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06/02/2020 | FRANCE | N°19LY01464

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 3ème chambre, 06 février 2020, 19LY01464


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. A... C... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du 31 août 2018 par lequel le préfet de l'Isère a refusé de lui accorder un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a désigné la Tunisie comme pays de destination.

Par un jugement n° 1807343 du 19 février 2019, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 10 avril

2019, régularisée le 16 mai 2019, M. C..., représenté par Me F..., demande à la cour :

1°) d'annu...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. A... C... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du 31 août 2018 par lequel le préfet de l'Isère a refusé de lui accorder un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a désigné la Tunisie comme pays de destination.

Par un jugement n° 1807343 du 19 février 2019, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 10 avril 2019, régularisée le 16 mai 2019, M. C..., représenté par Me F..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 19 février 2019 du tribunal administratif de Grenoble ;

2°) d'annuler les décisions du 31 août 2018 par lesquelles le préfet de l'Isère a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination ;

3°) d'enjoindre au préfet de l'Isère de lui remettre un titre de séjour dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et de le munir d'une autorisation provisoire de séjour sous deux jours, sous astreinte journalière de 200 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- l'arrêté contesté est entaché de l'incompétence de son signataire ;

- le refus implicite d'autorisation de travail qui lui a été opposé n'est motivé ni en droit ni en fait ;

- les dispositions de l'article L. 242-1 du code des relations entre le public et l'administration ont été méconnues ; l'arrêté attaqué retire illégalement la décision du 1er août 2018 par laquelle le préfet de l'Isère a retiré un précédent refus de titre de séjour et une mesure d'éloignement pris alors qu'il était mineur, au demeurant sans que le principe du contradictoire ait été respecté ;

- le préfet devait saisir la Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi ;

- il a présenté une demande d'autorisation de travail le 17 mai 2018, qui lui a été tacitement refusée en méconnaissance de l'article L. 5221-5 du code du travail, ce qui révèle un défaut d'examen de sa situation et un défaut de motivation ;

- les dispositions de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ont été méconnues ; le refus de titre de séjour opposé sur ce fondement est, en outre, entaché d'une erreur manifeste d'appréciation et d'une erreur de fait ;

- les stipulations de l'article 3 de l'accord franco-tunisien ont été méconnues ;

- sa demande de carte de séjour temporaire " vie privée et familiale " n'a pas été examinée par le préfet de l'Isère qui a méconnu les dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- les stipulations de l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme et de sauvegarde des libertés fondamentales ont été méconnues ;

- l'illégalité du refus de titre de séjour prive de base légale la décision l'obligeant à quitter le territoire français ;

- la décision désignant le pays de destination est entachée de l'illégalité de la décision l'obligeant à quitter le territoire français ;

- les mesures d'éloignement méconnaissent, chacune, l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme et de sauvegarde des libertés fondamentales et sont entachées d'une erreur manifeste d'appréciation de sa situation personnelle et d'un défaut d'examen de sa situation personnelle.

M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 17 avril 2019.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code civil ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;

- le code de justice administrative ;

Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique le rapport de Mme H..., présidente-assesseure ;

Considérant ce qui suit :

1. M. A... C..., ressortissant tunisien né le 30 août 2000, est entré en France le 26 mai 2016 sous couvert d'un visa de court séjour. Il a été pris en charge au titre de l'aide sociale à l'enfance, en tant que mineur isolé, à compter du 16 décembre 2016. Il relève appel du jugement du tribunal administratif de Grenoble qui a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 31 août 2018 par lequel le préfet de l'Isère a refusé de lui accorder un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a désigné la Tunisie comme pays de destination.

Sur la légalité de l'arrêté du 31 août 2018 pris dans son ensemble :

2. En premier lieu, si Mme G... D..., signataire de l'arrêté litigieux, a été nommée en qualité de secrétaire générale de la préfecture du Nord, par un décret du 31 juillet 2018, le préfet de l'Isère a produit le procès-verbal d'installation de Mme D... du 3 septembre 2018. Il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet de l'Isère avait retiré, à la date de l'arrêté litigieux, du 31 août 2018, la délégation permanente de signature qu'il lui avait consentie, par arrêté du 7 mai 2018, régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture de l'Isère le 9 mai 2018. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de son signataire doit être écarté.

3. En second lieu, aux termes de l'article L. 242-1 du code des relations entre le public et l'administration : " l'administration ne peut abroger ou retirer une décision créatrice de droit de sa propre initiative ou sur demande d'un tiers que si elle est illégale et si l'abrogation ou le retrait intervient dans le délai de quatre mois suivant la prise de la décision. ".

4. Le préfet de l'Isère a pris un arrêté le 6 juillet 2018, par lequel il refusait à M. C... un titre de séjour et prononçait son éloignement. Par arrêté du 1er août 2018, il a retiré l'arrêté du 6 juillet 2018 enjoignant à M. C... de quitter le territoire français. L'arrêté du 31 août 2018, par lequel le préfet de l'Isère refuse de nouveau à M. C... la délivrance d'un titre de séjour, l'oblige à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixe le pays de destination, ne constitue pas le retrait d'une décision créatrice de droits, le retrait de l'obligation de quitter le territoire n'ayant créé aucun droit pour M. C.... Par suite, le moyen tiré d'une méconnaissance de l'article L. 242-1 et L. 122-1 du code des relations entre le public et l'administration doit être écarté.

