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12/03/2020 | FRANCE | N°19LY03474

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 5ème chambre, 12 mars 2020, 19LY03474


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. D... B... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler, d'une part, l'arrêté du 30 juillet 2019 par lequel le préfet de la Haute-Savoie l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a désigné le pays à destination duquel il serait reconduit d'office et lui a interdit le retour sur le territoire français durant deux ans et, d'autre part, l'arrêté du même jour par lequel le préfet de la Haute-Savoie l'a assigné à résidence à son domicile de Saint-Julien-en-Genevois pour une

durée de quarante-cinq jours avec obligation de présentation quotidienne à la gen...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. D... B... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler, d'une part, l'arrêté du 30 juillet 2019 par lequel le préfet de la Haute-Savoie l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a désigné le pays à destination duquel il serait reconduit d'office et lui a interdit le retour sur le territoire français durant deux ans et, d'autre part, l'arrêté du même jour par lequel le préfet de la Haute-Savoie l'a assigné à résidence à son domicile de Saint-Julien-en-Genevois pour une durée de quarante-cinq jours avec obligation de présentation quotidienne à la gendarmerie de la même commune et interdiction de quitter le département de la Haute-Savoie sans autorisation, à l'exception des dimanches et jours fériés.

Par un jugement n° 1905115 du 6 août 2019, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Grenoble a rejeté ses demandes après les avoir jointes.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 5 septembre 2019, M. B..., représenté par Maître E..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 6 août 2019 ;

2°) d'annuler pour excès de pouvoir les arrêtés susmentionnés ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Haute-Savoie de restituer son passeport sans délai ;

4°) de mettre à la charge de l'État la somme de 1 500 euros, au profit de son conseil, en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- le jugement a omis de statuer sur les moyens tirés de la méconnaissance de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et du troisième alinéa du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- l'arrêté est insuffisamment motivé ;

- le signataire de l'arrêté attaqué ne disposait pas d'une délégation de signature régulière pour ce faire ;

- le préfet a méconnu le 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le préfet ne l'a pas mis à même de présenter ses observations ;

- l'arrêté méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant, signée à New-York le 26 janvier 1990 ;

- la décision fixant le pays de renvoi méconnaît l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la décision portant interdiction de retour sur le territoire méconnaît le troisième aliéna du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le préfet a commis une erreur manifeste d'appréciation en n'estimant pas que des circonstances humanitaires pouvaient justifier que l'autorité administrative ne prononce pas d'interdiction de retour.

Par un mémoire en défense enregistré le 4 février 2020, le préfet de la Haute-Savoie conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens invoqués ne sont pas fondés.

La demande de M.B... au bénéfice de l'aide juridictionnelle a été rejetée par une décision du 23 octobre 2019.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale des droits de l'enfant du 20 novembre 1989, signée par la France le 26 janvier 1990 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative ;

Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique le rapport de M. Bertrand Savouré, premier conseiller, ayant été entendu au cours de l'audience publique ;

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., ressortissant du Kosovo, né le 19 février 1977, déclare être entré en France en 2009. Il a présenté une demande d'asile rejetée en dernier lieu par la Cour nationale du droit d'asile le 7 avril 2010. Il a fait l'objet d'une première mesure d'éloignement le 4 juin 2010, puis d'une deuxième le 18 octobre 2013 et enfin d'une troisième le 20 février 2017. Il a aussi fait l'objet d'une mesure d'assignation à résidence le 2 septembre 2014, qu'il n'a pas respecté. Ayant été interpellé par les services de police, il a fait l'objet, sur le fondement des dispositions du 1° du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers, d'une obligation de quitter le territoire français sans délai assortie d'une décision fixant le pays de destination et d'une interdiction de retour sur le territoire pendant une durée de deux ans, par arrêté du 30 juillet 2019. Par décision du même jour, il a été assigné à résidence à son domicile de Saint-Julien-en-Genevois pour une durée de quarante-cinq jours avec obligation de présentation quotidienne à la gendarmerie de la même commune, à l'exception des dimanches et jours fériés et interdiction de quitter le département de la Haute-Savoie sans autorisation. M. B... interjette appel du jugement par lequel la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Grenoble, après les avoir jointes, a rejeté ses demandes tendant à l'annulation de ces deux arrêtés.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. En premier lieu, bien qu'elle n'ait ni cité ni mentionné le texte qu'elle appliquait, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Grenoble a répondu au moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales au point 11 de son jugement après avoir visé cette convention. M. B... n'est donc pas fondé à soutenir que la première juge aurait omis de statuer sur ce moyen.

