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02/04/2020 | FRANCE | N°18LY01995

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 7ème chambre, 02 avril 2020, 18LY01995


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

La société Eiffage construction Rhône Loire a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler la décision du 3 novembre 2016 par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi Auvergne-Rhône-Alpes lui a infligé une amende de 5 000 euros en sa qualité de donneur d'ordre ayant recouru au détachement en France de salariés employés par une entreprise ayant son siège hors du territoire national, subsidiairement, d'en réduire le montant. r>
Par jugement n° 1609262 lu le 3 avril 2018, le tribunal administratif de Lyo...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

La société Eiffage construction Rhône Loire a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler la décision du 3 novembre 2016 par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi Auvergne-Rhône-Alpes lui a infligé une amende de 5 000 euros en sa qualité de donneur d'ordre ayant recouru au détachement en France de salariés employés par une entreprise ayant son siège hors du territoire national, subsidiairement, d'en réduire le montant.

Par jugement n° 1609262 lu le 3 avril 2018, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa requête.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 1er juin 2018 et un mémoire enregistré le 23 août 2019, la société Eiffage construction Rhône Loire, représentée par Me E..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Lyon du 3 avril 2018 ;

2) d'annuler la décision du 3 novembre 2016 lui infligeant une amende de 5 000 euros, subsidiairement, d'en réduire le montant ;

3°) de mettre à la charge de l'État le versement de la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le courrier du 4 juin 2016 envisageant la décision en litige a été notifié par le directeur adjoint en méconnaissance des dispositions de l'article R. 8115-2 du code du travail ; ce courrier est entaché d'incompétence ; la décision de sanction est illégale compte tenu de l'illégalité de ce courrier ;

- la décision contestée n'a pas été valablement notifiée ;

- le principe du contradictoire a été méconnu en ce qu'elle n'a pas été en mesure de présenter ses observations dans le respect de la procédure contradictoire quant à l'irrégularité de la désignation de M. B... ;

- la décision contestée méconnaît les dispositions de l'article L. 1262-4-1 du code du travail en ce que seul le défaut de vérification par le donneur d'ordre de ce que son sous-traitant a bien désigné un représentant de son entreprise sur le territoire national chargé d'assurer la liaison avec les agents de contrôle constitue une obligation susceptible, en cas de manquement, d'être sanctionnée d'une amende administrative ; le fait pour un donneur d'ordre de ne pas avoir demandé et de ne pas avoir obtenu la copie de la désignation conforme du représentant en France de son sous-traitant ne peut justifier le prononcé d'une amende administrative, ni le fait d'avoir omis de vérifier qu'un représentant du sous-traitant avait été valablement désigné ;

- la société Despe S.P.A a procédé à la déclaration de détachement et a désigné un représentant sur le territoire français et notamment le 22 septembre 2015 sa succursale française puis une personne physique, M. D... ;

- l'amende administrative a été prononcée en violation du principe d'interprétation stricte des textes et du principe de légalité des délits et des peines ;

- l'article R. 1263-12 du code du travail prévoit en son dernier alinéa une présomption de vérification telle qu'exigée par l'article L. 1262-4-1 en cas de remise de la désignation ;

- à titre subsidiaire, compte tenu du manquement reproché et de son comportement, l'amende infligée est disproportionnée.

Par un mémoire enregistré le 21 février 2019, la ministre du travail conclut au rejet de la requête de la société Eiffage construction Rhône Loire en soutenant que les moyens invoqués ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 23 septembre 2019, la clôture de l'instruction a été fixée au 25 octobre 2019.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code du travail ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Burnichon, premier conseiller ;

- les conclusions de M. Chassagne, rapporteur public;

- les observations de Me A... substituant Me E... pour la société Eiffage construction Rhône Loire ainsi que celles de M. C... représentant le ministre du travail.

Considérant ce qui suit :

1. La société Eiffage construction Rhône Loire s'est vue confier en 2015 l'étude et la réalisation de la réhabilitation et de la reconversion du Grand Hôtel Dieu de Lyon et a fait appel dans ce cadre à la société Despe Spa, société italienne, pour la démolition des bâtiments. Suite à un contrôle réalisé le 13 mai 2016, l'inspection du travail a considéré que la société Eiffage construction Rhône Loire avait commis un manquement à son obligation de vigilance en tant que donneur d'ordre. Par décision du 3 novembre 2016, le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi Auvergne-Rhône-Alpes, a sanctionné la société Eiffage construction Rhône Loire d'une amende de 5 000 euros liquidée au tarif unitaire de 1 000 euros appliqué à cinq salariés affectés sur différents chantiers. La société Eiffage construction Rhône Loire relève appel du jugement du 3 avril 2018 par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette sanction.

