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15/06/2020 | FRANCE | N°18LY02743

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 7ème chambre, 15 juin 2020, 18LY02743


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

La société Tecno S.P.A a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler la décision n° AA 96/2016 du 16 septembre 2016 par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) Auvergne-Rhône-Alpes a prononcé à son encontre une amende d'un montant global de 18 000 euros pour manquement à ses obligations de déclaration de détachement préalable et de désignation d'un représentant sur le territoire national.

Par jugement n°

1608574 lu le 17 mai 2018, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa requête.
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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

La société Tecno S.P.A a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler la décision n° AA 96/2016 du 16 septembre 2016 par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) Auvergne-Rhône-Alpes a prononcé à son encontre une amende d'un montant global de 18 000 euros pour manquement à ses obligations de déclaration de détachement préalable et de désignation d'un représentant sur le territoire national.

Par jugement n° 1608574 lu le 17 mai 2018, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa requête.

Procédure devant la cour

Par requête enregistrée le 19 juillet 2018, la société Tecno S.P.A, représentée par Me C..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Lyon du 17 mai 2018 ;

2°) d'annuler la décision n° AA 96/2016 du 16 septembre 2016 ;

3°) de mettre à la charge de l'État le versement d'une somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ont été méconnues dès lors que son conseil n'a pas été mis en possession de l'intégralité de la procédure lors de son intervention ni lors du rendez-vous du 9 août 2016 ni même ultérieurement ; il n'a pas bénéficié de tous les délais pour faire valoir les observations de son client ;

- la sanction est entachée d'erreur manifeste d'appréciation dès lors que le DIRECCTE a estimé qu'il y avait six prestations alors qu'il n'y avait qu'une seule opération économique réalisée par la même personne ;

- le montant de l'amende est disproportionné.

Par mémoire enregistré le 8 avril 2019, la ministre du travail conclut au rejet de la requête de la société Tecno S.P.A.

Elle soutient que les moyens invoqués ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 12 avril 2019, la clôture de l'instruction a été fixée au 24 mai 2019.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code du travail ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Burnichon, premier conseiller,

- les conclusions de M. Chassagne, rapporteur public,

- les observations de M. B... représentant la ministre du travail ;

Considérant ce qui suit :

1. La société Tecno S.P.A, société italienne, est intervenue sur le chantier de Biomérieux, à Marcy-L'Etoile, pour la fourniture et la pose de cloisons mobiles. Suite à un contrôle des services de l'inspection du travail, le 25 juin 2016, lui a été infligée, par décision n° AA 96/2016 du 16 septembre 2016, une amende d'un montant total de 18 000 euros liquidée selon un tarif unitaire de 1 500 euros sanctionnant chaque manquement à ses obligations de déclaration de détachement préalable d'un salarié et de désignation d'un représentant de son entreprise en France, appliqué à six périodes de présence du salarié italien sur le chantier regardées comme autant de prestations distinctes. Elle relève appel du jugement du 17 mai 2018 par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette sanction.

2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 8115-2 du code du travail, dans sa version alors en vigueur : " Lorsque le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi décide de prononcer une amende administrative, il indique à l'intéressé par l'intermédiaire du représentant de l'employeur [sur le territoire national] (...) le montant de l'amende envisagée et l'invite à présenter ses observations dans un délai de quinze jours. /A l'expiration du délai fixé et au vu des observations éventuelles de l'intéressé, il notifie sa décision et émet le titre de perception correspondant. / L'indication de l'amende envisagée et la notification de la décision infligeant l'amende sont effectuées par tout moyen permettant de leur conférer date certaine ". Aux termes de l'article R. 8115-10 du même code : " Par dérogation à l'article R. 8115-2, lorsque le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi décide de prononcer une amende administrative sur le fondement des articles L. 4751-1 à L. 4754-1 et L. 8115-1 à L. 8115-8, il invite l'intéressé à présenter ses observations dans un délai d'un mois. / Ce délai peut être prorogé d'un mois à la demande de l'intéressé, si les circonstances ou la complexité de la situation le justifient ".

