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21/01/2021 | FRANCE | N°19LY03845

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 4ème chambre, 21 janvier 2021, 19LY03845


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. A... D... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler l'arrêté du 27 juin 2019 du ministre de l'intérieur renouvelant la mesure individuelle de contrôle administratif et de surveillance prise à son encontre le 5 avril 2019.

Par un jugement n° 1906238 du 18 septembre 2019, ce tribunal a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 14 octobre 2019, M. D..., représenté par Me B..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement et cet

arrêté ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre des frais du litige.
...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. A... D... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler l'arrêté du 27 juin 2019 du ministre de l'intérieur renouvelant la mesure individuelle de contrôle administratif et de surveillance prise à son encontre le 5 avril 2019.

Par un jugement n° 1906238 du 18 septembre 2019, ce tribunal a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 14 octobre 2019, M. D..., représenté par Me B..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement et cet arrêté ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre des frais du litige.

Il soutient que :

- l'arrêté a été pris à l'issue d'une procédure irrégulière faute de preuve de ce que le courriel par lequel le ministre de l'intérieur a informé les procureurs compétents a effectivement été réceptionné ;

- il repose sur des faits matériellement inexacts ;

- les conditions fixées à l'article L. 228-1 du code de la sécurité intérieure pour prononcer la mesure prévue à l'article L. 228-2 ne sont pas remplies ;

- les dispositions de ces articles portent atteinte aux droits garantis par le 1 de l'article 5 et l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et au principe de légalité des délits et des peines, énoncé à son article 7, ainsi qu'à la liberté d'aller et de venir, protégée par l'article 2 du quatrième protocole additionnel à cette convention ;

- l'arrêté contesté porte par lui-même une atteinte grave et directe à ses libertés fondamentales et à sa situation.

Par un mémoire en défense enregistré le 6 mai 2020, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que :

- le moyen de procédure, qui manque en fait, est au surplus inopérant, de même que les moyens tirés de la méconnaissance des articles 5 et 7 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- les autres moyens soulevés par M. D... ne sont pas fondés.

Vu :

- la Constitution ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code pénal ;

- le code de la sécurité intérieure ;

- la décision du Conseil constitutionnel n° 2017-691 QPC du 16 février 2018 ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme C...,

- les conclusions de M. Savouré, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêté du 5 avril 2019, modifié en dernier lieu par un arrêté du 21 juin 2019, le ministre de l'intérieur, sur le fondement des dispositions du code de la sécurité intérieure, a prononcé à l'encontre de M. D..., de nationalité française, une mesure individuelle de contrôle administratif et de surveillance. Cet arrêté comportait, en premier lieu, pour une durée de trois mois, en application des dispositions du de l'article L. 228-2 du code de la sécurité intérieure, l'interdiction, assortie de réserves pour l'exercice de ses droits de visite et d'hébergement de sa fille et les besoins de son activité professionnelle, de se déplacer à l'extérieur du territoire de la commune de Tournon-sur-Rhône, l'obligation de se présenter une fois par jour, y compris les dimanches et jours fériés ou chômés, à la brigade de gendarmerie de cette commune et l'obligation de déclarer son lieu d'habitation et tout changement de celui-ci. Cet arrêté comportait, en second lieu, pour une durée de six mois, en application des dispositions de l'article L. 228-5 du même code, l'interdiction de se trouver en relation directe ou indirecte avec quatre personnes nommément désignées par l'arrêté. Par un nouvel arrêté du 27 juin 2019, le ministre de l'intérieur a renouvelé, pour une durée de trois mois, les mesures fondées sur les dispositions de l'article L. 228-2 et maintenu l'interdiction fondée sur les dispositions de l'article L. 228-5 jusqu'au 3 octobre 2019. Par un jugement du 18 septembre 2019, le tribunal administratif de Lyon a rejeté la demande de M. D... tendant à l'annulation de ce dernier arrêté. M. D... relève appel de ce jugement.

