Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
La SARL Danneige a demandé au tribunal administratif de Grenoble de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés pour la période du 1er janvier 2006 au 31 décembre 2008.
Par un jugement n° 1602160 du 5 février 2018, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 30 mars 2018, la SARL Danneige, représentée par Me D..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 5 février 2018 ;
2°) de prononcer la décharge de ces rappels de taxe sur la valeur ajoutée et des pénalités correspondantes ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La SARL Danneige soutient que :
- l'imposition est atteinte par la prescription puisqu'elle a cessé son activité au 31 décembre 2006, de sorte qu'elle était hors champ de la taxe sur la valeur ajoutée ; le code général des impôts ne pose aucune obligation déclarative de cessation d'activité, à la différence d'une dissolution ; à compter du 31 décembre 2006, elle n'a plus effectué d'opérations économiques taxables, ainsi que le démontrent ses bilans des années 2007, 2008 et 2009 ; l'acte notarié mentionne le bail commercial conclu avec la société Buildinvest mais pas avec la société Gescap, avec laquelle elle a cessé toute relation depuis le 31 décembre 2006 ; le droit de reprise de l'administration expirait ainsi le 31 décembre 2009 ;
- il n'est pas établi qu'elle a été défaillante s'agissant de ses déclarations de résultats ; celles-ci ont bien été déposées in fine ; la vérification de comptabilité effectuée n'a abouti à aucun rehaussement d'impôt sur les sociétés motivé par une minoration délibérée du chiffre d'affaires ; le caractère délibéré d'un manquement ne s'apprécie pas seulement au regard de l'importance des revenus non déclarés ; en l'espèce, il n'y a pas eu des omissions répétées de recettes mais un simple retard dans le dépôt des déclarations de résultat ; ses associés sont des promoteurs immobiliers qui ne connaissent pas nécessairement les mécanismes fiscaux en cause.
Par un mémoire enregistré le 17 septembre 2018, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Le ministre de l'action et des comptes publics soutient que :
- la charge de la preuve lui incombe compte tenu de la procédure d'imposition d'office employée ;
- l'imposition n'est pas prescrite dès lors qu'elle a poursuivi son activité ;
- les pénalités pour manquement délibéré sont justifiées par le non-respect par la SARL de ses obligations fiscales, la qualité des sociétés concernées et de leurs dirigeants, tous professionnels de l'immobilier, et l'importance des droits éludés.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Vu la décision par laquelle le président de la cour a désigné Mme E... pour exercer temporairement les fonctions de rapporteure publique en application des articles R. 222-24, 2nd alinéa et R. 222-32 du code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A..., première conseillère,
- et les conclusions de Mme E..., rapporteure publique ;
Considérant ce qui suit :
1. La société Danneige a acquis le 12 août 1993 un immeuble à usage d'hôtel, situé sur la commune de Megève, qu'elle a donné à bail commercial avant d'y faire réaliser d'importants travaux de rénovation qui ont été comptabilisés dans ses écritures au titre des exercices clos en 2000 et en 2003. A la suite de la réalisation de ces travaux, un contrat de location gérance portant sur la période du 14 décembre 2004 au 15 mai 2005 a été conclu le 15 décembre 2004 avec la société Gescap. Le 14 octobre 2008, la requérante a revendu l'immeuble en cause à la société Buildinvest, qui détient 99,76 % du capital de la société Gescap. A la suite d'une vérification de comptabilité s'étant déroulée à l'été 2010, portant sur la période allant du 1er octobre 2006 au 30 septembre 2009, l'administration, estimant notamment que la cession de l'immeuble devait donner lieu à une régularisation de la taxe sur la valeur ajoutée initialement déduite ayant grevé les travaux réalisés en 2000 et 2003, a rappelé les droits de taxe sur la valeur ajoutée omis, d'un montant de 367 401 euros sur le fondement du 3° de l'article L. 66 du livre des procédures fiscales, la déclaration CA3 ayant été déposée hors délai. La société Danneige relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à la décharge de cette imposition et de la majoration pour manquement délibéré dont elle a été assortie.
Sur l'expiration du délai de reprise :
2. Pour considérer que la cession de l'immeuble à usage d'hôtel en date du 14 octobre 2008 devait conduire la SARL Danneige à opérer une régularisation de la taxe sur la valeur ajoutée initialement déduite dans sa déclaration à souscrire le mois suivant, l'administration s'est placée sur le fondement du 1° du 1 du III de l'article 207 de l'annexe II au code général des impôts, la vente ayant été soumise au taux réduit d'enregistrement du fait de la qualité de marchand de biens de l'acquéreur. La SARL Danneige, qui ne conteste pas cette base légale, invoque toutefois les dispositions du 5° du même article, selon lesquelles la régularisation doit être opérée " lorsque le bien cesse d'être utilisé à des opérations taxables ", ce qui aurait été le cas selon elle dès le 31 décembre 2006 et aurait pour conséquence la prescription du droit de reprise de l'administration.
