La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

02/04/2020 | FRANCE | N°18LY04446

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 1ère chambre, 02 avril 2020, 18LY04446


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

La SCI Nest a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler la décision du 25 août 2016 par laquelle le directeur de l'établissement public foncier local de l'Ain a exercé le droit de préemption sur un ensemble immobilier situé route de la Croisée à Guéreins, ensemble la décision du 26 octobre 2016 rejetant son recours gracieux.

Par un jugement n° 1609206 du 18 octobre 2018, le tribunal administratif de Lyon a annulé ces décisions.

Procédure devant la cour

Par une requête

enregistrée le 11 décembre 2018, et un mémoire complémentaire enregistré le 2 janvier 2020, qui ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

La SCI Nest a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler la décision du 25 août 2016 par laquelle le directeur de l'établissement public foncier local de l'Ain a exercé le droit de préemption sur un ensemble immobilier situé route de la Croisée à Guéreins, ensemble la décision du 26 octobre 2016 rejetant son recours gracieux.

Par un jugement n° 1609206 du 18 octobre 2018, le tribunal administratif de Lyon a annulé ces décisions.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 11 décembre 2018, et un mémoire complémentaire enregistré le 2 janvier 2020, qui n'a pas été communiqué, l'établissement public foncier de l'Ain, représenté par la SELARL BG Avocats, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 18 octobre 2018 ;

2°) de rejeter les conclusions de la demande tendant à l'annulation de cette décision du 25 août 2016 de son directeur ;

3°) de mettre à la charge de la SCI Nest la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- c'est à tort que le tribunal a estimé que l'établissement était incompétent pour exercer le droit de préemption ; les établissements publics fonciers sont en effet de plein droit compétents pour intervenir sur le territoire de leurs membres, en vertu de l'article L. 324-1 du code de l'urbanisme ; l'interprétation du tribunal rend impossible son intervention sur le territoire des communes n'ayant pas délégué leur compétence aux établissements publics de coopération intercommunale ; en vertu de l'article 2 de ses statuts, elle est compétente pour réaliser toute acquisition foncière pour le compte de toute personne publique ; la commune de Guéreins doit être regardée comme membre de l'établissement ;

- aucun des autres moyens soulevés en première instance n'est fondé.

Par un mémoire enregistré le 30 septembre 2019, la SCI Nest, représentée par Me A..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge du requérant au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- c'est à bon droit que le tribunal a estimé que l'établissement était incompétent pour exercer le droit de préemption ;

- il n'est justifié d'aucun projet précis, antérieur à la préemption ;

- la préemption a servi à une opération de spéculation immobilière caractérisant un détournement de pouvoir.

La clôture de l'instruction a été fixée au 2 janvier 2020, par une ordonnance en date du 26 novembre 2019.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Thierry Besse, président-assesseur,

- les conclusions de M. Jean-Simon Laval, rapporteur public,

- et les observations de Me B... pour l'établissement public foncier de l'Ain, ainsi que celles de Me A... pour la SCI Nest ;

Et après avoir pris connaissance de la note en délibéré présentée pour l'EPF de l'Ain, enregistrée le 18 février 2020, et pour la SCI Nest, enregistrée également le 18 février 2020 ;

Considérant ce qui suit :

1. Par un compromis de vente établi le 8 juin 2016, la SCI Nest s'est portée acquéreur de deux parcelles cadastrées sises route de la croisée sur le territoire de la commune de Guéreins. Celle-ci a été informée de cette vente par une déclaration d'intention d'aliéner reçue en mairie le 8 juillet 2016. Le conseil municipal de la commune a, par délibération du 28 juillet 2016, délégué l'exercice de son droit de préemption à l'établissement public foncier (EPF) de l'Ain en vue de l'acquisition des deux parcelles susmentionnées. Par une décision du 25 août 2016, le directeur de l'EPF de l'Ain a préempté le bien dont la SCI s'était initialement portée acquéreur. Par jugement du 18 octobre 2018, le tribunal administratif de Lyon a annulé, à la demande de la SCI Nest, cette décision du 25 août 2016 et la décision rejetant son recours gracieux. L'EPF de l'Ain relève appel de ce jugement.

Sur le moyen d'annulation retenu par les premiers juges :

2. Aux termes de l'article L. 213-3 du code de l'urbanisme : " Le titulaire du droit de préemption peut déléguer son droit à l'Etat, à une collectivité locale, à un établissement public y ayant vocation ou au concessionnaire d'une opération d'aménagement. Cette délégation peut porter sur une ou plusieurs parties des zones concernées ou être accordée à l'occasion de l'aliénation d'un bien. Les biens ainsi acquis entrent dans le patrimoine du délégataire. " Aux termes de l'article L. 324-1 du code de l'urbanisme dans sa version applicable au litige : " Les établissements publics fonciers (...) sont compétents pour réaliser, pour leur compte, pour le compte de leurs membres ou de toute personne publique, toute acquisition foncière ou immobilière en vue de la constitution de réserves foncières en application des articles L. 221-1 et L. 221-2 ou de la réalisation d'actions ou d'opérations d'aménagement au sens de l'article L. 300-1. (...) / Ces établissements interviennent sur le territoire des communes ou des établissements publics de coopération intercommunale qui en sont membres et, à titre exceptionnel, ils peuvent intervenir à l'extérieur de ce territoire pour des acquisitions nécessaires à des actions ou opérations menées à l'intérieur de celui-ci. (...) / Ils peuvent exercer, par délégation de leurs titulaires, les droits de préemption et de priorité définis par le présent code dans les cas et conditions qu'il prévoit et agir par voie d'expropriation. (...) ".

