Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. D... A... a demandé au tribunal administratif de Lyon de lui accorder la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales et des majorations auxquelles il a été assujetti au titre de l'année 2009 ;
Par un jugement n°1608211 du 10 juillet 2018, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 11 septembre 2018 et un mémoire enregistré le 12 mars 2020, M. A..., représenté par Me C..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Lyon du 10 juillet 2018 ;
2°) de lui accorder la décharge demandée ;
3°) de mettre à la charge de l'État une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- il n'avait pas l'intention de commettre un abus de droit, au sens de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales ;
- il ne disposait pas des liquidités dégagées par le produit de cession des titres ;
- il a procédé au réinvestissement d'une part significative du produit de cession, et ce dans un délai raisonnable ;
Par un mémoire en défense, enregistré le 10 avril 2020, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun des moyens invoqués par M. A... n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Bourrachot, président,
- les conclusions de M. Vallecchia, rapporteur public,
- et les observations de Me G..., représentant M. A... ;
Considérant ce qui suit :
1. M. D... A... a créé le 19 mai 2009 l'EURL Production provençale énergie, dont il était alors le seul associé avec un capital de 1 000 euros. Le 22 juillet 2009, son fils F... et lui-même ont apporté à cette entreprise, qui est alors devenue une SARL, leurs actions de la SAS Point chauffe pour un montant total de 1 022 010 euros. La plus-value de 943 703 euros dont M. D... A... a bénéficié à la suite de cet apport, a bénéficié du sursis d'imposition prévu par l'article 150-0 B du code général des impôts. Le 28 juillet 2009, soit six jours plus tard, la SARL Production provençale énergie a revendu ces parts à la société S3C pour un prix de 1 100 000 euros. Mettant en oeuvre la procédure de répression des abus de droit prévue par l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, l'administration a estimé que M. A... avait abusivement bénéficié du mécanisme du sursis d'imposition et a imposé la plus-value réalisée par ce dernier à l'occasion de l'apport des titres au taux proportionnel de 18 %. Cette imposition supplémentaire, notifiée selon la procédure contradictoire, a été assortie de l'intérêt de retard et de la majoration pour abus de droit. M. A... interjette appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande de décharge de ces imposition et majorations.
2. Aux termes de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales : " Afin d'en restituer le véritable caractère, l'administration est en droit d'écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes constitutifs d'un abus de droit, soit que ces actes ont un caractère fictif, soit que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes ou de décisions à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, si ces actes n'avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles. / En cas de désaccord sur les rectifications notifiées sur le fondement du présent article, le litige est soumis, à la demande du contribuable, à l'avis du comité de l'abus de droit fiscal. L'administration peut également soumettre le litige à l'avis du comité. / Si l'administration ne s'est pas conformée à l'avis du comité, elle doit apporter la preuve du bien-fondé de la rectification. (...) ".
3. En vertu de l'article 150-0 B du code général des impôts dans sa rédaction applicable à l'année 2010, les dispositions de l'article 150-0 A du code général des impôts relatifs à l'imposition des plus-values de cession, " (...) ne sont pas applicables, au titre de l'année de l'échange des titres, aux plus-values réalisées dans le cadre (...) d'un apport de titres à une société soumise à l'impôt sur les sociétés (...) ".
4. L'opération par laquelle des titres d'une société sont apportés par un contribuable à une société qu'il contrôle, puis sont immédiatement cédés par cette dernière, répond à l'objectif économique ainsi poursuivi par le législateur, lorsque le produit de cession fait l'objet d'un réinvestissement à caractère économique, à bref délai, par cette société. En revanche, en l'absence de réinvestissement, une telle opération doit, en principe, être regardée comme poursuivant un but exclusivement fiscal au sens de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales dans la mesure où elle conduit, en différant l'imposition de la plus-value, à minorer l'assiette de l'année au titre de laquelle l'impôt est normalement dû à raison de la situation et des activités réelles du contribuable.
5. Il est constant que le litige a été soumis au comité de répression des abus de droit prévu à l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, qui a émis un avis favorable à la mise en oeuvre de cette procédure le 8 octobre 2015. Par suite, il appartient au contribuable d'apporter la preuve que les opérations litigieuses ne sont pas constitutives d'abus de droit.
