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01/10/2019 | FRANCE | N°18LY01728

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 1ère chambre, 01 octobre 2019, 18LY01728


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. et Mme B... A... et Liesbeth E... ont demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 1er août 2016 par laquelle le directeur de l'Établissement public foncier de la Haute-Savoie a exercé le droit de préemption sur les parcelles cadastrées section G numérotées 423, 424 et 530 sur le territoire de la commune de Saint-Jean-d'Aulps.

Par un jugement n° 1605531 du 13 mars 2018, le tribunal administratif de Grenoble a fait droit à cette demande.

Proc

édure devant la cour

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 10 ma...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. et Mme B... A... et Liesbeth E... ont demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 1er août 2016 par laquelle le directeur de l'Établissement public foncier de la Haute-Savoie a exercé le droit de préemption sur les parcelles cadastrées section G numérotées 423, 424 et 530 sur le territoire de la commune de Saint-Jean-d'Aulps.

Par un jugement n° 1605531 du 13 mars 2018, le tribunal administratif de Grenoble a fait droit à cette demande.

Procédure devant la cour

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 10 mai 2018 et 7 mars 2019, l'Établissement public foncier de la Haute-Savoie, représenté par le cabinet Hélios Avocats, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 13 mars 2018 ;

2°) de rejeter les demandes présentées par M. et Mme E... devant ce tribunal ;

3°) de mettre une somme de 3 000 euros à la charge de M. et Mme E... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, le maire était bien compétent pour déléguer à l'établissement public foncier de la Haute-Savoie le droit de préemption urbain, en vertu de la délibération du 14 avril 2014, sans qu'une nouvelle délibération ne soit nécessaire après le transfert de l'exercice du droit de préemption à la communauté de communes du Haut-Chablais ;

- c'est également à tort que le tribunal a considéré que la décision en litige, qui s'inscrit dans le cadre global de la réalisation d'un programme immobilier touristique sur la zone Ut du plan local d'urbanisme, était entachée d'une erreur de fait en ce qu'elle porte sur la parcelle cadastrée section G n° 530 ;

- en tout état de cause, ce moyen ne pourrait fonder qu'une annulation partielle de la décision de préemption en litige ;

- l'arrêté de délégation du 27 juillet 2016 est parfaitement exécutoire contrairement à ce que soutiennent les intimés ;

- la notification à l'acquéreur évincé n'est pas une condition de légalité de la décision de préemption ;

- la décision est motivée par un programme immobilier touristique qui existait à la date à laquelle elle a été prise.

Par un mémoire, enregistré le 6 février 2019, M. et Mme E... concluent au rejet de la requête et demandent qu'une somme de 2 500 euros soit mise à la charge de l'Établissement public foncier de la Haute-Savoie en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- c'est à bon droit que le tribunal a retenu l'incompétence du maire pour déléguer l'exercice du droit de préemption ;

- en tout état de cause, l'arrêté du maire de Saint-Jean-d'Aulps du 27 juillet 2016 déléguant à l'Établissement public foncier de la Haute-Savoie le droit de préemption urbain n'est pas exécutoire, faute d'accomplissement des mesures de publicité prévues par les articles L. 2131-1 et L. 2131-2 du code général des collectivités territoriales ;

- la décision de préemption est entachée d'illégalité faute d'avoir été notifiée dans le délai de deux mois à l'acquéreur évincé, dont le nom figurait dans la déclaration d'intention d'aliéner ;

- la commune n'a pas motivé sa décision et ne justifie, à la date de la décision de préemption, d'aucun projet réel et sérieux.

La clôture de l'instruction a été fixée au 17 mai 2019 par une ordonnance du 2 mai 2019 prise en application du premier alinéa de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme F... D..., première conseillère ;

- les conclusions de M. Jean Simon Laval, rapporteur public ;

- les observations de Me C... pour l'Établissement public foncier de la Haute-Savoie ;

Considérant ce qui suit :

1. M. et Mme E... se sont portés acquéreurs de trois parcelles cadastrées section G, n° 423, 424 et 530, situées au lieu-dit " La Moussière " et au lieu-dit " route de La Moussière d'en haut " à Saint-Jean-d'Aulps. L'Établissement public foncier de la Haute-Savoie relève appel du jugement du 13 mars 2018 par lequel, à la demande de M. et Mme E..., le tribunal administratif de Grenoble a annulé la décision du 1er août 2016 relative à l'acquisition de ces parcelles par voie de préemption.

Sur le bien-fondé des moyens d'annulation retenus par le jugement attaqué :

2. Pour faire droit à la demande d'annulation formée par M. et Mme E..., le tribunal administratif de Grenoble a retenu deux moyens d'annulation tirés, d'une part, de l'incompétence de l'auteur de la décision de préemption en litige, d'autre part, de l'erreur de fait dont serait entachée cette décision en ce qu'elle concerne la parcelle cadastrée section G n° 530.