3. Aux termes par ailleurs de l'article 2 des statuts de l'établissement public foncier local de l'Ain dans leur version résultant de la modification adoptée le 11 décembre 2014, applicable au litige : " L'établissement public foncier de l'Ain est compétent pour réaliser pour le compte de ses membres ou de toute personne publique, toute acquisition foncière ou immobilière en vue de la constitution de réserves foncières en application des articles L. 221-1 et L. 221-2 ou de la réalisation d'actions ou d'opérations d'aménagement au sens de l'article L. 300-1. / Il a compétence pour intervenir sur le territoire des établissements publics de coopération intercommunale ou des communes qui en sont membres. Il peut intervenir à l'extérieur de ce territoire pour des acquisitions nécessaires à des actions ou opérations menées à l'intérieur de celui-ci. ". Aux termes de l'article 5 de ces mêmes statuts, qui définit les règles applicables aux différents modes d'acquisition foncière et immobilière : " Pour la réalisation des objets définis aux articles précédents, l'Etablissement public foncier de l'Ain peut : / (...) exercer tous droits de préemption, de priorité, par délégation de ses membres, dans les cas et conditions prévues par la loi. ".

4. Pour estimer que la commune de Guéreins, titulaire du droit de préemption, n'avait pu déléguer valablement l'exercice de son droit de préemption à l'établissement public foncier de l'Ain, les premiers juges se sont fondés sur l'article 5 des statuts de l'établissement, en vertu duquel ce dernier ne pouvait recevoir délégation en matière de préemption que de ses membres. Toutefois, si la commune de Guéreins n'est pas membre de l'EPF de l'Ain, elle est membre de la communauté de communes de Montmerle Trois Rivières, qui est elle-même devenue membre de l'EPF. Or, il ressort des dispositions de l'article 6 des statuts de l'EPF que les communes membres d'un établissement public de coopération intercommunale compétent en matière de plan local d'habitat perdent automatiquement la qualité de membre de l'EPF lorsque cet établissement en devient membre. Dans ces conditions, et alors qu'il ne ressort pas des statuts que l'EPF aurait entendu ne plus pouvoir être délégataire du droit de préemption pour les communes n'ayant pas délégué leur droit de préemption à un établissement public de coopération intercommunale y ayant vocation, les dispositions de l'article 5 des statuts de l'EPF doivent s'entendre comme donnant la possibilité à l'EPF d'exercer le droit de préemption pour ses membres ou pour les communes membres d'un établissement public de coopération intercommunale lui-même membre de l'EPF. Par suite, c'est à tort que les premiers juges se sont fondés, pour annuler la décision du 25 août 2016, sur l'incompétence de l'auteur de l'acte résultant de l'impossibilité pour le conseil municipal de déléguer à l'EPF de l'Ain l'exercice du droit de préemption.

5. Il appartient dès lors à la cour, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par l'intimée, tant en première instance qu'en appel.

Sur les autres moyens dirigés contre la décision du 25 août 2016 :

6. En premier lieu, il ne ressort d'aucune pièce du dossier que le conseil municipal aurait délégué au maire l'exercice du droit de préemption. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du conseil municipal pour déléguer ce droit à l'EPF de l'Ain manque en fait.

7. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que la délibération du 28 juillet 2016 du conseil municipal de Guéreins déléguant l'exercice du droit de préemption a été transmise au contrôle de légalité de la préfecture de l'Ain le 4 août 2016 et affichée à compter de ce jour en mairie. Par suite, elle était exécutoire à la date de la décision du 25 août 2016 en litige.

8. En troisième lieu, le conseil d'administration de l'EPF de l'Ain a donné délégation à son directeur pour exercer le droit de préemption par délégation d'une commune membre, par délibération en date du 18 octobre 2011. La préemption devant être regardée comme exercée pour le compte d'une commune membre, ainsi qu'il a été dit au point 4, le directeur pouvait prendre cette décision sans autorisation spécifique, en l'absence même d'urgence. Enfin, il ressort des pièces du dossier que, conformément aux exigences de cette délibération du 18 octobre 2011, le président de l'EPF a donné son accord à l'exercice de ce droit de préemption préalablement à la décision litigieuse. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du directeur de l'EPF doit être écarté.