6. Après sa création, le 22 juillet 2009, le compte bancaire détenu par la SARL Production provençale énergie auprès du Crédit agricole centre-est a été crédité, le 28 juillet 2009 d'une somme de 1 000 000 d'euros. Le compte bancaire qu'elle détenait auprès de la banque populaire des Alpes a quant à lui été crédité d'une somme de 100 000 euros le 14 août 2009. Elle a ensuite souscrit des comptes à termes, d'une part le 30 juillet 2009, pour des montants de 822 000 euros à échéance du 30 octobre 2011 et de 100 000 euros à échéance du 30 juillet 2014, d'autre part le 25 août 2009 pour un montant de 75 000 euros à échéance du 25 novembre 2010 mais remboursé dès le 16 novembre 2009. Le 19 novembre 2009 et le 20 novembre 2009, elle a également souscrit des parts de fonds d'investissement, pour des montants respectifs de 6 998 euros et 39 810 euros. Enfin, elle a souscrit des parts sociales de ses deux banques, le 20 novembre 2009 et le 31 août 2009, pour des montants respectifs de 3 000 euros et 16 000 euros, cette dernière somme ayant été remboursée à concurrence de 5 000 euros dès le 21 octobre 2009. Ainsi, l'administration a estimé qu'au 31 décembre 2009, 982 631 euros étaient investis en compte à termes et produits financiers divers, de sorte le pourcentage de sommes non réinvesties dans une activité économique s'élevait à 89,33 %. Elle a considéré qu'à la clôture de l'exercice suivant, le 31 décembre 2010, les fonds de la société étaient investis à concurrence de 983 796 dans de tels placements. Elle a enfin estimé qu'en 2011, en dépit de nombreux mouvements dans les investissements de la société, ses fonds sont demeurés investis dans des comptes à termes et produits financiers à concurrence de 875 178 euros à la clôture de l'exercice et qu'ainsi, 80 % du produit de la cession intervenue deux ans et demi plus tôt était resté investi dans des placements financiers, étant précisé que M. A... avait bénéfice d'une soulte de 78 000 euros représentant en outre 7 % du produit de cession. Elle en a conclu que l'opération consistant à apporter les parts de la SAS Point chauffe à la SARL Production provençale énergie pour les revendre à très bref délai devait être regardée comme ayant eu un but exclusivement fiscal.
7. M. A... soutient que l'opération litigieuse avait pour but de financer une activité de production d'énergie photovoltaïque et qu'elle n'avait donc pas un but exclusivement fiscal.
8. En premier lieu, le 6 août 2009, la SARL Production provençale énergie a dû procéder au nantissement d'un de ses comptes à terme à hauteur de 100 000 euros en contrepartie de la garantie de passif souscrite pour le même montant au profit de la société S3C, rendant ainsi les fonds indisponibles à concurrence de cette somme jusqu'au 31 décembre 2012, date de mainlevée de cette sûreté. Si ce nantissement ne faisait pas obstacle à l'utilisation du reste des liquidités disponibles, il ne présentait pas non plus un caractère patrimonial mais avait indirectement pour objet de financer un réinvestissement à caractère économique. Ce faisant, ce nantissement et les sommes correspondantes, doivent être pris en considération pour apprécier l'importance des investissements à caractère économique réalisés par M. A....
9. En deuxième lieu, M. A... fait valoir que, dès sa constitution, la SARL Production provençale énergie a débuté un projet d'installation photovoltaïque à Avignon, représentant des dépenses de 161 450 euros. La société a souscrit dans ce but un prêt de 100 000 euros. En garantie de cet emprunt, M. A... a dû procéder au nantissement de ses parts sociales. Toutefois, contrairement à ce que soutient ce dernier, ce nantissement ne peut être assimilé à un investissement à caractère économique dès lors qu'il n'a pas été souscrit directement par la société et n'a pas rendu ses fonds indisponibles à concurrence du même montant dès lors qu'aux termes du contrat de nantissement, M. A... s'engageait seulement à couvrir le prêteur au cas où la valeur du nantissement deviendrait inférieure au prêt. Toutefois, au cours de l'année 2010, cette opération a donné lieu à un excédent d'emploi sur les ressources pour un montant total de 70 126 euros, qui a été financé par les fonds de la SARL Production provençale énergie. Dans les circonstances de l'espèce, l'opération doit donc être assimilée à un investissement ayant un caractère économique seulement à concurrence de ce dernier montant.
