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15/01/2020 | FRANCE | N°18LY00464

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 5ème chambre, 15 janvier 2020, 18LY00464


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... E... a demandé au tribunal administratif de Lyon de lui accorder la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles il a été assujetti au titre des années 2007, 2008 et 2009 et des pénalités correspondantes.

Par un jugement n° 1500607 du 5 décembre 2017, le tribunal administratif de Lyon a prononcé la réduction du montant des revenus distribués en 2008 à concurrence de 1 231,08 euros et rejeté le surplus des conclusions de sa dema

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Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 5 février 2018, M. ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... E... a demandé au tribunal administratif de Lyon de lui accorder la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles il a été assujetti au titre des années 2007, 2008 et 2009 et des pénalités correspondantes.

Par un jugement n° 1500607 du 5 décembre 2017, le tribunal administratif de Lyon a prononcé la réduction du montant des revenus distribués en 2008 à concurrence de 1 231,08 euros et rejeté le surplus des conclusions de sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 5 février 2018, M. E... demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Lyon du 5 décembre 2017 en tant qu'il rejette partiellement ses conclusions ;

2°) de lui accorder l'intégralité de la décharge demandée ;

3°) de mettre à la charge de l'État une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la proposition de rectification est insuffisamment motivée ;

- l'administration aurait dû faire application de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales ;

- les factures litigieuses correspondent à des prestations réellement effectuées et les sommes correspondantes n'ont pas été appréhendées par lui ;

- il n'a pas commis de manquement délibéré.

Par un mémoire en défense, enregistré le 10 août 2018, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.

Il soutient qu'aucun des moyens invoqués par M. E... n'est fondé.

Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'irrecevabilité des conclusions, en tant qu'elles portent sur la majoration de 25 % en base appliquée aux contributions sociales.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Savouré, premier conseiller,

- les conclusions de M. Vallecchia, rapporteur public,

- et les observations de Me A..., représentant M. E... ;

Considérant ce qui suit :

1. M. E... était gérant et associé unique, jusqu'à sa liquidation en 2017, de l'EURL E..., qui exerçait des prestations de peinture, plâtrerie et décoration. Cette société a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur les exercices clos en 2008 et 2009, au cours de laquelle le vérificateur a rejeté les charges correspondant à des prestations de sous-traitance. A l'issue de cette procédure, M. E..., a été assujetti à des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales, notifiées selon la procédure contradictoire résultant de l'imposition entre ses mains, sur le fondement du 1° et du 2° du 1 de l'article 109 du code général des impôts. Ces impositions ont été assorties de l'intérêt de retard et de la majoration pour manquement délibéré. Le tribunal administratif de Lyon a prononcé la réduction du montant des revenus distribués en 2008 à concurrence de 1 231,08 euros et rejeté le surplus des conclusions de la demande de M. E.... Ce dernier interjette appel du jugement en tant qu'il a rejeté le surplus de ses conclusions tendant à la décharge de ces impositions.

Sur l'étendue du litige :

2. Par une décision du 21 décembre 2017, postérieure au jugement attaqué mais antérieure à l'introduction de la requête devant la cour, l'administration a prononcé un dégrèvement des contributions sociales, correspondant à la majoration en base de 25 % initialement appliquée, pour un montant total en droits et pénalités de 10 221 euros. Les conclusions de la requête de M. E... étaient, dans la mesure de ces montants, sans objet dès l'introduction de la requête et, par suite, irrecevables.

Sur la régularité de la procédure d'imposition :

3. En premier lieu, à l'appui de ses conclusions, M. E... soulève le même moyen que celui présenté devant les premiers juges, tiré du caractère insuffisant de la motivation de la proposition de rectification lui notifiant les impositions litigieuses. Il résulte de l'instruction que ce moyen doit être écarté par les mêmes motifs que ceux retenus par les premiers juges et qu'il y a lieu pour la cour d'adopter.

4. En second lieu, aux termes des dispositions de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales : " Afin d'en restituer le véritable caractère, l'administration est en droit d'écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes constitutifs d'un abus de droit, soit que ces actes ont un caractère fictif, soit que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes ou de décisions à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, si ces actes n'avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles. En cas de désaccord sur les rectifications notifiées sur le fondement du présent article, le litige est soumis, à la demande du contribuable, à l'avis du comité de l'abus de droit fiscal. L'administration peut également soumettre le litige à l'avis du comité. (...) ".

5. Pour procéder aux rectifications litigieuses, l'administration s'est bornée à constater que les factures de sous-traitance adressées à l'EURL E... avaient été émises par des fournisseurs qui n'étaient plus inscrits au registre du commerce et des sociétés et que les charges correspondantes n'avaient ainsi pas été passées dans l'intérêt de l'entreprise. Le vérificateur a ensuite estimé que ces charges étaient constitutives de distributions appréhendées par M. E.... Ce faisant, l'administration fiscale n'a argué, même implicitement, de la dissimulation de la portée véritable d'aucune convention ou d'aucun contrat et, ainsi, n'a pas recouru, même implicitement, à la procédure de répression des abus de droit. Par suite, le requérant n'est pas fondé à soutenir avoir été privé des garanties de procédure prévues par ces dispositions.

