Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
Mme C... B... a demandé au tribunal administratif de Clermont-Ferrand d'annuler la décision du 28 septembre 2016 par laquelle le directeur général du centre hospitalier universitaire (CHU) de Clermont-Ferrand a refusé de reporter sur l'année en cours les droits à congés payés qu'elle avait acquis au titre de l'année 2009.
Par jugement n° 1601998 lu le 3 octobre 2018, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a fait droit à sa demande à fin d'annulation et a enjoint au directeur général de l'établissement de lui accorder le report des jours de congés acquis au titre de l'année 2009, compte tenu de la répartition de ce solde entre les jours rémunérés et les jours déposés sur son compte épargne temps (CET).
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 29 novembre 2018, le CHU de Clermont-Ferrand, représenté par Me A..., demande à la cour d'annuler ce jugement et de rejeter la demande de Mme B....
Il soutient que :
- le jugement est irrégulier dès lors que le tribunal a omis de statuer sur l'alimentation du compte épargne temps ;
- la position statutaire de disponibilité d'office fait obstacle au report des congés annuels et ne génère pas des droits à congés ; la cour peut, le cas échéant, poser une question préjudicielle à la Cour de Justice de l'Union Européenne sur l'articulation avec le droit au report ;
- au-delà d'un délai de quinze mois, Mme B... était déchue de son droit à report de congés ;
- le jugement est irrégulier dès lors que le tribunal a omis de statuer sur le moyen en défense tiré de la tardiveté de la demande de report de congés de Mme B....
La requête a été communiquée à Mme B..., qui n'a produit aucune observation.
Par ordonnance du 10 février 2020, la clôture de l'instruction a été fixée au 3 avril 2020.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la directive 2003/88/CE du Parlement et du Conseil du 4 novembre 2003 ;
- l'arrêt C-214/10 du 22 novembre 2011 de la Cour de justice de l'Union européenne ;
- la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 ;
- le décret n° 2002-8 du 4 janvier 2002 ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Djebiri, premier conseiller ;
- et les conclusions de M. Chassagne, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. Le CHU de Clermont-Ferrand relève appel du jugement lu le 3 octobre 2018 par lequel le tribunal administratif de Clermont-Ferrand, après avoir annulé la décision du 28 septembre 2016 ayant refusé de faire bénéficier Mme B..., conductrice ambulancière, du report sur l'année en cours des droits à congés payés acquis au titre de l'année 2009, a enjoint à son directeur général d'accorder ce report en répartissant le solde entre jours rémunérés et jours crédités sur le compte épargne temps (CET).
Sur la régularité du jugement :
2. Dans son mémoire enregistré le 24 mai 2017 au greffe du tribunal, le CHU de Clermont-Ferrand a opposé la forclusion du droit à report de congés en soutenant que ce motif pouvait valablement fonder la décision litigieuse en se substituant au motif initial, tiré de l'absence de reprise de service entre l'échéance du congé de maladie et le placement en disponibilité de l'intéressée. En faisant droit à la demande de Mme B... sans examiner cette exception de forclusion, le tribunal a entaché d'omission à statuer le jugement attaqué qui doit, dès lors, être annulé.
3. Il y a lieu pour la cour de statuer, par la voie de l'évocation, sur la demande présentée par Mme B... devant le tribunal administratif de Clermont-Ferrand.
Sur les demandes aux fins d'annulation et d'injonction :
4. Aucune disposition législative ou réglementaire non plus qu'aucun principe général du droit ne conditionne la faculté de reporter des droits à congés non consommés en raison de congés de maladie puis d'une disponibilité pour motif médical à une reprise de service de l'agent entre ces deux périodes. Il suit de là que ce motif a été opposé à tort à Mme B... et que l'exception de forclusion du droit à report opposée par le CHU de Clermont-Ferrand doit être examinée.