2. D'une part, aux termes de l'article L. 1262-1 du code du travail : " Un employeur établi hors de France peut détacher temporairement des salariés sur le territoire national, à condition qu'il existe un contrat de travail entre cet employeur et le salarié et que leur relation de travail subsiste pendant la période de détachement. / Le détachement est réalisé : 1° Soit pour le compte de l'employeur et sous sa direction, dans le cadre d'un contrat conclu entre celui-ci et le destinataire de la prestation établi ou exerçant en France (...) ". Aux termes de l'article L. 1262-2-1 du même code : " I. - L'employeur qui détache un ou plusieurs salariés, dans les conditions prévues aux articles L. 1262-1 et L. 1262-2, adresse une déclaration, préalablement au détachement, à l'inspection du travail du lieu où débute la prestation. II. - L'employeur mentionné au I du présent article désigne un représentant de l'entreprise sur le territoire national, chargé d'assurer la liaison avec les agents (...) [de l'inspection du travail] pendant la durée de la prestation ". Aux termes de l'article L. 1262-4-1 du même code du travail : " Le donneur d'ordre (...) qui contracte avec un prestataire de services qui détache des salariés, dans les conditions mentionnées aux articles L. 1262-1 et L. 1262-2, vérifie auprès de ce dernier, avant le début du détachement, qu'il s'est acquitté des obligations mentionnées aux I et II de l'article L. 1262-2-1. / A défaut de s'être fait remettre par son cocontractant une copie de la déclaration mentionnée au I de l'article L. 1262-2-1, (...) le donneur d'ordre adresse, dans les quarante-huit heures suivant le début du détachement, une déclaration à l'inspection du travail du lieu où débute la prestation (...) Un décret détermine les informations que comporte cette déclaration ". Aux termes des dispositions de ce décret codifiées à l'article R. 1263-12 du code du travail : " (...) le donneur d'ordre qui contracte avec un employeur établi hors de France demande à son cocontractant, avant le début de chaque détachement d'un ou de plusieurs salariés, les documents suivants : a) Une copie de la déclaration de détachement transmise à l'unité départementale de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation du travail et de l'emploi (...) b) Une copie du document désignant le représentant (...) [de l'entreprise sur le territoire national]. / (...) le donneur d'ordre est réputé avoir procédé aux vérifications mentionnées à l'article L. 1262-4-1 dès lors qu'il s'est fait remettre ces documents ".

3. D'autre part, aux termes de l'article L. 1264-2 du code du travail, dans sa version alors en vigueur : " La méconnaissance par (...) le donneur d'ordre d'une des obligations mentionnées à l'article L. 1262-4-1 est passible d'une amende administrative, dans les conditions prévues à l'article L. 1264-3, lorsque son cocontractant n'a pas rempli au moins l'une des obligations lui incombant en application de l'article L. 1262-2-1 ", tandis qu'aux termes de l'article L. 1264-3 de ce code : " (...) / Le montant de l'amende est d'au plus 2 000 € par salarié détaché et d'au plus 4 000 € en cas de réitération dans un délai d'un an à compter du jour de la notification de la première amende. Le montant total de l'amende ne peut être supérieur à 500 000 €. / Pour fixer le montant de l'amende, l'autorité administrative prend en compte les circonstances et la gravité du manquement, le comportement de son auteur ainsi que ses ressources et ses charges ". Enfin, les manquements résultant de la méconnaissance des dispositions précitées de l'article L. 1262-2-1 du code du travail sont constatés et sanctionnés suivant les modalités prévues aux articles R. 8115-1 à R. 8115-4 du même code.

4. Il résulte de ces dispositions combinées que si l'obligation de vérification incombant au donneur d'ordre en tant que destinataire d'une prestation de services effectuée par des travailleurs détachés est le corollaire de l'obligation déclarative qui incombe à l'employeur de ces travailleurs, elle n'a ni la même étendue ni la même nature. Notamment, les dispositions précitées ne mettent à la charge du donneur d'ordre qu'un devoir de vigilance qui, en application de l'article R. 1263-12 du code du travail, est réputé accompli à la réception de la déclaration de détachement et du document de désignation d'un représentant de l'entreprise étrangère sur le territoire national. Réserve faite d'omissions ou d'incohérences manifestes, ce devoir ne s'étend pas à la vérification détaillée du contenu des documents servis par le prestataire, laquelle relève de l'administration.