Sur le bien-fondé de l'imposition :

6. Aux termes de l'article 109 du code général des impôts : " 1. Sont considérés comme revenus distribués : 1° Tous les bénéfices ou produits qui ne sont pas mis en réserve ou incorporés au capital / 2° Toutes les sommes ou valeurs mises à la disposition des associés, actionnaires ou porteurs de parts et non prélevées sur les bénéfices. (...) ".

7. Aux termes de l'article 110 du même code : " Pour l'application du 1° du 1 de l'article 109, les bénéfices s'entendent de ceux qui ont été retenus pour l'assiette de l'impôt sur les sociétés ".

8. En cas de refus des propositions de rectification par le contribuable qu'elle entend imposer comme bénéficiaire de sommes regardées comme distribuées, il incombe à l'administration d'apporter la preuve de l'existence des distributions, de leur montant et de leur appréhension. Toutefois, s'agissant de l'appréhension, le contribuable qui, disposant seul des pouvoirs les plus étendus au sein de la société, est en mesure d'user sans contrôle de ses biens comme de biens qui lui sont propres et doit ainsi être regardé comme le seul maître de l'affaire, est présumé avoir appréhendé les distributions effectuées par la société qu'il contrôle.

9. M. E..., associé unique et gérant de l'EURL E..., dispose seul des pouvoirs les plus étendus au sein de l'entreprise et est en mesure d'user sans contrôle de ses biens comme de biens qui lui sont propres. Il doit ainsi être regardé comme le seul maître de l'affaire

10. A l'occasion du contrôle de l'EURL E..., le vérificateur a constaté qu'au cours de l'exercice clos le 31 décembre 2007, cette entreprise avait enregistré des factures de prestations de sous-traitance provenant de l'entreprise Gomeri, pour un montant total de 51 484,70 euros au titre de l'exercice clos en 2007 et 19 194,12 euros au titre de la période du 1er juillet 2008 au 30 juin 2009, alors que cette dernière avait cessé son activité dès le 18 décembre 2006. De même, elle avait enregistré des factures de prestations de sous-traitance provenant de l'entreprise Mouehli, pour un montant total de 44 732,36 euros au cours de la période comprise entre le 1er septembre 2007 et le 31 décembre 2007, pour un montant total de 20 186,84 euros au titre de la période du 1er janvier 2008 au 30 juin 2008 et pour un montant de 17 910,38 euros au titre de la période du 1er juillet 2008 au 30 juin 2009, alors que cette dernière avait cessé son activité dès le 31 août 2007. Enfin, elle avait enregistré des factures de sous-traitance en provenance de la SARL Murat pour un montant de 28 452,08 euros au titre de la période du 1er janvier 2008 au 30 juin 2008 et de 47 859 euros au titre de la période du 1er juillet 2008 au 30 juin 2009, alors que cette entreprise n'avait plus d'existence juridique depuis le 27 novembre 2007.

11. Par ailleurs, le vérificateur a constaté que des chèques correspondant à ces factures avaient été encaissés par des tiers. A ce titre, il a admis que certaines factures avaient bénéficié aux salariés et estimé, par mesure de tolérance, qu'elles correspondaient à des charges déductibles. L'administration fait valoir que, dès lors que les factures qui ont été produites au cours du contrôle se sont avérées avoir été établies par des entreprises ayant officiellement cessé leur activité, il revenait à M. E... de démontrer l'existence des prestations de sous-traitance qu'il allègue avoir réglées, d'autant qu'en application des articles L. 8222-1 et L. 8221-3 du code du travail, il lui revenait de vérifier si ses sous-traitants s'acquittaient de leurs obligations, notamment en matière d'immatriculation au registre du commerce et des sociétés.

12. Toutefois, les documents produits par M. E... démontrent une concomitance de dates entre les chantiers dont l'EURL E... était attributaire et les dates de factures de sous-traitance litigieuses. En outre, l'administration admet elle-même que la majeure partie des sommes figurant sur ces factures a été versée à des tiers, lesquelles doivent par conséquent s'analyser comme des factures de complaisance au titre desquelles l'EURL E... a réellement engagé des charges.

13. Notamment, M. E... fait valoir qu'une facture Gomeri du 26 janvier 2009, d'un montant de 3 780,60 euros, correspond à la sous-traitance de travaux de pose de cloisons, sur un chantier " Hôtel des aiglons " dont l'EURL E... était attributaire. La circonstance mise en avant par l'administration que les bénéficiaires du règlement de ces travaux étaient étrangers à cette entreprise ne permet pas de démontrer l'inexistence de ces travaux et corrobore au contraire les affirmations de M. E... suivant lesquelles ils ont été exécutés, quand bien-même ils l'ont été par des tiers.

