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30/01/2020 | FRANCE | N°19LY00557

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 5ème chambre, 30 janvier 2020, 19LY00557


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

La société Haute technique de façades a demandé au tribunal administratif de Clermont -Ferrand d'annuler la décision n° AA 69/2016 du 27 juillet 2016 par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Auvergne-Rhône-Alpes lui a infligé une amende d'un montant total de 10 500 euros en sa qualité de donneur d'ordre ayant recouru au détachement en France de salariés employés par une entreprise ayant son siège hors du territoire national.r>
Par jugement n° 1601782 du 4 décembre 2018, le tribunal administratif de Cle...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

La société Haute technique de façades a demandé au tribunal administratif de Clermont -Ferrand d'annuler la décision n° AA 69/2016 du 27 juillet 2016 par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Auvergne-Rhône-Alpes lui a infligé une amende d'un montant total de 10 500 euros en sa qualité de donneur d'ordre ayant recouru au détachement en France de salariés employés par une entreprise ayant son siège hors du territoire national.

Par jugement n° 1601782 du 4 décembre 2018, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté sa requête.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 8 février 2019 la société Haute technique de façades représentée par Me A..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Clermont-Ferrand ;

2°) d'annuler la décision du 27 juillet 2016 lui infligeant une amende d'un montant de 10 500 euros ;

3°) de mettre à la charge de l'État le versement de la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'amende a été prononcée irrégulièrement, faute de communication du rapport de l'inspectrice du travail, en méconnaissance des dispositions de l'article R. 8115-1 du code du travail ;

- son montant méconnaît les dispositions de l'article L. 1264-3 du code du travail ;

- à titre subsidiaire, sa prestataire, la société Interimax Polska a effectué une déclaration préalable de détachement pour la période du 11 janvier au 31 juillet 2016, laquelle englobait la prestation réalisée au CROUS à Clermont-Ferrand et celle réalisée sur le chantier Célestins à Vichy sans aucune interruption ;

- le quantum est disproportionné ;

- l'amende sanctionnant la désignation non conforme d'un représentant de la société Interimax Polska n'est pas fondée dès lors qu'elle a satisfait à son obligation de vigilance ;

- elle n'a jamais été informée d'une erreur de date et n'a pas été mise en mesure de s'expliquer sur ce point en méconnaissance du principe du contradictoire.

Par un mémoire enregistré le 16 octobre 2019, la ministre du travail conclut au rejet de la requête de la société Haute technique de façades en soutenant que les moyens invoqués ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 23 septembre 2019, la clôture de l'instruction a été fixée au 25 octobre 2019.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code du travail ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Burnichon, premier conseiller,

- les conclusions de M. Chassagne, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. Suite à un contrôle réalisé le 24 février 2016, la société Haute technique de façades qui a eu recours à des travailleurs temporaires détachés en France par l'entreprise de travail temporaire polonaise Interimax Polska, a été sanctionnée d'une amende d'un montant total de 10 500 euros pour méconnaissance de son obligation de vigilance, liquidée aux tarifs unitaires de 2 000 euros et de 1 500 euros appliqués à trois salariés affectés au chantier du Crous de Clermont-Ferrand puis à celui des Célestins à Vichy. La société Haute technique de façades relève appel du jugement du 4 décembre 2018 par lequel le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté sa demande d'annulation de ladite amende.

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 8115-5 du code du travail, dans sa version alors en vigueur : " Avant toute décision, l'autorité administrative informe par écrit la personne mise en cause de la sanction envisagée en portant à sa connaissance le manquement retenu à son encontre et en l'invitant à présenter, dans un délai fixé par décret en Conseil d'État, ses observations. / A l'issue de ce délai, l'autorité administrative peut, par décision motivée, prononcer l'amende et émettre le titre de perception correspondant. / (...) ". Aux termes de l'article R. 8115-1 du même code : " Lorsqu'un agent de contrôle de l'inspection du travail constate l'un des manquements aux obligations (...) [d'emploi de travailleurs détachés], il transmet au directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi un rapport sur le fondement duquel ce dernier peut décider de prononcer une amende administrative ". Enfin, aux termes de l'article R. 8115-2 du même code : " Lorsque le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi décide de prononcer une amende administrative, il indique à l'intéressé par l'intermédiaire du représentant de l'employeur mentionné au II de l'article L. 1262-2-1 le montant de l'amende envisagée et l'invite à présenter ses observations dans un délai de quinze jours. / A l'expiration du délai fixé et au vu des observations éventuelles de l'intéressé, il notifie sa décision et émet le titre de perception correspondant. / L'indication de l'amende envisagée et la notification de la décision infligeant l'amende sont effectuées par tout moyen permettant de leur conférer date certaine ".

