Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. H... B... D... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler l'arrêté du 1er juillet 2020 par lequel le préfet de l'Isère lui a fait obligation de quitter sans délai le territoire français et lui a fait interdiction de circuler sur ce territoire durant deux ans.
Par un jugement n° 2004617 du 16 juillet 2020, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Lyon a rejeté les conclusions de la demande dirigée contre l'obligation de quitter le territoire français, a annulé les décisions refusant le bénéfice d'un délai de départ volontaire à M. B... D... et lui interdisant de circuler sur le territoire français durant deux ans et a mis à la charge de l'Etat une somme de 900 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Procédure devant la cour
Par une requête, enregistrée le 24 juillet 2020, le préfet de l'Isère, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Lyon du 24 juillet 2020 en ce qu'il substitue la base légale de son arrêté et en ce qu'il annule les décisions portant refus d'octroi d'un délai de départ volontaire et interdiction de circulation sur le territoire français d'une durée de deux ans ;
2°) d'annuler ce jugement en ce qu'il met à la charge de l'Etat une somme de 900 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ;
3°) de rejeter la demande de M. B... D... présentée devant ce tribunal en toutes ses conclusions, y compris celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- c'est à tort que le tribunal a procédé à une substitution de base légale alors que le comportement de l'intéressé représente une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société française ;
- c'est également à tort que le tribunal a annulé le refus d'octroi d'un délai de départ volontaire alors que pour le même motif, l'éloignement du territoire français de l'intéressé présentait un caractère d'urgence ;
- c'est également à tort que le tribunal a annulé l'interdiction de circuler sur le territoire français compte tenu de la réitération des infractions perpétrées par l'intéressé et eu égard à ses conditions de séjour sur le territoire français ;
- la somme de 900 euros mise à la charge de l'Etat en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 est disproportionnée et ne correspond pas au temps passé à l'étude du dossier par le conseil de l'intéressé.
Par un mémoire en défense, enregistré le 21 octobre 2020, M. B... D..., représenté par Me G..., conclut au rejet de la requête et demande qu'une somme de 1 500 euros soit mise à la charge de l'Etat en application des articles l'article L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- l'arrêté attaqué est entaché d'incompétence ;
- il n'a pas été pris à l'issue d'un examen particulier de sa situation et est insuffisamment motivé ;
- l'obligation de quitter le territoire français est privée de base légale dès lors qu'il exerçait une activité professionnelle lui donnant le droit de séjourner sur le territoire français au-delà d'une période de trois mois ; il ne constituait pas une charge déraisonnable pour les finances françaises ; la " menace réelle, actuelle et suffisamment grave à l'encontre d'un intérêt fondamental de la société française " n'est pas caractérisée par la seule condamnation dont il a fait l'objet ;
- l'obligation de quitter le territoire français viole l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales compte tenu en particulier de sa relation avec une ressortissante française ;
- la décision refusant de lui accorder un délai de départ volontaire méconnaît les dispositions du 3° de l'article L. 511-3-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en l'absence d'urgence caractérisée ;
- la décision portant interdiction de circulation sur le territoire français pendant deux ans n'est pas motivée au regard de sa situation personnelle, et notamment du fait que sa compagne avec laquelle il vit est française ;
- cette décision porte une atteinte disproportionnée à son droit à la libre circulation sur le territoire de l'Union européenne en méconnaissance de l'article 20 du traité sur l'Union européenne et de l'article 45 de la charte des droits fondamentaux.
Par une décision du 18 novembre 2020, le bureau d'aide juridictionnelle a accordé l'aide juridictionnelle totale à M. B... D....
Par un courrier du 18 décembre 2020, les parties ont été informées, conformément aux dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que la cour était susceptible de fonder son arrêt sur le moyen relevé d'office tiré de l'irrecevabilité des conclusions du préfet de l'Isère tendant à l'annulation du jugement attaqué en ce qu'il substitue la base légale de son arrêté, qui ne sont pas dirigées contre le dispositif de ce jugement mais contre ses motifs.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et le traité sur la Communauté européenne ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte des droits de l'Union européenne ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le code de justice administrative ;
La présidente de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme F... E..., première conseillère ;
Considérant ce qui suit :
1. Le préfet de l'Isère relève appel du jugement du 16 juillet 2020 par lequel la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Lyon a annulé les décisions refusant le bénéfice d'un délai de départ volontaire à M. B... D... ainsi que lui interdisant de circuler sur le territoire français durant deux ans et a mis à la charge de l'Etat une somme de 900 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Sur l'étendue du litige :
2. L'intérêt pour faire appel s'apprécie au regard du dispositif du jugement attaqué et non de ses motifs. Les conclusions de la demande de M. B... D... dirigées contre l'obligation de quitter sans délai le territoire français ont été rejetées par le jugement attaqué. Les conclusions du préfet de l'Isère tendant à l'annulation du jugement attaqué, en ce qu'il substitue la base légale de son arrêté, ne sont pas dirigées contre le dispositif du jugement mais contre ses motifs. Quels que soient les motifs du jugement qu'il critique, le préfet de l'Isère n'a pas intérêt à en faire appel dans cette mesure.
3. M. B... D... n'a pas fait appel du jugement dans le délai ni ne peut être regardé comme en relevant appel incident, compte tenu de ses conclusions tendant seulement au rejet de la requête du préfet de l'Isère. Les moyens qu'il présente, dirigés contre l'obligation de quitter le territoire français, excèdent le champ de l'appel et ne sont ainsi pas recevables.
