Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
Mme B... C... a demandé au tribunal administratif de Grenoble, d'une part, d'annuler l'arrêté du 21 juillet 2020 par lequel le préfet du Rhône a prononcé son transfert vers l'Espagne, État reconnu responsable de l'examen de sa demande d'asile et, d'autre part, d'enjoindre à cette autorité de l'admettre à présenter sa demande en France.
Par jugement n° 2004321 du 21 août 2020, le magistrat désigné par le président du tribunal a fait droit à cette demande.
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 24 septembre 2020 et un mémoire enregistré le 26 novembre 2020, le préfet du Rhône demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement n° 2004321 du 21 août 2020 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble ;
2°) de rejeter la demande de Mme C... devant le tribunal administratif.
Il soutient que c'est à tort que le premier juge a considéré que la décision de transfert était entachée de méconnaissance de l'article 17 du règlement du 26 juin 2013 et que les autres moyens soulevés par Mme C... ne sont pas fondés.
Par mémoire enregistré le 30 octobre 2020, présenté pour Mme C..., elle conclut au rejet de la requête, à ce qu'il soit enjoint au préfet du Rhône de lui délivrer une autorisation de séjour provisoire pour demander l'asile dans un délai de quinze jours à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard et de mettre à la charge de l'État le paiement à son conseil, sous réserve qu'il renonce à l'aide juridictionnelle, d'une somme de 1 200 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que les moyens soulevés par le préfet du Rhône ne sont pas fondés.
Mme C... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du 18 novembre 2020 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal de grande instance de Lyon (section administrative d'appel).
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement (CE) n° 1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003 modifié par le règlement (UE) n° 118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014 ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Le rapport de M. Seillet, président, ayant été entendu au cours de l'audience publique ;
Considérant ce qui suit :
1. Mme C..., ressortissante ivoirienne née le 25 juin 1989 à Saioua (Côte d'Ivoire), est entrée sur le territoire français, le 2 février 2020, selon ses déclarations, afin de solliciter l'asile, ce qu'elle a fait le 22 juin 2020. La consultation du fichier européen EURODAC a fait alors apparaître que Mme C... avait été identifiée en Espagne, le 28 novembre 2019, suite à un franchissement irrégulier de la frontière. Les autorités espagnoles, saisies le 30 juin 2020, sur le fondement de l'article 13 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, d'une demande de prise en charge, ont donné leur accord explicite par une décision du 2 juillet 2020. Par un arrêté du 21 juillet 2020 le préfet du Rhône a ordonné la remise de Mme C... aux autorités espagnoles pour l'examen de sa demande d'asile. Le préfet du Rhône relève appel du jugement du 21 août 2020 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a annulé cet arrêté.
2. Aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) ".
3. La faculté laissée à chaque État membre, par le 1 de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013, de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile.
4. En premier lieu, s'il ressort des pièces du dossier qu'à la date de l'arrêté portant transfert aux autorités espagnoles de Mme C..., cette dernière était entrée dans son sixième mois de grossesse, ainsi qu'en atteste notamment un compte rendu d'examen pratiqué le 15 mai 2020 au centre hospitalier de Chambéry, ce document ne comporte toutefois, pas davantage que les autres pièces produites par l'intimée, un élément médical faisant état d'une grossesse pathologique de celle-ci nécessitant des conditions d'accueil particulières ni de difficultés dans le suivi de sa grossesse. Dans ces conditions, cet état ne faisait pas obstacle à son transfert en Espagne, où il n'est pas allégué qu'elle n'aurait pas accès aux soins nécessités par son état, notamment à une date postérieure à son accouchement. En deuxième lieu, si Mme C... fait état de la présence en France de sa fille Awa Adama A... née le 25 octobre 2009 de sa relation avec M. A..., elle ne démontre par aucune pièce la réalité de ses relations avec sa fille et le père de celle-ci ni même leur présence sur le territoire français. En dernier lieu, Mme C..., qui a mentionné sa qualité de célibataire lors de son entretien avec un agent de la préfecture ainsi que la présence en Côte d'Ivoire d'une autre fille, n'établit pas davantage la réalité de ses relations avec le père de son enfant à naître à la date de la décision contestée. Par suite, c'est à tort que, pour annuler la décision de transfert en litige, le premier juge s'est fondé sur le motif tiré de ce qu'en s'abstenant de faire application du 1 de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013, le préfet du Rhône avait méconnu ces dispositions.
5. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par Mme C....
6. Il résulte des dispositions des livres V et VII du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et particulièrement des articles L. 742-1 à L. 742-6 et R. 742-1 à R. 742-4 dudit code concernant les décisions de transfert d'un étranger aux autorités d'un État membre de l'Union européenne responsable de l'examen de sa demande d'asile, que le législateur a entendu déterminer l'ensemble des règles de procédure administrative et contentieuse auxquelles sont soumises l'intervention et l'exécution des décisions par lesquelles l'autorité administrative signifie à l'étranger son éloignement du territoire français. Dès lors, les dispositions des articles L. 121-1 et L. 121-2 du code des relations entre le public et l'administration qui reprennent les dispositions de l'article 24 de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations qui fixe les règles générales de procédure applicables aux décisions devant être motivées en vertu de la loi du 11 juillet 1979, ne sauraient être utilement invoquées à l'encontre d'une décision de transfert aux autorités de l'État responsable de la demande d'asile. En tout état de cause, il ressort des pièces du dossier que Mme C... a été reçue en entretien le 22 juin 2020 à l'occasion du dépôt de sa demande d'admission au séjour en qualité de demandeur d'asile et invitée à cette occasion à présenter des observations.
7. Aux termes de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sous réserve du second alinéa de l'article L. 742-1, l'étranger dont l'examen de la demande d'asile relève de la responsabilité d'un autre État peut faire l'objet d'un transfert vers l'État responsable de cet examen. / Toute décision de transfert fait l'objet d'une décision écrite motivée prise par l'autorité administrative (...) ".
8. En application des dispositions précitées de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la décision de transfert dont fait l'objet un ressortissant de pays tiers qui a déposé auprès des autorités françaises une demande d'asile dont l'examen relève d'un autre État membre ayant accepté de le prendre ou de le reprendre en charge doit être motivée, c'est-à-dire qu'elle doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement.
9. Pour l'application de ces dispositions, est suffisamment motivée une décision de transfert qui mentionne le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et comprend l'indication des éléments de fait sur lesquels l'autorité administrative se fonde pour estimer que l'examen de la demande présentée devant elle relève de la responsabilité d'un autre État membre, une telle motivation permettant d'identifier le critère du règlement communautaire dont il est fait application.
10. La décision de transfert en litige vise le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 et notamment son article 13. Elle indique que la consultation du fichier " Eurodac " a révélé que Mme C... avait été identifiée en Espagne lors d'un franchissement irrégulier de la frontière et que les autorités de ce pays, saisies le 30 juin 2020 sur le fondement de l'article 13 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, avaient donné leur accord explicite à sa prise en charge le 2 juillet 2020. Ces énonciations ont mis l'intéressée à même de comprendre les motifs de la décision pour lui permettre d'exercer utilement un recours. Dès lors, la décision litigieuse est suffisamment motivée au regard des exigences qu'imposent les dispositions de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
11. Pour les motifs exposés au point 4 les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations des articles 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 3-1 de la convention internationale relative aux droit de l'enfant doivent être écartés, ainsi que le moyen tiré d'une erreur manifeste d'appréciation.
12. Il résulte de ce qui précède que le préfet du Rhône est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a annulé la décision en litige et lui a enjoint d'enregistrer la demande d'asile de Mme C.... Doivent être rejetées, par voie de conséquence, les conclusions de Mme C... aux fins d'injonction et celles de son conseil tendant au bénéfice des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2004321 du 21 août 2020 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble est annulé.
Article 2 : Les conclusions de Mme C... sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à Mme B... C....
Copie en sera adressée au préfet du Rhône et au procureur de la République près le tribunal judiciaire de Chambéry.
Délibéré après l'audience du 4 février 2021 à laquelle siégeaient :
M. Seillet, président ;
Mme Djebiri, premier conseiller ;
Mme Burnichon, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 février 2021.
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N° 20LY02805