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11/02/2021 | FRANCE | N°20LY00672

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 5ème chambre, 11 février 2021, 20LY00672


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. C... H..., Mme D... J... et Mme E... I... ont chacun demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler les arrêtés du 15 janvier 2019 par lesquels le préfet du Rhône a refusé de les admettre au séjour, les a obligés à quitter le territoire français dans un délai de 30 jours et a fixé le pays de renvoi.

Par un jugement n° 1903261-1903263-1903264 du 17 décembre 2019, le tribunal administratif de Lyon a rejeté leurs demandes après les avoir jointes.

Procédure devant la cour

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ar une requête enregistrée le 18 février 2020, M. H..., Mme J... et Mme I..., représentés par Me ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. C... H..., Mme D... J... et Mme E... I... ont chacun demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler les arrêtés du 15 janvier 2019 par lesquels le préfet du Rhône a refusé de les admettre au séjour, les a obligés à quitter le territoire français dans un délai de 30 jours et a fixé le pays de renvoi.

Par un jugement n° 1903261-1903263-1903264 du 17 décembre 2019, le tribunal administratif de Lyon a rejeté leurs demandes après les avoir jointes.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 18 février 2020, M. H..., Mme J... et Mme I..., représentés par Me B..., demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler pour excès de pouvoir les arrêtés du 15 janvier 2019 par lesquels le préfet du Rhône a refusé de les admettre au séjour, les a obligés à quitter le territoire français dans un délai de 30 jours et a fixé le pays de renvoi ;

3°) d'enjoindre au préfet du Rhône de leur délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ou, à titre subsidiaire, de réexaminer leur situation dans un délai de deux mois à compter de la même date et de leur délivrer dans l'attente une autorisation provisoire de séjour ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à leur conseil d'une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Ils soutiennent que :

S'agissant de Mme J... :

En ce qui concerne le refus de séjour :

- la décision est entachée d'erreur de fait et d'un vice de procédure au regard de l'article R. 313-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en l'absence d'avis médical préalablement rendu par l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), qui n'est imputable qu'à l'administration dès lors qu'elle a bien transmis un certificat médical de son médecin, et a obtenu un récépissé de demande de titre de séjour au motif que son dossier était complet ;

- le préfet du Rhône a insuffisamment motivé sa décision et n'a pas procédé à un examen effectif de sa situation ;

- le tribunal a outrepassé son office en jugeant que le refus de séjour du 15 janvier 2019 ne méconnaissait pas les dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors qu'aucun avis n'avait été préalablement émis par l'OFII ;

- la décision procède d'une " erreur manifeste d'appréciation " de son état de santé, compte tenu de la gravité des conséquences d'un défaut de soins et de l'impossibilité de voyager dans laquelle elle se trouve, alors en outre qu'elle n'est admissible dans aucun pays ;

- le refus de séjour méconnaît les dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code et l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, compte tenu de l'intégration de sa famille et de l'impossibilité de mener une vie privée et familiale normale en dehors du territoire français ;

En ce qui concerne les autres décisions :

- elles sont illégales du fait de l'illégalité du refus de titre de séjour ;

- la mesure d'éloignement méconnaît les dispositions du 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et ne pouvait en particulier intervenir sans saisine pour avis de l'OFII ;

- contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, elle n'a jamais vécu avec son époux en Ukraine en 1998 ;

- les premiers juges n'ont pas pris en considération le fait que sa fratrie avait obtenu une protection au vu des mêmes persécutions subies, la décision préfectorale fixant le pays de destination procédant ainsi d'un défaut d'examen particulier ;

- cette décision méconnaît également les articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

S'agissant de M. H... et Mme I... :

En ce qui concerne la régularité du jugement :

- le tribunal n'a pas examiné les moyens relatifs à l'illégalité de la décision portant refus de séjour opposée à M. H... en qualité d'accompagnant d'un étranger malade, tirés du vice de procédure et de la méconnaissance des dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

En ce qui concerne les refus de séjour :

- les décisions préfectorales procèdent d'un défaut d'examen, eu égard à leur situation familiale et notamment à la présence en France d'oncles et tantes ayant obtenu une protection ainsi qu'à la vulnérabilité de Mme J... ;

- les décisions de refus de séjour méconnaissent les dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ainsi que l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elles méconnaissent l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

En ce qui concerne les autres décisions :

- elles sont illégales du fait de l'illégalité des refus de titre de séjour ;

- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, les décisions fixant le pays de destination sont entachées d'un défaut d'examen alors qu'ils ne sont admissibles ni en Azerbaïdjan ni dans aucun autre pays ;

- elles méconnaissent les articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

La requête a été communiquée au préfet du Rhône, qui n'a pas produit de mémoire en défense.

Par un courrier, enregistré le 6 juillet 2020, l'Office français de l'immigration et de l'intégration a présenté des observations.

Par ordonnance du 9 juillet 2020, la clôture de l'instruction a été fixée au 19 août 2020.