3. Lorsqu'il statue sur un recours dirigé contre une décision par laquelle l'administration a prononcé une amende sanctionnant la méconnaissance du régime d'emploi de travailleurs détachés en France, il appartient au juge administratif, eu égard tant à la finalité de son intervention qu'à sa qualité de juge de plein contentieux, de se prononcer non sur les éventuels vices propres de la décision litigieuse mais sur le bien-fondé et le montant de l'amende fixée par l'administration. S'il estime que l'amende a été illégalement infligée, dans son principe ou son montant, il lui revient, dans la première hypothèse, de l'annuler et, dans la seconde, de la réformer en fixant lui-même un nouveau quantum proportionné aux manquements constatés et aux autres critères prescrits par les textes en vigueur.

4. Il suit de là que le moyen tiré de la méconnaissance par l'administration de la procédure contradictoire organisée par l'article L. 8115-1 précité du code du travail, laquelle s'est poursuivie devant le juge de plein contentieux et qui a donné tout loisir à la requérante de faire valoir ses arguments en contestation de la sanction, est dépourvu d'effet utile sur le bien-fondé et le montant de l'amende en litige.

5. En deuxième lieu et d'une part, aux termes de l'article L. 1262-1 du code du travail : " Un employeur établi hors de France peut détacher temporairement des salariés sur le territoire national, à condition qu'il existe un contrat de travail entre cet employeur et le salarié et que leur relation de travail subsiste pendant la période de détachement. / Le détachement est réalisé : 1° Soit pour le compte de l'employeur et sous sa direction, dans le cadre d'un contrat conclu entre celui-ci et le destinataire de la prestation établi ou exerçant en France (...) ". Aux termes de l'article L. 1262-2-1 du même code : " I. - L'employeur qui détache un ou plusieurs salariés, dans les conditions prévues aux articles L. 1262-1 et L. 1262-2, adresse une déclaration, préalablement au détachement, à l'inspection du travail du lieu où débute la prestation. / II. - L'employeur mentionné au I du présent article désigne un représentant de l'entreprise sur le territoire national, chargé d'assurer la liaison avec les agents (...) [de l'inspection du travail] pendant la durée de la prestation ". Aux termes de l'article L. 1262-4-1 du même code du travail : " Le donneur d'ordre (...) qui contracte avec un prestataire de services qui détache des salariés, dans les conditions mentionnées aux articles L. 1262-1 et L. 1262-2, vérifie auprès de ce dernier, avant le début du détachement, qu'il s'est acquitté des obligations mentionnées aux I et II de l'article L. 1262-2-1. / A défaut de s'être fait remettre par son cocontractant une copie de la déclaration mentionnée au I de l'article L. 1262-2-1, (...) le donneur d'ordre adresse, dans les quarante-huit heures suivant le début du détachement, une déclaration à l'inspection du travail du lieu où débute la prestation (...) Un décret détermine les informations que comporte cette déclaration ". Aux termes des dispositions de ce décret codifiées à l'article R. 1263-12 du code du travail : " (...) le donneur d'ordre qui contracte avec un employeur établi hors de France demande à son cocontractant, avant le début de chaque détachement d'un ou de plusieurs salariés, les documents suivants : a) Une copie de la déclaration de détachement transmise à l'unité départementale de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation du travail et de l'emploi (...) b) Une copie du document désignant le représentant (...) [de l'entreprise sur le territoire national]. / (...) le donneur d'ordre est réputé avoir procédé aux vérifications mentionnées à l'article L. 1262-4-1 dès lors qu'il s'est fait remettre ces documents ".

6. D'autre part, aux termes de l'article L. 1264-2 du code du travail, dans sa version alors en vigueur : " La méconnaissance par (...) le donneur d'ordre d'une des obligations mentionnées à l'article L. 1262-4-1 est passible d'une amende administrative, dans les conditions prévues à l'article L. 1264-3, lorsque son cocontractant n'a pas rempli au moins l'une des obligations lui incombant en application de l'article L. 1262-2-1 ", tandis qu'aux termes de l'article L. 1264-3 de ce code : " (...) / Le montant de l'amende est d'au plus 2 000 € par salarié détaché et d'au plus 4 000 € en cas de réitération dans un délai d'un an à compter du jour de la notification de la première amende. Le montant total de l'amende ne peut être supérieur à 500 000 €. / / Pour fixer le montant de l'amende, l'autorité administrative prend en compte les circonstances et la gravité du manquement, le comportement de son auteur ainsi que ses ressources et ses charges ". Enfin, les manquements résultant de la méconnaissance des dispositions précitées de l'article L. 1262-2-1 du code du travail sont constatés et sanctionnés suivant les modalités prévues aux articles R. 8115-1 à R. 8115-4 du même code.

7. Il résulte de ces dispositions combinées que si l'obligation de vérification incombant au donneur d'ordre en tant que destinataire d'une prestation de services effectuée par des travailleurs détachés est le corollaire de l'obligation déclarative qui incombe à l'employeur de ces travailleurs, elle n'a ni la même étendue ni la même nature. Notamment, les dispositions précitées ne mettent à la charge du donneur d'ordre qu'un devoir de vigilance qui, en application de l'article R. 1263-12 du code du travail, est réputé accompli à la réception de la déclaration de détachement et du document de désignation d'un représentant de l'entreprise étrangère sur le territoire national. Réserve faite d'omissions ou d'incohérences manifestes, ce devoir ne s'étend pas à la vérification détaillée du contenu des documents servis par le prestataire, laquelle relève de l'administration.

