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26/11/2020 | FRANCE | N°19LY04764

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 4ème chambre, 26 novembre 2020, 19LY04764


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. B... E... a demandé au tribunal administratif de Dijon d'annuler l'arrêté du 13 novembre 2019 du préfet de la Côte-d'Or portant obligation de quitter le territoire français sans délai et interdiction de retour en France de deux ans, assortissant cette interdiction d'un signalement aux fins de de non-admission dans le système d'information Schengen et désignant le pays de renvoi.

Par un jugement n° 1903239 du 27 novembre 2019, le magistrat désigné par le président de ce tribunal a fait droit à

sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 26 décembre ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. B... E... a demandé au tribunal administratif de Dijon d'annuler l'arrêté du 13 novembre 2019 du préfet de la Côte-d'Or portant obligation de quitter le territoire français sans délai et interdiction de retour en France de deux ans, assortissant cette interdiction d'un signalement aux fins de de non-admission dans le système d'information Schengen et désignant le pays de renvoi.

Par un jugement n° 1903239 du 27 novembre 2019, le magistrat désigné par le président de ce tribunal a fait droit à sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 26 décembre 2019, le préfet de la Côte-d'Or, représenté par Me F..., demande à la cour d'annuler ce jugement.

Il soutient que :

- le motif tiré de ce que M. E... a fait l'objet, par un arrêté du 24 février 2017, d'un refus de titre de séjour et d'une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, à laquelle il n'a pas déféré, qui ne prive l'intéressé d'aucune garantie, doit être substitué au motif de l'obligation de quitter le territoire français tiré de ce qu'il s'est soustrait à l'exécution d'une précédente mesure d'éloignement ;

- il n'a pas méconnu le droit de M. E... à être entendu ;

- le moyen tiré de ce que la consultation du fichier TAJ n'a pas été effectuée par un agent dument habilité manque en fait ;

- il n'a pas méconnu les stipulations de l'article 6 de l'accord franco-algérien ;

- il n'a pas fait une inexacte application des dispositions du h) du 3° du II ni de celles du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en refusant à l'intéressé un délai de départ volontaire et en prononçant à son encontre une mesure d'interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans.

Par un mémoire en défense, enregistré le 3 mai 2020, M. E..., représenté par Me A..., conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de l'Etat à verser à son conseil en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il fait valoir que :

- la substitution de motif demandée par le préfet le priverait d'une garantie dans la mesure où une obligation de quitter le territoire français prise sur le fondement du 3° du I de l'article L 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne peut légalement fonder une obligation de quitter le territoire français sans délai, de sorte qu'il aurait dû bénéficier d'un délai de départ volontaire de trente jours et du délai de recours de trente jours ;

- l'arrêté est intervenu à l'issue d'une procédure irrégulière en l'absence d'habilitation de l'agent ayant consulté le fichier TAJ ;

- le préfet de la Côte-d'Or a méconnu l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'article 6 de l'accord franco-algérien et l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- il a fait une application inexacte des dispositions du h) du 3° du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- s'agissant de l'interdiction de retour, il a en outre commis une erreur de fait et une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle et fait une inexacte application des dispositions du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la décision fixant le pays de destination est illégale en conséquence de l'illégalité du refus de titre de séjour.

Par une décision du 3 juin 2020, M. E... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 ;

- le code de procédure pénale ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- la loi n° 95-73 du 21 janvier 1995 ;

- le code de justice administrative ;

Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Le rapport de Mme D... ayant été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. E..., ressortissant algérien, est entré en France le 3 juillet 2013 sous couvert d'un visa de court séjour. Il a bénéficié du 7 mai 2014 au 6 mai 2015 d'un certificat de résidence en qualité de conjoint de Français. Le 6 mai 2015, il a sollicité la délivrance d'un certificat de résidence au titre du 5 de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968, qui lui a été refusée par un arrêté du 24 février 2017 du préfet de la Côte-d'Or qui a assorti ce refus d'une obligation de quitter le territoire français. La légalité de cet arrêté a été confirmée par un arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon du 30 novembre 2017. Le 13 novembre 2019, à l'issue d'un contrôle d'identité, le préfet de la Côte-d'Or a pris à son encontre un arrêté portant obligation de quitter le territoire français sans délai, désignation du pays de renvoi et interdiction de retour en France de deux ans. Par un jugement du 27 novembre 2019 dont le préfet relève appel, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Dijon a annulé cet arrêté.