2. Aux termes de l'article L. 228-1 du code de la sécurité intérieure : " Aux seules fins de prévenir la commission d'actes de terrorisme, toute personne à l'égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace d'une particulière gravité pour la sécurité et l'ordre publics et qui soit entre en relation de manière habituelle avec des personnes ou des organisations incitant, facilitant ou participant à des actes de terrorisme, soit soutient, diffuse, lorsque cette diffusion s'accompagne d'une manifestation d'adhésion à l'idéologie exprimée, ou adhère à des thèses incitant à la commission d'actes de terrorisme ou faisant l'apologie de tels actes peut se voir prescrire par le ministre de l'intérieur les obligations prévues au présent chapitre ".

3. Aux termes de l'article L. 228-2 du code de la sécurité intérieure : " Le ministre de l'intérieur peut, après avoir informé le procureur de la République de Paris et le procureur de la République territorialement compétent, faire obligation à la personne mentionnée à l'article L. 228-1 de : / 1° Ne pas se déplacer à l'extérieur d'un périmètre géographique déterminé, qui ne peut être inférieur au territoire de la commune. (...) ; / 2° Se présenter périodiquement aux services de police ou aux unités de gendarmerie, dans la limite d'une fois par jour, en précisant si cette obligation s'applique les dimanches et jours fériés ou chômés ; / 3° Déclarer son lieu d'habitation et tout changement de lieu d'habitation. / Les obligations prévues aux 1° à 3° du présent article sont prononcées pour une durée maximale de trois mois à compter de la notification de la décision du ministre. Elles peuvent être renouvelées par décision motivée, pour une durée maximale de trois mois, lorsque les conditions prévues à l'article L. 228-1 continuent d'être réunies. Au-delà d'une durée cumulée de six mois, chaque renouvellement est subordonné à l'existence d'éléments nouveaux ou complémentaires. La durée totale cumulée des obligations prévues aux 1° à 3° du présent article ne peut excéder douze mois. Les mesures sont levées dès que les conditions prévues à l'article L. 228-1 ne sont plus satisfaites. / (...) ".

4. Aux termes de l'article L. 228-5 du code de sécurité intérieure : " Le ministre de l'intérieur peut (...) faire obligation à toute personne mentionnée à l'article L. 228-1, y compris lorsqu'il est fait application des articles L. 228-2 à L. 228-4, de ne pas se trouver en relation directe ou indirecte avec certaines personnes, nommément désignées, dont il existe des raisons sérieuses de penser que leur comportement constitue une menace pour la sécurité publique. / L'obligation mentionnée au premier alinéa du présent article est prononcée pour une durée maximale de six mois à compter de la notification de la décision du ministre. (...). ".

5. Il ressort des pièces du dossier que, le 27 juin 2019, le ministre de l'intérieur a informé par courriel les parquets des tribunaux de grande instance de Paris et de Privas de ce qu'il envisageait de renouveler la mesure individuelle de contrôle administratif et de surveillance prise à l'encontre de M. D.... Le procureur de la République à Privas l'a informé le lendemain des obligations judiciaires dont faisait l'objet l'intéressé. Le moyen tiré de ce que l'arrêté contesté serait intervenu à l'issue d'une procédure irrégulière ne peut, en tout état de cause, qu'être écarté.

