Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. E... B... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du 5 février 2019 par lequel le préfet de la Drôme lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination.
Par un jugement n° 1902907 du 4 juillet 2019, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête et un mémoire enregistrés les 18 octobre et 26 novembre 2019, M. B..., représenté par Me F..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 4 juillet 2019 du tribunal administratif de Grenoble ;
2°) d'annuler l'arrêté précité du 5 février 2019 ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Drôme, à titre principal, de lui délivrer le titre de séjour sollicité, dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt, sous astreinte de 200 euros par jour de retard et, à titre subsidiaire, de procéder au réexamen de sa situation, dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt, et de lui délivrer, dans l'attente de ce réexamen, une autorisation provisoire de séjour dans un délai de deux jours, sous astreinte de 200 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le paiement à son avocat d'une somme de 1 200 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- sa requête est recevable ;
- le jugement est irrégulier, les premiers juges ayant omis de statuer sur le moyen selon lequel l'opposabilité de la situation de l'emploi ne lui est pas applicable et sur le moyen portant sur l'existence d'un contrat visé par la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) ;
En ce qui concerne la décision portant refus d'autorisation de travailler, par voie d'exception :
- la DIRECCTE n'est pas compétente pour la prendre ;
- le refus d'autorisation de travail implicite devait être motivé ;
- elle est insuffisamment motivée ;
- elle est entachée d'une erreur de fait dès lors qu'il disposait bien d'une autorisation pour toutes professions sans restriction géographique ;
- elle est entachée d'une erreur de fait et d'une erreur manifeste d'appréciation sur la disponibilité de candidatures correspondant au profil recherché par la société AGAP 2 ;
En ce qui concerne les autres décisions :
- l'arrêté méconnaît l'article 3 de l'accord franco-marocain de 1987 et est entaché d'une erreur de droit et d'une erreur de fait en ce qu'il indique qu'il ne présentait pas de contrat de travail visé par les autorités compétentes ;
- il méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
Par un mémoire en défense, enregistré le 29 octobre 2019, le préfet de la Drôme conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que :
- la requête est irrecevable en raison de l'absence de sa signature ;
- il déclare s'en rapporter à ses écritures de première instance.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 10 septembre 2019.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord du 9 octobre 1987 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du royaume du Maroc en matière de séjour et d'emploi ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code du travail ;
- le code civil ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique le rapport de Mme H..., présidente-assesseure ;
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., né le 14 novembre 1990, de nationalité marocaine, est entré en France le 8 septembre 2010 sous couvert d'un visa de long séjour valant titre de séjour étudiant renouvelé à quatre reprises jusqu'au 9 octobre 2015. Il lui a été délivré une autorisation provisoire de séjour valable un an le 20 octobre 2016, puis, le 12 avril 2017, le préfet de la Drôme lui a délivré un titre de séjour de même durée portant la mention " salarié ". M. B... relève appel du jugement du 4 juillet 2019 du tribunal administratif de Grenoble qui a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 5 février 2019 par lequel le préfet de la Drôme a refusé de faire droit à sa demande de renouvellement de son titre de séjour salarié, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination.
Sans qu'il soit besoin d'examiner la recevabilité de la requête :
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Les premiers juges ont omis d'examiner le moyen soulevé par M. B..., au soutien de ses conclusions dirigées contre la décision portant refus de titre de séjour, dans son mémoire en réplique déposé le 31 mai 2019, antérieurement à la clôture de l'instruction, tiré de l'inopposabilité de la situation de l'emploi à sa demande de titre de séjour. Ce moyen n'était pas inopérant. M. B... est dès lors fondé à soutenir, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'autre moyen portant sur une omission à statuer que le jugement attaqué est, par ce motif, entaché d'irrégularité. Par suite, ce jugement doit être annulé dans cette mesure.
3. Il y a lieu de se prononcer immédiatement par la voie de l'évocation sur les conclusions de M. B... dirigées contre la décision portant refus de titre de séjour et, par l'effet dévolutif de l'appel, de statuer sur le surplus de la requête.