M. H..., Mme J... et Mme I... ont été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 29 janvier 2020.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme G..., première conseillère,

- et les conclusions de M. Vallecchia, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. M. H..., né le 22 octobre 1971 en actuelle République d'Azerbaïdjan, a déclaré être entré en France le 8 janvier 2013, avec sa compagne, Mme I..., née le 11 août 1977 en Azerbaïdjan, et leur fille mineure alors âgée de 4 ans. Mme J..., mère de M. H..., née le 11 mai 1950 en Azerbaïdjan, a déclaré les avoir rejoints en mars 2015. Leurs demandes de protection internationale ont été rejetées, en dernier lieu par la Cour nationale du droit d'asile le 21 février 2017, et ils ont fait l'objet de mesures d'éloignement décidées par le préfet du Doubs le 31 mai 2017. Les demandes de reconnaissance du statut d'apatride alors formées par M. H... et sa mère ont été rejetées par décisions du directeur de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 2 juillet 2018, dont les intéressés n'ont pas obtenu l'annulation. Mme J... a demandé au préfet du Rhône, le 4 août 2017, la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ou, subsidiairement, sur le fondement du 7° de l'article L. 313-11 et de l'article L. 313-14 du même code. Mme I... et M. H... ont respectivement demandé les 31 juillet et 4 août 2017 la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement du 7° de l'article L. 313-11 et de l'article L. 313-14 du code. Ils demandent à la cour d'annuler le jugement du 17 décembre 2019 par lequel le tribunal administratif de Lyon, après jonction, a rejeté leurs demandes tendant à l'annulation des décisions du préfet du Rhône du 15 janvier 2019 leur refusant la délivrance d'un titre de séjour, leur faisant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixant le pays de destination de cette mesure d'éloignement.

Sur la légalité des décisions du 15 janvier 2019 :

2. Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" est délivrée de plein droit : / 7° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l'article L. 313-2 soit exigée. L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République ". Aux termes du 1 de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ".

3. Il ressort des pièces du dossier qu'à la date des décisions attaquées, Mme J..., d'une part, M. H..., Mme I... ainsi que leur fille mineure, d'autre part, étaient respectivement présents depuis environ quatre et six ans en France, où vivent également plusieurs frères et soeurs ainsi qu'un neveu de Mme J..., tous réfugiés statutaires depuis plusieurs années et résidant en région lyonnaise. Mme J... est par ailleurs atteinte de démence mixte vasculaire et neurodégénérative et de psychose hallucinatoire chronique, responsables de troubles du comportement et de désorientation, à l'origine d'une limitation de sa capacité de déplacement à une centaine de mètres autour de son domicile et d'une dépendance extrême et constante vis-à-vis de ses proches, en particulier son fils et sa belle-fille, pour l'accomplissement des actes les plus élémentaires de la vie quotidienne. Mme I... justifie en outre d'un début d'insertion professionnelle ainsi que, de même que M. H..., d'un engagement associatif et d'un apprentissage de la langue française.

4. En outre, contrairement à ce qu'a retenu le préfet du Rhône, les requérants ne se sont pas déclarés de nationalité azerbaïdjanaise dans leurs dernières demandes de titres de séjour mais ont, à l'inverse, expressément réfuté cette nationalité. Il n'est au demeurant pas sérieusement contesté qu'ayant quitté leur pays de naissance entre 1988 et 1990, les requérants ne peuvent se réclamer de cette nationalité faute d'y avoir eu leur résidence enregistrée au 1er janvier 1992, ainsi que l'a d'ailleurs relevé la CNDA dans les décisions intervenues sur leurs demandes d'asile. Il n'est pas davantage contesté que plus aucun membre de la famille des requérants ne réside en Azerbaïdjan, depuis une trentaine d'années. Il ne ressort enfin pas des pièces du dossier que les intéressés disposeraient en Fédération de Russie ou en Ukraine, s'ils y étaient reconnus admissibles et en admettant qu'ils puissent tous les trois prétendre à l'obtention de la même nationalité, d'attaches aussi proches que celles dont disposent en France Mme J... et M. H....

5. Ainsi, dans les circonstances particulières de l'espèce, il est suffisamment justifié que la vie privée et familiale des requérants ne peut se poursuivre normalement qu'en France, de sorte que les décisions refusant de les admettre au séjour ont porté une atteinte disproportionnée au droit de Mme J..., de M. H... et de Mme I... au respect de leur vie privée et familiale, en méconnaissance tant des dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Elles doivent, pour ce motif, être annulées, ainsi que, par voie de conséquence, les décisions qui les accompagnent.

6. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur la régularité du jugement, que Mme J..., M. H... et Mme I... sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté leurs demandes tendant à l'annulation des décisions du 15 janvier 2019 leur refusant un titre de séjour, leur faisant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixant le pays de destination.

Sur les conclusions aux fins d'injonction :

7. Les motifs du présent arrêt impliquent nécessairement qu'il soit enjoint au préfet du Rhône, sur le fondement de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, de délivrer à Mme J..., à M. H... et à Mme I... une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ", dans un délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision.

Sur les frais liés au litige :

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement au conseil des requérants de la somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me B... renonce à percevoir la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1903261-1903263-1903264 du tribunal administratif de Lyon du 17 décembre 2019 et les décisions du préfet du Rhône du 15 janvier 2019 sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au préfet du Rhône de délivrer à Mme J..., à M. H... et à Mme I... une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ", dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera à Me B..., conseil des requérants, une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me B... renonce à percevoir la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... H..., à Mme D... J..., à Mme E... I..., à Me B... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet du Rhône.

Délibéré après l'audience du 21 janvier 2021, à laquelle siégeaient :

M. Bourrachot, président de chambre,

Mme A..., présidente assesseure,

Mme G..., première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 11 février 2021.

2

N° 20LY00672

lc


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 20LY00672
Date de la décision : 11/02/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-01-03-04 Étrangers. Séjour des étrangers. Refus de séjour. Motifs.


Composition du Tribunal
Président : M. BOURRACHOT
Rapporteur ?: Mme Mathilde LE FRAPPER
Rapporteur public ?: M. VALLECCHIA
Avocat(s) : FRERY

Origine de la décision
Date de l'import : 25/02/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2021-02-11;20ly00672 ?
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