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07/01/2021 | FRANCE | N°19LY01715

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 7ème chambre, 07 janvier 2021, 19LY01715


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. H... E..., Mme K... B..., M. J... E..., M. F... E..., M. G... E... et Mme I... ont demandé au tribunal administratif de Lyon de condamner l'État à leur verser, outre intérêts légaux à compter du 23 septembre 2016, les sommes de 58 078,33 euros à M. H... E..., de 33 439,18 euros à Mme K... B..., de 8 000 euros à Mme I..., de 10 000 euros à M. J... E..., de 20 000 euros, chacun, à M. F... E... et M. G... E....

Par jugement n° 1703081 lu le 26 mars 2019, le tribunal a limité la condamnation de l'

État à la somme de 500 euros au bénéfice de M. H... E..., outre intérêts à compter...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. H... E..., Mme K... B..., M. J... E..., M. F... E..., M. G... E... et Mme I... ont demandé au tribunal administratif de Lyon de condamner l'État à leur verser, outre intérêts légaux à compter du 23 septembre 2016, les sommes de 58 078,33 euros à M. H... E..., de 33 439,18 euros à Mme K... B..., de 8 000 euros à Mme I..., de 10 000 euros à M. J... E..., de 20 000 euros, chacun, à M. F... E... et M. G... E....

Par jugement n° 1703081 lu le 26 mars 2019, le tribunal a limité la condamnation de l'État à la somme de 500 euros au bénéfice de M. H... E..., outre intérêts à compter du 23 septembre 2016 et a rejeté le surplus des demandes.

Procédure devant la cour

Par requête enregistrée le 3 mai 2019, les consorts E... représentés par Me A... demandent à la cour, si nécessaire après mesure d'instruction aux fins de production des listings d'appels au 115 du 16 juillet 2013 au 14 juin 2015 :

1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il rejette le surplus de leurs demandes, de condamner l'État à leur verser les sommes, outre intérêts, de 33 439,18 euros à Mme K... B..., de 8 000 euros à Mme I..., de 10 000 euros à M. J... E..., de 20 000 euros chacun à M. F... E... et M. G... E..., et de porter à 58 078,33 euros la condamnation prononcée au bénéfice de M. H... E... ;

2°) chacun en ce qui le concerne, de mettre à la charge de l'État une somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- le jugement est irrégulier dès lors que le tribunal ne les a pas mis à même de débattre du motif de rejet d'une partie de leurs conclusions, relevé d'office ;

- la responsabilité de l'État doit être engagée pour violation directe de la directive 2003/9/CE du conseil du 27 janvier 2003, transposition irrégulière et transmission d'une information indue par la préfecture de la Loire à Pôle emploi, pour absence de garantie des normes minimales pour l'accueil des demandeurs d'asile en raison du refus d'octroi de l'allocation temporaire d'attente et de la privation d'hébergement, violation des stipulations de l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales et des articles 3-1 et 9 de la convention internationale des droits de l'enfant en ce qui concerne les enfants ;

- la responsabilité de l'État est également engagée pour avoir illégalement refusé d'instruire la demande d'admission au séjour au titre de l'asile de M. H... E..., dont il est résulté un préjudice subi du 12 avril 2014 au 12 août 2014, date de remise de son autorisation provisoire de séjour en tant que demandeur d'asile ; Mme B... recherche également la responsabilité de l'État en raison de l'illégalité du refus d'admission au séjour au titre de l'asile qui lui a été opposé en septembre 2014 ;

- le tribunal a statué au-delà de la demande des parties ; le ministre de l'intérieur a acquiescé aux faits, il ne conteste pas le principe de la responsabilité de l'État sur le fondement de la violation de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- la convention de Genève est inopposable dès lors que Mme I... n'est pas bénéficiaire du statut de réfugié en Pologne.

Par mémoire enregistré le 29 novembre 2019, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.

Il soutient que le jugement n'est pas irrégulier et qu'aucun moyen de la requête n'est fondé.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés et le protocole signé à New York le 31 janvier 1967 ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le règlement (CE) n° 343/2003 du conseil du 18 février 2003 ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du parlement européen et du conseil du 26 juin 2013 ;

- la directive 2003/9/CE du conseil du 27 janvier 2003 ;

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code du travail ;

- le décret n° 2012-1496 du 8 décembre 2012 ;

- le décret n° 2013-1274 du 27 décembre 2013 ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Djebiri, premier conseiller ;

- et les conclusions de M. Chassagne, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. M. et Mme E... et leurs quatre enfants, ressortissants russes, sont entrés en France en septembre 2012. Ils ont fait l'objet de procédure de transfert vers la Pologne, pays dans lequel ils séjournaient de 2007 à septembre 2012. Ils y ont obtenu le statut de réfugié pour M. E... et sa fille ainée Aymani le 1er octobre 2015, pour leur fils J... E... le 18 juillet 2016 et pour Mme D... le 21 octobre 2016. Par courrier notifié le 23 septembre 2016 au ministère de l'intérieur, ils ont demandé à être indemnisés des préjudices subis en raison de fautes de l'État entre septembre 2012 et septembre 2016. Suite au rejet implicite de leur demande, ils ont saisi le 13 avril 2017 le tribunal administratif de Lyon afin d'obtenir la condamnation de l'État. Ils relèvent appel du jugement du 26 mars 2019 par lequel le tribunal n'a fait que partiellement droit à leurs demandes.