Sur l'évocation partielle :
Sur la légalité de la décision portant refus de séjour :
4. L'article 3 de l'accord du 9 octobre 1987 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume du Maroc en matière de séjour et d'emploi stipule que : " Les ressortissants marocains désireux d'exercer une activité professionnelle salariée en France, pour une durée d'un an au minimum, et qui ne relèvent pas des dispositions de l'article 1er du présent accord, reçoivent après contrôle médical et sur présentation d'un contrat de travail visé par les autorités compétentes, un titre de séjour valable un an renouvelable portant la mention " salarié " éventuellement assorties de restrictions géographiques ou professionnelles. / Après trois ans de séjour en continu en France, les ressortissants marocains visés à l'alinéa précédent pourront obtenir un titre de séjour de dix ans (...) ". L'article 9 du même accord stipule que : " Les dispositions du présent accord ne font pas obstacle à l'application de la législation des deux Etats sur le séjour des étrangers sur tous les points non traités par l'accord (...) ". Aux termes de l'article L. 311-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Une autorisation provisoire de séjour d'une durée de validité de douze mois non renouvelable est délivrée à l'étranger qui, ayant achevé avec succès, dans un établissement d'enseignement supérieur habilité au plan national, un cycle de formation conduisant à un diplôme au moins équivalent au master, souhaite compléter sa formation par une première expérience professionnelle, sans limitation à un seul emploi ou à un seul employeur. Pendant la durée de cette autorisation, son titulaire est autorisé à chercher et, le cas échéant, à exercer un emploi en relation avec sa formation et assorti d'une rémunération supérieure à un seuil déterminé par décret. A l'issue de cette période de douze mois, l'intéressé pourvu d'un emploi ou titulaire d'une promesse d'embauche, satisfaisant aux conditions énoncées ci-dessus, est autorisé à séjourner en France pour l'exercice de l'activité professionnelle correspondant à l'emploi considéré au titre des dispositions du 1° de l'article L. 313-10 du présent code, sans que lui soit opposable la situation de l'emploi sur le fondement de l'article L. 341-2 du code du travail. ".
5. L'accord franco-marocain renvoie ainsi, sur tous les points qu'il ne traite pas, à la législation nationale, en particulier aux dispositions pertinentes du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et du code du travail pour autant qu'elles ne sont pas incompatibles avec les stipulations de l'accord et nécessaires à sa mise en oeuvre. Il en va notamment ainsi pour le titre de séjour portant la mention " salarié " mentionné à l'article 3 cité ci-dessus délivré sur présentation d'un contrat de travail " visé par les autorités compétentes ", des dispositions des articles R. 5221-17 et suivants du code du travail, qui précisent les modalités et les éléments d'appréciation en vertu desquels le préfet se prononce, au vu notamment du contrat de travail, pour accorder ou refuser une autorisation de travail.
En ce qui concerne l'avis défavorable émis par la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi :
6. Il ressort des pièces du dossier que la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE), placée sous l'autorité du préfet a, le 17 août 2018, émis un avis défavorable au renouvellement de l'autorisation de travail de M. B..., au motif notamment que l'intéressé avait commencé à exercer ses fonctions dans une nouvelle entreprise, dénommée HIQ Consulting, sans avoir obtenu au préalable une autorisation de travail. Ce seul motif suffisait, alors que l'article 3 de l'accord franco-marocain prévoit que le titre de séjour salarié est délivré au vu d'un contrat de travail visé par les autorités compétentes, à justifier l'avis défavorable ainsi émis. Enfin, comme l'ont relevé à juste titre les premiers juges, l'avis émis l'a été pour le compte du préfet de la Drôme.
En ce qui concerne les autres moyens :
7. En premier lieu, l'arrêté en litige a été signé par M. Patrick Vieillescazes, secrétaire général de la préfecture de la Drôme, qui disposait d'une délégation de signature à cette fin, consentie par arrêté du 31 août 2018, dont la régularité de la publicité n'est pas sérieusement contestée. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire manque en fait.
8. En deuxième lieu, la décision est motivée en droit. Elle indique notamment, en citant l'avis défavorable de l'unité départementale de l'Yonne de la DIRECCTE que la société HIQ Consulting a embauché M. B..., le 15 janvier 2018, sans respecter la législation relative au travail, que ce dernier n'a pas respecté les termes de son autorisation de travail initiale, que son employeur souhaite l'embaucher malgré la disponibilité sur le marché du travail de candidatures correspondant au profil recherché alors que l'emploi concerné ne figurait pas sur la liste des métiers en tension. Dès lors, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation manque en fait.
9. En troisième lieu, il ne ressort pas des termes de la décision en litige que, pour l'appréciation de la situation de M. B..., le préfet de la Drôme se serait estimé lié par l'avis défavorable émis par la DIRECCTE et qu'ainsi, il aurait méconnu l'étendue de sa compétence en commettant, de ce fait, une erreur de droit.
