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10/12/2019 | FRANCE | N°17LY01403

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 3ème chambre, 10 décembre 2019, 17LY01403


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

L'exploitation agricole à responsabilité limitée (EARL) Mikifruits a demandé au tribunal administratif de Grenoble, dans le dernier état de ses écritures, de condamner l'Etat à lui verser la somme de 107 802 euros en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi en raison de l'illégalité de l'arrêté du 10 juin 2008 par lequel le préfet de la Drôme a prescrit des mesures de lutte contre le virus de la Sharka, autrement dénommé Plum Pox Virus.

Par un jugement avant dire droit n° 1400454 du

20 mai 2015, le tribunal administratif de Grenoble a ordonné une expertise en vue de ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

L'exploitation agricole à responsabilité limitée (EARL) Mikifruits a demandé au tribunal administratif de Grenoble, dans le dernier état de ses écritures, de condamner l'Etat à lui verser la somme de 107 802 euros en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi en raison de l'illégalité de l'arrêté du 10 juin 2008 par lequel le préfet de la Drôme a prescrit des mesures de lutte contre le virus de la Sharka, autrement dénommé Plum Pox Virus.

Par un jugement avant dire droit n° 1400454 du 20 mai 2015, le tribunal administratif de Grenoble a ordonné une expertise en vue de déterminer le montant de l'indemnisation qui lui est due.

Par un jugement n° 1400454 du 30 décembre 2016, le tribunal administratif de Grenoble a condamné l'Etat à verser à l'EARL Mikifruits la somme de 83 342,98 euros, avec intérêts au taux légal et capitalisation, a mis à la charge de l'Etat les frais et honoraires d'expertise, ainsi qu'une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, et a rejeté le surplus des conclusions des parties.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 31 mars 2017, le ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt demande à la cour d'annuler le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 30 décembre 2016.

Il soutient que :

- l'illégalité dont est entaché l'arrêté du préfet de la Drôme du 10 juin 2008, tenant à l'incompétence de son auteur, n'est pas de nature à engager la responsabilité de l'Etat dès lors que cette mesure était, en tout état de cause, justifiée ;

- la responsabilité de l'Etat ne pouvait en outre être engagée, en l'absence de lien de causalité direct entre l'illégalité de cet arrêté et les préjudices invoqués.

Par des mémoires en défense enregistrés le 1er août 2017 et le 14 février 2019, l'EARL Mikifruits, représentée par Me E..., avocat, demande à la cour :

1°) de rejeter la requête ;

2°) par la voie de l'appel incident, de condamner l'Etat à lui verser la somme de 107 802 euros ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 2 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle expose que :

- les conclusions d'appel sont irrecevables dès lors qu'elles tendent à remettre en cause la responsabilité de l'Etat et le principe même de son droit à une indemnisation, lesquels résultent du jugement du tribunal administratif de Grenoble du 20 mai 2015, depuis devenu définitif et revêtu de l'autorité de la chose jugée ;

- l'arrachage des parcelles contaminées à plus de 5 % a été fait en exécution d'un arrêté préfectoral illégal ;

- le montant du préjudice doit être fixé à 107 802 euros, conformément à l'évaluation de l'expert, corrigée des erreurs qu'elle comporte quant à l'identification des charges de structure.

Par un mémoire enregistré le 14 janvier 2019, le ministre de l'agriculture et de l'alimentation conclut aux mêmes fins que précédemment, par les mêmes moyens, et demande en outre à la cour de rejeter les conclusions incidentes présentées par l'EARL Mikifruits.

Il soutient en outre que :

- son appel est recevable en application de l'article R. 811-6 du code de justice administrative ;

- les moyens tendant à l'augmentation de l'indemnisation accordée ne sont pas fondés.

L'instruction a été close en dernier lieu le 6 mars 2019 par ordonnance du 18 février 2019.