3. En second lieu, M. B... fait valoir que la première juge n'a pas répondu au moyen tiré de la méconnaissance du troisième alinéa du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Toutefois, cet alinéa ne s'applique qu'aux étrangers qui se sont vus refuser ou retirer un titre sur le fondement de l'article L. 316-1 ou qui, titulaires d'un titre de séjour délivré sur le même fondement dans un autre Etat membre de l'Union européenne, n'ont pas rejoint le territoire de cet Etat à l'expiration de son droit de circulation sur le territoire français dans le délai qui leur ont, le cas échéant, été imparti pour le faire. M. B... n'étant dans aucune de ces situations, ce moyen était inopérant, de sorte que la première juge n'était pas tenue d'y répondre.

Sur l'obligation de quitter le territoire français :

4. En premier lieu, la décision a été signée par M. A... F..., adjoint au directeur de la citoyenneté et de l'immigration de la préfecture de la Haute-Savoie, titulaire d'une délégation de signature à cet effet par arrêté du préfet de la Haute-Savoie en date du 1er février 2019, régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture du même jour. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'acte doit être écarté.

5. En deuxième lieu, la décision litigieuse, qui n'est pas stéréotypée, est motivée, en fait comme en droit, avec une précision suffisante au regard des exigences des articles L. 211-2 et L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration.

6. En troisième lieu, en se prévalant du droit à faire valoir ses observations prévu par " la loi du 11 juillet 1979 ", laquelle est aujourd'hui abrogée, M. B... doit être regardé comme se prévalant de l'article L. 122-1 du code des relations entre le public et l'administration aux termes duquel " Les décisions mentionnées à l'article L. 211-2 n'interviennent qu'après que la personne intéressée a été mise à même de présenter des observations écrites et, le cas échéant, sur sa demande, des observations orales ".

7. Il ressort du procès-verbal de gendarmerie établi le 30 juillet 2019 à l'issue de sa retenue pour vérification de son droit au séjour, que M. B..., qui a été entendu par les services de gendarmerie de 8 heures 15 à 8 heures 45, a été mis à même de présenter ses observations écrites et orales préalablement à l'arrêté litigieux qui lui a été notifié le même jour à 11 heures. Le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 122-1 du code des relations entre le public et l'administration doit donc, en tout état de cause, être écarté.

8. En quatrième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui. "

9. Aux termes de l'article 3-1 de la convention relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent des enfants, qu'elles soient le fait (...) des tribunaux, des autorités administratives (...), l'intérêt supérieur des enfants doit être une considération primordiale. "

10. Le requérant, qui allègue vivre en France depuis plus de dix ans, fait valoir qu'il est marié et père de trois enfants âgés de 12, 8 et 3 ans, l'aîné étant arrivé en 2012 avec sa mère et les deux autres étant nés en France. Toutefois, alors qu'il ne fait pas preuve d'une intégration particulière en France, rien ne fait obstacle à ce que la cellule familiale se reconstitue au Kosovo, pays dont son épouse a également la nationalité et où il ne ressort pas des pièces du dossier qu'il soit dépourvu d'attaches familiales. En outre, sa durée de présence en France a été acquise au prix de la soustraction à trois précédentes mesures d'éloignement, ainsi qu'il a été dit plus haut. Dès lors, compte tenu en particulier de ses conditions de séjour, le moyen tiré de ce que l'arrêté litigieux porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des buts poursuivis par la décision et méconnaîtrait, par suite, les stipulations précitées de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, doit être écarté. Pour les mêmes motifs, M. B... n'est pas fondé à soutenir que l'arrêté litigieux méconnaîtrait les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant.

