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11/03/2021 | FRANCE | N°19LY01989

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 4ème chambre, 11 mars 2021, 19LY01989


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. D... C... a demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner l'Etat à lui verser la somme de 254 638 euros en réparation des préjudices subis lors de son incarcération au centre pénitentiaire de Saint-Quentin-Fallavier.

Par un jugement n° 1706424 du 21 mars 2019, ce tribunal a condamné l'Etat à lui verser la somme de 112 650 euros, mis à la charge de l'Etat les frais d'expertise et condamné les Hospices civils de Lyon à garantir l'Etat à hauteur de 25 % de la somme mise à sa charge a

u titre des souffrances endurées.

Procédure devant la cour

Par une requête et de...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. D... C... a demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner l'Etat à lui verser la somme de 254 638 euros en réparation des préjudices subis lors de son incarcération au centre pénitentiaire de Saint-Quentin-Fallavier.

Par un jugement n° 1706424 du 21 mars 2019, ce tribunal a condamné l'Etat à lui verser la somme de 112 650 euros, mis à la charge de l'Etat les frais d'expertise et condamné les Hospices civils de Lyon à garantir l'Etat à hauteur de 25 % de la somme mise à sa charge au titre des souffrances endurées.

Procédure devant la cour

Par une requête et des mémoires enregistrés les 27 mai 2019 et 5 février 2021, le garde des sceaux, ministre de la justice, demande à la cour :

1°) de réformer ce jugement en tant qu'il a condamné l'Etat et mis à sa charge les frais d'expertise ;

2°) de rejeter la demande de M. C... ou, à titre subsidiaire, de majorer la garantie des Hospices civils de Lyon au titre des souffrances endurées.

Il soutient que :

- les agents pénitentiaires n'ont pas été avertis que M. C... ressentait des douleurs thoraciques dans la nuit du 27 au 28 octobre 2018 ;

- l'évaluation de son état de santé relevait du service médical qui n'a pas informé l'administration pénitentiaire qu'il s'était plaint à plusieurs reprises de douleurs thoraciques ni requis une surveillance particulière ;

- l'administration pénitentiaire a été diligente dès qu'elle a été alertée ;

- les préjudices subis par M. C... sont imputables à parts égales à l'administration pénitentiaire et aux Hospices civils de Lyon ;

- l'incidence professionnelle de l'incapacité a été entièrement réparée par la pension d'invalidité de M. C....

Par des mémoires enregistrés les 8 août 2019, 18 janvier 2021, et 5 février 2021 M. D... C..., représenté par Me A..., conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre des frais du litige et demande la réformation du jugement attaqué en ce qu'il a limité le montant de son indemnisation qui devra être augmentée pour tenir compte de ses différents chefs de préjudices.

Il fait valoir que :

- l'indemnisation de son déficit fonctionnel permanent doit être portée à la somme de 73 200 euros compte tenu des barèmes jurisprudentiels et celle de l'incidence professionnelle de son incapacité à 50 000 euros puisqu'il ne peut plus exercer une quelconque activité professionnelle ;

- ses pertes de gains professionnels, qui ne sont pas indemnisées par la pension d'invalidité qu'il perçoit, s'élèvent à la somme de 10 800 euros pour la période allant de janvier 2012 à avril 2014 et à 175 760 euros pour la période allant du 25 septembre 2015 au 1er février 2021.

Par un mémoire en défense enregistré le 11 juin 2020, les Hospices civils de Lyon, représentés par Me B..., concluent au rejet de la requête.

Ils font valoir que :

- aucune faute n'a été commise par l'unité de consultations et de soins ambulatoires ;

- seul le délai d'alerte des services hospitaliers, imputable à l'administration pénitentiaire, a été préjudiciable à M. C... ;

- le tribunal a fait un juste partage de responsabilité s'agissant des souffrances endurées par M. C....

Par lettres du 11 janvier 2021, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de ce que l'indemnisation de l'incidence professionnelle est réparée par la pension d'invalidité perçue par M. C... et qu'une personne publique ne peut être condamnée à payer une somme qu'elle ne doit pas.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de procédure pénale ;

- le code de la sécurité sociale ;

- la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. E... ;

- et les conclusions de M. Savouré, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Par un jugement du 21 mars 2019, le tribunal administratif de Grenoble a condamné l'Etat à verser à M. D... C... la somme de 112 650 euros en réparation des préjudices subis lors de son incarcération au centre pénitentiaire de Saint-Quentin-Fallavier (Isère), mis à la charge de l'Etat les frais d'expertise et condamné les Hospices civils de Lyon à garantir l'Etat à hauteur de 25 % de la somme mise à sa charge au titre des souffrances endurées. L'Etat demande à la cour de réformer ce jugement en tant qu'il l'a condamné à indemniser M. C... et à supporter les frais d'expertise ou, subsidiairement, en tant qu'il a limité à 25 % la garantie des Hospices civils de Lyon au titre des souffrances endurées par M. C....

