La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

17/12/2020 | FRANCE | N°18LY02038

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 5ème chambre, 17 décembre 2020, 18LY02038


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. A... C... a demandé au tribunal administratif de Lyon de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles il a été assujetti au titre de l'année 2011, ainsi que des pénalités correspondantes, d'ordonner la mainlevée aux frais de l'État du nantissement des 15 288 actions qu'il détient dans la société Neway et qu'il a remises en garantie du sursis de paiement des impositions en litige et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5

000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. A... C... a demandé au tribunal administratif de Lyon de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles il a été assujetti au titre de l'année 2011, ainsi que des pénalités correspondantes, d'ordonner la mainlevée aux frais de l'État du nantissement des 15 288 actions qu'il détient dans la société Neway et qu'il a remises en garantie du sursis de paiement des impositions en litige et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1602770 du 3 avril 2018, le tribunal administratif de Lyon, après avoir relevé que la demande de mainlevée du nantissement était portée devant une juridiction incompétente pour en connaître, a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 1er juin 2018 et le 29 novembre 2018, M. C..., représenté par Me D..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Lyon du 3 avril 2018 ;

2°) de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles il a été assujetti au titre de l'année 2011, ainsi que des pénalités correspondantes ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la proposition de rectification est insuffisamment motivée, le privant de la garantie essentielle d'un dialogue contradictoire avec l'administration, en méconnaissance de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales, en ce qu'elle se borne à estimer insuffisant le taux de réinvestissement de l'apport-cession de titres en litige, et trop long le délai de réalisation de l'opération ;

- les impositions supplémentaires au titre de l'abus de droit ne sont pas fondées, dès lors qu'il n'a jamais appréhendé le produit de l'apport-cession de titres litigieux, les sommes étant demeurées dans le patrimoine de la société Neway jusqu'à leur réinvestissement à hauteur de 80 000 euros dans le secteur économique de l'assurance résultant de l'augmentation, comme prévu, du capital de la société Axelliance, le surplus ayant fait l'objet d'une régularisation spontanée en 2013 ;

- le pourcentage effectif de réinvestissement rapporté au prix de cession bénéficiant du sursis d'imposition de la plus-value s'élève à un pourcentage significatif de 43,78%, et non 22,22%, compte tenu de la réduction de capital déjà intervenue et ayant entraîné l'imposition spontanée d'une partie de la plus-value initiale ; le réinvestissement économique doit en effet s'apprécier non au regard de l'intégralité du produit initial de la cession, mais au regard du seul prix de cession ayant produit une plus-value demeurée en sursis d'imposition, ce que l'administration a nécessairement admis en consentant un dégrèvement, en droits comme en pénalités, du fait de la régularisation opérée en 2013 ; un premier réinvestissement économique, à concurrence de 30% du prix de cession, était en outre intervenu presque immédiatement après l'apport, par l'octroi d'un prêt de 100 000 euros à la société Solyas Courtage ;

- la durée du réinvestissement, qui doit être qualifiée de raisonnable, s'explique par la méthode de développement du groupe Axelliance, par regroupement en croissance externe de plusieurs cabinets de courtiers puis de grossistes d'assurance, lui-même n'ayant d'influence ni sur le rythme d'ouverture du capital d'Axelliance, ni sur celui des acquisitions ; il doit en outre s'apprécier pour partie au 31 janvier 2016, compte tenu d'une clause de crédit vendeur consentie par Neway à Axelliance le 6 octobre 2011 ;

- l'administration fiscale, en abandonnant les rehaussements notifiés à son coassocié ayant procédé aux mêmes opérations sans d'ailleurs procéder au moindre réinvestissement, a méconnu les principes d'égalité devant l'impôt et les charges publiques garantis par les articles 6 et 13 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 31 octobre 2018 et le 18 novembre 2019, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- la proposition de rectification était régulièrement motivée ;

- il apporte la preuve que les opérations litigieuses ont permis à M. C..., en sa qualité de seul associé de la SASU Neway, de bénéficier abusivement du régime du sursis d'imposition lors de l'échange de titres et de disposer, par l'entremise de la société nouvellement créée, des liquidités résultant de la vente par celle-ci des titres Solyas Courtage, tout en restant détenteur de toutes les parts de la nouvelle société ;

- M. C... ne peut utilement faire valoir que l'administration aurait pris une position différente sur une situation identique à la sienne, alors que la situation de fait est différente.