9. En quatrième lieu, le deuxième alinéa de l'article L. 210-1 du code de l'urbanisme dispose que " toute décision de préemption doit mentionner l'objet pour lequel ce droit doit être exercé ". La décision du 25 août 2016, qui mentionne les dispositions applicables, précise que " La présente acquisition doit permettre à la Commune de mettre en oeuvre une opération d'aménagement d'ensemble cohérente permettant notamment la réalisation de logements en mixité sociale en entrée de village. ". Elle énonce ainsi l'objet en vue duquel le droit de préemption doit être exercé . Elle est par suite suffisamment motivée.

10. En cinquième lieu, aux termes du premier alinéa de l'article L. 210-1 du code de l'urbanisme : " Les droits de préemption institués par le présent titre sont exercés en vue de la réalisation, dans l'intérêt général, des actions ou opérations répondant aux objets définis à l'article L. 300-1, à l'exception de ceux visant à sauvegarder ou à mettre en valeur les espaces naturels, ou pour constituer des réserves foncières en vue de permettre la réalisation desdites actions ou opérations d'aménagement. ". Aux termes du premier alinéa de l'article L. 300-1 de ce code : " Les actions ou opérations d'aménagement ont pour objets de mettre en oeuvre un projet urbain, une politique locale de l'habitat, d'organiser le maintien, l'extension ou l'accueil des activités économiques, de favoriser le développement des loisirs et du tourisme, de réaliser des équipements collectifs ou des locaux de recherche ou d'enseignement supérieur, de lutter contre l'insalubrité et l'habitat indigne ou dangereux, de permettre le renouvellement urbain, de sauvegarder ou de mettre en valeur le patrimoine bâti ou non bâti et les espaces naturels ". Il résulte de ces dispositions que, pour exercer légalement ce droit, les collectivités titulaires du droit de préemption urbain doivent justifier, à la date à laquelle elles l'exercent, de la réalité d'un projet d'action ou d'opération d'aménagement répondant aux objets mentionnés à l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme, alors même que les caractéristiques précises de ce projet n'auraient pas été définies à cette date.

11. L'établissement public foncier de l'Ain fait valoir que la commune de Guéreins, qui lui a délégué l'exercice du droit de préemption en vue de la mise en oeuvre d'une opération d'aménagement permettant la réalisation de logements sociaux, avait contacté en janvier 2016 un cabinet d'architectes pour qu'il réalise une esquisse d'aménagement de ces parcelles, en vue d'y réaliser une telle opération, et que le conseil municipal avait été informé de ce projet le 3 mars 2016. La circonstance que ces démarches ont été postérieures à la date à laquelle la commune a été informée de l'existence d'un projet de cession des parcelles est sans incidence sur la légalité de la préemption, la condition d'antériorité du projet devant être appréciée à la date de la décision de préemption. Par ailleurs, si l'éventualité de la réalisation d'un espace public avait également été évoquée lors de cette séance, l'EPF de l'Ain justifie de la réalité du projet, dont les caractéristiques précises n'avaient pas à être définies, à la date de la décision de préemption en litige.

12. En dernier lieu, si la SCI Nest soutient que la cession des terrains à un promoteur immobilier a été envisagée dès septembre 2017, en vue de la construction de trois maisons, il ne ressort pas des pièces du dossier, à supposer même le projet initial abandonné, que la décision en litige n'ait pas été prise en vue de l'objectif indiqué. Par suite, le détournement de pouvoir allégué n'est pas établi.

13. Il résulte de ce qui précède que l'EPF de l'Ain est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a annulé la décision du 25 août 2016 de son directeur.

Sur les frais d'instance :

14. Il y a lieu, dans les circonstances, de mettre à la charge de la SCI Nest la somme de 2 000 euros à verser à l'EPF de l'Ain au titre des frais non compris dans les dépens qu'il a exposés. Par ailleurs, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la somme que la SCI Nest demande au titre des frais non compris dans les dépens qu'elle a exposés soit mise à la charge du requérant, qui n'est pas partie perdante.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du 18 octobre 2018 du tribunal administratif de Lyon est annulé.

Article 2 : La demande présentée par la SCI Nest devant le tribunal administratif de Lyon et ses conclusions d'appel sont rejetées.

Article 3 : La SCI Nest versera à l'établissement public foncier de l'Ain la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à l'établissement public foncier de l'Ain et à la SCI Nest.

Délibéré après l'audience du 18 février 2020 à laquelle siégeaient :

Mme E... F..., présidente de chambre,

M. Thierry Besse, président-assesseur,

Mme D... C..., première conseillère.

Lu en audience publique, le 2 avril 2020.

2

N° 18LY04446

md


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 18LY04446
Date de la décision : 02/04/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

68-02-01-01 Urbanisme et aménagement du territoire. Procédures d'intervention foncière. Préemption et réserves foncières. Droits de préemption.


Composition du Tribunal
Président : Mme MARGINEAN-FAURE
Rapporteur ?: M. Thierry BESSE
Rapporteur public ?: M. LAVAL
Avocat(s) : SELARL BG AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 21/04/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2020-04-02;18ly04446 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award