3. Lorsqu'il statue sur un recours dirigé contre une décision par laquelle l'administration a prononcé une amende sanctionnant la méconnaissance du régime d'emploi de travailleurs détachés en France, il appartient au juge administratif, eu égard tant à la finalité de son intervention qu'à sa qualité de juge de plein contentieux, de se prononcer non sur les éventuels vices propres de la décision litigieuse mais sur le bien-fondé et le montant de l'amende fixée par l'administration. S'il estime que l'amende a été illégalement infligée, dans son principe ou son montant, il lui revient, dans la première hypothèse, de l'annuler et, dans la seconde, de la réformer en fixant lui-même un nouveau quantum proportionné aux manquements constatés et aux autres critères prescrits par les textes en vigueur.

4. Il suit de là que les moyens tirés de la méconnaissance, lors de la procédure préalable à l'édiction de la décision en litige, des stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, du principe du contradictoire et des droits de la défense ou encore des dispositions de l'article R. 8115-2 du code du travail alors que la procédure contradictoire organisée par les articles L. 8115-1 et suivants du code du travail s'est poursuivie devant le juge de plein contentieux et a donné tout loisir à la requérante de faire valoir ses arguments en contestation de la sanction, sont dépourvus d'effet utile sur le bien-fondé et le montant de l'amende en litige.

5. En second lieu, aux termes de l'article L. 1262-2-1 du code du travail, dans sa version alors applicable : " I.- L'employeur qui détache un ou plusieurs salariés, dans les conditions prévues aux articles L. 1262-1 et L. 1262-2, adresse une déclaration, préalablement au détachement, à l'inspection du travail du lieu où débute la prestation. / II. -L'employeur mentionné au I du présent article désigne un représentant de l'entreprise sur le territoire national, chargé d'assurer la liaison avec les agents mentionnés à l'article L. 8271-1-2 pendant la durée de la prestation ". Aux termes de l'article R. 1263-3 du même code : " L'employeur qui détache un ou plusieurs salariés, dans les conditions prévues au 1° et au 3° de l'article L. 1262-1, adresse, une déclaration comportant les éléments suivants : (...) 2° L'adresse du ou des lieux successifs où doit s'accomplir la prestation, les nom, prénom, date et lieu de naissance, adresse électronique et postale en France, et coordonnées téléphoniques et, le cas échéant, la raison sociale du représentant de l'entreprise en France pour la durée de la prestation, la date du début de la prestation et sa date de fin prévisible, l'activité principale exercée dans le cadre de la prestation, la nature du matériel ou des procédés de travail dangereux utilisés, le nom, l'adresse, l'activité principale du donneur d'ordre ainsi que, le cas échéant, son numéro d'identification SIRET ; 3° Les nom, prénoms, date et lieu de naissance, adresse de résidence habituelle et nationalité de chacun des salariés détachés (...) ".

6. Il résulte de ces dispositions que les obligations de déclaration de détachement de salariés étrangers et de désignation d'un représentant de l'entreprise en France mises à la charge des employeurs de salariés étrangers en détachement sur le territoire français doivent être satisfaites lors de chaque prestation de services accomplie par un ou des salariés détachés. Sans égard à la qualification donnée par les parties à la convention de mise à disposition, doit être regardée comme une seule prestation de services, l'exécution d'un ouvrage présentant une homogénéité technique, confiée au(x) même(s) salarié(s) sur le même chantier au profit du même donneur d'ordre, qu'elle soit continue ou discontinue.