En application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative, la clôture de l'instruction a été fixée au 12 juin 2020, par ordonnance du 12 mai 2020.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme E..., premier conseiller,

- et les conclusions de M. Vallecchia, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. La SASU NEWAY, dont M. A... C... est président et associé unique, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 29 septembre 2011 au 31 décembre 2013, au cours de laquelle elle a revendu à la SAS Axelliance Groupe Assurance 4 800 actions de la société Solyas Courtage lui ayant été apportées par M. C... lors de sa constitution. A l'issue de cette vérification et selon proposition de rectification du 17 décembre 2014, l'administration, estimant que l'opération revêtait pour M. C... un intérêt exclusivement fiscal, a notifié à ce dernier, sur le fondement de l'abus de droit, des rehaussements d'impôt sur le revenu, de contribution sur les hauts revenus et de contributions sociales au titre de l'année 2011, assortis de pénalités de retard et de majorations pour abus de droit, mis en recouvrement les 30 juin et 31 juillet 2015. L'administration fiscale n'ayant que partiellement fait droit à sa réclamation, M. C... doit être regardé comme demandant à la cour d'annuler le jugement du 3 avril 2018 du tribunal administratif de Lyon en tant seulement qu'il a rejeté sa demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales maintenues à sa charge, ainsi que des pénalités correspondantes, soit 84 129 euros, et de l'en décharger.

Sur le bien-fondé de l'imposition :

2. D'une part, en vertu des dispositions combinées des articles 150-0 A et 150-0 B du code général des impôts applicables à la présente espèce, les plus-values et moins-values réalisées dans le cadre d'un apport de titres à une société soumise à l'impôt sur les sociétés ne sont pas soumises à l'impôt sur le revenu au titre de l'année de l'échange des titres.

3. D'autre part, aux termes de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction applicable en l'espèce : " Afin d'en restituer le véritable caractère, l'administration est en droit d'écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes constitutifs d'un abus de droit, soit que ces actes ont un caractère fictif, soit que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes ou de décisions à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, si ces actes n'avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles. / En cas de désaccord sur les rectifications notifiées sur le fondement du présent article, le litige est soumis, à la demande du contribuable, à l'avis du comité de l'abus de droit fiscal. L'administration peut également soumettre le litige à l'avis du comité. / Si l'administration ne s'est pas conformée à l'avis du comité, elle doit apporter la preuve du bien-fondé de la rectification (...) ". En l'absence de saisine du comité de l'abus de droit fiscal, la charge de la preuve du bien-fondé de l'imposition incombe à l'administration. Lorsque cette dernière use de la faculté que lui confèrent les dispositions précitées dans des conditions telles que la charge de la preuve lui incombe, elle est fondée à écarter comme ne lui étant pas opposables certains actes passés par le contribuable, dès lors qu'elle établit que ces actes, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes, à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, s'il n'avait pas passé ces actes, aurait normalement supportées, eu égard à sa situation ou à ses activités réelles.

4. Il résulte en outre des dispositions de l'article 150-0 B du code général des impôts, éclairées par les travaux préparatoires de la loi de finances du 30 décembre 1999 pour 2000 de laquelle elles sont issues, que le législateur a, en les adoptant, entendu faciliter les opérations de restructuration d'entreprises, en vue de favoriser la création et le développement de celles-ci, par l'octroi automatique d'un sursis d'imposition pour les plus-values résultant de certaines opérations qui ne dégagent pas de liquidités. Lorsque l'administration entend remettre en cause les conséquences fiscales d'une opération qui s'est traduite par un sursis d'imposition au motif que les actes passés par le contribuable ne lui sont pas opposables, elle est fondée à se prévaloir des dispositions de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales. En effet, une telle opération, dont l'intérêt fiscal est de différer l'imposition, entre dans le champ d'application de cet article dès lors qu'elle a nécessairement pour effet de minorer l'assiette de l'année au titre de laquelle l'impôt est normalement dû à raison de la situation et des activités réelles du contribuable. L'opération par laquelle des titres d'une société sont apportés par un contribuable à une société qu'il contrôle, puis sont immédiatement cédés par cette dernière, répond à l'objectif économique poursuivi par le législateur, lorsque le produit de cession fait l'objet d'un réinvestissement à caractère économique, à bref délai, par cette société. En revanche, en l'absence de réinvestissement à caractère économique, une telle opération doit, en principe, être regardée comme poursuivant un but exclusivement fiscal dans la mesure où elle conduit, en différant l'imposition de la plus-value, à minorer l'assiette de l'année au titre de laquelle l'impôt est normalement dû à raison de la situation et des activités réelles du contribuable.