Sur la régularité du jugement :

2. Aux termes de l'article R. 611-7 du code de justice administrative : " Lorsque la décision lui paraît susceptible d'être fondée sur un moyen relevé d'office, le président de la formation de jugement (...) en informe les parties avant la séance de jugement et fixe le délai dans lequel elles peuvent (...) présenter leurs observations sur le moyen communiqué (...) ". Le juge administratif, saisi de conclusions mettant en jeu la responsabilité de la puissance publique, n'est pas tenu de procéder à la communication ainsi prescrite lorsqu'il constate au vu des pièces du dossier qu'une des conditions d'engagement de la responsabilité publique n'est pas remplie, alors même qu'il fonde ce constat sur des dispositions législatives ou réglementaires non invoquées en défense.

3. Tel est le cas de la demande indemnitaire présentée par Mme B..., que le tribunal a rejetée au motif qu'elle n'avait pas été privée de la protection des autorités polonaises reconnue par la convention de Genève, dont les stipulations n'avaient pas à être invoquées en défense.

Sur le fond du litige :

En ce qui concerne la responsabilité pour privation de l'allocation temporaire d'attente :

4. En premier lieu, les consorts E... n'établissant pas en quoi la directive 2003/9/CE susvisée aurait été insuffisamment transposée en droit interne, ils ne peuvent utilement s'en prévaloir pour soutenir que la responsabilité de l'État serait engagée à ce titre.

5. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction, notamment des énonciations non sérieusement contestées de l'ordonnance rendue le 20 août 2013 n° 371155 par le Conseil d'État que la fuite de M. E... et Mme B... était caractérisée. Par suite, ils ne sont pas fondés à soutenir que la responsabilité de l'État serait engagée pour leur avoir opposé, à tort, cette situation et en avoir tiré les conséquences sur les aides servies aux demandeurs d'asile.

6. En troisième lieu, il ressort des dispositions combinées des articles L. 5423-14 et L. 5312-1 du code du travail, dans leurs rédactions applicables au litige, que Pôle Emploi était alors chargé de verser l'allocation temporaire d'attente et que le représentant local de cet établissement a d'ailleurs rejeté les demandes d'allocation de M. et Mme E..., par décisions du 23 et du 24 mai 2013. Dans ces conditions, les conclusions de la requête tendant à ce que l'État soit condamné à indemniser les intéressés des conséquences dommageables de ces refus sont mal dirigées et doivent être rejetées comme mal dirigées.

En ce qui concerne la responsabilité pour privation d'hébergement :

7. Si M. E... demande à être indemnisé des conséquences matérielles de l'absence de mise à disposition d'un hébergement d'urgence après la réadmission de son épouse en Pologne, il n'établit pas avoir exposé des frais liés à cette période de précarité. Les conclusions présentées de ce chef doivent, par suite, être rejetées.

En ce qui concerne la responsabilité pour faute pour violation de conventions internationales :

8. En premier lieu, si le ministre de l'intérieur dans son mémoire en défense ne demande que la réévaluation du montant sollicité par les membres de la famille en raison des préjudices subis pour violation de la convention européenne des droits de l'homme et la méconnaissance de la convention internationale relative aux droits de l'enfant, le tribunal s'est assuré que la situation de fait invoquée par les requérants n'était pas contredite par les pièces du dossier pour en déduire que les conditions d'engagement de la responsabilité de l'État pour méconnaissance de ces conventions internationales n'étaient pas réunies. Par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que le tribunal aurait rejeté leur demande d'indemnisation en statuant au-delà de leurs prétentions.

9. En deuxième lieu, si les requérants demandent une indemnisation en se prévalant de l'atteinte portée à leur vie familiale et l'atteinte portée à l'intérêt supérieur de leurs enfants, protégées par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et par l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant, en raison de la séparation de leur foyer pendant deux ans après que Mme E... et les deux plus jeunes enfants eurent été réadmis en Pologne, tandis que M. E... faisait l'objet d'une mesure de contrôle judiciaire extraditionnelle en France, ils n'établissent pas que les décisions de transfert dont est résulté cette séparation aient été illégales, donc fautives. Au surplus, une partie de la famille s'étant délibérément soustraite aux décisions de transfert, l'Etat ne saurait être tenu de répondre du fait des demandeurs.

