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02/04/2020 | FRANCE | N°18LY01669

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 7ème chambre, 02 avril 2020, 18LY01669


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

La société Hall Expo a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler la décision du 22 juin 2016 par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi Auvergne-Rhône-Alpes lui a infligé une amende d'un montant de 34 100 euros en sa qualité de donneur d'ordre ayant recouru au détachement en France de salariés employés par une entreprise ayant son siège hors du territoire national, à défaut, d'en réduire le montant.

Par jugement

n° 1606356 lu le 6 mars 2018, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa requêt...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

La société Hall Expo a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler la décision du 22 juin 2016 par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi Auvergne-Rhône-Alpes lui a infligé une amende d'un montant de 34 100 euros en sa qualité de donneur d'ordre ayant recouru au détachement en France de salariés employés par une entreprise ayant son siège hors du territoire national, à défaut, d'en réduire le montant.

Par jugement n° 1606356 lu le 6 mars 2018, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa requête.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 4 mai 2018 et un mémoire enregistré le 13 mai 2019 (non communiqué), la société Hall Expo, représentée par Me C..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Lyon du 6 mars 2018 ;

2°) d'annuler la décision du 22 juin 2016 lui infligeant une amende de 34 100 euros, subsidiairement, d'en réduire le montant ;

3°) de mettre à la charge de l'État le versement de la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la décision contestée a été notifiée par le directeur adjoint en méconnaissance des dispositions de l'article R. 8115-2 du code du travail et mentionne à tort la possibilité de former un recours hiérarchique ;

- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 1262-4-1 du code du travail en ce que seul le défaut de vérification par le donneur d'ordre de ce que son sous-traitant a bien désigné un représentant de son entreprise sur le territoire national chargé d'assurer la liaison avec les agents de contrôle constitue une obligation susceptible, en cas de manquement, d'être sanctionnée d'une amende administrative ; le fait pour un donneur d'ordre de ne pas avoir demandé et de ne pas avoir obtenu la copie de la désignation conforme du représentant en France de son sous-traitant ne peut justifier le prononcé d'une amende administrative, ni le fait d'avoir omis de vérifier qu'un représentant du sous-traitant avait été valablement désigné ;

- la sanction en litige est entachée d'inexactitude matérielle des faits en qu'elle a bien vérifié que la société Stresne Centrum avait désigné effectivement un représentant de l'entreprise sur le territoire national ; l'article R. 1263-12 du code du travail prévoit en son dernier alinéa une présomption de vérification telle qu'exigée par l'article L. 1262-4-1 en cas de remise de la désignation ;

- l'amende a été prononcée en violation du principe d'interprétation stricte des textes et du principe de légalité des délits et des peines ;

- la sanction est entachée d'une inexactitude matérielle des faits et d'erreur manifeste d'appréciation concernant la circonstance et la gravité du manquement constaté ;

- à titre subsidiaire, sur le montant de l'amende retenu, le nombre de tarifs unitaires appliqué est erroné dans le mesure où des salariés ont été comptés à plusieurs reprises par le directeur régional, en méconnaissance des dispositions de l'article L. 1264-3 du code du travail ; la sanction est disproportionnée et entachée d'un défaut d'examen.

Par mémoire enregistré le 5 avril 2019, le ministre du travail conclut au rejet de la requête de la société Hall Expo en soutenant que les moyens invoqués ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 8 avril 2019, la clôture de l'instruction a été fixée au 13 mai 2019.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code du travail ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Burnichon, premier conseiller ;

- les conclusions de M. Chassagne, rapporteur public ;

- les observations de Me A..., substituant Me C... pour la société Hall Expo, ainsi que celles de M. B... représentant le ministre du travail ;

Considérant ce qui suit :

1. La société Hall Expo, spécialisée dans l'ingénierie de structures métallo-textiles et de tribunes, a fait appel à la société de droit slovaque Stresne Centrum pour la réalisation des travaux préparatoires du Sommet de l'élevage au parc des expositions de la Grande Halle d'Auvergne, en septembre et octobre 2015. Suite à un contrôle réalisé le 25 septembre 2015, l'inspection du travail a constaté que la société Stresne Centrum avait commis des manquements à son obligation de désignation de son représentant en France à l'occasion des six prestations de services réalisées en exécution d'une convention avec la société Hall Expo. Par décision du 22 juin 2016, le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi Auvergne-Rhône-Alpes, a sanctionné la société Hall Expo d'une amende de 34 100 euros pour méconnaissance de son obligation de vigilance, liquidée au tarif unitaire de 1 100 euros appliqué à trente-et-un salariés affectés sur différents chantiers. La société Hall Expo relève appel du jugement du 6 mars 2018 par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à l'annulation ou à la réduction de cette sanction.

