Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
L'entreprise agricole à responsabilité limitée (EARL) Valette a demandé au tribunal administratif de Grenoble :
1°) de condamner l'Etat à lui verser une somme de 188 048 euros, avec intérêts au taux légal à compter de la demande préalable et capitalisation, en réparation des préjudices subis du fait de l'illégalité fautive des arrêtés du préfet de la Drôme ordonnant l'arrachage d'arbres fruitiers au titre des années 2009 et 2010 ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser une somme de 206 703 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 29 août 2012 et capitalisation, en réparation du préjudice subi du fait de l'illégalité fautive de l'arrêté du préfet de la Drôme du 10 juin 2008 ordonnant des mesures d'arrachage d'arbres fruitiers au titre de l'année 2008 ;
3°) de condamner l'Etat à lui verser une somme de 2 015 527 euros, avec intérêts au taux légal à compter de la demande préalable et capitalisation, en réparation du préjudice subi du fait de l'illégalité fautive des arrêtés du préfet de la Drôme prescrivant des arrachages d'arbres fruitiers au titre des années 2003 à 2007.
Par un jugement n° 1205537 du 1er avril 2014, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté cette demande.
Procédure devant la cour
Par une requête, enregistrée le 30 mai 2014, et des mémoires, enregistrés les 21 novembre 2014 et 18 mars 2015, l'entreprise agricole à responsabilité limitée (EARL) Valette, représentée par MeA..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 1er avril 2014 ;
2°) de faire droit à ses demandes d'indemnisation, le cas échéant après désignation d'un expert judiciaire chargé d'évaluer le montant de ses préjudices ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, outre les dépens, en application de l'article R. 761-1 du même code.
Elle soutient que :
- l'arrêté illégal du préfet de la Drôme du 10 juin 2008 lui imposant de procéder à l'arrachage d'arbres sains constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat et justifiant la réparation du préjudice qu'elle a subi ; elle est fondée à solliciter une indemnisation, quand bien même l'arrêté aurait été justifié sur le fond ;
- il n'appartient pas au juge administratif d'apprécier si l'arrachage de la totalité d'une parcelle dont le taux de contamination est égal ou supérieur à 5 % est justifié ;
- le préfet ne s'est appuyé sur aucune analyse scientifique pour retenir ce taux, dont il n'est pas établi qu'il ait permis de lutter efficacement contre le virus ;
- l'arrêté du 27 novembre 2008 du ministre chargé de l'agriculture, lequel était seul compétent pour prononcer des mesures d'arrachage, n'a imposé de telles mesures qu'à compter de 2009 ; il ne prévoyait, pour 2009, 2010 et 2011, aucune possibilité d'abaissement du seuil de 10 % ;
- les arrêtés préfectoraux antérieurs et postérieurs à celui de 2008 sont illégaux pour le même motif que celui de 2008 ;
- l'arrêté ministériel du 11 août 2011 n'est pas de nature à la priver de son droit à réparation, dès lors que cet acte ne peut légalement procéder à une délégation rétroactive des pouvoirs du ministre au préfet, ni y procéder de manière habituelle, alors que le préfet n'est compétent qu'en cas d'urgence ;
- seule une expertise judiciaire permettrait de déterminer contradictoirement le préjudice qu'elle a subi, lié à l'impossibilité dans laquelle elle s'est trouvée d'exploiter les arbres arrachés du fait des arrêtés illégaux pris par le préfet de la Drôme entre 2003 et 2010 ; ces préjudices, d'un montant de 206 703 euros pour l'année 2008, de 2 015 527 euros pour les années 2003 à 2008 et de 188 048 euros en 2009 et en 2010, trouvent directement leur origine dans ces arrêtés préfectoraux illégaux.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 10 octobre 2014 et le 9 janvier 2015, le ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que :
- en l'absence d'arrêté ministériel réglementant la lutte contre la sharka entre 2003 et 2007, le préfet de la Drôme était compétent, eu égard à l'urgence et à la situation économique des exploitations, pour édicter les mesures nécessaires ;
- la circonstance que l'arrêté du 10 juin 2008 ait été pris par une autorité incompétente n'est pas, par elle-même, de nature à ouvrir un droit à réparation au profit de l'EARL Valette, dès lors que les mesures édictées par cet arrêté étaient justifiées ; le préjudice invoqué s'agissant de l'année 2008 est donc dépourvu de lien avec la faute commise ;
- l'article 9 de l'arrêté du 17 mars 2011 abrogeant celui du 27 novembre 2008 a entériné le seuil d'arrachage de 5 % ; ce seuil ayant permis de maîtriser l'évolution de la maladie, il a été maintenu par le préfet de la Drôme en 2009, 2010 et 2011 ;
- l'Etat n'a commis aucune faute en prescrivant des mesures d'arrachage entre 2003 et 2007 et en 2009-2010 ; à supposer que les arrêtés préfectoraux correspondants aient été pris par une autorité incompétente, les illégalités fautives qui en résulteraient sont sans lien avec le préjudice invoqué ;
- la requérante ne produit aucune pièce de nature à justifier du montant du préjudice économique qu'elle aurait subi ; en 2003, la requérante s'étant abstenue de déposer la déclaration de contamination et de mettre en oeuvre les mesures de prophylaxie utiles dans le délai imposé, elle a contribué à la survenance du préjudice ; en 2008, elle a perçu une indemnisation au titre de l'arrachage des arbres d'un montant de 12 092,49 euros sur le fondement de l'article L. 251-9 du code rural et de la pêche maritime ; son préjudice aurait été plus élevé en l'absence d'arrachage des arbres infectés, dès lors que l'ensemble de son exploitation aurait été contaminée ; la perte de rendement de son exploitation n'est pas due à l'arrachage mais au fait que la société n'a pas replanté d'arbres sur les parcelles ayant fait l'objet d'arrachages en 2008 ; aucun préjudice ne saurait résulter de la "perte de récolte réelle" en 2008, dès lors que l'arrachage devait intervenir après la récolte ; les préjudices qui auraient été subis par la société en 2009 et 2010 ne sont étayés par aucun document.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code rural ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Peuvrel,
- les conclusions de M. Clément, rapporteur public,
- et les observations de MeA..., pour l'EARL Valette.
