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10/03/2020 | FRANCE | N°19LY02554

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 3ème chambre, 10 mars 2020, 19LY02554


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

L'EARL Valette a demandé au tribunal administratif de Grenoble :

1°) de condamner l'Etat à lui verser une somme de 188 048 euros, avec intérêts au taux légal à compter de la demande préalable et capitalisation, au titre des arrachages d'arbres des années 2009 et 2010 ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser une somme de 206 703 euros, avec intérêts au taux légal à compter de la demande préalable et capitalisation, au titre des arrachages de l'année 2008 ;

3°) de condamner l'Etat

lui verser une somme de 2 015 527 euros, avec intérêts au taux légal à compter de la demande préa...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

L'EARL Valette a demandé au tribunal administratif de Grenoble :

1°) de condamner l'Etat à lui verser une somme de 188 048 euros, avec intérêts au taux légal à compter de la demande préalable et capitalisation, au titre des arrachages d'arbres des années 2009 et 2010 ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser une somme de 206 703 euros, avec intérêts au taux légal à compter de la demande préalable et capitalisation, au titre des arrachages de l'année 2008 ;

3°) de condamner l'Etat à lui verser une somme de 2 015 527 euros, avec intérêts au taux légal à compter de la demande préalable et capitalisation, au titre des arrachages de la période 2003 à 2007 ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1205537 du 1er avril 2014, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour

I. Par une requête n° 14LY01703 enregistrée le 30 mai 2014 et des mémoires enregistrés le 21 novembre 2014 et le 18 mars 2015, l'EARL Valette, représentée par Me E..., avocat, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 1er avril 2014 ;

2°) de faire droit à ses demandes d'indemnisation, le cas échéant après désignation d'un expert judiciaire chargé d'évaluer le montant de ses préjudices ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, outre les dépens, en application de l'article R. 761-1 du même code.

Elle soutient que :

- l'arrêté illégal du préfet de la Drôme du 10 juin 2008 lui imposant de procéder à l'arrachage d'arbres sains constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat et justifiant la réparation du préjudice qu'elle a subi ; elle est fondée à solliciter une indemnisation, quand bien même l'arrêté aurait été justifié sur le fond ;

- il n'appartient pas au juge administratif d'apprécier si l'arrachage de la totalité d'une parcelle dont le taux de contamination est égal ou supérieur à 5 % est justifié ;

- le préfet ne s'est appuyé sur aucune analyse scientifique pour retenir ce taux, dont il n'est pas établi qu'il ait permis de lutter efficacement contre le virus ;

- l'arrêté du 27 novembre 2008 du ministre chargé de l'agriculture, lequel était seul compétent pour prononcer des mesures d'arrachage, n'a imposé de telles mesures qu'à compter de 2009 ; il ne prévoyait, pour 2009, 2010 et 2011, aucune possibilité d'abaissement du seuil de 10 % ;

- les arrêtés préfectoraux antérieurs et postérieurs à celui de 2008 sont illégaux pour le même motif que celui de 2008 ;

- l'arrêté ministériel du 11 août 2011 n'est pas de nature à la priver de son droit à réparation, dès lors que cet acte ne peut légalement procéder à une délégation rétroactive des pouvoirs du ministre au préfet, ni y procéder de manière habituelle, alors que le préfet n'est compétent qu'en cas d'urgence ;

- seule une expertise judiciaire permettrait de déterminer contradictoirement le préjudice qu'elle a subi, lié à l'impossibilité dans laquelle elle s'est trouvée d'exploiter les arbres arrachés du fait des arrêtés illégaux pris par le préfet de la Drôme entre 2003 et 2010 ; ces préjudices, d'un montant de 206 703 euros pour l'année 2008, de 2 015 527 euros pour les années 2003 à 2008 et de 188 048 euros en 2009 et en 2010, trouvent directement leur origine dans ces arrêtés préfectoraux illégaux.

