocat assistaient à cette audience alors que le préfet n'était ni présent ni représenté. Le magistrat désigné a fixé la clôture de l'instruction au 8 juillet 2020 à 11h00 par une ordonnance du même jour, reçue sur l'application " télérecours " le 8 juillet 2020 à 11h42 par le préfet, qui a eu pour effet de rouvrir l'instruction et de reporter la clôture de celle-ci, qui devait normalement intervenir après les observations orales de Mme A... et de son conseil, conformément aux dispositions de l'article R. 776-26 précité. Le tribunal a fondé son jugement du 8 juillet 2020 sur un mémoire et des pièces jointes enregistrés le 7 juillet 2020, communiqués le même jour au préfet, à 15h35 par l'application précitée. Toutefois, malgré le report précité de la clôture de l'instruction, le tribunal ne pouvait dans de telles circonstances régulièrement se fonder sur ce mémoire et ces pièces sans renvoyer l'affaire à une audience ultérieure.

6. Il résulte de ce qui précède que le préfet de l'Isère est fondé à soutenir que le jugement contesté est entaché d'irrégularité. Il y a lieu, d'annuler ce jugement et par la voie de l'évocation, de statuer immédiatement sur les seules conclusions de la demande de Mme A... devant le tribunal administratif de Grenoble concernées par le présent appel.

7. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dispose que : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...). ".

8. Il ressort des pièces du dossier que Mme A... est entrée en France le 15 décembre 2015 sous couvert d'un visa Schengen de court séjour. Elle vit en concubinage avec un compatriote qui a reconnu le 4 septembre 2019 l'enfant né de leur union le 25 août 2019. Elle déclare vivre avec M. A..., son concubin, depuis le 1er janvier 2016. Ce dernier est titulaire d'une carte de résident, comme sa mère et deux de ses frères, titulaires de cartes de résident, et ses six nièces et neveux sont de nationalité française. Il est par ailleurs propriétaire d'un logement de type 3 et gère une société de restauration rapide. Mme A... était, à la date de la décision contestée, enceinte, avec un terme prévu le 21 août 2020. Elle bénéficie d'une promesse d'embauche faite par M. A... pour un emploi de serveuse. Ainsi, l'intéressée, même si elle n'est dépourvue d'attaches familiales dans son pays d'origine ou vivent ses parents, son frère et trois de ses quatre soeurs, doit être regardée au regard de ces éléments comme ayant transféré le centre de ses intérêts privés et familiaux en France. Ainsi, compte tenu de la durée et des conditions de son séjour en France, la décision l'obligeant à quitter le territoire français porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale, et méconnait dès lors les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Mme A... est donc fondée à demander l'annulation de cette décision ainsi que, par voie de conséquence, de celle l'assignant à résidence, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur ses autres moyens.

9. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées en première instance et en appel par Mme A... au titre des frais liés au litige en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1990.

DÉCIDE :

Article 1er : L'intervention de M. C... A... est admise.

Article 2 : L'article 2 du jugement n° 2003521 du 8 juillet 2020 du tribunal administratif de Grenoble est annulé.

Article 3 : L'arrêté du 2 octobre 2019 du préfet de l'Isère, en tant qu'il oblige Mme A... à quitter le territoire français, et l'arrêté préfectoral du 16 juin 2020 assignant à résidence Mme A... sont annulés.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête du préfet de l'Isère et les conclusions présentées par Mme A... au titre des frais du litige sont rejetés.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à Mme B... A.... Copie en sera adressée au préfet de l'Isère.

Délibéré après l'audience du 11 février 2021, à laquelle siégeaient :

M. d'Hervé, président de chambre,

Mme Michel, président-assesseur,

M. D..., premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 mars 2021.

2

N° 20LY02251


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 20LY02251
Date de la décision : 11/03/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Étrangers - Séjour des étrangers - Refus de séjour.

Étrangers - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. d'HERVE
Rapporteur ?: M. Christophe RIVIERE
Rapporteur public ?: M. SAVOURE
Avocat(s) : ABOUDAHAB

Origine de la décision
Date de l'import : 30/03/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2021-03-11;20ly02251 ?
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