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10/12/2019 | FRANCE | N°17LY01305

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 3ème chambre, 10 décembre 2019, 17LY01305


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

La société à responsabilité limitée (SARL) Domaine de Bayanne a demandé au tribunal administratif de Grenoble, dans le dernier état de ses écritures, de condamner l'Etat à lui verser la somme de 299 716 euros en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi en raison de l'illégalité de l'arrêté du 10 juin 2008 par lequel le préfet de la Drôme a prescrit des mesures de lutte contre le virus de la Sharka, autrement dénommé Plum Pox Virus.

Par un jugement avant dire droit n° 1302726 du 20

mai 2015, le tribunal administratif de Grenoble a ordonné une expertise en vue de déter...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

La société à responsabilité limitée (SARL) Domaine de Bayanne a demandé au tribunal administratif de Grenoble, dans le dernier état de ses écritures, de condamner l'Etat à lui verser la somme de 299 716 euros en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi en raison de l'illégalité de l'arrêté du 10 juin 2008 par lequel le préfet de la Drôme a prescrit des mesures de lutte contre le virus de la Sharka, autrement dénommé Plum Pox Virus.

Par un jugement avant dire droit n° 1302726 du 20 mai 2015, le tribunal administratif de Grenoble a ordonné une expertise en vue de déterminer le montant de l'indemnisation qui lui est due.

Par un jugement n° 1302726 du 30 décembre 2016, le tribunal administratif de Grenoble a condamné l'Etat à verser à la SARL Domaine de Bayanne la somme de 223 738,77 euros, a mis à la charge de l'Etat les frais et honoraires d'expertise et a rejeté le surplus des conclusions des parties.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 29 mars 2017, le ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt demande à la cour d'annuler le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 30 décembre 2016.

Il soutient que :

- l'illégalité dont est entaché l'arrêté du préfet de la Drôme du 10 juin 2008, tenant à l'incompétence de son auteur, n'est pas de nature à engager la responsabilité de l'Etat dès lors que cette mesure était, en tout état de cause, justifiée ;

- le préjudice subi par les exploitants ne présente pas de lien de causalité avec l'arrêté du 10 juin 2008, mais est dû à la situation épidémiologique de la Sharka dans le département de la Drôme.

Par des mémoires en défense enregistrés le 1er août 2017 et le 14 février 2019, la SARL Domaine de Bayanne, représentée par Me E..., avocat, demande à la cour :

1°) de rejeter la requête du ministre ;

2°) par la voie de l'appel incident, de condamner l'Etat à lui verser la somme de 299 716 euros ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 2 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- les conclusions d'appel sont irrecevables dès lors qu'elles tendent à remettre en cause la responsabilité de l'Etat et le principe même de son droit à une indemnisation, lesquels résultent du jugement du tribunal administratif de Grenoble du 20 mai 2015, depuis devenu définitif et revêtu l'autorité de la chose jugée ;

- l'arrachage des parcelles contaminées à plus de 5 % est la conséquence d'un arrêté préfectoral illégal ;

- le montant du préjudice subi doit être fixé, conformément au rapport d'expertise, à 299 716 euros.

Par un mémoire enregistré le 14 janvier 2019, le ministre de l'agriculture et de l'alimentation conclut aux mêmes fins que précédemment, par les mêmes moyens, et demande en outre à la cour de rejeter les conclusions incidentes présentées par la SARL Domaine de Bayanne.

Il soutient en outre que :

- son appel est recevable en application de l'article R. 811-6 du code de justice administrative ;

- les moyens tendant à l'augmentation de l'indemnisation accordée ne sont pas fondés.

L'instruction a été close en dernier lieu le 6 mars 2019 par ordonnance du 18 février 2019.

Un mémoire, enregistré le 5 juillet 2019, a été produit par la SARL Domaine de Bayanne et n'a pas été communiqué.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code rural et de la pêche maritime ;

- l'arrêté du ministre de l'agriculture et de la pêche du 27 novembre 2008 relatif à la lutte contre le Plum Pox Virus, agent causal de la maladie de la Sharka, sur les végétaux sensibles du genre Prunus ;

- l'arrêté du ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l'aménagement du territoire du 17 mars 2011 relatif à la lutte contre le Plum Pox Virus, agent causal de la maladie de la Sharka, sur les végétaux sensibles du genre Prunus ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme D..., première conseillère,

- les conclusions de M. Deliancourt, rapporteur public,

- et les observations de Me E..., représentant la SARL Domaine de Bayanne ;

Considérant ce qui suit :