Par des mémoires en défense enregistrés le 10 octobre 2014 et le 9 janvier 2015, le ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que :

- en l'absence d'arrêté ministériel réglementant la lutte contre la Sharka entre 2003 et 2007, le préfet de la Drôme était compétent, eu égard à l'urgence et à la situation économique des exploitations, pour édicter les mesures nécessaires ;

- la circonstance que l'arrêté du 10 juin 2008 ait été pris par une autorité incompétente n'est pas, par elle-même, de nature à ouvrir un droit à réparation au profit de l'EARL Valette, dès lors que les mesures édictées par cet arrêté étaient justifiées ; le préjudice invoqué s'agissant de l'année 2008 est donc dépourvu de lien avec la faute commise ;

- l'article 9 de l'arrêté du 17 mars 2011 abrogeant celui du 27 novembre 2008 a entériné le seuil d'arrachage de 5 % ; ce seuil ayant permis de maîtriser l'évolution de la maladie, il a été maintenu par le préfet de la Drôme en 2009, 2010 et 2011 ;

- l'Etat n'a commis aucune faute en prescrivant des mesures d'arrachage entre 2003 et 2007 et en 2009-2010 ; à supposer que les arrêtés préfectoraux correspondants aient été pris par une autorité incompétente, les illégalités fautives qui en résulteraient sont sans lien avec le préjudice invoqué ;

- la requérante ne produit aucune pièce de nature à justifier du montant du préjudice économique qu'elle aurait subi ; en 2003, la requérante s'étant abstenue de déposer la déclaration de contamination et de mettre en oeuvre les mesures de prophylaxie utiles dans le délai imposé, elle a contribué à la survenance du préjudice ; en 2008, elle a perçu une indemnisation au titre de l'arrachage des arbres d'un montant de 12 092,49 euros sur le fondement de l'article L. 251-9 du code rural et de la pêche maritime ; son préjudice aurait été plus élevé en l'absence d'arrachage des arbres infectés, dès lors que l'ensemble de son exploitation aurait été contaminé ; la perte de rendement de son exploitation n'est pas due à l'arrachage mais au fait que la société n'a pas replanté d'arbres sur les parcelles ayant fait l'objet d'arrachages en 2008 ; aucun préjudice ne saurait résulter de la "perte de récolte réelle" en 2008, dès lors que l'arrachage devait intervenir après la récolte ; les préjudices qui auraient été subis par la société en 2009 et 2010 ne sont étayés par aucun document.

Par un arrêt n° 14LY01703 du 22 novembre 2016, la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté l'appel formé par l'EARL Valette contre ce jugement.

Par une décision n° 407059 du 24 juin 2019, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé cet arrêt, en tant qu'il a rejeté les conclusions de l'EARL Valette tendant au versement d'une indemnité à raison des arrachages d'arbres ordonnés par les arrêtés du préfet de la Drôme du 12 novembre 2003, du 10 juin 2008, du 27 avril 2009 et du 24 juin 2010 et a, dans cette mesure, renvoyé à la cour le jugement de l'affaire.

II. Par courriers du 4 juillet 2019, les parties ont été informées du renvoi, dans la mesure de la cassation, à la cour administrative d'appel de Lyon, de l'affaire qui a été enregistrée sous le n° 19LY02554.

Par deux mémoires enregistrés le 2 août 2019 et le 30 octobre 2019, l'EARL Valette, représentée par Me E..., avocat, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 1er avril 2014 ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser une somme de 548 102 euros, avec intérêts au taux légal à compter de la demande préalable et capitalisation, au titre des arrachages des années 2003/2004, 2008, 2009 et 2010 ;

3°) subsidiairement, de désigner un expert judiciaire chargé d'évaluer le montant de ses préjudices et de condamner l'Etat à lui verser 200 000 euros à titre de provision ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, outre les dépens, en application de l'article R. 761-1 du même code.

