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06/07/2020 | FRANCE | N°18LY04583

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 7ème chambre, 06 juillet 2020, 18LY04583


Vu les procédures suivantes :

I - Procédure contentieuse antérieure

M. A... E... a demandé au tribunal administratif de Grenoble, d'une part, d'annuler la décision du 27 avril 2016 par laquelle le président de l'université de Grenoble Alpes a refusé de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle alors que le contenu de son enseignement était mis en cause par des étudiants faisant l'objet de poursuites pénales, d'autre part, qu'il soit enjoint à cette autorité de lui accorder cette protection, enfin, de mettre les frais de l'instance à la charge de l'u

niversité de Grenoble Alpes.

Par jugement n° 1606204 lu le 25 octobre 2018...

Vu les procédures suivantes :

I - Procédure contentieuse antérieure

M. A... E... a demandé au tribunal administratif de Grenoble, d'une part, d'annuler la décision du 27 avril 2016 par laquelle le président de l'université de Grenoble Alpes a refusé de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle alors que le contenu de son enseignement était mis en cause par des étudiants faisant l'objet de poursuites pénales, d'autre part, qu'il soit enjoint à cette autorité de lui accorder cette protection, enfin, de mettre les frais de l'instance à la charge de l'université de Grenoble Alpes.

Par jugement n° 1606204 lu le 25 octobre 2018, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour

Par requête enregistrée le 13 décembre 2018 sous le n° 18LY04583, M. E..., représenté par Me Aldeguer demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement et la décision du 27 avril 2016 lui refusant le bénéfice de la protection fonctionnelle ;

2°) de mettre à la charge de l'université de Grenoble Alpes une somme de 3 600 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement est entaché d'un défaut de motivation en ce qu'il n'examine pas les effets de la relaxe disciplinaire dont il a bénéficié en appel et fait référence à un jugement annulé ;

- le grief qui lui était adressé ne saurait être regardé comme constitutif d'une faute personnelle en raison des effets qui s'attachent à la relaxe disciplinaire et, subsidiairement, de l'indépendance que lui garantissent les articles L. 123-9 et L. 952-2 du code de l'éducation ; en conséquence, sa demande répond aux conditions de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983, dans sa rédaction issue de la loi du 20 avril 2016.

Par mémoire enregistré le16 octobre 2019, l'université de Grenoble Alpes, représentée par Me Verne, demande à la cour de rejeter la requête et de mettre à la charge de M. E... une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le moyen tiré de l'irrégularité du jugement manque en fait ;

- les moyens dirigés contre le refus de protection fonctionnelle, examinés selon l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 dans sa rédaction antérieure à la loi du 20 avril 2016, ne sont pas fondés.

II - Procédure contentieuse antérieure

M. A... E... a demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner l'université de Grenoble Alpes à lui verser la somme de 50 000 euros outre intérêts de droit, capitalisés, en indemnisation du harcèlement moral dont il soutient avoir été victime, et de mettre les frais de l'instance à la charge de l'université.

Par jugement n°1605766 lu le 25 octobre 2018, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour

Par requête enregistrée le 17 décembre 2018 sous le n° 18LY04615, M. E..., représenté par Me Aldeguer demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement et de condamner l'université de Grenoble Alpes à lui verser la somme de 50 000 euros ;

2°) de mettre à la charge de l'université de Grenoble Alpes une somme de 3 600 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement est entaché d'un défaut de motivation en ce qu'il n'examine pas les effets de la relaxe disciplinaire dont il a bénéficié en appel et fait référence à des faits pris en considération par un jugement annulé ;

- les risques psycho-sociaux diagnostiqués au sein du département de sociologie par un consultant missionné à cet effet, la défiance, la diffamation, les arbitrages défavorables à ses travaux dont il a été victime depuis son accession aux fonctions de professeur ainsi que la procédure disciplinaire dont il a fait l'objet sont constitutifs d'agissements contraires à l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983, indemnisables à hauteur de 50 000 euros.