3. Aux termes de l'article L. 176 du livre des procédures fiscales : " Pour les taxes sur le chiffre d'affaires, le droit de reprise de l'administration s'exerce jusqu'à la fin de la troisième année suivant celle au cours de laquelle la taxe est devenue exigible conformément aux dispositions du 2 de l'article 269 du code général des impôts ".
4. Aux termes du 1 du III de l'article 207 de l'annexe II au code général des impôts : " Une régularisation de la taxe initialement déduite et grevant un bien immobilisé est également opérée : 1° Lorsqu'il est cédé ou apporté, sans que cette opération soit soumise à la taxe sur le prix total, sur la valeur totale ou dans les conditions fixées à l'article 268 du code général des impôts, ou est transféré entre secteurs d'activité constitués en application de l'article 209 / (...) 5° Lorsqu'il cesse d'être utilisé à des opérations imposables. ".
5. En l'espèce, il résulte de l'instruction que la société Gescap a été condamnée par ordonnance du juge des référés du tribunal de grande instance du 8 février 2007, confirmée par un arrêt de la cour d'appel de Chambéry du 7 mai 2007, au versement des redevances dues à la SARL Danneige par la société Gescap, dont le bail de location-gérance devait pourtant prendre fin le 15 mai 2005, jusqu'au 31 décembre 2006. Si la société Danneige soutient que l'exploitation de l'hôtel par la société Gescap a pris fin à cette date, il résulte des termes non contestés de la proposition de rectification, d'une part, que l'autorité judiciaire a refusé d'ordonner l'expulsion de la société Gescap des lieux au motif que le contrat de location-gérance devait être considéré comme conclu sans limitation de durée et, d'autre part, que selon les termes de l'acte notarié de vente de l'immeuble en date du 14 octobre 2008, celui-ci avait, par la suite, été donné à bail à titre commercial à compter du 30 octobre 2007 à la société Buildinvest, qui détient d'ailleurs 99,76 % du capital de la société Gescap et qui a finalement acquis le bien. Ainsi, il ne résulte pas de l'instruction que l'immeuble à usage d'hôtel en cause avait cessé d'être affecté à toute opération taxable à compter du 31 décembre 2006, la circonstance que ce n'était plus la société Gescap mais la société Buildinvest qui exploitait l'immeuble étant sans aucune incidence à cet égard. Compte tenu de la date de cession du bien, la taxe sur la valeur ajoutée était exigible le 14 octobre 2008 sur le fondement du 1° du 1 du III de l'article 207 de l'annexe II au code général des impôts. Le délai de reprise n'était ainsi pas expiré lorsque l'avis de mise en recouvrement a été émis le 31 août 2011.
Sur la majoration pour manquement délibéré :
6. Aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'Etat entraînent l'application d'une majoration de : / a. 40 % en cas de manquement délibéré (...) ".
7. Il résulte de l'instruction que, si la SARL Danneige a été taxée d'office à la taxe sur la valeur ajoutée, elle a néanmoins souscrit une déclaration CA 3 au titre de la période en litige le 29 novembre 2009, soit après l'expiration du délai légal. Pour apporter la preuve du caractère délibéré du manquement commis par la société Danneige l'administration a retenu que la cession était intervenue entre des professionnels de l'immobilier, l'associé principal et gérant de la SARL Danneige étant gérant d'autres sociétés exerçant ou ayant exercé une activité dans le secteur de l'immobilier. Elle a considéré que celui-ci ne pouvait ignorer que le bénéfice du droit à déduction exercé initialement est subordonné à la détention du bien pendant une durée de vingt ans et que sa cession avant ce terme entraînait une obligation de régulariser. L'administration a également retenu l'importance des droits éludés, soit 367 401 euros. Dans ces conditions, et alors que la SARL Danneige ne conteste pas la qualité de professionnel de l'immobilier de son gérant, l'administration établit suffisamment le bien-fondé de la majoration pour manquement délibéré dont elle a assorti le rappel de droits en litige.
8. Il résulte de ce qui précède que la SARL Danneige n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la SARL Danneige est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL Danneige et au ministre de l'action et des comptes publics.
Délibéré après l'audience du 26 novembre 2019, à laquelle siégeaient :
M. Pruvost, président de chambre,
Mme B... présidente-assesseure,
Mme A..., première conseillère.
Lu en audience publique le 17 décembre 2019.
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N° 18LY01227
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