14. De même, les factures Murat et D... correspondant à des prestations de sous-traitance sur un chantier " les allées d'Hermance ", ne peuvent être regardées comme des prestations inexistantes au seul motif de l'imprécision de leur intitulé. Ici encore, la circonstance que ces factures aient été réglées corrobore les affirmations de M. E... suivant lesquelles les prestations correspondantes ont réellement été effectuées. Toutefois, l'administration soutient sans être contredite qu'une partie du règlement de ces factures a été effectué directement à M. E.... A l'exception de la partie de ces factures qui lui a été directement réglée, M. E..., rapporte la preuve qu'il n'a pas appréhendé de distributions.

15. De même, en dépit de son imprécision, la facture du 13 avril 2008 " forfait de pose de doublage " émise par l'entreprise Murat dans le cadre d'un chantier " Rocambole ", d'un montant de 2 378,51 euros doit être regardée comme justifiant la charge de même montant comptabilisée par l'EURL E.... Contrairement à ce que soutient l'administration, les prestations liées à la pose de doublage facturées par l'EURL E... le 5 mai 2008 dans le cadre de ce chantier ne sont pas d'un montant inférieur aux prestations de sous-traitance facturées par l'entreprise Murat.

16. M. E... soutient que des charges de sous-traitance enregistrées par erreur au nom de D... et payées à un tiers, la société Chanel, pour un montant de 3 723,84 euros par chèque du 5 juin 2008 correspondraient en réalité à des prestations facturées par cette dernière. Si l'administration fait valoir que pour justifier cette charge, le contribuable se borne à produire une facture du 31 octobre 2007 d'un montant de 3 588 euros qui est inférieur à la somme versée, la dépense effectuée peut être regardée comme justifiée à hauteur de ce montant. En outre et surtout, l'administration admet elle-même que la totalité de ce règlement a été versée à la société Chanel, lequel n'a donc, par conséquent, pas pu être appréhendé par M. E....

17. M. E... allègue avoir enregistré par erreur sous les comptes Gomeri et D... des prestations effectuées par d'autres fournisseurs. Si M. E... produit une facture provenant de la société Hodzic, qui a cessé son activité le 2 avril 2010, l'administration soutient sans être contredite qu'aucune rectification n'a été notifiée concernant les factures provenant de cette société. Par ailleurs, M. E... affirme qu'une de ces prestations correspondrait à une facture " la compagnie du téléphone ", d'un montant de 169,84 euros. Si l'administration fait valoir que le règlement établi au nom de cette société au profit de M. D... est de 261,50 euros et qu'ainsi, il ne correspond pas à la facture présentée, M. E... ne peut, en dépit de sa qualité de maître de l'affaire, être regardé comme ayant appréhendé cette somme dont il n'est pas contesté qu'elle a bénéficié exclusivement à la société " la compagnie du téléphone ".

18. Enfin, si M. E... conteste le rejet d'une facture d'un montant de 1 231,08 euros, il ressort du point 13 du jugement attaqué que le tribunal a prononcé la décharge des impositions correspondantes, de sorte que ce moyen est inopérant.

Sur la majoration pour manquement délibéré :

19. L'administration fait valoir, d'une part, que les factures comptabilisées par l'EURL E... dont il était gérant ont été pour partie émises par des sociétés qui n'avaient plus d'existence légale et ne pouvaient facturer de taxe sur la valeur ajoutée et, d'autre part, que leur règlement a été versé auprès de tiers pour leur majeure partie. Ces éléments ne suffisent pas à établir, de la part de M. E..., l'intention d'éluder l'impôt caractérisant un manquement délibéré.

20. Il résulte de ce qui précède que, sous réserve, d'une part, des conclusions irrecevables relatives à la majoration de 25 % prévue par le 1° du 7 de l'article 158 du code général des impôts et, d'autre part, des règlements de factures qu'il a encaissés personnellement, M. E... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté le surplus de sa demande.

Sur les frais liés au litige :

21. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros à verser à M. E... au titre des frais liés au litige.

DÉCIDE :

Article 1er : La base imposable de M. E... au titre des années 2007, 2008 et 2009 est réduite à concurrence des sommes imposées en tant que revenus distribués, correspondant aux factures déduites par l'EURL E... et réglées à des personnes autres que M. E... lui-même.

Article 2 : M. E... est déchargé des droits et majorations correspondant à la réduction des bases d'imposition décidée à l'article 1er ci-dessus.

Article 3 : M. E... est déchargé des pénalités pour manquement délibéré qui lui ont été infligées.

Article 4 : Le jugement du tribunal administratif de Lyon, en date du 5 décembre 2017, est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 5 : L'Etat versera à M. E... la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 6 : Le surplus des conclusions de la requête de M. E... est rejeté.

Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... E... et au ministre de l'action et des comptes publics.

Délibéré après l'audience du 9 décembre 2019 à laquelle siégeaient :

M. Bourrachot, président de chambre,

Mme B..., présidente-assesseure,

M. Savouré, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 15 janvier 2020.

2

N° 18LY00464


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 18LY00464
Date de la décision : 15/01/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Fiscal

Composition du Tribunal
Président : M. BOURRACHOT
Rapporteur ?: M. Bertrand SAVOURE
Rapporteur public ?: M. VALLECCHIA
Avocat(s) : JARS PAPPINI et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 21/01/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2020-01-15;18ly00464 ?
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