Par mémoire enregistré le 17 octobre 2019, l'université de Grenoble Alpes, représentée par Me Verne, demande à la cour de rejeter la requête et de mettre à la charge de M. E... une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le moyen tiré de l'irrégularité du jugement n'est pas fondé dès lors que la matérialité des faits ayant fondé les poursuites disciplinaires n'a pas été remise en cause par la juridiction disciplinaire d'appel ;

- les faits dont se prévaut M. E... ne sont pas établis, ou bien se rattachent à l'exercice normal du pouvoir hiérarchique.

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- le code de l'éducation ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 2016-483 du 20 avril 2016, notamment l'article 20 ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Arbarétaz, président,

- les conclusions de M. Chassagne, rapporteur public,

- les observations de Me Creveaux pour l'université de Grenoble Alpes ;

Considérant ce qui suit :

1. Les requêtes susvisées ont trait à la situation du même agent public et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour qu'il y soit statué par un même arrêt.

Sur le refus de protection fonctionnelle :

2. Il ressort des pièces du dossier, notamment du courrier du 21 mars 2016, que M. E..., professeur de sociologie à l'université de Grenoble-Alpes, a demandé la protection fonctionnelle afin d'engager une action en dénonciation calomnieuse contre les étudiants qui ont dénoncé son attitude et ses méthodes pédagogiques, et que la décision du 27 avril 2016 la lui refuse à cette fin. La légalité de cette décision devait être examinée en fonction de la nature des accusations portées, sans égard aux décisions des juridictions disciplinaires de première instance et d'appel qui se sont prononcées sur les manquements aux obligations découlant de la fonction d'enseignant. Il suit de là que le tribunal n'a pas entaché le jugement n° 1606204 de défaut de motivation pour ne pas s'être référé à la décision du CNESER ayant prononcé une relaxe des poursuites disciplinaires et pour avoir mentionné dans le but exclusif d'en analyser le contenu, les déclarations recueillies au cours de la procédure disciplinaire de première instance.

3. Aux termes de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 susvisée, dans sa rédaction applicable aux faits survenus avant le 22 avril 2016 : " Les fonctionnaires bénéficient, à l'occasion de leurs fonctions et conformément aux règles fixées par le code pénal et les lois spéciales, d'une protection organisée par la collectivité publique qui les emploie à la date des faits en cause ou des faits ayant été imputés de façon diffamatoire au fonctionnaire. / (...) La collectivité publique est tenue de protéger les fonctionnaires contre les (...) injures, diffamations ou outrages dont ils pourraient être victimes à l'occasion de leurs fonctions, et de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté ". Ces dispositions établissent à la charge de la collectivité publique une obligation de protection des fonctionnaires victimes d'attaques à l'occasion de leurs fonctions, à condition qu'aucune faute personnelle ne puisse leur être imputée.

4. Or, les propos, insinuations ou vexations publiques à connotation sexuelle décrits par les témoignages précis et concordants produits au dossier sont fautifs, en raison de leur nature même qui ne les rattache à aucune nécessité de service. Ne sauraient tenir lieu de justification ni l'indépendance reconnue aux professeurs d'université par les articles L. 123-9 et L. 952-2 du code de l'éducation qui n'exonère pas les enseignants de respecter, ainsi qu'en dispose le second de ces articles, les traditions universitaires de tolérance et d'objectivité, ni les rivalités entre enseignants affectant le département de sociologie de l'université qui ne sont pas susceptibles d'avoir déterminé le comportement de M. E... à l'égard de ses étudiants.

5. Il suit de là que le caractère fautif de ce comportement faisait obstacle à ce que la protection fonctionnelle fût accordée à M. E... pour obtenir réparation de ces dénonciations et que celui-ci n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal a rejeté sa demande d'annulation de la décision lui en refusant le bénéfice. Les conclusions de sa requête n° 18LY4583 tendant aux mêmes fins doivent être rejetées.