10. En quatrième lieu, aux termes de l'article R. 5221-17 du code du travail : " La décision relative à la demande d'autorisation de travail mentionnée à l'article R. 5221-11 est prise par le préfet. Elle est notifiée à l'employeur ou au mandataire qui a présenté la demande, ainsi qu'à l'étranger. ". Aux termes de l'article R. 5221-3 du même code: " L'autorisation de travail peut être constituée par l'un des documents suivants : / (...) / 8° La carte de séjour temporaire portant la mention " salarié ", délivrée en application du 1° de l'article L. 313-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ou le visa de long séjour valant titre de séjour mentionné au 7° de l'article R. 311-3 du même code, accompagné du contrat de travail visé. / (...) / 12° L'autorisation provisoire de séjour, délivrée en application de l'article L. 311-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. / (...) / 16° Le formulaire de demande d'autorisation de travail revêtu du visa accordée par le préfet, dans l'attente de la délivrance des cartes de séjour mentionnées aux 8° et 9° du présent article (salarié et travailleur temporaire) (...) ". Aux termes de l'article R. 5221-32 de ce même code : " Le renouvellement d'une autorisation de travail mentionnée à l'article R. 5221-11 est sollicité dans le courant des deux mois précédant son expiration. / (...) / L'autorisation de travail est renouvelée dans la limite de la durée du contrat de travail restant à courir ou de la mission restant à accomplir en France. ". Aux termes de l'article R. 5221-34 de ce code : " Le renouvellement d'une des autorisations de travail mentionnées aux articles R. 5221-32 et R. 5221-33 peut être refusé en cas de non-respect des termes de l'autorisation par l'étranger ou en cas de non-respect par l'employeur : / 1° De la législation relative au travail ou à la protection sociale ; / 2° Des conditions d'emploi, de rémunération ou de logement fixées par cette autorisation. ".
11. Le préfet doit être regardé comme ayant, par l'arrêté contesté qui refuse le renouvellement de son titre de séjour, implicitement rejeté la demande d'autorisation de travail formulée dans l'intérêt de M.B... par son employeur en application de l'article R. 5221-17 du code du travail. Cette décision constitue le refus d'autorisation de travail, et est ainsi qu'il a été mentionné au point 6, suffisamment motivée.
12. En cinquième lieu, ainsi qu'il a été dit au point 6, en cas de changement d'employeur, une nouvelle autorisation de travail doit être sollicitée. Il ne ressort pas des pièces du dossier que M. B... disposait, à la date à laquelle, il a demandé le renouvellement de sa carte " mention salarié " d'une autorisation de travail pour exercer son activité au sein de la société HIQ CONSULTING. Il ne peut se prévaloir de l'autorisation de travail obtenue en 2016 pour occuper un emploi au sein de la société Erode ou des mentions générales portées sur sa carte de séjour.
13. En sixième lieu, si M. B... soutient que la situation de l'emploi ne pouvait lui être opposée, il résulte de la décision de refus de séjour que sa demande n'était pas accompagnée d'un contrat de travail visé par les autorités compétentes, au sens de l'article 3 de l'accord franco-marocain du 9 octobre 1987. Ce seul motif justifiait le refus de séjour qui lui a été opposé.
14. En septième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1- Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. ".
15. M. B... réside régulièrement depuis neuf ans en France, dont cinq ans sous couvert d'un titre de séjour étudiant. S'il est professionnellement intégré depuis 2017, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'intéressé, qui est célibataire et sans charge de famille, est dépourvu d'attaches familiales dans son pays d'origine où il a vécu jusqu'à l'âge de vingt ans. Dans ces circonstances, la décision en litige n'a pas porté au droit de M. B... au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise alors même que son casier judiciaire est vierge, qu'il a noué des liens personnels en France et que ses compétences professionnelles sont reconnues. Dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.
16. Pour les mêmes motifs, le moyen tiré de l'erreur manifeste dans l'appréciation de la situation personnelle de M. B... doit être écarté.
17. Il résulte de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision portant refus de titre de séjour.
Sur les décisions portant obligation de quitter le territoire et fixation du pays de destination :
18. L'appelant se borne à reprendre en appel les moyens tirés de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'erreur manifeste d'appréciation. Dans ces conditions, il y a lieu, par adoption des motifs pertinents retenus par les premiers juges, d'écarter ces moyens.
19. M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à l'annulation des décisions portant obligation de quitter le territoire et fixation du pays de destination. Par suite, ses conclusions accessoires aux fins d'injonctions et fondées sur l'article L. 761-1 du code de justice administrative et l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ne peuvent qu'être écartées.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Grenoble est annulé en tant qu'il statue sur les conclusions tendant à l'annulation de la décision portant refus de titre de séjour de M. B....
Article 2 : La demande d'annulation de la décision de refus de séjour présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Grenoble et ses conclusions d'appel sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. E... B....
Copie en sera transmise au préfet de la Drôme.
Délibéré après l'audience du 16 juin 2020 à laquelle siégeaient :
Mme D... A..., présidente de chambre,
Mme H..., présidente-assesseure,
Mme C... G..., première conseillère.
Lu en audience publique, le 9 juillet 2020.
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N° 19LY03898