5. D'une part, dans son arrêt C-214/10 du 22 novembre 2011, la Cour de justice de l'Union européenne, interprétant la directive 2003/88/CE susvisée, a dit pour droit que les congés qu'un travailleur placé dans l'impossibilité de les consommer pendant la période de référence, définie comme celle au cours de laquelle ces droits à repos sont acquis, ne s'éteignent pas à l'échéance de la période mais doivent être reportés sur une période ultérieure qu'il appartient aux États membres de fixer et qui, même en l'absence d'une telle norme, peut ne pas dépasser une certaine durée afin que les droits en cours de constitution ne s'accumulent pas indéfiniment avec ceux qui ont été reportés. Dans l'espèce qui lui était soumise, la Cour a estimé qu'une période de report de quinze mois décomptée depuis l'échéance de la période de référence permettait de concilier ces deux exigences antagonistes et répondait à la règle qu'elle venait de dégager, sans ériger toutefois cette durée en plafond.
6. D'autre part, il y a lieu, pour appliquer les principes dégagés par la Cour dans son arrêt C-214/10, selon lesquels l'accumulation excessive de droits sur une période elle-même excessivement longue ne répond plus à l'objectif de reconstitution des forces de travail et de préservation de la santé de l'agent, de distinguer entre l'acquisition des droits à reporter et le délai de consommation de ces droits. A cet égard, la période de référence, au cours de laquelle les fonctionnaires français acquièrent et peuvent consommer leurs droits à congés payés est l'année civile, en application des dispositions des articles 41 de la loi du 9 janvier 1986 et 1er du décret du 4 janvier 2002 susvisés, tandis qu'aucune norme de droit interne ne détermine de durée de report dans les limites de laquelle l'agent devrait consommer son reliquat de congés. Il appartient, en conséquence, au juge de s'assurer qu'au cas d'espèce, le reliquat de jours de congés non consommés ne s'est pas constitué dans des proportions telles qu'il serait sans rapport avec les besoins de repos de l'agent et, si cette condition est remplie, que l'agent a demandé à faire usage de son droit à report dans un délai - substantiel mais non excessif - conformément aux objectifs de la directive 2003/88/CE, non transposée sur ce point.
7. Mme B... a été placée en congés de maladie du 9 mars 2009 au 8 mars 2010, puis à l'épuisement de ses droits à congé maladie ordinaire, en disponibilité d'office, du 9 mars 2010 au 14 février 2011. Au cours de cette dernière position statutaire, elle a été maintenue dans l'impossibilité de consommer les congés qu'elle avait acquis en 2009 mais ne pouvait en acquérir de nouveaux, ce qui faisait obstacle au risque d'accumulation illimitée de congés envisagé par la Cour de justice de l'Union européenne, en cas de période de report excessivement longue. Il suit de là qu'à son retour en activité, en février 2011, moins de deux périodes de référence s'étaient écoulées et que les droits non consommés n'avaient été acquis que sur une seule période de référence. Ils ne pouvaient donc, sans méconnaissance des objectifs de la directive 2003/88/CE, être regardés comme ayant excédé la possibilité de report ouverte à tout salarié de l'Union européenne. Toutefois, ce n'est que cinq ans et demi plus tard, le 27 septembre 2016, que Mme B... a demandé à les consommer alors que pendant ce délai, elle avait acquis des droits sur cinq périodes de référence et que le reliquat qu'elle demandait à reporter ne pouvait plus être regardé comme remplissant l'objectif de réparation des fatigues de 2009 par du repos ou tout autre forme de compensation.
8. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il y ait lieu de poser une question préjudicielle à la Cour de Justice de l'Union Européenne, que le motif tiré de la forclusion du droit à report de congés suffit à fonder la décision litigieuse du 28 septembre 2016 et que la demande de Mme B... tendant à en obtenir l'annulation doit être rejetée ainsi que, par voie de conséquence, sa demande aux fins d'injonction.
Sur les frais liés au litige :
9. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de Mme B... la somme que le CHU réclame au titre des frais de justice.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1601998 lu le 3 octobre 2018 du tribunal administratif de Clermont-Ferrand est annulé.
Article 2 : La demande présentée par Mme B... devant le tribunal administratif de Clermont-Ferrand est rejetée.
Article 3 : Les conclusions du centre hospitalier universitaire de Clermont-Ferrand présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au centre hospitalier universitaire de Clermont-Ferrand et à Mme C... B....
Délibéré après l'audience du 22 octobre 2020, à laquelle siégeaient :
M. Arbarétaz, président de chambre ;
M. Seillet, président assesseur ;
Mme Djebiri, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 novembre 2020.
N° 18LY04244 2