Sur le refus de délivrance de titre de séjour :

5. Il est constant que M. C... a présenté des demandes distinctes de délivrance de titre de séjour, sur des fondements différents, d'une part, le 30 mars 2018 en se prévalant de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et d'autre part, le 17 mai 2018, en se prévalant de l'article L. 313-11-7 du même code et en sollicitant une demande d'autorisation de travail. Aucune disposition législative ou règlementaire n'impose au préfet d'instruire conjointement des demandes successives de titre de séjour présentées sur des fondements différents et d'y statuer par une seule et même décision. Par suite, le requérant n'est pas fondé à soutenir que le préfet de l'Isère a entaché sa décision d'un défaut d'examen et qu'il a méconnu l'article L. 5221-5 du code du travail, l'article 3 de l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988 et les dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

6. La circonstance que le préfet de l'Isère n'a pas mentionné le passage en première professionnelle de M. C... et son contrat d'apprentissage ne suffit pas à considérer qu'il a entaché sa décision d'un défaut d'examen particulier de sa situation.

7. Aux termes de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " A titre exceptionnel (...), la carte de séjour temporaire prévue aux 1° et 2° de l'article L. 313-10 portant la mention " salarié " ou la mention " travailleur temporaire " peut être délivrée, dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, à l'étranger qui a été confié à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et l'âge de dix-huit ans et qui justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle, sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française (...) ".

8. Lorsqu'il examine une demande de titre de séjour portant la mention " salarié " ou " travailleur temporaire ", présentée sur le fondement de ces dispositions dans le cadre de l'admission exceptionnelle au séjour, le préfet vérifie tout d'abord que l'étranger est dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, que sa présence en France ne constitue pas une menace pour l'ordre public, qu'il a été confié à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et dix-huit ans et qu'il justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle. Disposant d'un large pouvoir d'appréciation, il doit ensuite prendre en compte la situation de l'intéressé appréciée de façon globale au regard notamment du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française. Il appartient seulement au juge administratif, saisi d'un moyen en ce sens, de vérifier que le préfet n'a pas commis d'erreur manifeste dans l'appréciation qu'il a portée.

9. Il ressort des pièces du dossier que M. C..., désormais majeur, a été pris en charge après son entrée en France en tant que mineur isolé le 16 décembre 2016 par un service d'aide sociale à l'enfance. A la date de décision litigieuse, M. C... devait entrer en première d'un bac professionnel de la filière " énergétique chaud et froid ", les évaluations de l'intéressé produites par le préfet alors qu'il était en seconde bac pro révèlent cependant de nombreuses absences injustifiées, ce qui ne témoigne pas du sérieux du suivi de la formation entreprise. Il est constant qu'il s'est d'ailleurs finalement réorienté, sans achever cette formation initiale du bac pro " énergétique chaud et froid ". Il a obtenu un contrat d'apprentissage en première année de CAP Charpentier Bois, conclu avec la société Alpes Dauphiné Charpentes, devant débuter le 3 septembre 2018. Par ailleurs, si le requérant fait valoir qu'il ne parle plus avec son père et rarement avec sa mère, ces seules circonstances ne suffisent pas à établir qu'il n'a pas conservé de liens avec sa famille et notamment avec ses frères et soeurs qui résident dans son pays d'origine. Par suite, le préfet n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation, alors même que l'avis de la structure d'accueil était favorable, en refusant de lui délivrer un titre de séjour sur le fondement des dispositions l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

10. M. C... ne peut en tout état de cause reprocher au préfet de ne pas avoir saisi la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) suite à la signature de contrats d'apprentissage, en avril et août 2018 postérieurement au dépôt de sa demande sur le fondement de l'article 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il appartenait en effet à M. C... en application des dispositions de l'article L. 5221-5 du code du travail, de solliciter une autorisation de travail. En outre, le défaut d'autorisation de travail ne lui a pas été opposé par le préfet pour lui refuser le titre de séjour sollicité.

Sur la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français :

11. La décision de refus de titre de séjour n'étant pas annulée, M. C... n'est pas fondé à soutenir que la décision portant obligation de quitter le territoire français doit être annulée par voie de conséquence.

12. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. "

13. M. C..., qui réside en France depuis mai 2016, est célibataire et sans charge de famille et n'est pas dépourvu de liens familiaux dans son pays d'origine. Compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, et notamment de la durée de séjour et des conditions d'entrée et de séjour en France de M. C..., la décision contestée n'a pas porté au droit de l'intéressé au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels elle a été prise. Elle n'a, dès lors, pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et n'est pas entachée d'une erreur manifeste d'appréciation. Pour les mêmes motifs qu'exposés précédemment, cette décision n'est pas entachée d'un défaut d'examen de sa situation personnelle.

Sur la légalité de la décision fixant le pays de destination :

14. Compte tenu de ce qui vient d'être dit, M. C... n'est pas fondé à se prévaloir, contre cette décision, de l'illégalité de celles lui refusant un titre de séjour et lui faisant obligation de quitter le territoire français.

15. Pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 13 du présent arrêt, la décision fixant le pays de destination ne méconnaît pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, n'est pas entachée d'une erreur manifeste d'appréciation et d'un défaut d'examen de sa situation personnelle.

16. Il résulte de ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande. Doivent être rejetées, par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et celles de son conseil tendant à l'application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... C... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet de l'Isère.

Délibéré après l'audience du 14 janvier 2020, à laquelle siégeaient :

Mme E... B..., présidente de chambre,

Mme H..., présidente-assesseure,

M. Pierre Thierry, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 6 février 2020.

2

N° 19LY01464


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 19LY01464
Date de la décision : 06/02/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme PAIX
Rapporteur ?: Mme Virginie CHEVALIER-AUBERT
Rapporteur public ?: M. DELIANCOURT
Avocat(s) : VIGNERON

Origine de la décision
Date de l'import : 18/02/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2020-02-06;19ly01464 ?
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