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09/04/2020 | FRANCE | N°19LY01236

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 3ème chambre, 09 avril 2020, 19LY01236


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Mme I... A... F... a demandé au tribunal administratif de Dijon d'annuler l'arrêté du préfet de la Saône-et-Loire du 14 juin 2018 lui refusant la délivrance d'un titre de séjour et lui enjoignant de quitter la France dans les 30 jours vers les Comores.

Par un jugement n° 1802412 du 17 décembre 2018, le tribunal administratif de Dijon a annulé cet arrêté en tant qu'il a fixé le pays de renvoi, enjoint au préfet de la Saône-et-Loire de procéder à un nouvel examen de la situation de Mme A... F...

et rejeté le surplus de la demande.

Procédure devant la cour

Par une requête enre...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Mme I... A... F... a demandé au tribunal administratif de Dijon d'annuler l'arrêté du préfet de la Saône-et-Loire du 14 juin 2018 lui refusant la délivrance d'un titre de séjour et lui enjoignant de quitter la France dans les 30 jours vers les Comores.

Par un jugement n° 1802412 du 17 décembre 2018, le tribunal administratif de Dijon a annulé cet arrêté en tant qu'il a fixé le pays de renvoi, enjoint au préfet de la Saône-et-Loire de procéder à un nouvel examen de la situation de Mme A... F... et rejeté le surplus de la demande.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 2 avril 2019, Mme A... F..., représentée par Me H..., avocat, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Dijon du 17 décembre 2018 ;

2°) d'annuler la décision du préfet de la Saône-et-Loire du 14 juin 2018 ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Saône-et-Loire de lui délivrer un titre de séjour, en application des dispositions des articles L. 911-1 et suivants du code de justice administrative, dans le délai d'un mois à compter de la notification de la décision à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, et, à titre subsidiaire, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour et de réexaminer sa situation dans le délai d'un mois ;

4°) condamner l'Etat à verser à son conseil une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, combiné avec les dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

En ce qui concerne la décision de refus de titre de séjour :

- l'auteur de cette décision n'était pas compétent pour la signer ;

- cette décision est insuffisamment motivée et n'a, ainsi, pas été précédée d'un examen complet de sa situation personnelle ;

- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales et l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :

- l'auteur de cette décision n'était pas compétent pour la signer ;

- cette décision est insuffisamment motivée et n'a, ainsi, pas été précédée d'un examen complet de sa situation personnelle ;

- elle a été adoptée en méconnaissance des articles L. 511-1 et L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Par ordonnance du 12 novembre 2019, la clôture de l'instruction a été fixée au 12 décembre 2019.

Par un courrier du 21 janvier 2020, les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que la cour est susceptible de soulever d'office l'irrégularité du jugement attaqué en raison de l'irrégularité de la formation de jugement de première instance, seule une formation collégiale étant compétente pour statuer sur les conclusions présentées en première instance en application du I de l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Mme A... F... a présenté un mémoire en réponse à ce moyen d'ordre public, enregistré le 28 janvier 2020, qui n'a pas été communiqué.

Mme A... F... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 13 février 2019.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales ;

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;

- le code de justice administrative ;

La présidente de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique le rapport de Mme C... G..., première conseillère ;

Considérant ce qui suit :

1. Mme A... F..., ressortissante comorienne née en 1993, a sollicité, le 13 novembre 2017, le renouvellement du titre de séjour mention " vie privée et familiale " qui lui avait été délivré par les autorités françaises à Mayotte et était parvenu à échéance le 10 mai 2017. Sa demande a été rejetée par une décision du préfet de la Saône-et-Loire du 14 juin 2018 lui faisant, en outre, obligation de quitter le territoire français et fixant les Comores comme pays de destination de cette mesure d'éloignement. Par un jugement du 17 décembre 2018, le tribunal administratif de Dijon a annulé cette décision en tant seulement qu'elle fixe les Comores comme pays de destination. Par la requête susvisée, Mme A... F... doit être regardée comme relevant appel de ce jugement en tant qu'il a rejeté le surplus de ses conclusions à fin d'annulation.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne le refus de titre de séjour :

2. En premier lieu, la décision en litige a été signée par M. Jean-Claude Geney, secrétaire général de la préfecture de la Saône-et-Loire, qui disposait d'une délégation permanente de signature du préfet à l'effet de signer tous les arrêtés et décisions relevant des attributions de l'Etat dans le département par un arrêté du 28 août 2017 régulièrement publié au recueil spécial des actes administratifs de la préfecture du 29 août 2017. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de la décision en litige doit être écarté.