2. D'une part, aux termes de l'article L. 1262-1 du code du travail : " Un employeur établi hors de France peut détacher temporairement des salariés sur le territoire national, à condition qu'il existe un contrat de travail entre cet employeur et le salarié et que leur relation de travail subsiste pendant la période de détachement. / Le détachement est réalisé : 1° (...) pour le compte de l'employeur et sous sa direction, dans le cadre d'un contrat conclu entre celui-ci et le destinataire de la prestation établi ou exerçant en France (...) ". Aux termes de l'article L. 1262-2-1 du même code : " I. - L'employeur qui détache un ou plusieurs salariés, dans les conditions prévues aux articles L. 1262-1 et L. 1262-2, adresse une déclaration, préalablement au détachement, à l'inspection du travail du lieu où débute la prestation. II. - L'employeur mentionné au I du présent article désigne un représentant de l'entreprise sur le territoire national, chargé d'assurer la liaison avec les agents (...) [de l'inspection du travail] pendant la durée de la prestation ". Aux termes de l'article L. 1262-1 du même code : " Le donneur d'ordre (...) qui contracte avec un prestataire de services qui détache des salariés, dans les conditions mentionnées aux articles L. 1262-1 et L. 1262-2, vérifie auprès de ce dernier, avant le début du détachement, qu'il s'est acquitté des obligations mentionnées aux I et II de l'article L. 1262-2-1. / A défaut de s'être fait remettre par son cocontractant une copie de la déclaration mentionnée au I de l'article L. 1262-2-1, (...) le donneur d'ordre adresse, dans les quarante-huit heures suivant le début du détachement, une déclaration à l'inspection du travail du lieu où débute la prestation (...) Un décret détermine les informations que comporte cette déclaration ". Aux termes des dispositions de ce décret codifiées à l'article R. 1263-12 du code du travail : " (...) le donneur d'ordre qui contracte avec un employeur établi hors de France demande à son cocontractant, avant le début de chaque détachement d'un ou de plusieurs salariés, les documents suivants : a) Une copie de la déclaration de détachement transmise à l'unité départementale de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation du travail et de l'emploi (...) b) Une copie du document désignant le représentant (...) [de l'entreprise sur le territoire national]. / (...) le donneur d'ordre est réputé avoir procédé aux vérifications mentionnées à l'article L. 1262-4-1 dès lors qu'il s'est fait remettre ces documents ".

3. D'autre part, aux termes de l'article L. 1264-2 du code du travail, dans sa version alors en vigueur : " La méconnaissance par (...) le donneur d'ordre d'une des obligations mentionnées à l'article L. 1262-4-1 est passible d'une amende administrative, dans les conditions prévues à l'article L. 1264-3, lorsque son cocontractant n'a pas rempli au moins l'une des obligations lui incombant en application de l'article L. 1262-2-1 ", tandis qu'aux termes de l'article L. 1264-3 de ce code : " (...) / Le montant de l'amende est d'au plus 2 000 € par salarié détaché et d'au plus 4 000 € en cas de réitération dans un délai d'un an à compter du jour de la notification de la première amende. Le montant total de l'amende ne peut être supérieur à 500 000 €. / Pour fixer le montant de l'amende, l'autorité administrative prend en compte les circonstances et la gravité du manquement, le comportement de son auteur ainsi que ses ressources et ses charges ". Enfin, les manquements résultant de la méconnaissance des dispositions précitées de l'article L. 1262-2-1 du code du travail sont constatés et sanctionnés suivant les modalités prévues aux articles R. 8115-1 à R. 8115-4 du même code.

4. Il résulte de ces dispositions combinées que si l'obligation de vérification incombant au donneur d'ordre en tant que destinataire d'une prestation de services effectuée par des travailleurs détachés est le corollaire de l'obligation déclarative qui incombe à l'employeur de ces travailleurs, elle n'a ni la même étendue ni la même nature. Notamment, les dispositions précitées ne mettent à la charge du donneur d'ordre qu'un devoir de vigilance qui, en application de l'article R. 1263-12 du code du travail, est réputé accompli à la réception de la déclaration de détachement et du document de désignation d'un représentant de l'entreprise étrangère sur le territoire national. Réserve faite d'omissions ou d'incohérences manifestes, ce devoir ne s'étend pas à la vérification détaillée du contenu des documents servis par le prestataire, laquelle relève de l'administration.

5. L'amende en litige sanctionne la méconnaissance par la société Hall Expo de son obligation de vigilance à l'égard des modalités de détachement de différents salariés de la société Stresne Centrum pour six prestations réalisées entre le 14 septembre et le 10 octobre 2015 avec trente-et-un détachements. Il y a lieu pour le juge d'examiner le bien-fondé et, le cas échéant, le montant des amendes prononcées lors de ces deux prestations.

6. Or, il résulte de l'instruction que la société Stresne Centrum avait déclaré le détachement de ses salariés et désigné son représentant pour les chantiers et que la société Hall Expo s'était fait remettre avant le début des opérations la copie des documents en attestant. La requérante est ainsi réputée avoir rempli les obligations mises à sa charge par l'article L. 1262-4-1 précité du code du travail. Par suite, le directeur régional ne pouvait lui imputer une absence de vérification de la conformité de la déclaration de son co-contractant. L'amende prononcée de ce chef à hauteur de 34 100 euros (au tarif unitaire de 1 100 euros) ne peut être regardée comme sanctionnant un manquement aux obligations mises à la charge du donneur d'ordre par les dispositions précitées des articles L. 1262-4-1 et R. 1263-12 du code du travail.

7. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que la société Hall Expo est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande. Elle est, pour le même motif, fondée à demander l'annulation de la décision du 22 juin 2016 par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi Auvergne-Rhône-Alpes lui a infligé une amende d'un montant de 34 100 euros.

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État, partie perdante, le paiement à la société Hall Expo d'une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1606356 du 6 mars 2018 du tribunal administratif de Lyon et la décision n° AA49/2016 du 22 juin 2016 du directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi Auvergne-Rhône-Alpes sont annulés.

Article 2 : L'État versera à la société Hall Expo une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Hall Expo et au ministre du travail.

Copie sera adressée à la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi Auvergne-Rhône-Alpes.

Délibéré après l'audience du 12 mars 2020 à laquelle siégeaient :

M. Arbarétaz, président de chambre,

M. Seillet, président assesseur,

Mme Burnichon, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 2 avril 2020.

N° 18LY01669


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