1. Par un jugement du 3 mai 2012, devenu définitif, le tribunal administratif de Grenoble a annulé l'arrêté du 10 juin 2008 par lequel le préfet de la Drôme avait prescrit, en application de l'article L. 251-6 du code rural, l'arrachage des arbres contaminés par le virus de la Sharka, ainsi que de l'ensemble des arbres, de type prunus, des parcelles contaminées à plus de 5 %. La SARL Domaine de Bayanne, qui exploite des vergers à Alixan, a dès lors sollicité l'indemnisation des préjudices qu'elle estimait avoir subis en conséquence de cet arrêté illégal. Le tribunal administratif de Grenoble a déclaré l'Etat responsable des préjudices subis par cette exploitation du fait de l'arrachage en 2008 des arbres sains dans les parcelles présentant un taux de contamination par le virus de la Sharka compris entre 5 et 10 % et a ordonné une mesure d'expertise, par un jugement avant dire droit du 20 mai 2015, avant de condamner l'Etat à lui verser la somme de 223 738,77 euros, par un jugement du 30 décembre 2016. Le ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, depuis devenu ministre de l'agriculture et de l'alimentation, relève appel de ce dernier jugement. Par des conclusions incidentes, la SARL Domaine de Bayanne demande, pour sa part, que la condamnation de l'Etat soit relevée à hauteur de 299 716 euros.

Sur l'appel du ministre en charge de l'agriculture :

2. Lorsqu'une personne sollicite le versement d'une indemnité en réparation du préjudice subi du fait de l'illégalité d'une décision administrative entachée d'incompétence, il appartient au juge administratif de rechercher, en forgeant sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties, si la même décision aurait pu légalement intervenir et aurait été prise, dans les circonstances de l'espèce, par l'autorité compétente. Dans le cas où il juge qu'une même décision aurait été prise par l'autorité compétente, le préjudice allégué ne peut alors être regardé comme la conséquence directe du vice d'incompétence qui entachait la décision administrative illégale.

3. Selon l'article L. 251-8 du code rural et de la pêche maritime, dans sa rédaction applicable au litige : " I. - Le ministre chargé de l'agriculture peut prescrire par arrêté les traitements et les mesures nécessaires à la prévention de la propagation des organismes nuisibles inscrits sur la liste prévue à l'article L. 251-3. Il peut également interdire les pratiques susceptibles de favoriser la dissémination des organismes nuisibles, selon les mêmes modalités. / II. - En cas d'urgence, les mesures ci-dessus spécifiées peuvent être prises par arrêté préfectoral immédiatement applicable. L'arrêté préfectoral doit être soumis, dans la quinzaine, à l'approbation du ministre chargé de l'agriculture ". L'article 1er de l'arrêté ministériel du 31 juillet 2000 établissant la liste des organismes nuisibles aux végétaux, produits végétaux et autres objets soumis à des mesures de lutte obligatoire énonce que " la lutte contre les organismes nuisibles mentionnés en annexe A du présent arrêté est obligatoire, de façon permanente, sur tout le territoire métropolitain ou dans les départements d'outre-mer, dès leur apparition, et ce quel que soit le stade de leur développement et quels que soient les végétaux, produits végétaux et autres objets sur lesquels ils sont détectés ". Cet arrêté a inscrit le Plum Pox Virus à l'origine de la maladie de la Sharka à son annexe A. Le virus de la Sharka est ainsi considéré comme un organisme nuisible, contre lequel la lutte est obligatoire, dès son apparition et de façon permanente.

4. Par un jugement du 3 mai 2012, devenu définitif, le tribunal administratif de Grenoble a annulé l'arrêté du préfet de la Drôme du 10 juin 2008, au motif qu'en l'absence d'urgence, seul le ministre en charge de l'agriculture était compétent pour adopter de telles mesures de lutte contre le virus de la Sharka, en application de l'article L. 251-8 du code rural.