5. En l'espèce, M. C..., par convention du 28 septembre 2011, enregistrée le 30 septembre 2011, a apporté à la SASU NEWAY, alors en cours de formation et qu'il contrôle, 4 800 actions de la société Solyas Courtage, laquelle faisait l'objet d'un protocole de cession sous conditions suspensives du 29 juillet 2011 à la société Axelliance Groupe Assurance, portant sur 60% de ses parts sociales, dans le cadre d'une opération de restructuration. En contrepartie de cet apport ayant bénéficié du sursis d'imposition de l'article 150-0 B précité du code général des impôts, M. C... a reçu 36 000 actions de la société Neway, d'une valeur unitaire de 10 euros. Le 6 octobre 2011, la société Neway a cédé la totalité de ses titres de la société Solyas Courtage à la société Axelliance, au prix de 360 000 euros, tandis que M. C... cédait concomitamment un peu plus de 5 400 actions de la société Solyas Courtage qu'il avait conservées dans son patrimoine personnel, générant immédiatement une plus-value de cession dont il n'est pas contesté qu'elle ait été régulièrement déclarée et imposée. Il n'est pas davantage contesté que M. C..., ayant procédé le 15 octobre 2013 à la réduction du capital social de la société Neway, par l'annulation de 17 730 actions qui lui ont été remboursées à leur valeur nominale, soit 177 300 euros, et considéré que cette opération mettait fin à due concurrence au bénéfice du sursis d'imposition, s'est spontanément acquitté de l'impôt sur le revenu et des prélèvements sociaux sur la plus-value de cession des titres Solyas Courtage appréhendée à cette occasion. Postérieurement à la notification de la proposition de redressement, la société Neway a enfin souscrit 11 596 actions de la société Axelliance Holding pour un peu plus de 80 000 euros.

6. Si l'administration fiscale établit ainsi l'existence d'un montage consistant à interposer une société soumise à l'impôt sur les sociétés et permettant à M. C... de bénéficier du mécanisme du sursis d'imposition, elle ne forme toutefois aucune critique circonstanciée à l'encontre de l'attestation du président de la société Axelliance produite par M. C... confirmant, d'une part, que la commune intention des parties était, dès l'origine, de permettre à M. C..., personnellement ou par l'intermédiaire d'une société, d'accéder, quoique dans des proportions minoritaires, au capital de la société Axelliance Holding, et, d'autre part, que la complexité des négociations relatives à une opération de croissance externe initiée en 2013 ainsi que de son financement, prévu notamment par l'accroissement de capital finalement intervenu, a entraîné des retards dans la réalisation de ces opérations. Il n'est, à cet égard, pas davantage utilement discuté que, compte tenu de sa position dans le groupe, M. C... était dépourvu d'influence tant sur sa stratégie de croissance que sur le rythme d'ouverture de son capital. Dans ces circonstances particulières, et alors que l'investissement dans une activité économique effectivement intervenu en mars 2015 correspondait à près de la moitié du produit de la cession initiale bénéficiant encore du mécanisme du sursis d'imposition de la plus-value d'apport après l'imposition ayant eu lieu sur déclaration spontanée en 2013, M. C... justifie que l'apport initial de 4 800 titres à la société Neway ne poursuivait pas un but exclusivement fiscal, mais visait à préserver ses capacités d'investissement futures dans le secteur du courtage d'assurance, et justifie également du délai nécessaire à son réinvestissement. La preuve d'un abus de droit n'est, dès lors, pas apportée par l'administration.

7. Il résulte de ce qui précède que M. C... est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Lyon a rejeté ses conclusions en décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles il a été assujetti au titre de l'année 2011 ainsi que des pénalités correspondantes.

Sur les frais liés au litige :

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par M. C... et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Lyon du 3 avril 2018 est annulé en tant qu'il rejette les conclusions de M. C... tendant à la décharge des impositions et pénalités en litige.

Article 2 : M. A... C... est déchargé des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de cotisations sociales auxquelles il a été assujetti au titre de l'année 2011, ainsi que des pénalités correspondantes.

Article 3 : L'Etat versera à M. C... une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.

Délibéré après l'audience du 26 novembre 2020, à laquelle siégeaient :

M. Bourrachot, président de chambre,

Mme B..., présidente assesseure,

Mme E..., première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 17 décembre 2020.

2

N° 18LY02038


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 18LY02038
Date de la décision : 17/12/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Fiscal

Analyses

19-01-03-03 Contributions et taxes. Généralités. Règles générales d'établissement de l'impôt. Abus de droit et fraude à la loi.


Composition du Tribunal
Président : M. BOURRACHOT
Rapporteur ?: Mme Mathilde LE FRAPPER
Rapporteur public ?: M. VALLECCHIA
Avocat(s) : CABINET ANSERMAUD TROJANI et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 09/01/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2020-12-17;18ly02038 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award