1. Considérant que l'entreprise agricole à responsabilité limitée (EARL) Valette, qui exploite des vergers de pêchers et d'abricotiers à Saint-Marcel-les-Valence, dans une zone reconnue contaminée par le virus de la sharka depuis 1989, recherche la responsabilité de l'Etat à raison des préjudices qu'elle affirme avoir subis entre 2003 et 2010 du fait d'arrêtés illégaux du préfet de la Drôme prescrivant l'arrachage à titre prophylactique, dans un délai de dix jours après la récolte, de toute parcelle de prunus sensible au virus de la sharka déclarée contaminée à hauteur de 5 % et plus ; qu'elle relève appel du jugement du tribunal administratif de Grenoble du 1er avril 2014 ayant rejeté sa demande d'indemnisation en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait des arrachages illégaux d'arbres fruitiers auxquels elle a dû procéder entre 2003 et 2010 ;
Sur les conclusions indemnitaires :
2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 251-8 du code rural et de la pêche maritime, dans sa rédaction applicable à la date de l'arrêté contesté : " I. - Le ministre chargé de l'agriculture peut prescrire par arrêté les traitements et les mesures nécessaires à la prévention de la propagation des organismes nuisibles inscrits sur la liste prévue à l'article L. 251-3. Il peut également interdire les pratiques susceptibles de favoriser la dissémination des organismes nuisibles, selon les mêmes modalités. II. - En cas d'urgence, les mesures ci-dessus spécifiées peuvent être prises par arrêté préfectoral immédiatement applicable. L'arrêté préfectoral doit être soumis, dans la quinzaine, à l'approbation du ministre chargé de l'agriculture. " ;
3. Considérant qu'il résulte de ces dispositions que la compétence de principe pour édicter des mesures de prévention de la propagation des organismes nuisibles, au nombre desquels figure le virus de la sharka, appartient au ministre chargé de l'agriculture auquel il appartient également, s'il décide de prescrire l'arrachage de la totalité des parcelles de prunus sensibles à ce virus, de fixer pour chaque département concerné, le seuil de contamination minimal à partir duquel une telle mesure doit être mise en oeuvre ; que la compétence préfectorale n'est qu'une compétence d'exception, qui doit être justifiée par l'existence d'une situation d'urgence ;
4. Considérant que, dès lors qu'il ne résulte pas de l'instruction qu'aurait existé, entre 2003 et 2010, une situation d'urgence dans le département de la Drôme susceptible de fonder légalement l'intervention du préfet de la Drôme, les arrêtés par lesquels ce dernier a, au cours de cette même période, prescrit annuellement des mesures d'arrachage en en déterminant le seuil d'application ont été pris par une autorité incompétente ; qu'une telle illégalité entachant ces arrêtés constitue une faute susceptible d'engager la responsabilité de l'Etat à l'égard de la société requérante, à la condition toutefois qu'elle présente un lien direct et certain avec les préjudices dont il est demandé réparation ;
5. Considérant qu'eu égard à la nécessité de maîtriser la propagation de la maladie, à sa virulence particulière dans le département de la Drôme, au temps de latence du virus, lequel n'est pas immédiatement détectable par prospection visuelle, et à sa vitesse de propagation exponentielle, il ne résulte de l'instruction ni que le ministre aurait pris des mesures différentes, ni, alors que le taux de 10 % préconisé par la plupart des recommandations en la matière constitue un maximum pouvant être abaissé selon les circonstances locales, qu'il n'aurait pu légalement fixer à 5 % le taux de contamination constaté au-delà duquel une parcelle entière devait être arrachée ; qu'il suit de là que le vice d'incompétence affectant les arrêtés du préfet de la Drôme des 14 décembre 2004, 7 octobre 2005, 11 juillet 2006, 20 avril 2007, 10 juin 2008, 27 avril 2009 et du 24 juin 2010 ne peut être regardé, dans les circonstances de l'espèce, comme étant à l'origine des préjudices qu'aurait subis l'EARL Valette, laquelle n'est, par suite, pas fondée à en demander réparation ;
6. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'EARL Valette n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté ses conclusions tendant à l'indemnisation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait des arrachages illégaux d'arbres ordonnés par le préfet de la Drôme entre 2003 et 2010, ainsi que ses conclusions tendant au versement d'intérêts ;
Sur les frais non compris dans les dépens :
7. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement d'une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
DECIDE :
Article 1er : La requête de l'entreprise agricole à responsabilité limitée Valette est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à l'entreprise agricole à responsabilité limitée Valette et au ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt.
Délibéré après l'audience du 3 novembre 2016, à laquelle siégeaient :
- M. Alfonsi, président de chambre,
- M. Drouet, président-assesseur,
- Mme Peuvrel, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 22 novembre 2016.
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N° 14LY01703