Elle soutient que :

- l'arrachage des parcelles contaminées à plus de 5 % a été faite en exécution d'arrêtés préfectoraux illégaux, sans que le principe de précaution ne puisse le justifier ;

- le Conseil d'Etat a reconnu la responsabilité de l'Etat pour les arrachages illégalement intervenus en 2003, 2004, 2008, 2009 et 2010 ;

- le préjudice subi en raison de l'arrachage d'arbres sains, constitué du coût de reconstitution de la plantation et de la marge perdue à raison des arbres arrachés, peut être évalué à 548 102 euros ;

- le lien de causalité entre l'illégalité de ces arrêtés et l'arrachage d'arbres sains est établi et a été admis par le Conseil d'Etat.

Par un mémoire enregistré le 4 novembre 2019, le ministre de l'agriculture et de l'alimentation a conclu aux mêmes fins que précédemment par les mêmes moyens.

Par ordonnance du 5 novembre 2019, la clôture de l'instruction a été fixée au 20 novembre 2019.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code civil

- le code rural et de la pêche maritime ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 28 janvier 2020 :

- le rapport de Mme B... D..., première conseillère,

- les conclusions de M. Samuel Deliancourt, rapporteur public,

- et les observations de Me E..., représentant l'EARL Valette ;

Considérant ce qui suit :

1. L'entreprise agricole à responsabilité limitée (EARL) Valette, qui exploite des vergers de pêchers et d'abricotiers à Saint-Marcel-lès-Valence (Drôme), a dû procéder à l'arrachage d'arbres fruitiers entre 2003 et 2010 en exécution d'arrêtés du préfet de la Drôme pris entre 2004 et 2010 prescrivant l'arrachage de toute parcelle présentant un taux de contamination par le virus de la Sharka supérieur, selon les années, à 5 % ou à 10 %. Elle a recherché la responsabilité de l'Etat à raison des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de l'illégalité des arrêtés du préfet de la Drôme. Le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande, par un jugement du 1er avril 2014, confirmé par un arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon du 22 novembre 2016. Celui-ci a toutefois été annulé, en tant qu'il a rejeté les conclusions de l'EARL Valette tendant au versement d'une indemnité à raison des arrachages d'arbres ordonnés par les arrêtés du préfet de la Drôme du 12 novembre 2003, du 10 juin 2008, du 27 avril 2009 et du 24 juin 2010, par une décision du 24 juin 2019 du Conseil d'Etat, lequel a, dans cette mesure, renvoyé l'affaire à la cour administrative d'appel de Lyon.

Sur la responsabilité de l'Etat :

2. Lorsqu'une personne sollicite le versement d'une indemnité en réparation du préjudice subi du fait de l'illégalité d'une décision administrative entachée d'incompétence, il appartient au juge administratif de rechercher, en forgeant sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties, si la même décision aurait pu légalement intervenir et aurait été prise, dans les circonstances de l'espèce, par l'autorité compétente. Dans le cas où il juge qu'une même décision aurait été prise par l'autorité compétente, le préjudice allégué ne peut alors être regardé comme la conséquence directe du vice d'incompétence qui entachait la décision administrative illégale.

3. Selon l'article L. 251-8 du code rural et de la pêche maritime, dans sa rédaction applicable au litige : " I. - Le ministre chargé de l'agriculture peut prescrire par arrêté les traitements et les mesures nécessaires à la prévention de la propagation des organismes nuisibles inscrits sur la liste prévue à l'article L. 251-3. Il peut également interdire les pratiques susceptibles de favoriser la dissémination des organismes nuisibles, selon les mêmes modalités. / II. - En cas d'urgence, les mesures ci-dessus spécifiées peuvent être prises par arrêté préfectoral immédiatement applicable. L'arrêté préfectoral doit être soumis, dans la quinzaine, à l'approbation du ministre chargé de l'agriculture ". L'article 1er de l'arrêté ministériel du 31 juillet 2000 établissant la liste des organismes nuisibles aux végétaux, produits végétaux et autres objets soumis à des mesures de lutte obligatoire énonce que " la lutte contre les organismes nuisibles mentionnés en annexe A du présent arrêté est obligatoire, de façon permanente, sur tout le territoire métropolitain ou dans les départements d'outre-mer, dès leur apparition, et ce quel que soit le stade de leur développement et quels que soient les végétaux, produits végétaux et autres objets sur lesquels ils sont détectés ". Cet arrêté a inscrit le Plum Pox Virus à l'origine de la maladie de la Sharka à son annexe A.