10. En troisième lieu, M. A... fait valoir que pour la réalisation d'un autre projet photovoltaïque à Saint-Marcel-Les-Valence, la SARL Production provençale énergie a consenti un nantissement de ses comptes à terme à concurrence de 145 000 euros en vue de garantir un emprunt de 170 000 euros en vue d'un investissement dont le devis portait sur 210 000 euros et dont M. A... soutient qu'il a finalement coûté 229 316 euros. Dès lors que les comptes à terme nantis en vue de cette opération se sont alors trouvés indisponibles et venaient garantir un emprunt effectué en vue d'un investissement à caractère économique, les montants correspondant doivent être assimilés à un tel investissement. L'administration, qui refuse de prendre en compte les factures produites devant la cour, ne reconnaît un financement directement par l'entreprise qu'à concurrence de 40 000 euros correspondant à la différence entre le devis et l'emprunt souscrit. En admettant que l'ensemble des factures produites par M. A... soient prises en compte, l'auto-financement devrait alors être regardé comme portant sur la somme de 59 316 euros.
11. En quatrième lieu, M. A... se prévaut de la réalisation d'un second projet photovoltaïque à Avignon, dont les dépenses se seraient élevées à 154 388 euros, auxquelles il conviendrait d'ajouter 16 943 euros au titre des charges annexes. Toutefois, alors que ce projet ne peut être regardé comme ayant été initié avant le 2 janvier 2012, date du premier devis établi par un de ses prestataires, M. A... n'apporte aucune justification quant au caractère tardif de cet investissement alors qu'à l'instar des projets précédemment décrits, le terrain sur lequel il a eu lieu est la propriété d'une société civile immobilière détenue intégralement par lui-même et son fils. Le nantissement effectué sur un emprunt de 100 000 euros dont il est allégué qu'il a servi à financer l'opération ne peut être pris en compte dès lors que le dit emprunt n'a été souscrit que le 30 janvier 2013, soit après la proposition de rectification et, surtout, qu'il prévoit une date de dernière réalisation dès le 30 avril 2013.
12. Enfin, si M. A... soutient que la SARL Production provençale énergie a engagé des dépenses dans le cadre du développement et de l'accompagnement de la société S3C, il n'en justifie pas.
13. Toutefois, il résulte de de ce qui précède que M. A... doit être regardé comme justifiant qu'au cours de ses premières années d'existence, la SARL Production provençale énergie a réinvesti le produit de la cession dans une activité économique à concurrence de 374 442 euros. Cette somme correspond à 37 % du produit disponible de la cession, la somme de 100 000 euros bloquée au titre du nantissement mentionné au point 8 ne devant pas être déduite. Si, comme il a été dit plus haut, l'autre partie du produit de la cession a été investi dans des placements financiers, M. A... fait néanmoins état de tentatives sérieuses et documentées de réinvestissement dans une activité économique, qui n'ont pu aboutir pour des circonstances indépendantes de sa volonté en raison de la lenteur du temps économique et du caractère alors innovant des investissements dans le secteur du photovoltaïque. Dans ces conditions, M. A... doit être regardé, avec un tel taux de réinvestissement, comme justifiant que l'opération à laquelle il a participé ne poursuivait pas un but exclusivement fiscal.
14. Il résulte de ce qui précède que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.
15. En application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, une somme de 2 000 euros au titre des frais d'instance exposés par M. A... et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Lyon du 10 juillet 2018 est annulé.
Article 2 : M. A... est déchargé des cotisations supplémentaires à l'impôt sur le revenu et aux contributions sociales auxquelles il a été assujetti au titre de l'année 2009.
Article 3 : L'Etat versera à M. A... une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... A... et au ministre de l'action et des comptes publics.
Délibéré après l'audience du 25 juin 2020 à laquelle siégeaient :
M. Bourrachot, président de chambre,
Mme B..., présidente assesseure ;
Mme E..., première conseillère.
Lu en audience publique, le 9 juillet 2020.
2
N° 18LY03481