5. Il résulte de l'instruction que, par un rapport d'expertise établi au mois d'avril 2008 à la demande du ministère de l'agriculture et de la pêche, le laboratoire national de la protection des végétaux avait préconisé l'abaissement du seuil de contamination au-delà duquel l'arrachage de l'ensemble des arbres d'une parcelle doit être prescrit de 10 % à 5 %, voire à 2 %, dans la Drôme. L'abaissement de ce seuil à 5 %, tel que décidé par le préfet de la Drôme par l'arrêté du 10 juin 2008, avait en outre reçu l'approbation du ministre en charge de l'agriculture, par courrier du 25 novembre 2008. Toutefois, ces documents ne sont pas suffisants pour établir qu'il existait un consensus scientifique sur la nécessité d'un tel abaissement, alors, notamment, que le rapport Devos, établi un an auparavant, ne comportait pas de telle préconisation. En outre, le ministre a, peu de temps après l'arrêté litigieux, lui-même retenu un seuil de contamination de 10 %, sans même prévoir de possibilités de l'abaisser localement, par arrêté du 27 novembre 2008. Dans ces conditions, il ne résulte pas de l'instruction que le ministre aurait, comme l'avait fait le préfet de la Drôme par l'arrêté annulé, décidé d'abaisser ce seuil à 5 %.

6. Par ailleurs, et contrairement à ce que prétend le ministre en charge de l'agriculture, la situation épidémiologique du département de la Drôme ne justifiait pas à elle seule, en l'absence de disposition en ce sens, l'arrachage des parcelles contaminées à plus de 5 %, mais à moins de 10 %, par le virus de la Sharka. En outre, il n'est nullement établi que les parcelles concernées auraient nécessairement connu, au cours de l'année, un niveau de contamination dépassant 10 % et rendant obligatoire leur arrachage.

7. Par suite, et sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée en défense, le ministre en charge de l'agriculture n'est pas fondé à se plaindre de ce que le tribunal administratif de Grenoble a jugé que l'illégalité de l'arrêté du préfet de la Drôme du 10 juin 2008, qui est de nature à engager la responsabilité de l'Etat, est directement à l'origine de certains des préjudices invoqués par la SARL Domaine de Bayanne.

Sur l'appel incident de la SARL La Bayanne :

8. Pour accorder à la SARL Domaine de Bayanne la somme de 223 738,77 euros, les premiers juges se sont fondés, en premier lieu, sur le rapport d'expertise lequel a chiffré à 2 962 le nombre d'arbres sains arrachés à tort, et à 33,49 euros par arbre le coût afférent à l'arrachage et à la plantation d'arbres équivalents. Ils ont ainsi estimé à 99 197 euros l'indemnité due à l'exploitant pour la reconstitution des parcelles. En deuxième lieu, et s'agissant du manque à gagner, les premiers juges, après avoir écarté une indemnisation calculée par référence à des abricotiers, se sont fondés sur des pêchers de variété identique à ceux qui avaient été illégalement arrachés. Ils ont alors estimé le montant de marge nette pour chaque parcelle concernée. En troisième lieu, ils ont rejeté la demande d'indemnisation présentée par la société à raison de " royalties " déboursées par la requérante pour planter des variétés d'arbres fruitiers plus résistantes à la Sharka que celles arrachées. En se bornant à faire état des minorations apportées par le tribunal aux évaluations proposées par le rapport d'expertise, sans les critiquer, et de la situation financière difficile dans laquelle elle se trouve, la SARL Domaine de Bayanne n'établit pas que les juges de première instance auraient ainsi inexactement évalué les préjudices subis.

9. Il résulte de ce qui précède que la SARL Domaine de Bayanne n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a limité le montant de la condamnation de l'Etat à la somme de 223 738,77 euros.

Sur les conclusions relatives aux frais d'instance :

10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 500 euros à verser à la SARL Domaine de Bayanne, au titre des frais non compris dans les dépens que cette dernière a exposés.

DECIDE :

Article 1er : La requête du ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt est rejetée.

Article 2 : L'Etat versera à la SARL Domaine de Bayanne la somme de 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la SARL Domaine de Bayanne est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'agriculture et de l'alimentation et à la SARL Domaine de Bayanne.

Délibéré après l'audience du 5 novembre 2019, à laquelle siégeaient :

Mme C... A..., présidente de chambre,

Mme F..., présidente-assesseure,

Mme B... D..., première conseillère.

Lu en audience publique, le 10 décembre 2019.

2

N° 17LY01305


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 17LY01305
Date de la décision : 10/12/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Agriculture et forêts - Produits agricoles - Fruits et légumes.

Responsabilité de la puissance publique - Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité - Responsabilité et illégalité - Illégalité engageant la responsabilité de la puissance publique.

Responsabilité de la puissance publique - Réparation - Préjudice - Caractère direct du préjudice.


Composition du Tribunal
Président : Mme PAIX
Rapporteur ?: Mme Sophie CORVELLEC
Rapporteur public ?: M. DELIANCOURT
Avocat(s) : SELARL CABINET TUMERELLE

Origine de la décision
Date de l'import : 16/12/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2019-12-10;17ly01305 ?
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