4. Il résulte de ces dispositions que la compétence de principe pour édicter des mesures de prévention de la propagation des organismes nuisibles, au nombre desquels figure le virus de la Sharka, appartient au ministre chargé de l'agriculture auquel il appartient également, s'il décide de prescrire l'arrachage de la totalité des parcelles de prunus sensibles à ce virus, de fixer pour chaque département concerné, le seuil de contamination minimal à partir duquel une telle mesure doit être mise en oeuvre. La compétence préfectorale n'est qu'une compétence d'exception, qui doit être justifiée par l'existence d'une situation d'urgence.

5. Dès lors qu'il ne résulte pas de l'instruction qu'aurait existé, entre 2003 et 2010, une situation d'urgence dans le département de la Drôme susceptible de fonder légalement l'intervention du préfet de la Drôme, les arrêtés par lesquels ce dernier a, au cours de cette même période, prescrit annuellement des mesures d'arrachage en en déterminant le seuil d'application ont été pris par une autorité incompétente. Une telle illégalité entachant ces arrêtés constitue une faute susceptible d'engager la responsabilité de l'Etat à l'égard de la société requérante, à la condition toutefois qu'elle présente un lien direct et certain avec les préjudices dont il est demandé réparation.

6. Il résulte de l'instruction que, s'il était préconisé par la plupart des études scientifiques disponibles à l'époque des arrêtés litigieux de procéder à l'arrachage des parcelles dont les arbres étaient affectés par la maladie de la Sharka lorsqu'était atteint un seuil de contamination de 10 %, il n'en allait pas certainement de même pour un seuil de contamination de seulement 5 %, en l'absence de consensus en ce sens et compte tenu des marges d'incertitude dont témoignaient les études alors disponibles. A cet égard, l'arrêté du ministre de l'agriculture et de la pêche du 27 novembre 2008 relatif à la lutte contre le Plum Pox Virus avait retenu un seuil de contamination de 10 %, sans prévoir de possibilités d'abaissement de ce seuil pour la période litigieuse. Ainsi, il ne résulte pas de l'instruction que le ministre aurait, comme l'avait incompétemment fait le préfet de la Drôme par ses arrêtés des 12 novembre 2003, 10 juin 2008, 27 avril 2009 et 24 juin 2010, décidé d'abaisser ce seuil à 5 %. Par ailleurs, il n'est nullement établi que ces parcelles auraient, comme le prétend le ministre, nécessairement été totalement contaminées au cours des années concernées, rendant impossible toute commercialisation. De même, si le ministre relève que l'EARL Valette n'a pas souscrit les déclarations qui lui incombaient lors de l'apparition du virus sur ses parcelles, notamment en 2003, il ne démontre ni même ne prétend que les mesures d'arrachage qui s'imposaient alors n'auraient pas été diligentées en temps utiles. Par suite, l'EARL Valette est fondée à soutenir que l'illégalité des arrêtés du préfet de la Drôme du 12 novembre 2003, du 10 juin 2008, du 27 avril 2009 et du 24 juin 2010, qui est la cause directe et certaine des préjudices dont elle se prévaut, est de nature à engager la responsabilité de l'Etat.