Sur la responsabilité de l'Etat :

2. Aux termes de l'article 46 de la loi du 24 novembre 2009 pénitentiaire : " La prise en charge de la santé des personnes détenues est assurée par les établissements de santé dans les conditions prévues par le code de la santé publique. / La qualité et la continuité des soins sont garanties aux personnes détenues dans des conditions équivalentes à celles dont bénéficie l'ensemble de la population. / Un protocole signé par le directeur général de l'agence régionale de santé, le directeur interrégional des services pénitentiaires, le chef de l'établissement pénitentiaire et le directeur de l'établissement de santé concerné définit les conditions dans lesquelles est assurée l'intervention des professionnels de santé appelés à intervenir en urgence dans les établissements pénitentiaires, afin de garantir aux personnes détenues un accès aux soins d'urgence dans des conditions équivalentes à celles dont bénéficie l'ensemble de la population (...) ". Il résulte de ces dispositions qu'il incombe à l'administration pénitentiaire d'accomplir toutes diligences en vue de faciliter l'accès aux soins des personnes détenues.

3. Il résulte de l'instruction que M. C..., alors emprisonné au centre pénitentiaire de Saint-Quentin-Fallavier, a présenté des douleurs thoraciques continues et intenses dans la nuit du 27 au 28 octobre 2012 provoquées par un infarctus du myocarde. L'intéressé a affirmé de manière constante avoir, dès l'apparition de ces douleurs et durant toute la nuit, appelé les surveillants par l'interphone placé dans sa cellule. La circonstance qu'un lieutenant pénitentiaire a indiqué à la directrice adjointe du centre pénitentiaire qu'il n'y avait eu aucun appel de la part du détenu dans la nuit du 27 au 28 octobre 2012, ce que confirme le cahier de suivi des appel nocturnes interphonie archivé, n'est pas de nature, à elle seule, à infirmer les déclarations de M. C..., alors que la copie du cahier de service de nuit du centre pénitentiaire produite par le ministre de la justice ne fait pas état de la nuit du 27 au 28 octobre 2012 et que ce ministre fait valoir que la bande son n'a pas été conservée par le centre pénitentiaire.

4. Il résulte également de l'instruction, et notamment du rapport de l'expert judiciaire désigné par une ordonnance du 1er juin 2015, que M. C... a été conduit le 28 octobre 2012 vers 6 h 00 par le personnel pénitentiaire à l'unité de consultations et de soins ambulatoires de Saint-Quentin-Fallavier où il a pris un antalgique destiné à calmer ses douleurs. En raison de leur persistance, il y a été reconduit à 9 h 45. Son transfert au service des urgences de l'hôpital Lyon Sud a été décidé à 10 h 54 par le régulateur du SAMU contacté à l'initiative d'un officier pénitentiaire et il a été admis dans ce service à 11 h 21. Ce délai de plus de douze heures dans l'accès aux soins médicaux nécessités par l'état de M. C..., dont l'aspect aurait dû faire suspecter par le personnel pénitentiaire une situation d'urgence, est à l'origine de la gravité de l'infarctus du myocarde ainsi que des séquelles. Ce retard révèle un défaut de vigilance fautif de nature à engager la responsabilité de l'Etat au titre du service public pénitentiaire.

Sur les préjudices :

5. Il résulte de l'instruction que le retard fautif de l'administration est à l'origine d'une perte de chance pour M. C... de se soustraire aux séquelles de l'infarctus qu'il a subi, évaluée à 30 % par l'expert judiciaire.

6. Eu égard à la finalité de réparation d'une incapacité permanente de travail qui lui est assignée par les dispositions de l'article L. 341-1 du code de la sécurité sociale et à son mode de calcul, en fonction du salaire, fixé par l'article R. 341-4 du même code, la pension d'invalidité doit être regardée comme ayant pour objet exclusif de réparer, sur une base forfaitaire, les préjudices subis par la victime dans sa vie professionnelle en conséquence de l'accident, c'est-à-dire ses pertes de revenus professionnels et l'incidence professionnelle de son incapacité.