8. L'amende en litige sanctionne la méconnaissance par la société Haute technique de façades de son obligation de vigilance à l'égard des modalités de détachement de trois salariés de la société Interimax Polska sur le chantier du CROUS de Clermont-Ferrand, du 11 janvier au 30 janvier 2016, puis le chantier Célestins à Vichy, du 1er février au 29 février 2016. Il y a lieu pour le juge d'examiner le bien-fondé et le montant de chacune des amendes prononcées lors de ces deux prestations.

9. Or et d'une part, il résulte de l'instruction que la société Interimax Polska avait déclaré le détachement de ses salariés et désigné son représentant pour le chantier situé à Clermont-Ferrand et que la société Haute technique de façades s'était fait remettre avant le début de l'opération la copie des documents en attestant. La requérante est ainsi réputée avoir rempli les obligations mises à sa charge par l'article L. 1262-4-1 précité du code du travail. Par suite, le directeur régional ne pouvait lui imputer une absence de vérification de la conformité de la déclaration de son co-contractant. L'amende prononcée de ce chef à hauteur de 6 000 euros (tarif unitaire de 2 000 euros) doit, dès lors, être annulée.

10. D'autre part, si la société Haute technique de façades reconnaît avoir affecté de sa propre initiative les salariés de la société Interimax Polska sur le chantier Célestins de Vichy, cette prestation de service, distincte de la précédente, aurait dû faire l'objet d'une déclaration de détachement. La société Haute technique de façades a manqué à son devoir de vigilance en ne demandant pas à son cocontractant de détacher ses salariés et en les affectant sans avoir obtenu communication des documents de la déclaration et de désignation d'un représentant pour ce chantier. Par suite, la société Haute technique de façades n'est pas fondée à remettre en cause le principe du prononcé de l'amende en litige.

11. Il résulte de l'instruction et notamment de la motivation de la décision en litige, que pour fixer le quantum, le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi Auvergne Rhône-Alpes a estimé que la méconnaissance, par la société Haute technique de façades de son obligation de vigilance sur le chantier Célestins présentait un " degré certain de gravité " en raison de l'omission d'inscription des intérimaires détachés sur le registre unique du personnel et de la méconnaissance de la durée hebdomadaire de travail. Ces anomalies, à les supposer avérées, sont dépourvues de lien avec le détachement de salariés employés par des entreprises étrangères et ne peuvent être légalement prises en compte pour apprécier le comportement de la société au sens des dispositions de l'article L. 1264-3 du code du travail.

12. Compte tenu de la nature du manquement relevé à l'encontre de la société Haute technique de façades et de sa durée, du résultat net de la société et au regard de sa seule obligation de vigilance, il y a lieu de fixer à 1 000 euros le tarif unitaire de l'amende. Après application de ce tarif aux trois salariés irrégulièrement détachés sur le chantier Célestins de Vichy, le montant de l'amende doit être fixé à 3 000 euros.

13. Il résulte de tout ce qui précède que le montant de l'amende infligée à la société Haute technique de façades par la décision n° AA 69/2016 du 27 juillet 2016 doit être réduit de 10 500 euros à 3 000 euros et que le jugement attaqué du tribunal administratif de Clermont-Ferrand doit être réformé dans les mêmes proportions.

14. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État le paiement à la société Haute technique de façades d'une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : L'amende mise à la charge de la société Haute technique de façades par la décision n° AA 69/2016 du 27 juillet 2016 du directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Auvergne Rhône-Alpes est réduite de 10 500 euros à 3 000 euros.

Article 2 : Le jugement n° 1601782 du 4 décembre 2018 du tribunal administratif de Clermont-Ferrand est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : L'État versera à la société Haute technique de façades la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la société Haute technique de façades est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société Haute technique de façades et à la ministre du travail.

Copie sera adressée à la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi Auvergne Rhône-Alpes.

Délibéré après l'audience du 9 janvier 2020 à laquelle siégeaient :

M. Arbarétaz, président de chambre,

M. Seillet, président assesseur ;

Mme Burnichon, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 30 janvier 2020.

N° 19LY00557


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 19LY00557
Date de la décision : 30/01/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Répression - Domaine de la répression administrative Régime de la sanction administrative.

Répression - Domaine de la répression administrative Régime de la sanction administrative - Bien-fondé.

Travail et emploi - Réglementations spéciales à l'emploi de certaines catégories de travailleurs.

Travail et emploi - Réglementations spéciales à l'emploi de certaines catégories de travailleurs - Emploi des étrangers (voir : Étrangers).


Composition du Tribunal
Président : M. ARBARETAZ
Rapporteur ?: Mme Claire BURNICHON
Rapporteur public ?: M. CHASSAGNE
Avocat(s) : BARTHELEMY AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 04/02/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2020-01-30;19ly00557 ?
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