Sur le harcèlement moral :

6. La qualification donnée par les juridictions disciplinaires de premier ressort puis d'appel aux griefs imputés à M. E... est dépourvue d'effet utile sur le litige relatif à l'indemnisation des faits de harcèlement. Il suit de là que le tribunal n'a pas entaché le jugement n° 1605766 de défaut de motivation pour ne pas s'être référé à la décision du CNESER ayant prononcé une relaxe des poursuites disciplinaires et pour avoir mentionné le contenu des déclarations recueillies au cours de la procédure disciplinaire de première instance dans le but exclusif de rechercher si le déclenchement des poursuites par l'université répondait à un motif tiré de l'intérêt du service, étranger à la volonté de porter atteinte à la santé ou à la carrière de l'intéressé.

7. Aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 susvisée : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel (...) ". Il appartient à l'agent public qui soutient avoir été victime d'agissements décrits par ces dispositions, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement, notamment par le comportement de l'intéressé. Le juge forge alors sa conviction à l'examen des comportements respectifs de l'administration et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral.

8. Or et d'une part, les propos diffamatoires imputés à deux enseignants, les accusations calomnieuses proférées par un collègue alors placé en congé maladie, l'éviction du cycle de doctorat de candidats présentés par M. E..., l'éviction de M. E... lui-même d'un comité de sélection ne sont appuyées d'aucun commencement permettant d'en établir la matérialité. Dans ces conditions, ils ne sauraient entrer dans l'appréciation de la situation de harcèlement dénoncée par l'appelant.

9. D'autre part, les propos désobligeants tenus en septembre 2013 par le membre d'un jury, le graffiti injurieux apposé au sein de l'université et la pétition dénonçant la mise au concours d'un poste de professeur auquel M. E... a finalement été affecté sont les faits de tiers que l'employeur n'a ni suscités ni encouragés ni même tolérés. Ils ne sauraient, dès lors, être qualifiés d'agissements répétés de l'administration visant à porter atteinte aux droits et à la santé de l'agent. Il en va de même des rivalités individuelles entre enseignants de sociologie, entretenues notamment par M. E... et dont l'employeur n'est pas l'instigateur.

10. Enfin, le refus de signature d'un contrat de recherche proposé par M. E... repose sur la tardiveté de la demande et les imprécisions du dossier. Les poursuites disciplinaires reposent sur des témoignages circonstanciés d'étudiants. Elles répondent donc à l'intérêt du service, sans égard aux décisions prises par les juridictions disciplinaires successivement saisies, d'ailleurs indépendantes de l'autorité universitaire à qui, de ce fait, ne peuvent être imputées d'éventuelles irrégularités d'instruction de la procédure disciplinaire.

11. Il résulte de ce qui précède que les faits matériellement établis soit ne relèvent pas de l'employeur public soit ont été pris dans un but étranger à la volonté d'attenter aux droits et à la santé de M. E.... Ils ne sont donc pas constitutifs de harcèlement moral au sens l'article 6 quinquies précité de la loi du 13 juillet 1983 et M. E... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal a rejeté sa demande d'indemnisation. Les conclusions de sa requête n° 18LY4583 tendant aux mêmes fins doivent être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. E... une somme de 1 000 euros à verser à l'université de Grenoble Alpes au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative tandis que les conclusions que lui-même, partie perdante dans les deux requêtes, a présentées aux mêmes fins doivent être rejetées

DÉCIDE :

Article 1er : Les requêtes de M. E... sont rejetées.

Article 2 : M. E... versera à l'université de Grenoble Alpes une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions de l'université de Grenoble Alpes est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... E... et à l'université de Grenoble Alpes.

Délibéré après l'audience du 15 juin 2020 à laquelle siégeaient :

M. Arbarétaz, président de chambre,

M. Seillet, président assesseur,

Mme Burnichon, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 6 juillet 2020.

2

N° 18LY04583, 18LY04615


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 18LY04583
Date de la décision : 06/07/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

36-07-10-005 Fonctionnaires et agents publics. Statuts, droits, obligations et garanties. Garanties et avantages divers. Protection contre les attaques.


Composition du Tribunal
Président : M. ARBARETAZ
Rapporteur ?: M. Philippe ARBARETAZ
Rapporteur public ?: M. CHASSAGNE
Avocat(s) : ALDEGUER

Origine de la décision
Date de l'import : 28/07/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2020-07-06;18ly04583 ?
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