En ce qui concerne les motifs d'annulation retenus par le premier juge :
4. En premier lieu, aux termes du 6ème alinéa de l'article L. 511-3-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger dispose, pour satisfaire à l'obligation qui lui a été faite de quitter le territoire français, d'un délai qui, sauf urgence, ne peut être inférieur à trente jours à compter de sa notification. A titre exceptionnel, l'autorité administrative peut accorder un délai de départ volontaire supérieur à trente jours. ".
5. Il ressort des pièces du dossier que M. B... D... a été condamné par le tribunal correctionnel de Vienne le 11 mai 2020 à une peine d'emprisonnement de six mois pour des faits de violence commis en réunion et avec usage ou menace d'une arme, suivie d'une incapacité n'excédant pas huit jours, violation de domicile et usage de stupéfiants. Eu égard à la gravité de ces faits et alors même que l'intéressé n'a fait l'objet que d'une seule condamnation pénale, le préfet de l'Isère n'a pas commis d'erreur d'appréciation en estimant qu'il y avait urgence à l'éloigner du territoire français.
6. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 511-3-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut, par décision motivée, assortir l'obligation de quitter le territoire français prononcée en application des 2° et 3° de l'article L. 511-3-1 d'une interdiction de circulation sur le territoire français d'une durée maximale de trois ans. (...) Les quatre derniers alinéas de l'article L. 511-3-1 sont applicables. ". Aux termes du cinquième aliéna de l'article L. 511-3-1 du même code : " L'autorité administrative compétente tient compte de l'ensemble des circonstances relatives à sa situation, notamment la durée du séjour de l'intéressé en France, son âge, son état de santé, sa situation familiale et économique, son intégration sociale et culturelle en France, et de l'intensité de ses liens avec son pays d'origine (...) ".
7. Il résulte des termes mêmes de ces dispositions qu'une interdiction de circulation sur le territoire français peut légalement être prononcée à l'encontre d'un étranger dont le comportement représente une menace réelle, actuelle et suffisamment grave à l'encontre d'un intérêt fondamental de la société, ce qui est le cas de l'intéressé eu égard à la gravité des faits mentionnés au point 5 pour lesquels il a été condamné. M. B... D..., même s'il a travaillé en qualité de maçon, est incarcéré à la date de la décision attaquée et depuis le 9 mai 2020 et ne justifie pas d'une intégration particulière. Sa durée de présence en France et sa relation avec une ressortissante française sont très récentes. Son fils âgé de dix-neuf ans et sa mère résident en Espagne. Par suite, en prenant une décision d'interdiction de circulation sur le territoire français pour une durée de deux ans, le préfet de l'Isère n'a pas fait une inexacte application de l'article L. 511-3-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
8. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par M. B... D..., dirigés contre les décisions refusant le bénéfice d'un délai de départ volontaire et portant interdiction de circulation sur le territoire français.
Sur les autres moyens invoqués de M. B... D... :
9. En premier lieu, l'arrêté a été signé par M. Philippe Portal, secrétaire général de préfecture de l'Isère, qui disposait d'une délégation de signature à cette fin, consentie par un arrêté du 10 février 2020, régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture de l'Isère n° 36-2020-019 du 13 février 2020. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'arrêté, qui manque en fait, doit être écarté.
10. En deuxième lieu, l'arrêté attaqué indique les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Le préfet a rappelé dans ses décisions la situation personnelle de M. B... D... dont il a procédé à un examen particulier, quand bien même il n'a pas fait mention de l'exercice d'une activité professionnelle en France. L'interdiction de circulation se réfère expressément aux motifs précédemment opposés pour justifier la décision portant obligation de quitter le territoire français.
11. En troisième lieu, pour les motifs énoncés au point 5, alors que le droit à la libre circulation des ressortissants européens peut connaître des restrictions notamment lorsque le comportement de l'intéressé représente une menace suffisamment grave à l'encontre d'un intérêt fondamental de la société, le préfet de l'Isère n'a pas méconnu les stipulations de l'article 20 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ni celles de l'article 45 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.
12. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de l'Isère est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Lyon a annulé ses décisions, contenue dans l'arrêté du 1er juillet 2020, refusant le bénéfice d'un délai de départ volontaire à M. B... D... et lui interdisant de circuler sur le territoire français durant deux ans.
Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative en première instance :
13. Il résulte de ce qui est dit au point précédent que l'Etat ne peut être regardé comme étant partie perdante en première instance. Par suite, le préfet de l'Isère est fondé à soutenir que c'est à tort que le premier juge a mis à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 900 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Sur les frais liés à l'instance d'appel :
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante, la somme que M. B... D... demande au titre des frais non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Lyon du 16 juillet 2020 est annulé en tant qu'il annule les décisions portant refus d'octroi d'un délai de départ volontaire à M. B... D... et interdiction de circulation sur le territoire français d'une durée de deux ans et en tant qu'il met à la charge de l'Etat une somme de 900 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 2 : La demande présentée par M. B... D... devant le tribunal administratif de Lyon et ses conclusions en appel sont rejetées
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... D... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de l'Isère.
Délibéré après l'audience du 19 janvier 2021 à laquelle siégeaient :
Mme C... A..., présidente de chambre,
M. Thierry Besse, président-assesseur,
Mme F... E..., première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 février 2021.
2
N° 20LY01968