3. En deuxième lieu, la décision portant refus de séjour qui vise les textes dont il est fait application et énonce les différents motifs de fait tenant à la situation particulière de Mme A... F... sur lesquels elle est fondée, notamment le défaut de visa long séjour et l'absence de moyens de subsistance propres et de vie professionnelle ou personnelle établie sur le territoire français, est suffisamment motivée au regard des exigences des articles L. 211-2 et L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration. Alors même que cette décision ne mentionne ni la date de l'entrée de l'intéressée à Mayotte ni la relation de concubinage dont elle se prévaut, le moyen tiré de son insuffisante motivation doit être écarté.

4. En troisième lieu, il ressort de cette décision, ainsi motivée, que le préfet de la Saône-et-Loire a, contrairement à ce que prétend l'appelante, préalablement procédé à un examen de sa situation particulière.

5. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La carte de séjour temporaire mentionnée à l'article L. 313-11 ou la carte de séjour temporaire mentionnée aux 1° et 2° de l'article L. 313-10 peut être délivrée, sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, à l'étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 313-2 (...) ".

6. Mme A... F... ne conteste pas ne pas avoir présenté sa demande de titre de séjour sur le fondement de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, lequel n'a, en outre, pas été examiné d'office par le préfet de la Saône-et-Loire. Le moyen tiré de la méconnaissance de ces dispositions est, par suite, inopérant.

7. En cinquième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui (...) ".

8. Il est constant que Mme A... F..., de nationalité comorienne, est entrée à Mayotte au cours de l'année 2000 alors qu'elle était âgée de sept ans. Elle y a séjourné jusqu'à l'âge vingt-quatre ans et y a donné naissance, en 2009, à un enfant de nationalité française, avant d'entrer sur le territoire métropolitain, le 18 juillet 2017. Toutefois, elle ne démontre pas disposer d'autres attaches privées et familiales sur le territoire français, qu'il s'agisse de la métropole ou de Mayotte, en indiquant ne plus avoir de relations avec le père de son enfant qui réside à Mayotte et à défaut d'établir la réalité d'une communauté de vie avec M. E..., ressortissant français résidant en métropole. Par ailleurs, elle n'est pas dépourvue de telles attaches dans son pays d'origine, où demeurent ses parents, et ne démontre ni même ne prétend qu'il existerait un obstacle à ce que son enfant l'y accompagne. Enfin, elle ne se prévaut d'aucune insertion, notamment professionnelle, sur le territoire français. Dans ces circonstances, et nonobstant la durée de séjour de Mme A... F..., tant à Mayotte qu'en métropole, elle n'est pas fondée à soutenir qu'en refusant de lui délivrer un titre de séjour, le préfet de la Saône-et-Loire aurait méconnu les stipulations précitées.

En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :

9. Aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " I. - L'autorité administrative peut obliger à quitter le territoire français un étranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne, d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse et qui n'est pas membre de la famille d'un tel ressortissant au sens des 4° et 5° de l'article L. 121-1, lorsqu'il se trouve dans l'un des cas suivants : (...) 3° Si la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour a été refusé à l'étranger ou si le titre de séjour qui lui avait été délivré lui a été retiré (...) ". L'article L. 511-4 du même code dispose toutefois que : " Ne peuvent faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français : (...) 2° L'étranger qui justifie par tous moyens résider habituellement en France depuis qu'il a atteint au plus l'âge de treize ans ; (...) 4° L'étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de dix ans, sauf s'il a été, pendant toute cette période, titulaire d'une carte de séjour temporaire ou pluriannuelle portant la mention " étudiant " ; (...) 6° L'étranger ne vivant pas en état de polygamie qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans (...) ". En application de l'article L. 111-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 7 mai 2014, l'expression " en France " s'entend également de Mayotte.