Sur l'évaluation des préjudices :

7. L'EARL Valette demande l'indemnisation des préjudices subis en conséquence des arrachages d'arbres sains pratiqués sur les parcelles contaminées à hauteur de 5 à 10 % par le virus de la Sharka, en exécution de ces arrêtés illégaux. Ces préjudices se composent, d'une part, du coût qui serait nécessaire pour reconstituer une plantation d'arbres dont les capacités de production seraient équivalentes à celles des arbres irrégulièrement arrachés et, d'autre part, du montant de marge nette qui aurait été dégagée de la production de ces arbres sains, pour la période courant entre le moment où ces arbres ont été détruits et celui où un verger reconstitué atteindrait des capacités de production équivalentes à celui desdits arbres détruits. L'EARL Valette produit une note d'expertise, datée de juillet 2019, chiffrant ces préjudices et appuyées de tous les justificatifs, notamment comptables, utiles. Il en résulte qu'après un recensement des parcelles touchées par ces arrachages et du nombre d'arbres sains concernés, le coût de replantation des parcelles a été évalué par application d'un coût moyen par arbre, intégrant les frais d'arrachage et le coût de plantation, actualisés en 2012. S'agissant de la perte de marge nette, celle-ci a été déterminée en déduisant de la marge nette qui aurait été générée par les arbres irrégulièrement arrachés celle qui aurait été générée par des arbres aux caractéristiques comparables replantés quatre ans plus tard, en retenant une moyenne des charges de structure et des charges opérationnelles supportées par l'exploitation entre 2006 et 2008 telles qu'attestées par son expert-comptable et un taux de rendement moyen correspondant aux variétés d'arbres qui préexistaient sur les parcelles. Cette méthode, dont le ministre ne conteste ni le bien-fondé ni les modalités d'application en l'espèce, est de nature à permettre une juste évaluation des préjudices subis par l'exploitation, notamment en ce qu'elle tient compte de la marge nette qui aurait pu être dégagée si les parcelles avaient été replantées dans un délai raisonnable. A cet égard, il résulte de cette évaluation que, contrairement à ce que prétend le ministre, la perte de marge subie par l'EARL Valette ne peut être considérée comme exclusivement due à l'absence de replantation des parcelles illégalement arrachées. Enfin, doivent être déduites des préjudices ainsi évalués les indemnisations déjà perçues à ce titre par l'EARL Valette, notamment en application de l'article L. 251-9 du code rural et de la pêche maritime, sans que la perception d'une telle indemnisation amiable ne puisse, comme le prétend à tort le ministre, faire échec au droit de l'intéressée à percevoir la réparation intégrale des préjudices subis.

En ce qui concerne l'indemnité due au titre de la reconstitution des parcelles contaminées entre 5 et 10 % :

8. En application de la méthode décrite ci-dessus, et eu égard aux justificatifs produits et au nombre d'arbres sains arrachés, l'indemnité due à l'EARL Valette au titre de la reconstitution des parcelles contaminées entre 5 et 10 % avec des arbres dont les capacités de production seraient équivalentes à celles des arbres sains arrachés doit être évaluée à 105 942 euros au titre des arrachages opérés en exécution de l'arrêté du 12 novembre 2003, à 23 276 euros au titre de l'année 2008 et à 16 979 euros au titre des années 2009 et 2010, soit un total de 146 197 euros.

En ce qui concerne l'indemnité due au titre de la perte de marge nette :

9. En application de la méthode décrite ci-dessus, l'indemnité due à l'EARL Valette au titre de la perte de marge nette doit être évaluée à 334 894 euros au titre des arrachages opérés en exécution de l'arrêté du 12 novembre 2003, à 48 524 euros au titre de l'année 2008, à 22 786 euros au titre de l'année 2009 et à 11 776 euros au titre de l'année 2010, soit un total de 417 980 euros.

En ce qui concerne les sommes à déduire :

10. Il résulte de l'instruction, notamment du document intitulé " récapitulatif indemnisations et calcul du solde du préjudice d'arrachage " établi le 31 juillet 2012 et annexé à la réclamation préalable complémentaire de l'EARL Valette datée du 10 septembre 2012, que suite à ces arrachages, l'exploitation a bénéficié d'indemnités de la part de l'Etat d'un montant de 2 588,18 euros au titre de l'année 2003, de 12 092,49 euros au titre de l'année 2008, de 5 209,23 euros au titre de l'année 2009 et de 6 116,12 euros au titre de l'année 2010. Ces sommes accordées en réparation des mêmes préjudices, d'un montant total de 26 006,02 euros, doivent être déduites de la condamnation prononcée.

11. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'ordonner une expertise et de statuer sur les conclusions à fin de provision présentées à titre subsidiaire, que l'Etat doit être condamné à verser à l'EARL Valette la somme de 538 170,98 euros. L'EARL Valette est, par suite, fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont rejeté sa demande tendant à l'indemnisation des préjudices subis en conséquence de l'illégalité des arrêtés du préfet de la Drôme du 12 novembre 2003, du 10 juin 2008, du 27 avril 2009 et du 24 juin 2010.

Sur les intérêts et leur capitalisation :

12. Il résulte de l'instruction que l'EARL Valette a notifié le 3 septembre 2012 au préfet de la Drôme une première réclamation portant sur les conséquences dommageables du seul arrêté du 10 juin 2008. Par une seconde réclamation notifiée le 12 septembre 2012, elle a étendu sa demande d'indemnisation aux conséquences dommageables des autres arrêtés litigieux. En conséquence, l'EARL Valette a droit aux intérêts de la somme de 59 707,51 euros, due en réparation des conséquences dommageables de l'arrêté du 10 juin 2008 à compter du 3 septembre 2012 et aux intérêts de la somme de 478 463,47 euros à compter du 12 septembre 2012.

13. La capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant le juge du fond, même si, à cette date, les intérêts sont dus depuis moins d'une année. Dans ce cas, cette demande ne prend toutefois effet qu'à la date à laquelle, pour la première fois, les intérêts sont dus pour une année entière. La capitalisation des intérêts a été demandée par l'EARL Valette dans sa requête devant le tribunal administratif enregistrée le 15 octobre 2012. Dès lors et conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil, il y a lieu de faire droit à cette demande à compter du 3 septembre 2013 pour les intérêts dus au titre de la somme de 59 707,51 euros et à compter du 12 septembre 2013 pour les intérêts dus au titre de la somme de 478 463,47 euros, dates auxquelles était due, pour la première fois, une année d'intérêts, ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de ces dates.

Sur les frais liés au litige :

14. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros à verser à l'EARL Valette en application des dispositions des articles L. 761-1, outre une somme de 35 euros au titre de la contribution pour l'aide juridique prévue à l'article 1635 bis Q du code général des impôts, acquittée en première instance, en application de l'article R. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 1er avril 2014 est annulé.

Article 2 : L'Etat est condamné à verser à l'EARL Valette la somme de 538 170,98 euros. A hauteur de 59 707,51 euros, cette somme emporte intérêts au taux légal à compter du 3 septembre 2012 et capitalisation de ces intérêts échus à la date du 3 septembre 2013 puis à chaque échéance annuelle. A hauteur 478 463,47 euros, cette somme emporte intérêts au taux légal à compter du 12 septembre 2012 et capitalisation de ces intérêts échus à la date du 12 septembre 2013 puis à chaque échéance annuelle.

Article 3 : L'Etat versera à l'EARL Valette une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et une somme de 35 euros en application de l'article R. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de l'EARL Valette est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à l'EARL Valette et au ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt.

Délibéré après l'audience du 28 janvier 2020 à laquelle siégeaient :

Mme C... A..., présidente de chambre,

Mme F..., présidente-assesseure,

Mme B... D..., première conseillère.

Lu en audience publique, le 10 mars 2020.

2

N° 19LY02554


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 19LY02554
Date de la décision : 10/03/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Agriculture et forêts - Produits agricoles - Fruits et légumes.

Responsabilité de la puissance publique - Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité - Responsabilité et illégalité - Illégalité engageant la responsabilité de la puissance publique.

Responsabilité de la puissance publique - Réparation - Préjudice - Caractère direct du préjudice.


Composition du Tribunal
Président : Mme PAIX
Rapporteur ?: Mme Sophie CORVELLEC
Rapporteur public ?: M. DELIANCOURT
Avocat(s) : TUMERELL

Origine de la décision
Date de l'import : 18/04/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2020-03-10;19ly02554 ?
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