7. Or, la pose de cloisons mobiles réalisée par la société Tecno S.P.A constituait un lot technique homogène, réalisé par le même salarié, sur le même chantier et pour le compte du même donneur d'ordre. Il suit de là qu'elle constituait une prestation unique, quoiqu'accomplie de manière discontinue. En comptabilisant six périodes d'intervention comme autant de prestations distinctes devant donner lieu à des déclarations réitérées et en en déduisant que l'entreprise avait méconnu six fois chacune de ses obligations déclaratives, le DIRECCTE Auvergne-Rhône-Alpes lui a infligé une amende excédant les manquements qui lui sont imputables. L'amende infligée à la société Tecno S.P.A ne pouvant sanctionner que deux manquements constatés sur une prestation unique, son montant doit dores et déjà être réduit d'une somme de 15 000 euros obtenue par application du tarif unitaire de 1 500 euros à deux manquements relevés sur cinq périodes indument qualifiées de prestations distinctes.

8. Aux termes de l'article L. 1264-1 du code du travail : " La méconnaissance par l'employeur qui détache un ou plusieurs salariés d'une des obligations mentionnées à l'article L. 1262-2-1 ou à l'article L. 1263-7 est passible d'une amende administrative, dans les conditions prévues à l'article L. 1264-3 ". Aux termes de l'article L. 1264-3 du même code : " / (...)/ Le montant de l'amende est d'au plus 2 000 € par salarié détaché et d'au plus 4 000 € en cas de réitération dans un délai d'un an à compter du jour de la notification de la première amende. Le montant total de l'amende ne peut être supérieur à 500 000 €. / Pour fixer le montant de l'amende, l'autorité administrative prend en compte les circonstances et la gravité du manquement, le comportement de son auteur ainsi que ses ressources et ses charges (...) ".

9. Il résulte de l'instruction qu'avant de détacher M. A..., la société Tecno S.P.A n'a pas procédé à sa déclaration de détachement ni désigné de représentant sur le territoire, en méconnaissance de ses obligations résultant de l'article L. 1262-2-1 du code du travail précité. Compte tenu de la gravité de ces manquements mais aussi des données comptables de la société démontrant ses difficultés financières, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de réduire le tarif unitaire à 1 000 euros, de l'appliquer à chaque manquement sur l'ensemble de la période d'intervention et de ramener de 3 000 euros à 2 000 euros le montant de l'amende encore en litige.

10. Il résulte de tout ce qui précède que la société Tecno S.P.A est seulement fondée à soutenir que le montant de l'amende qui lui a été infligée par la décision du 16 septembre 2016 doit être réduit de 18 000 à 2 000 euros et que le jugement du tribunal administratif de Lyon doit être réformé dans les mêmes proportions.

11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État le paiement à la société Tecno S.P.A d'une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : L'amende mise à la charge de la société Tecno S.P.A par la décision n° AA 96/2016 du 16 juillet 2016 du directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Auvergne Rhône-Alpes est réduite de 18 000 euros à 2 000 euros.

Article 2 : Le jugement n° 1608574 du tribunal administratif de Lyon lu le 17 mai 2018 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : L'État versera à la société Tecno S.P.A la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la société Tecno S.P.A est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société Tecno S.P.A et à la ministre du travail.

Copie sera adressée à la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi Auvergne Rhône-Alpes.

Délibéré après l'audience du 18 mai 2020 à laquelle siégeaient :

M. Arbarétaz, président de chambre,

M. Seillet, président assesseur,

Mme Burnichon, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 15 juin 2020.

N° 18LY02743


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 18LY02743
Date de la décision : 15/06/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Répression - Domaine de la répression administrative Régime de la sanction administrative - Autorités administratives titulaires du pouvoir de sanction.

Travail et emploi - Réglementations spéciales à l'emploi de certaines catégories de travailleurs.


Composition du Tribunal
Président : M. ARBARETAZ
Rapporteur ?: Mme Claire BURNICHON
Rapporteur public ?: M. CHASSAGNE
Avocat(s) : S.JOFFROY SOCIETE D'AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 28/07/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2020-06-15;18ly02743 ?
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