10. Comme indiqué précédemment, après avoir vécu pendant dix-sept ans à Mayotte, Mme A... F... est arrivée en France métropolitaine le 18 juillet 2017, accompagnée de son fils, né en 2009, de nationalité française. Alors même qu'elle ne démontre pas disposer de ressources stables et d'un logement propre, il n'est pas contesté qu'elle assume seule son fils depuis sa naissance. Elle contribue ainsi effectivement, au sens des dispositions de l'article 371-2 du code civil, à l'entretien et à l'éducation de son enfant, qui est de nationalité française et réside en France, au sens du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, depuis 2014. Par suite, Mme A... F... est fondée à soutenir que le préfet de la Saône-et-Loire ne pouvait, sans méconnaître les dispositions précitées du 6° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, lui faire obligation de quitter le territoire français.

11. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme A... F... est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif a rejeté sa demande en annulation de la décision du préfet de la Saône-et-Loire du 14 juin 2018 en tant qu'elle lui fait obligation de quitter le territoire français.

Sur les conclusions à fin d'injonction sous astreinte :

12. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public (...) prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. ". L'article L. 911-2 du même code prévoit en outre que : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public (...) prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé ". Enfin, selon l'article L. 512-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Si l'obligation de quitter le territoire français est annulé, (...) l'étranger est muni d'une autorisation provisoire de séjour jusqu'à ce que l'autorité administrative ait à nouveau statué sur son cas (...) ".

13. Le présent arrêt prononçant l'annulation de la seule décision faisant obligation de quitter le territoire français à Mme A... F..., il n'implique pas nécessairement la délivrance d'un titre de séjour à l'intéressée, mais seulement le réexamen de sa situation. Il y a donc lieu de prescrire au préfet de la Saône-et-Loire de se prononcer, dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt, sur la situation de Mme A... F... et de la munir, dans un délai de quinze jours à compter de cette notification et dans l'attente de ce réexamen, d'une autorisation provisoire de séjour, sans qu'il soit besoin, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés au litige :

14. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, sous réserve que Me H..., avocat de Mme A... F..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État à la mission d'aide juridictionnelle, de mettre à la charge de l'Etat le versement à cette dernière d'une somme de 800 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi relative à l'aide juridique.

DÉCIDE :

Article 1er : La décision du préfet de la Saône-et-Loire du 14 juin 2018 est annulée en tant qu'elle fait obligation Mme A... F... de quitter le territoire français.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Dijon du 17 décembre 2018 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : Il est enjoint au préfet de la Saône-et-Loire de se prononcer, dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt, sur la situation de Mme A... F... et de la munir, dans un délai de quinze jours à compter de cette notification et dans l'attente de ce réexamen, d'une autorisation provisoire de séjour.

Article 4 : L'Etat versera à Me H... une somme de 800 euros en l'application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme A... F... est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme I... A... F..., à Me H... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet de la Saône-et-Loire.

Délibéré après l'audience du 4 février 2020 à laquelle siégeaient :

Mme D... B..., présidente de chambre,

Mme J..., présidente assesseure,

Mme C... G..., première conseillère.

Lu en audience publique, le 9 avril 2020.

2

N° 19LY01236


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 19LY01236
Date de la décision : 09/04/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Étrangers - Séjour des étrangers.

Étrangers - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : Mme PAIX
Rapporteur ?: Mme Sophie CORVELLEC
Rapporteur public ?: M. DELIANCOURT
Avocat(s) : DUBERSTEN RACHEL

Origine de la décision
Date de l'import : 05/05/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2020-04-09;19ly01236 ?
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