3. En premier lieu, aux termes de l'article L. 213-3 du code de l'urbanisme : " Le titulaire du droit de préemption peut déléguer son droit à l'Etat, à une collectivité locale, à un établissement public y ayant vocation ou au concessionnaire d'une opération d'aménagement. Cette délégation peut porter sur une ou plusieurs parties des zones concernées ou être accordée à l'occasion de l'aliénation d'un bien. (...) ".

4. D'une part, par une délibération du 14 avril 2014, prise sur le fondement de l'article L. 2122-22 15° du code général des collectivités territoriales, le conseil municipal de Saint-Jean-d'Aulps a accordé une délégation générale au maire, pour la durée de son mandat, notamment pour exercer au nom de la commune le droit de préemption urbain, que la commune en soit titulaire ou délégataire, et a précisé que le maire pouvait " déléguer l'exercice de ces droits à l'occasion de l'aliénation d'un bien selon les dispositions prévues au premier alinéa de l'article L. 213-3 du code de l'urbanisme ".

5. D'autre part, la communauté de communes du Haut-Chablais devenue compétente de plein droit en matière de droit de préemption urbain en vertu de l'article L. 211-2 du code de l'urbanisme, a régulièrement délégué l'exercice de cette compétence à sa présidente par une délibération du 15 décembre 2015. Par un arrêté du 6 juillet 2016, cette dernière a elle-même délégué à la commune de Saint-Jean-d'Aulps son droit de préemption en vue de l'acquisition des parcelles cadastrées section G, n° 423, 424 et 530, objet de la déclaration d'intention d'aliéner.

6. Enfin, par un arrêté du 27 juillet 2016, exécutoire compte tenu de sa transmission en sous-préfecture le 27 juillet 2016 et de son affichage du 28 juillet au 29 septembre 2016, ainsi qu'il résulte de son attestation faisant foi jusqu'à preuve du contraire, le maire de Saint-Jean-d'Aulps a délégué à l'établissement public foncier de la Haute-Savoie l'exercice du droit de préemption pour ces mêmes parcelles.

7. Pour estimer que le maire de Saint-Jean-d'Aulps était incompétent en matière de droit de préemption urbain et ne pouvait en conséquence régulièrement déléguer l'exercice de ce droit, le tribunal a retenu que la délibération du 14 avril 2014, intervenue avant que l'Établissement public foncier de la Haute-Savoie ne devienne compétent en matière de droit de préemption urbain, ne saurait valoir délégation de l'exercice des droits de préemption au maire conformément à l'article L. 2122-22 15° du code général des collectivités territoriales.

8. Toutefois, le transfert de plein droit de la compétence en matière de droit de préemption à la communauté de communes du Haut-Chablais est resté sans incidence sur le caractère exécutoire de la délibération du 14 avril 2014, qui n'a pas été rapportée. Cette délibération, ainsi que le permettent les dispositions de l'article L. 2122-22 15° du code général des collectivités territoriales, autorise le maire de Saint-Jean-d'Aulps, pour la durée de son mandat, à déléguer l'exercice du droit de préemption à l'occasion de l'aliénation d'un bien, y compris lorsque la commune comme en l'espèce, n'en est que délégataire. Il en résulte que, contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, le maire de Saint-Jean-d'Aulps, autorisé par le conseil municipal à subdéléguer ce droit, pouvait valablement, pour les parcelles objet de la déclaration d'intention d'aliéner en litige, en déléguer l'exercice à l'Établissement public foncier de la Haute-Savoie.

9. En second lieu, alors que la décision de préemption en litige porte sur les trois parcelles cadastrées section G, n° 423, 424 et 530 objet de la déclaration d'intention d'aliéner enregistrée en mairie de Saint-Jean-d'Aulps le 3 juin 2016, les circonstances retenues par le tribunal que la parcelle cadastrée section G n° 530 n'est pas située dans la continuité des autres parcelles ni dans la zone du projet immobilier de l'établissement public foncier de la Haute-Savoie ne permettent pas de considérer que cette décision serait entachée d'une inexactitude matérielle.

10. Il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. et Mme E....

Sur les autres moyens soulevés par M. et Mme E... :

11. En premier lieu, aux termes de l'article L. 213-2 du code de l'urbanisme dans sa rédaction en vigueur à la date de la décision attaquée : " Toute aliénation visée à l'article L. 213-1 est subordonnée, à peine de nullité, à une déclaration préalable faite par le propriétaire à la mairie de la commune où se trouve situé le bien. Cette déclaration comporte obligatoirement l'indication du prix et des conditions de l'aliénation projetée (...) Le silence du titulaire du droit de préemption pendant deux mois à compter de la réception de la déclaration mentionnée au premier alinéa vaut renonciation à l'exercice du droit de préemption. (...) Lorsqu'il envisage d'acquérir le bien, le titulaire du droit de préemption transmet sans délai copie de la déclaration d'intention d'aliéner au responsable départemental des services fiscaux. La décision du titulaire fait l'objet d'une publication. Elle est notifiée au vendeur, au notaire et, le cas échéant, à la personne mentionnée dans la déclaration d'intention d'aliéner qui avait l'intention d'acquérir le bien. Le notaire la transmet aux titulaires de droits d'emphytéose, d'habitation ou d'usage, aux personnes bénéficiaires de servitudes, aux fermiers et aux locataires mentionnés dans la déclaration d'intention d'aliéner. (...) " ;

12. S'il résulte des dispositions précitées que la réception de la décision de préemption par le propriétaire intéressé qui doit savoir de façon certaine s'il peut ou non poursuivre l'aliénation au terme du délai de deux mois prévu constitue une condition de la légalité de cette décision, l'obligation de notification de la décision de préemption à l'acquéreur évincé, introduite par la loi du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové dite loi ALUR a seulement pour effet de faire courir le délai de recours à son égard.