5. L'amende en litige sanctionne la méconnaissance par la société Eiffage Construction Rhône Loire de son obligation de vigilance à l'égard des modalités de détachement de différents salariés de la société Despe Spa pour une prestation réalisée en 2016 de démolition sur le chantier de l'Hôtel-Dieu à Lyon 2ème. Il y a lieu pour le juge d'examiner le bien-fondé et le montant de l'amende prononcée suite à cette prestation.

6. Or, pour prononcer l'amende en litige à l'encontre de la société Eiffage construction Rhône Loire, le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi Auvergne-Rhône-Alpes a estimé que cette société, à l'occasion d'une prestation confiée à la société italienne Despe Spa, n'avait pas vérifié la conformité de désignation du représentant unique de cette dernière sur le territoire français, en relevant notamment " la discordance entre le représentant cité à la déclaration de détachement, DESPE France, et celui figurant sur le mandat donné à M. D... ; qu'une adresse en Italie pour un représentant devant être sur le territoire national, constituent des anomalies criantes que toute personne ayant été vigilante n'aurait pas manqué de détecter ; que ces anomalies sont substantielles ". Toutefois, il résulte de l'instruction que la société Despe Spa a procédé à une déclaration de détachement de ses salariés sur le chantier de réhabilitation de l'Hôtel-Dieu en indiquant comme représentant unique, sa succursale française disposant d'une adresse à Paris, d'un numéro de téléphone et de télécopie. Si la DIRECCTE s'est référée à un mandat donné, le 13 avril 2015, par cette entreprise italienne à un de ses administrateurs, M. D..., pour en déduire une incohérence entachant les documents à collecter préalablement au détachement, ledit mandat avait vocation à régler les modalités de déroulement du chantier entre les entreprises et ne concernait pas la désignation de la succursale française en tant que représentante unique effectuée au titre de la législation sur les salariés détachés. Dès lors que l'incohérence manifeste alléguée par le ministre du travail ne saurait résulter de la dualité de responsables désignés à des titres différents par l'employeur étranger qui détache des salariés pour la réalisation d'une prestation de service sur le territoire français, seule la désignation de la succursale française de la société Despe Spa est susceptible d'être prise en compte au titre de la désignation du représentant unique de cette dernière sur le territoire français lors de l'opération de détachement en litige, et la société Eiffage construction Rhône Loire n'a pas manqué à ses obligations de donneur d'ordre en collectant le document désignant cette succursale.

7. Dès lors que la société Despe Spa a désigné son représentant, qui peut être une personne morale au regard des dispositions précitées de l'article R. 1263-2-1 du code du travail et compte tenu de ce qui a été dit au point précédent, la société Eiffage Construction Rhône Loire s'était fait remettre avant le début des opérations la copie des documents en attestant. La requérante est ainsi réputée avoir rempli les obligations mises à sa charge par l'article L. 1262-4-1 précité du code du travail. Par suite, le directeur régional ne pouvait lui imputer une absence de vérification de la conformité de la déclaration de son co-contractant. L'amende prononcée de ce chef à hauteur de 5 000 euros (tarif unitaire de 1 000 euros) doit, dès lors, être annulée.

8. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que la société Eiffage construction Rhône Loire est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande. Elle est, pour le même motif, fondée à demander l'annulation de la décision du 3 novembre 2016 du directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi Auvergne-Rhône-Alpes lui infligeant une amende administrative d'un montant de 5 000 euros.

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État, partie perdante, le paiement à la société Eiffage construction Rhône Loire d'une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du 3 avril 2018 du tribunal administratif de Lyon et la décision du 3 novembre 2016 du directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi Auvergne-Rhône-Alpes sont annulés.

Article 2 : L'État versera à la société Eiffage construction Rhône Loire une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Eiffage construction Rhône Loire et au ministre du travail.

Copie sera adressée à la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi Auvergne-Rhône-Alpes.

Délibéré après l'audience du 12 mars 2020 à laquelle siégeaient :

M. Arbarétaz, président de chambre,

M. Seillet, président assesseur,

Mme Burnichon, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 2 avril 2020.

N° 18LY01995


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