6. L'arrêté contesté est fondé d'une part, sur la participation de M. D..., délinquant multirécidiviste condamné en 2014 à une peine de trois ans d'emprisonnement, dont un an avec sursis et mise à l'épreuve pour vol avec arme, à des entraînements au combat et au tir en compagnie d'un groupe de trois individus connus comme radicalisés et à la découverte à son domicile d'une arme de poing à blanc, d'une machette et de plusieurs armes airsoft et, d'autre part, sur sa pratique rigoriste de l'islam auquel il s'est converti en 2016. La décision mentionne à cet égard son prosélytisme, son adhésion à l'idéologie djihadiste, ses liens réguliers avec le groupe radicalisé précité dont l'un des membres lui a demandé de solliciter ses " relations " pour se procurer une arme " fiable et solide " pour " faire quelque chose avant de mourir " et avec lesquels il communique via une application de messagerie cryptée, et enfin la découverte à son domicile de nombreuses publications religieuses dont " Le jardin des vertueux ", ouvrage, très répandu au sein de la mouvance islamiste, qui justifie le recours au djihad armé et incite à la discrimination, la haine et la violence envers les chrétiens et les juifs, ainsi qu'un testament " au nom d'Allah " préimprimé, faisant l'apologie de l'action kamikaze et de la mort en martyr. Ces faits, en dépit des dénégations de l'intéressé, sont établis par un procès-verbal de visite domiciliaire effectuée le 4 avril 2019 et une note de renseignement complémentaire. En s'appuyant sur ses éléments pour estimer que les deux conditions cumulatives étaient remplies, le ministre de l'intérieur a fait une exacte application des articles L. 228-1 et L. 228-2.

7. Ainsi que le Conseil constitutionnel l'a relevé dans sa décision n° 2017-691 du 16 février 2018 par laquelle il a déclaré les dispositions de l'article L. 228-2 conformes sous réserves à la Constitution, le législateur, qui a à la fois strictement borné le champ d'application de la mesure individuelle de contrôle administratif et de surveillance et apporté les garanties nécessaires, a assuré une conciliation qui n'est pas manifestement déséquilibrée entre, d'une part, l'objectif de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l'ordre public et, d'autre part, la liberté d'aller et de venir, le droit au respect de la vie privée et le droit de mener une vie familiale normale. Par ailleurs, les obligations de présentation aux services de police et de déclaration du lieu d'habitation n'ont ni pour objet ni pour effet de priver la personne en cause de sa liberté au sens du 1 de l'article 5 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Elles ne reposent pas davantage sur la culpabilité d'une personne en raison de la commission d'une infraction mais visent à permettre l'exécution d'une mesure de police et ne constituent par elles-mêmes ni des peines ni des sanctions au sens des stipulations de l'article 7 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par suite, le moyen tiré de ce que les dispositions des articles L. 228-1 et L. 228-2 du code de la sécurité intérieure portent atteinte aux droits garantis par le 1 de l'article 5 et l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et au principe de légalité des délits et des peines énoncé à son article 7 ainsi qu'à la liberté d'aller et de venir protégée par l'article 2 du quatrième protocole additionnel à la convention doit être écarté.

8. Enfin, si l'appelant soutient que l'arrêté contesté porte par lui-même une atteinte grave et directe aux libertés fondamentales et à sa situation, qu'au demeurant il ne précise pas, il n'est pas fondé à invoquer la méconnaissance de ces stipulations, compte tenu de son comportement durablement menaçant, de son adhésion à une propagande faisant l'apologie du terrorisme et de ses relations avec des personnes délinquantes avec lesquelles il conserve des liens, et qui sont susceptibles de procurer des armes à des proches, identifiés comme radicalisés.

9. Il résulte de ce qui précède que M. D... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande. Sa requête doit être rejetée, y compris ses conclusions présentées au titre des frais du lige.

DECIDE:

Article 1er : La requête de M. D... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... D... et au ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience du 14 janvier 2021, à laquelle siégeaient :

M. d'Hervé, président,

Mme C..., président assesseur,

Mme Duguit-Larcher, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 janvier 2021.

4

N° 19LY03845


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 19LY03845
Date de la décision : 21/01/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. d'HERVE
Rapporteur ?: Mme Céline MICHEL
Rapporteur public ?: M. SAVOURE
Avocat(s) : ASMANE

Origine de la décision
Date de l'import : 16/03/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2021-01-21;19ly03845 ?
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