Un mémoire, enregistré le 5 juillet 2019, a été produit par l'EARL Mikifruits et n'a pas été communiqué.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code rural et de la pêche maritime ;

- l'arrêté du ministre de l'agriculture et de la pêche du 27 novembre 2008 relatif à la lutte contre le Plum Pox Virus, agent causal de la maladie de la Sharka, sur les végétaux sensibles du genre Prunus ;

- l'arrêté du ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l'aménagement du territoire du 17 mars 2011 relatif à la lutte contre le Plum Pox Virus, agent causal de la maladie de la Sharka, sur les végétaux sensibles du genre Prunus ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme D..., première conseillère,

- les conclusions de M. Deliancourt, rapporteur public,

- et les observations de Me E..., représentant l'EARL Mikifruits ;

Considérant ce qui suit :

1. Par un jugement du 3 mai 2012, devenu définitif, le tribunal administratif de Grenoble a annulé l'arrêté du 10 juin 2008 par lequel le préfet de la Drôme avait prescrit, en application de l'article L. 251-6 du code rural, l'arrachage des arbres contaminés par le virus de la Sharka, ainsi que de l'ensemble des arbres, de type prunus, des parcelles contaminées à plus de 5 %. L'EARL Mikifruits, qui exploite des vergers à Bourg-de-Péage, a dès lors sollicité l'indemnisation des préjudices qu'elle estimait avoir subis en conséquence de cet arrêté illégal. Le tribunal administratif de Grenoble a déclaré l'Etat responsable des préjudices subis par cette exploitation du fait de l'arrachage en 2008 des arbres sains dans les parcelles présentant un taux de contamination par le virus de la Sharka compris entre 5 et 10 % et a ordonné une mesure d'expertise, par un jugement avant dire droit du 20 mai 2015, avant de condamner l'Etat à lui verser la somme de 83 342,98 euros, augmentée des intérêts au taux légal et de la capitalisation de ces intérêts, par un jugement du 30 décembre 2016. Le ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, depuis devenu ministre de l'agriculture et de l'alimentation, relève appel de ce dernier jugement. Par des conclusions incidentes, l'EARL Mikifruits demande, pour sa part, que la condamnation de l'Etat soit relevée à hauteur de 107 802 euros.

Sur l'appel du ministre en charge de l'agriculture :

2. Lorsqu'une personne sollicite le versement d'une indemnité en réparation du préjudice subi du fait de l'illégalité d'une décision administrative entachée d'incompétence, il appartient au juge administratif de rechercher, en forgeant sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties, si la même décision aurait pu légalement intervenir et aurait été prise, dans les circonstances de l'espèce, par l'autorité compétente. Dans le cas où il juge qu'une même décision aurait été prise par l'autorité compétente, le préjudice allégué ne peut alors être regardé comme la conséquence directe du vice d'incompétence qui entachait la décision administrative illégale.

3. Selon l'article L. 251-8 du code rural et de la pêche maritime, dans sa rédaction applicable au litige : " I. - Le ministre chargé de l'agriculture peut prescrire par arrêté les traitements et les mesures nécessaires à la prévention de la propagation des organismes nuisibles inscrits sur la liste prévue à l'article L. 251-3. Il peut également interdire les pratiques susceptibles de favoriser la dissémination des organismes nuisibles, selon les mêmes modalités. / II. - En cas d'urgence, les mesures ci-dessus spécifiées peuvent être prises par arrêté préfectoral immédiatement applicable. L'arrêté préfectoral doit être soumis, dans la quinzaine, à l'approbation du ministre chargé de l'agriculture ". L'article 1er de l'arrêté ministériel du 31 juillet 2000 établissant la liste des organismes nuisibles aux végétaux, produits végétaux et autres objets soumis à des mesures de lutte obligatoire énonce que " la lutte contre les organismes nuisibles mentionnés en annexe A du présent arrêté est obligatoire, de façon permanente, sur tout le territoire métropolitain ou dans les départements d'outre-mer, dès leur apparition, et ce quel que soit le stade de leur développement et quels que soient les végétaux, produits végétaux et autres objets sur lesquels ils sont détectés ". Cet arrêté a inscrit le Plum Pox Virus à l'origine de la maladie de la Sharka à son annexe A. Le virus de la Sharka est ainsi considéré comme un organisme nuisible, contre lequel la lutte est obligatoire, dès son apparition et de façon permanente.

4. Par un jugement du 3 mai 2012, devenu définitif, le tribunal administratif de Grenoble a annulé l'arrêté du préfet de la Drôme du 10 juin 2008, au motif qu'en l'absence d'urgence, seul le ministre en charge de l'agriculture était compétent pour adopter de telles mesures de lutte contre le virus de la Sharka, en application de l'article L. 251-8 du code rural.