Sur les décisions refusant un délai de départ volontaire et prononçant une interdiction de retour sur le territoire :

11. Aux termes du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger auquel il est fait obligation de quitter le territoire français dispose d'un délai de départ volontaire de trente jours à compter de la notification de l'obligation de quitter le territoire français. (...) / Toutefois, l'autorité administrative peut, par une décision motivée, décider que l'étranger est obligé de quitter sans délai le territoire français : (...) / 3° S'il existe un risque que l'étranger se soustraie à cette obligation. Ce risque peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : (...) d) Si l'étranger s'est soustrait à l'exécution d'une précédente mesure d'éloignement ; (...) ". Aux termes du III du même article : " L'autorité administrative, par une décision motivée, assortit l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français, d'une durée maximale de trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français, lorsque aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger. / Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative ne prononce pas d'interdiction de retour. / Sauf s'il n'a pas satisfait à une précédente obligation de quitter le territoire français ou si son comportement constitue une menace pour l'ordre public, le présent III n'est pas applicable à l'étranger obligé de quitter le territoire français au motif que le titre de séjour qui lui avait été délivré en application de l'article L. 316-1 n'a pas été renouvelé ou a été retiré ou que, titulaire d'un titre de séjour délivré sur le même fondement dans un autre Etat membre de l'Union européenne, il n'a pas rejoint le territoire de cet Etat à l'expiration de son droit de circulation sur le territoire français dans le délai qui lui a, le cas échéant, été imparti pour le faire. "

12. Il ressort des pièces du dossier que M. B... s'est soustrait à trois précédentes mesures d'éloignement. Le préfet était donc en droit, pour ce motif de refuser de lui accorder un délai de départ volontaire. Il n'a pas davantage commis d'erreur manifeste d'appréciation en prenant cette décision. La circonstance que le préfet ait indiqué de manière erronée dans l'arrêté l'assignant à résidence que M. B... ne présentait pas de risque de fuite est sans incidence sur la légalité de la décision litigieuse.

13. Si M. B..., invoque la méconnaissance du troisième alinéa du III de l'article L. 511-1 précité, ce moyen doit être écarté comme inopérant, ainsi qu'il a été dit au point 3 ci-dessus.

14. Le préfet n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation en n'estimant pas que des circonstances humanitaires pouvaient justifier que l'autorité administrative ne prononce pas d'interdiction de retour.

Sur la décision désignant le pays de destination :

15. Aux termes de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950. " Cet article 3 énonce que : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou des traitements inhumains ou dégradants ".

16. M. B... fait valoir qu'ayant appartenu aux forces de l'OTAN, il aurait travaillé dans un camp militaire de l'armée américaine et serait ainsi considéré comme un espion, de sorte qu'il rencontrerait des difficultés avec des djihadistes. Toutefois, ce récit évasif ne permet pas de le regarder comme étant soumis à des risques de torture ou de peines ou traitements inhumains ou dégradants, ou encore que sa vie serait menacée en cas de retour au Kosovo.

17. Il résulte de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et celles de son conseil tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 doivent être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... B... et au ministre de l'intérieur.

Copie du présent arrêt en sera adressée au préfet de la Haute-Savoie.

Délibéré après l'audience du 20 février 2020 à laquelle siégeaient :

M. Bourrachot, président de chambre,

Mme C..., présidente-assesseure,

M. Savouré, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 12 mars 2020.

2

N° 19LY03474


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 19LY03474
Date de la décision : 12/03/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Étrangers - Séjour des étrangers - Refus de séjour.

Étrangers - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. BOURRACHOT
Rapporteur ?: M. Bertrand SAVOURE
Rapporteur public ?: M. VALLECCHIA
Avocat(s) : MAINGOT

Origine de la décision
Date de l'import : 18/04/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2020-03-12;19ly03474 ?
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