10. En dernier lieu, les stipulations de l'article 9-1 de la convention internationale des droits de l'enfant créent seulement des obligations entre États sans ouvrir de droits aux personnes individuelles intéressées. Par suite, les consorts E... ne peuvent invoquer utilement la méconnaissance de ces stipulations pour rechercher la responsabilité de l'État.

En ce qui concerne la responsabilité pour illégalité de décisions administratives :

11. Aux termes de l'article 19 du règlement (CE) 343/2003 susvisé : " 1. Lorsque l'État membre requis accepte la prise en charge d'un demandeur, l'État membre dans lequel la demande d'asile a été introduite notifie au demandeur la décision de ne pas examiner la demande, ainsi que l'obligation de le transférer vers l'État membre responsable (...) 3. Le transfert du demandeur de l'État membre auprès duquel la demande d'asile a été introduite vers l'État membre responsable s'effectue conformément au droit national du premier État membre, après concertation entre les États membres concernés, dès qu'il est matériellement possible et, au plus tard, dans un délai de six mois à compter de l'acceptation de la demande de prise en charge (...) 4. Si le transfert n'est pas exécuté dans le délai de six mois, la responsabilité incombe à l'État membre auprès duquel la demande d'asile a été introduite (...) ".

12. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que Mme B..., entrée irrégulièrement en France le 17 septembre 2012 selon ses déclarations, y a sollicité la reconnaissance du statut de réfugié, le 24 septembre 2012. Par arrêté du 19 décembre 2012, le préfet de la Loire a pris un arrêté de réadmission en Pologne. L'intéressée a été transférée avec ses deux plus jeunes enfants en Pologne, le 16 juillet 2013. Elle est revenue en France, le 21 septembre 2014 et sollicitait, le 30 septembre 2014, une autorisation provisoire de séjour au titre de l'asile. Une décision implicite de rejet est née quinze jours plus tard alors que son mari et sa fille bénéficiaient d'une autorisation provisoire de séjour depuis le 12 août 2014. Elle recherche la responsabilité de l'État en raison de cette décision implicite de rejet. La circonstance que le préfet du Rhône lui ait délivré de manière purement gracieuse, en janvier 2015, l'autorisation provisoire de séjour sollicitée ne rend pas illégale la décision implicite de rejet, alors qu'il n'est pas établi que son transfert en Pologne ait été prononcé en méconnaissance des dispositions citées au point 11. Dans ces conditions, elle n'est pas fondée à demander réparation des conséquences de cette décision implicite de rejet de la demande d'autorisation provisoire de séjour au titre de l'asile, sans que la défense du ministère de l'intérieur et la condamnation à verser des frais exposés et non compris dans les dépens sur le litige de référé porté devant le Conseil d'État ait une incidence sur l'engagement de la responsabilité de l'État.

13. En deuxième lieu, si M. E... soutient avoir subi des troubles dans ses conditions d'existence et des préjudices résultant du refus fautif de délivrance d'une autorisation provisoire de séjour entre le 12 avril 2014, date à laquelle la France est redevenue responsable de l'examen de sa demande d'asile et le 12 août 2014, date à laquelle une autorisation provisoire de séjour lui a été délivrée, le tribunal a fait une juste appréciation des préjudices et des troubles dans les conditions d'existence en condamnant l'État à lui verser une indemnité d'un montant de 500 euros. En l'absence de démonstration de l'existence de préjudices non couverts par cette somme, les conclusions de la requête tendant à ce que ce poste soit réévalué doivent être rejetées.

14. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de faire droit la mesure d'instruction sollicitée, que les requérants ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Lyon a limité la condamnation de l'État à verser une somme de 500 euros à M. H... E..., outre intérêts au taux légal, et a rejeté le surplus des demandes. Les conclusions de leur requête présentées aux mêmes fins doivent être rejetées, ainsi que, par voie de conséquence, leurs conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. H... E..., Mme K... B..., M. J... E..., M. F... E..., M. G... E... et Mme I... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. H... E..., Mme K... B..., M. J... E..., M. F... E..., M. G... E... et Mme I... et au ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience du 10 décembre 2020 à laquelle siégeaient :

M. Arbarétaz, président de chambre ;

M. Seillet, président assesseur ;

Mme Djebiri, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 7 janvier 2021.

N° 19LY01715 2

lc


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 19LY01715
Date de la décision : 07/01/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

095-02-06-02


Composition du Tribunal
Président : M. ARBARETAZ
Rapporteur ?: Mme Christine DJEBIRI
Rapporteur public ?: M. CHASSAGNE
Avocat(s) : PIALOU

Origine de la décision
Date de l'import : 27/01/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2021-01-07;19ly01715 ?
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