5. Il résulte de l'instruction que, par un rapport d'expertise établi au mois d'avril 2008 à la demande du ministère de l'agriculture et de la pêche, le laboratoire national de la protection des végétaux avait préconisé l'abaissement du seuil de contamination au-delà duquel l'arrachage de l'ensemble des arbres d'une parcelle doit être prescrit de 10 % à 5 %, voire à 2 %, dans la Drôme. L'abaissement de ce seuil à 5 %, tel que décidé par le préfet de la Drôme par l'arrêté du 10 juin 2008, avait en outre reçu l'approbation du ministre en charge de l'agriculture, par courrier du 25 novembre 2008. Toutefois, ces documents ne sont pas suffisants pour établir qu'il existait un consensus scientifique sur la nécessité d'un tel abaissement, alors, notamment, que le rapport Devos, établi un an auparavant, ne comportait pas de telles préconisations. En outre, le ministre a, peu de temps après l'arrêté litigieux, lui-même retenu un seuil de contamination de 10 %, sans même prévoir de possibilités de l'abaisser localement, par arrêté du 27 novembre 2008. Dans ces conditions, il ne résulte pas de l'instruction que le ministre aurait, tout comme l'avait fait le préfet de la Drôme par l'arrêté annulé, décidé d'abaisser ce seuil à 5 %.

6. Par ailleurs, et contrairement à ce que prétend le ministre en charge de l'agriculture, la situation épidémiologique du département de la Drôme ne justifiait pas à elle seule, en l'absence de disposition en ce sens, l'arrachage des parcelles contaminées à plus de 5 %, mais à moins de 10 %, par le virus de la Sharka. En outre, il n'est nullement établi que les parcelles concernées auraient nécessairement connu, au cours de l'année, un niveau de contamination dépassant 10 % et rendant obligatoire leur arrachage.

7. Par suite, et sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée en défense, le ministre en charge de l'agriculture n'est pas fondé à se plaindre de ce que le tribunal administratif de Grenoble a jugé que l'illégalité de l'arrêté du préfet de la Drôme du 10 juin 2008, qui est de nature à engager la responsabilité de l'Etat, est directement à l'origine de certains des préjudices invoqués par l'EARL Mikifruits.

Sur l'appel incident de l'EARL Mikifruits :

8. L'EARL Mikifruits se prévaut d'une note d'expertise, déjà produite en première instance, contestant la répartition comptable des charges de son exploitation retenue par le rapport d'expertise du 15 juillet 2016. Toutefois, il ressort des termes mêmes du jugement attaqué que le préjudice dû à la perte de marge nette a été fixé en tenant compte des charges de structure et des charges opérationnelles, telles qu'évaluées par l'expert-comptable de l'exploitation. Dès lors, et en l'absence de tout élément nouveau en appel, il ne résulte pas de l'instruction que le tribunal se serait mépris sur la répartition comptable de ces charges, ni, par suite, qu'il aurait sous-évalué la perte de marge nette subie par l'exploitation de l'EARL Mikifruits.

9. Il résulte de ce qui précède que l'EARL Mikifruits n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a limité le montant de la condamnation de l'Etat à la somme de 83 342, 98 euros.

Sur les conclusions relatives aux frais d'instance :

10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 500 euros à verser à l'EARL Mikifruits, au titre des frais non compris dans les dépens que cette dernière a exposés.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête du ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt est rejetée.

Article 2 : L'Etat versera à l'EARL Mikifruits la somme de 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions de l'EARL Mikifruits est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'agriculture et de l'alimentation et à l'EARL Mikifruits.

Délibéré après l'audience du 5 novembre 2019, à laquelle siégeaient :

Mme C... A..., présidente de chambre,

Mme F..., présidente-assesseure,

Mme B... D..., première conseillère.

Lu en audience publique, le 10 décembre 2019.

2

N° 17LY01403


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Agriculture et forêts - Produits agricoles - Fruits et légumes.

Responsabilité de la puissance publique - Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité - Responsabilité et illégalité - Illégalité engageant la responsabilité de la puissance publique.

Responsabilité de la puissance publique - Réparation - Préjudice - Caractère direct du préjudice.


Références :

Publications
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Composition du Tribunal
Président : Mme PAIX
Rapporteur ?: Mme Sophie CORVELLEC
Rapporteur public ?: M. DELIANCOURT
Avocat(s) : SELARL CABINET TUMERELLE

Origine de la décision
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 3ème chambre
Date de la décision : 10/12/2019
Date de l'import : 16/12/2019

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 17LY01403
Numéro NOR : CETATEXT000039498041 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2019-12-10;17ly01403 ?
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