7. M. C..., qui était incarcéré depuis le 27 septembre 2012, avait été licencié en 2008 de son emploi d'agent commercial et ne bénéficiait pas d'une promesse d'embauche à sa libération, ne justifie pas subir des pertes de revenus professionnels. L'incidence professionnelle de son incapacité doit être regardée dans les circonstances de l'espèce comme correspondant au montant de la pension d'invalidité qui lui est servie. Le préjudice à ce titre, compte tenu du taux de perte de chance, est intégralement réparé par la pension d'invalidité. Le garde des sceaux, ministre de la justice, est fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont condamné l'Etat à verser à M. C... la somme de 20 000 euros au titre de l'incidence professionnelle, cette condamnation étant contraire au principe selon lequel une personne publique ne peut être condamnée à payer une somme qu'elle ne doit pas.

8. Le déficit fonctionnel permanent partiel dont M. C... reste atteint a été évalué à 50 %. Compte tenu de ce qu'il était âgé de 52 ans à la date de consolidation de son état, le 11 avril 2014, et de l'ampleur de la chance qu'il a perdue, il a été fait une juste appréciation de ce préjudice en première instance en lui accordant une indemnité de 66 000 euros.

9. Il résulte de ce qui précède que le montant de l'indemnité allouée par les premiers juges à M. C... en réparation de ses préjudices doit être ramené à 92 650 euros.

Sur l'appel en garantie :

10. Aux termes du premier alinéa du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. ". Aux termes de l'article L. 6112-1 du même code, dans sa rédaction applicable au litige : " Les établissements de santé peuvent être appelés à assurer, en tout ou partie, une ou plusieurs des missions de service public suivantes : (...) / 12° Les soins dispensés aux détenus en milieu pénitentiaire et, si nécessaire, en milieu hospitalier, dans des conditions définies par décret ". Par ailleurs, aux termes du premier alinéa de l'article D. 368 du code de procédure pénale, dans sa rédaction applicable au litige : " Les missions de diagnostic et de soins en milieu pénitentiaire (...) sont assurées par une équipe hospitalière placée sous l'autorité médicale d'un praticien hospitalier, dans le cadre d'une unité de consultations et de soins ambulatoires, conformément aux dispositions des articles R. 6112-14 à R. 6112-25 du code de la santé publique. ".

11. Le tribunal a condamné les Hospices civils de Lyon à garantir l'Etat à hauteur de 25 % de la somme de 20 000 euros mise à sa charge au titre des souffrances endurées. La gravité de l'état de santé de M. C... n'aurait pas pu échapper aux infirmiers de l'unité de consultations et de soins ambulatoires du centre pénitentiaire de Saint-Quentin-Fallavier, qui dépend des Hospices civils de Lyon, s'ils avaient été vigilants. Par suite, le délai de presque quatre heures entre la première arrivée du détenu à l'infirmerie et l'appel du SAMU a participé à l'aggravation de son état. Il ne résulte pas de l'instruction que le tribunal n'aurait pas fait une juste appréciation des fautes respectives de l'administration pénitentiaire et des Hospices civils de Lyon.

Sur les frais d'expertise :

12. Il y a lieu de laisser à la charge définitive de l'Etat les frais d'expertise, taxés et liquidés à la somme de 1 000 euros.

Sur les frais du litige :

13. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées à ce titre par M. C....

DÉCIDE :

Article 1er : Le montant de la condamnation prononcée par l'article 1er du jugement n° 1706424 du tribunal administratif de Grenoble du 21 mars 2019 est ramené à la somme de 92 650 euros.

Article 2 : Le jugement est réformé en ce qu'il est contraire à l'article 1er du présent arrêt.

Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au garde des sceaux, ministre de la justice, à M. D... C... et aux Hospices civils de Lyon.

Copie sera adressée à la caisse primaire d'assurance maladie du Puy-de-Dôme.

Délibéré après l'audience du 11 février 2021, à laquelle siégeaient :

Mme Michel, président,

Mme Duguit-Larcher, assesseur le plus ancien,

M. E..., premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 mars 2021.

2

N° 19LY01989


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 19LY01989
Date de la décision : 11/03/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-091 Responsabilité de la puissance publique. Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. Services pénitentiaires.


Composition du Tribunal
Président : Mme MICHEL
Rapporteur ?: M. Christophe RIVIERE
Rapporteur public ?: M. SAVOURE
Avocat(s) : LE PRADO

Origine de la décision
Date de l'import : 30/03/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2021-03-11;19ly01989 ?
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