13. Il résulte de ce qui précède que la réception par M. et Mme E... de la décision de préemption le 5 août 2016, plus de deux mois après la déclaration d'intention d'aliéner reçue en mairie le 3 juin 2016, est sans incidence sur la légalité de la décision en litige.

14. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 210-1 du code de l'urbanisme : " Les droits de préemption institués par le présent titre sont exercés en vue de la réalisation, dans l'intérêt général, des actions ou opérations répondant aux objets définis à l'article L. 300-1 (...) ou pour constituer des réserves foncières en vue de permettre la réalisation desdites actions ou opérations d'aménagement. / (...) / Toute décision de préemption doit mentionner l'objet pour lequel ce droit est exercé. (...) ".

15. Il résulte de ces dispositions que, pour exercer légalement le droit de préemption urbain, les collectivités titulaires de ce droit doivent, d'une part, justifier, à la date à laquelle elles l'exercent, de la réalité d'un projet d'action ou d'opération d'aménagement répondant aux objets mentionnés à l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme, alors même que les caractéristiques précises de ce projet n'auraient pas été définies à cette date, et, d'autre part, faire apparaître la nature de ce projet dans la décision de préemption.

16. D'une part, la décision en litige, qui renvoie à l'objet et aux motifs de la délibération du conseil municipal de Saint-Jean-d'Aulps du 6 juin 2016, mentionne que l'acquisition des parcelles en cause, situées à proximité immédiate de la zone Ut pour laquelle la réalisation d'un programme immobilier touristique est projetée permettra, comme le relève également la délibération du 6 juin 2016, le désenclavement du tènement foncier de ce projet. Il en résulte que, contrairement à ce qu'ont fait valoir M. et Mme E... devant le tribunal, la décision en litige fait suffisamment apparaître la nature du projet en vue duquel le droit de préemption a été exercé.

17. D'autre part, alors qu'aux termes de la délibération du 6 juin 2016, le projet de desserte réalisé par un cabinet de géomètres experts et matérialisant sur les parcelles en litige l'accès aux futurs immeubles collectifs a été présenté en séance de ce conseil municipal, tant la réalité que l'antériorité d'un projet répondant aux objets mentionnés à l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme sont établis à la date à laquelle le droit de préemption a été exercé.

18. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que l'Établissement public foncier de la Haute-Savoie est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a annulé la délibération de son directeur exerçant le droit de préemption sur les parcelles cadastrées section G numérotées 423, 424 et 530, et à demander, outre l'annulation de ce jugement, le rejet des conclusions de la demande de M. et Mme E... dirigées contre cette décision.

Sur les frais liés au litige :

19. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la somme que M. et Mme E... demandent au titre des frais qu'ils ont exposés soit mise à la charge de l'Établissement public foncier de la Haute-Savoie, qui n'est pas partie perdante. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, en application de ces mêmes dispositions, de mettre à la charge de M. et Mme E... le versement de la somme globale de 2 000 euros au titre des frais exposés par l'Établissement public foncier de la Haute-Savoie.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 13 mars 2018 est annulé.

Article 2 : La demande de M. et Mme E... devant le tribunal administratif de Grenoble ainsi que leurs conclusions en appel sont rejetées.

Article 3 : M. et Mme E... verseront à l'Établissement public foncier de la Haute-Savoie la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à l'Établissement public foncier de la Haute-Savoie et à M. et Mme E....

Copie en sera adressée à la commune de Saint-Jean-d'Aulps et à la communauté de communes du Haut-Chablais.

Délibéré après l'audience du 10 septembre 2019 à laquelle siégeaient :

Mme G... H..., présidente de chambre,

M. Thierry Besse, président-assesseur,

Mme F... D..., première conseillère.

Lu en audience publique, le 1er octobre 2019.

2

N° 18LY01728

dm


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 18LY01728
Date de la décision : 01/10/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

68-02-01-01-01 Urbanisme et aménagement du territoire. Procédures d'intervention foncière. Préemption et réserves foncières. Droits de préemption. Droit de préemption urbain.


Composition du Tribunal
Président : Mme MARGINEAN-FAURE
Rapporteur ?: Mme Bénédicte LORDONNE
Rapporteur public ?: M. LAVAL
Avocat(s) : CABINET D'AVOCATS LEVANTI

Origine de la décision
Date de l'import : 15/10/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2019-10-01;18ly01728 ?
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