2. Les dispositions du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile énumèrent les cas dans lesquels l'autorité administrative peut prononcer une obligation de quitter le territoire français à l'encontre d'un ressortissant étranger. En vertu du 3° de ces dispositions, l'autorité administrative peut obliger à quitter le territoire français un étranger si la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour lui a été refusé ou si le titre de séjour qui lui avait été délivré lui a été retiré.

3. Pour obliger M. E... à quitter le territoire français, le préfet de la Côte-d'Or s'est fondé sur la circonstance qu'il s'était soustrait à l'exécution de la mesure d'éloignement prise à son encontre le 24 février 2017 et qu'il se maintenait volontairement en situation irrégulière sur le territoire français depuis deux ans et huit mois sans préparer son départ de France. Ces motifs n'entraient pas dans les prévisions du 3° du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, le préfet n'était pas en droit, ainsi que l'a jugé le magistrat désigné, de prononcer à l'encontre de l'intéressé une obligation de quitter le territoire français sur ce fondement.

4. Toutefois, l'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué, le juge peut procéder à la substitution demandée.

5. Il résulte des dispositions de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour et des étrangers et du droit d'asile que si la demande d'un étranger qui a régulièrement sollicité un titre de séjour ou son renouvellement a été rejetée, la décision portant obligation de quitter le territoire français susceptible d'intervenir à son encontre doit nécessairement être regardée comme fondée sur un refus de titre de séjour, donc sur la base légale prévue au 3° du I de cet article. Il en va ainsi tant lorsque la décision relative au séjour et la décision portant obligation de quitter le territoire interviennent de façon concomitante que, en l'absence de dispositions législatives ou réglementaires prévoyant qu'une décision relative au séjour devrait être regardée comme caduque au-delà d'un certain délai après son intervention, lorsqu'une décision portant obligation de quitter le territoire intervient postérieurement à la décision relative au séjour, y compris lorsqu'une nouvelle décision portant obligation de quitter le territoire intervient à l'égard d'un étranger qui s'est maintenu sur le territoire malgré l'intervention antérieure d'un refus de titre de séjour assorti d'une obligation de quitter le territoire.

6. Le préfet, à hauteur d'appel, soutient que M. E... a fait l'objet, par l'arrêté du 24 février 2017, d'un refus de titre de séjour assorti d'une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, à laquelle il n'a pas déféré. Il demande que le motif tiré de qu'un titre de séjour lui a été refusé soit substitué au motif initial de la décision en litige. Il résulte de ce qui précède que ce motif est de nature à fonder légalement la mesure d'éloignement. Il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. M. E... n'étant privé d'aucune garantie procédurale liée au motif substitué, il y a lieu de faire droit à la substitution demandée.

7. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. E....

8. Il ressort des mentions de l'arrêté du 13 novembre 2019 litigieux que l'intéressé a été mis à même de faire valoir de manière utile et effective tout élément relatif à sa situation personnelle susceptibles d'influer sur le sens des décisions du préfet. Il n'est dès lors pas fondé à soutenir qu'il a été privé du droit à être entendu.

9. Aux termes de l'article R. 40-29 du code de procédure pénale : " I.- Dans le cadre des enquêtes prévues à l'article 17-1 de la loi du 21 janvier 1995 (...) les données à caractère personnel figurant dans le traitement qui se rapportent à des procédures judiciaires en cours ou closes, à l'exception des cas où sont intervenues des mesures ou décisions de classement sans suite, de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenues définitives, ainsi que des données relatives aux victimes, peuvent être consultées, sans autorisation du ministère public, par : / (...) 5° Les personnels investis de missions de police administrative individuellement désignés et spécialement habilités par le représentant de l'Etat. L'habilitation précise limitativement les motifs qui peuvent justifier pour chaque personne les consultations autorisées (...) ". Aux termes de l'article 17-1 de la loi du 21 janvier 1995 d'orientation et de programmation relative à la sécurité : " Il est procédé à la consultation prévue à l'article L. 234-1 du code de la sécurité intérieure pour l'instruction des demandes d'acquisition de la nationalité française et de délivrance et de renouvellement des titres relatifs à l'entrée et au séjour des étrangers (...) ".

