La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

04/06/2020 | FRANCE | N°19LY04106

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 5ème chambre, 04 juin 2020, 19LY04106


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Mme F... E... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler les décisions du 20 juin 2019 par lesquelles le préfet de l'Isère l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.

Par un jugement n° 1904700 du 9 août 2019, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 7 novembre 2019, Mme E..., représentée p

ar Me D..., avocate, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du magistrat désigné par le prés...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Mme F... E... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler les décisions du 20 juin 2019 par lesquelles le préfet de l'Isère l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.

Par un jugement n° 1904700 du 9 août 2019, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 7 novembre 2019, Mme E..., représentée par Me D..., avocate, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble du 9 août 2019 ;

2°) d'annuler les décisions susmentionnées pour excès de pouvoir ;

3°) d'enjoindre au préfet de l'Isère de lui délivrer un titre de séjour, ou subsidiairement de réexaminer sa situation, dans un délai d'un mois, à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 200 euros par jour de retard et dans l'attente, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler, dans un délai de deux jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 200 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros, au profit de son conseil, en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

- en omettant de prendre en compte les pièces produites le jour de l'audience, en omettant de les viser, en motivant de façon insuffisante sa décision et en omettant de répondre complètement au moyen tiré de la méconnaissance de l'article 3-1 de la convention relative aux droits de l'enfant, le premier juge a rendu un jugement irrégulier ;

- elle démontre que son état de santé nécessite des soins importants dont le défaut pourrait entraîner des conséquences graves sur sa santé et qu'elle ne pourrait bénéficier de soins appropriés en République démocratique du Congo ; les dispositions du 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et de séjour des étrangers et du droit d'asile ont été méconnues ;

- le préfet aurait dû saisi le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration en application de l'article R. 511-1 du code de l'entrée et de séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le préfet s'est cru à tort lié par la décision rendue par la Cour nationale du droit d'asile ;

- les stipulations des articles 2 et 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ont été méconnues ;

- il en est de même de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le préfet a commis une erreur manifeste d'appréciation des conséquences de ses décisions sur sa situation personnelle ;

- le préfet a commis une erreur de droit concernant l'application de l'article 3-1 de la convention relative aux droits de l'enfant.

La requête a été notifiée au préfet de l'Isère qui n'a pas produit d'observations.

Mme E... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 9 octobre 2019.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention relative aux droits de l'enfant signée à New York le 26 janvier 1990 :

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative ;

Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A..., présidente assesseure ;

Considérant ce qui suit :

1. Mme E..., ressortissante de la République démocratique de Congo, née le 25 avril 1971, déclare être entrée irrégulièrement en France le 25 mai 2017. L'asile lui a été refusé par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 31 janvier 2018 et par la Cour nationale du droit d'asile le 8 mars 2019. Le 20 juin 2019, le préfet de l'Isère l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. Mme E... relève appel du jugement du 9 août 2019 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces décisions du 20 juin 2019.

Sur la régularité du jugement :

2. En premier lieu, il ressort de la lecture du jugement que le tribunal administratif a répondu de manière suffisamment motivée aux moyens contenus dans la demande de la requérante, et notamment à celui tiré de la méconnaissance de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant, alors même qu'il n'a pas expressément écarté le moyen tiré de l'erreur de droit commise par le préfet dans l'application de ces stipulations. Dès lors, le tribunal qui n'était pas tenu de répondre à tous les arguments avancés par les parties n'a entaché sa décision d'aucune irrégularité.

3. En deuxième lieu, la requérante fait valoir que le tribunal qui aurait dû tenir compte des pièces médicales qu'elle a transmises le jour de l'audience a fondé sa décision sur des faits matériellement inexacts. Toutefois, un tel grief qui concerne le bien-fondé du jugement est sans incidence sur sa régularité.

4. Enfin, contrairement à ce que soutient la requérante, le premier juge n'était pas tenu de viser chacune des pièces produites à l'instance.

Sur la légalité de l'obligation de quitter le territoire français :

5. En premier lieu, aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " I. - L'autorité administrative peut obliger à quitter le territoire français un étranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne, d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse et qui n'est pas membre de la famille d'un tel ressortissant au sens des 4° et 5° de l'article L. 121-1, lorsqu'il se trouve dans l'un des cas suivants : (...) / 6° Si la reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire a été définitivement refusé à l'étranger ou si l'étranger ne bénéficie plus du droit de se maintenir sur le territoire français en application des articles L.743-1 et L. 743-2, à moins qu'il ne soit titulaire d'un titre de séjour en cours de validité (...) ".

6. Aux termes de l'article L. 743-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Le demandeur d'asile dont l'examen de la demande relève de la compétence de la France et qui a introduit sa demande auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides bénéficie du droit de se maintenir sur le territoire français jusqu'à la notification de la décision de l'office ou, si un recours a été formé, dans le délai prévu à l'article L. 731-2 contre une décision de rejet de l'office, soit jusqu'à la date de la lecture en audience publique de la décision de la Cour nationale du droit d'asile, soit, s'il est statué par ordonnance, jusqu'à la date de la notification de celle-ci. (...) " .

7. Le 20 juin 2019, Mme E..., ressortissante de la République démocratique du Congo, à qui la reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire avait été définitivement refusé et qui n'était pas titulaire d'un titre de séjour, se trouvait ainsi dans le cas que prévoit le 6° du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans lequel le préfet peut faire obligation à un étranger de quitter le territoire français.

8. Il ne ressort pas des pièces du dossier, et notamment des termes de la décision en litige, que le préfet se serait cru, à tort, tenu d'édicter une obligation de quitter le territoire français en raison du rejet de demande d'asile qui a été préalablement opposé à l'intéressée. Par suite, la décision portant obligation de quitter le territoire français n'est pas entachée d'une erreur de droit.

9. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français : (...) 10° L'étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié (...) ".

10. Aux termes de l'article R. 511-1 du même code : " L'état de santé défini au 10° de l'article L. 511-4 est constaté au vu d'un avis émis par un collège de médecins à compétence nationale de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. / Cet avis est émis dans les conditions fixées par arrêté du ministre chargé de l'immigration et du ministre chargé de la santé au vu, d'une part, d'un certificat médical établi par le médecin qui suit habituellement l'étranger ou un médecin praticien hospitalier et, d'autre part, des informations disponibles sur les possibilités de bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans le pays d'origine de l'intéressé. (...) ".

11. Lorsqu'elle envisage de prononcer une obligation de quitter le territoire français à l'encontre d'un étranger en situation irrégulière, l'autorité préfectorale n'est tenue, en application des dispositions de l'article R. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, de recueillir préalablement l'avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, que si elle dispose d'éléments d'information suffisamment précis permettant d'établir que l'intéressé, résidant habituellement en France, présente un état de santé susceptible de le faire entrer dans la catégorie des étrangers qui ne peuvent faire l'objet d'une telle mesure d'éloignement.

12. D'une part, la requérante fait valoir qu'elle souffre d'un état de stress post traumatique sévère, qu'elle a subi, en 2018 une opération chirurgicale d'ablation totale d'un sein et qu'elle connaît des dérèglements physiques. Toutefois, si un des documents médicaux qu'elle produit et qui a été établi postérieurement à la date de la décision litigieuse, souligne clairement que l'absence de prise en charge de sa pathologie psychiatrique aurait pour elle des conséquences d'une exceptionnelle gravité, il ne permet pas d'établir qu'elle ne pourrait bénéficier effectivement en République démocratique du Congo des soins nécessaires à son état de santé.

13. D'autre part, il ne ressort pas des pièces du dossier que, lorsqu'il a pris la décision en litige, le préfet disposait d'éléments suffisamment précis permettant de laisser penser que Mme E... ne pourrait effectivement bénéficier en République démocratique du Congo d'un traitement approprié à son état de santé. Ainsi, le préfet n'a ni entaché sa décision d'un vice de procédure au regard des dispositions de l'article R. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en ne saisissant pas l'Office français de l'immigration et de l'intégration du cas de l'intéressée, ni méconnu les dispositions du 10° de l'article L. 511-4 de ce code.

14. En troisième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui. "

15. Mme E... fait valoir qu'elle réside en France depuis deux ans avec ses trois enfants, qu'elle justifie d'une bonne intégration notamment dans le milieu associatif et que son état de santé notamment psychique nécessite un traitement médicamenteux dont le défaut pourrait entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que l'intéressée n'était présente en France que depuis deux ans, qu'il n'est établi ni que ses enfants ne pourraient poursuivre leur scolarité en République démocratique du Congo, ni qu'elle ne pourrait bénéficier effectivement d'un traitement approprié à son état de santé dans ce pays, où elle ne justifie pas être dépourvue d'attache familiale. Ainsi, les éléments avancés par l'intéressée ne permettent pas de considérer que la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français porte à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts poursuivis. Par suite, le moyen tiré de la violation de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.

16. En quatrième lieu, aux termes du 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait (...) des tribunaux, des autorités administratives (...), l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. "

17. Il ne ressort pas des pièces du dossier que les enfants de la requérante ne pourraient poursuivre leur scolarité en République démocratique du Congo. De même, si le mémoire en défense produit par le préfet en première instance évoque de façon regrettable que le renvoi des enfants de l'intéressée en République démocratique de Congo ne leur serait pas " anormalement dommageable ", il ne ressort pas des termes mêmes de la décision attaquée que le préfet se serait fondé sur une telle appréciation. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations précitées de la convention internationale relative aux droits de l'enfant et de l'erreur de droit commise par le préfet doivent être écartés.

18. En dernier lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet de l'Isère aurait commis une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de sa décision portant obligation de quitter le territoire français sur la situation personnelle de Mme E....

Sur la légalité de la décision fixant le pays de renvoi :

19. En premier lieu, eu égard à ce qui a été dit précédemment concernant l'existence en République démocratique du Congo d'un traitement médical effectif approprié à l'état de santé de l'intéressée, les risques graves encourus en cas de retour dans ce pays ne peuvent être tenus pour établis. Par suite, en fixant la République démocratique du Congo comme pays de renvoi, le préfet n'a pas méconnu les stipulations des articles 2 et 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

20. En second lieu, pour les mêmes motifs que ceux retenus précédemment, la décision fixant le pays de renvoi ne méconnaît pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et n'est pas entachée d'erreur manifeste d'appréciation.

21. Il résulte de ce qui précède que, Mme E... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande. Doivent être rejetées, par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction sous astreinte et celles tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1990.

DECIDE

Article 1er: La requête de Mme E... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme F... E... et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée au préfet de l'Isère.

Délibéré après l'audience du 14 mai 2020 à laquelle siégeaient :

M. Bourrachot, président de chambre,

Mme A..., présidente assesseure,

Mme B..., première conseillère.

Lu en audience publique, le 4 juin 2020.

2

N° 19LY04106


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 19LY04106
Date de la décision : 04/06/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-01-03 Étrangers. Séjour des étrangers. Refus de séjour.


Composition du Tribunal
Président : M. BOURRACHOT
Rapporteur ?: Mme Pascale DECHE
Rapporteur public ?: M. VALLECCHIA
Avocat(s) : VIGNERON

Origine de la décision
Date de l'import : 28/07/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2020-06-04;19ly04106 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award