10. Il ressort des pièces du dossier que le fichier du traitement des antécédents judiciaires (TAJ) n'a pas été consulté avant que le préfet de la Côte-d'Or envisage l'éloignement de M. E.... Si l'arrêté du 13 novembre 2019 mentionne qu'il est défavorablement connu des services de police et de la justice pour avoir été mis en cause pour des faits de viols sur majeur en 2000, ces faits ont été révélés par la consultation du fichier TAJ dans le cadre de l'instruction de sa demande de titre de séjour refusée le 24 février 2017 par un motif d'ordre public. Par suite, le moyen tiré de ce que l'arrêté du 13 novembre 2019 aurait été pris à l'issue d'une consultation irrégulière du fichier TAJ doit être écarté.

11. M. E... ne peut utilement invoquer à l'encontre de l'obligation de quitter le territoire français, qui n'a ni pour objet ni pour effet de refuser de lui délivrer un titre de séjour, le moyen tiré de la méconnaissance du 5 de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié relatif à la circulation, à l'emploi et au séjour des ressortissants algériens et de leurs familles.

12. M. E... se prévaut de la présence en France de son fils français, de son ex-épouse et de ses frère et soeurs et de son engagement associatif. Toutefois, eu égard à la durée et aux conditions de son séjour en France, le préfet de la Côte-d'Or, en décidant son éloignement, n'a pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale garantie par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels il a pris cette mesure.

13. En se bornant à soutenir que l'absence de délai de départ volontaire n'est pas justifiée par sa volonté déclarée de ne pas quitter le territoire français, M. E... ne démontre pas que le préfet a fait une inexacte application des dispositions du 3° du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en vertu desquelles l'autorité administrative peut, par une décision motivée, décider que l'étranger est obligé de quitter sans délai le territoire français : " S'il existe un risque que l'étranger se soustraie à cette obligation. Ce risque peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : (...) / d) Si l'étranger s'est soustrait à l'exécution d'une précédente mesure d'éloignement (...) ".

14. Aux termes du III de l'article L. 511-1 du même code : " L'autorité administrative, par une décision motivée, assortit l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français, d'une durée maximale de trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français, lorsque aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger. / Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative ne prononce pas d'interdiction de retour (...). ".

15. Compte tenu de ce qui a été dit plus haut, notamment au point 11, l'interdiction de retour n'est pas illégale en conséquence de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français. Le préfet de la Côte-d'Or, en prenant à l'encontre de M. E... cette mesure et en fixant la durée de l'interdiction à deux ans, n'a pas méconnu l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni fait une inexacte application des dispositions du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Le motif tiré de ce que la présence sur le territoire français de M. E... représente une menace pour l'ordre public compte tenu de ce qu'il a été mis en cause pour des faits de viol sur majeur en 2000 n'est pas entaché d'inexactitude matérielle.

16. Le moyen tiré de ce que la décision fixant le pays de destination est illégale en conséquence de l'illégalité du refus de titre de séjour ne peut qu'être écarté dès lors que l'arrêté en question ne statue pas sur le droit au séjour de M. E... mais se borne à l'obliger à quitter le territoire français.

17. Il résulte de ce qui précède que le préfet de la Côte-d'Or est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de Dijon a annulé son arrêté du 13 novembre 2019. En conséquence, ce jugement doit être annulé et la demande présentée par M. E... devant le tribunal administratif de Dijon ainsi que ses conclusions présentées en appel doivent être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1903239 du magistrat désigné du tribunal administratif de Dijon du 27 novembre 2019 est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. E... devant le tribunal administratif de Dijon et ses conclusions présentées en appel sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à M. B... E... et à Me C... A.... Copie en sera adressée au préfet de la Côte-d'Or.

Délibéré après l'audience du 5 novembre 2020, à laquelle siégeaient :

M. d'Hervé, président,

Mme D..., président rapporteur,

Mme Lesieux, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 novembre 2020.

2

N° 19LY04764


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 19LY04764
Date de la décision : 26/11/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. d'HERVE
Rapporteur ?: Mme Céline MICHEL
Rapporteur public ?: M. SAVOURE
Avocat(s) : BREY

Origine de la décision
Date de l'import : 08/12/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2020-11-26;19ly04764 ?
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