La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

12/03/2019 | FRANCE | N°18LY00360

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 1ère chambre - formation à 3, 12 mars 2019, 18LY00360


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler l'arrêté du 17 janvier 2018 par lequel le préfet du Rhône lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a désigné le pays de renvoi en cas d'exécution forcée de cette mesure et a prononcé à son encontre une interdiction de circuler sur le territoire français pour une durée d'un an.

Par un jugement n° 1800299 du 24 janvier 2018, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lyon a ann

ulé ces décisions.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 30 janvier...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler l'arrêté du 17 janvier 2018 par lequel le préfet du Rhône lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a désigné le pays de renvoi en cas d'exécution forcée de cette mesure et a prononcé à son encontre une interdiction de circuler sur le territoire français pour une durée d'un an.

Par un jugement n° 1800299 du 24 janvier 2018, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lyon a annulé ces décisions.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 30 janvier 2018, le préfet du Rhône demande à la cour d'annuler l'article 2 de ce jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lyon du 24 janvier 2018.

Il soutient que :

- c'est à tort que le premier juge, au regard des éléments dont il disposait pour apprécier le comportement de l'intéressé, qui est un multi-récidiviste, a estimé que celui-ci ne représentait pas, du point de vue de l'ordre et de la sécurité publics, une menace réelle, actuelle et suffisamment grave à l'encontre d'un intérêt fondamental de la société au sens de du 3° de l'article L. 511-3-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- il n'y avait pas lieu à substitution de motif et c'est donc à tort que le premier juge a relevé qu'une telle substitution n'avait pas été demandée ;

- M. B..., célibataire et sans charge de famille, ne remplit aucune des conditions visées à l'article L. 121-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour obtenir un droit au séjour ;

- un ressortissant communautaire ne peut se prévaloir d'un droit au séjour pour raisons de santé et il n'est pas démontré qu'une absence de prise en charge médicale pourrait comporter pour l'intéressé des conséquences d'une exceptionnelle gravité au sens du 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ni que la Pologne ne pourrait prendre en charge les pathologies dont il se prévaut.

Par un mémoire enregistré le 24 mai 2018, M. A... B..., représenté par Me C..., conclut au rejet de la requête et demande que soit mis à la charge de l'Etat le versement à son avocat d'une somme de 1 500 euros au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sous réserve de renonciation au bénéfice de l'aide juridictionnelle.

Il fait valoir que :

- il ne représente pas une menace grave pour l'ordre public français ;

- le médecin de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) aurait dû être saisi de son cas au titre des articles L. 511-4 10° et R. 313-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile eu égard aux problèmes de santé dont il avait fait état ;

- il ne pouvait être privé de délai pour quitter le territoire en l'absence d'urgence ;

- l'article L. 511-3-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui impose une condition de délai aux ressortissants communautaires pour demander l'abrogation d'une interdiction de circuler sur le territoire français alors que les ressortissants de pays tiers peuvent demander l'abrogation d'une interdiction de retour sans condition de délai, est discriminatoire et non conforme au droit de l'Union ;

- l'interdiction qui lui est faite de circuler en France est disproportionnée.

M. B...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 19 juin 2018.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative ;

Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Yves Boucher, président de chambre,

- et les observations de Me C... pour M. B... ;

Considérant ce qui suit :

1. Le préfet du Rhône relève appel de l'article 2 du jugement du 24 janvier 2018 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lyon a annulé les décisions du 17 janvier 2018 prononçant à l'encontre de M. B..., ressortissant polonais, une obligation de quitter le territoire français sans délai, assortie de la désignation du pays de renvoi en cas d'éloignement forcé et d'une interdiction de circuler sur le territoire français pour une durée d'un an.

2. Pour annuler les décisions en litige, le premier juge a estimé qu'en obligeant M. B... à quitter le territoire français, le préfet a méconnu les dispositions du 3° de l'article L. 511-3-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile citées au point 3 et a commis un vice de procédure en ne saisissant pas le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) pour qu'il se prononce sur l'état de santé de l'intéressé.

3. En premier lieu, aux termes de l'article L. 511-3-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative compétente peut, par décision motivée, obliger un ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne (...) à quitter le territoire français lorsqu'elle constate : / 3° Ou que son comportement personnel constitue, du point de vue de l'ordre public ou de la sécurité publique, une menace réelle, actuelle et suffisamment grave à l'encontre d'un intérêt fondamental de la société. / L'autorité administrative compétente tient compte de l'ensemble des circonstances relatives à sa situation, notamment la durée du séjour de l'intéressé en France, son âge, son état de santé, sa situation familiale et économique, son intégration sociale et culturelle en France, et de l'intensité de ses liens avec son pays d'origine. / L'étranger dispose, pour satisfaire à l'obligation qui lui a été faite de quitter le territoire français, d'un délai qui, sauf urgence, ne peut être inférieur à trente jours à compter de sa notification. A titre exceptionnel, l'autorité administrative peut accorder un délai de départ volontaire supérieur à trente jours. / L'obligation de quitter le territoire français fixe le pays à destination duquel il est renvoyé en cas d'exécution d'office. / Les articles L. 512-1 à L. 512-4 sont applicables aux mesures prises en application du présent article. ".

4. Il ressort des pièces du dossier que, par un jugement correctionnel rendu par le tribunal de grande instance (TGI) de Lyon le 7 novembre 2017, M. B... a été condamné à une peine d'emprisonnement de trois mois pour des faits de vol avec destruction ou dégradation en récidive commis le 6 novembre 2017 à Francheville. Il avait antérieurement commis des faits similaires en avril et mai 2011 à Vénissieux et Saint-Priest pour lesquels il a été condamné par un jugement du TGI de Lyon du 30 mai 2011 à une peine d'emprisonnement de deux mois avec sursis et mise à l'épreuve pendant deux ans, en avril 2011 à Lyon pour lesquels il a été condamné par jugement 27 juin 2011 à un mois d'emprisonnement, en août 2011 à Lyon pour lesquels il a été condamné par jugement du 11 janvier 2012 à un mois d'emprisonnement, en juillet 2012 à Lyon pour lesquels il a été condamné par jugement du 8 octobre 2012 à deux mois d'emprisonnement avec sursis, à Vénissieux en septembre 2012 pour lesquels il a été condamné par jugement du 12 novembre 2012 à un mois d'emprisonnement, en novembre 2013 à Lyon pour lesquels il a été condamné par jugement du 23 avril 2014 à deux mois d'emprisonnement, en octobre 2014 à Lyon pour lesquels il a été condamné par jugement du 8 octobre 2014 à huit mois d'emprisonnement, en juillet 2014 à Vénissieux pour lesquels il a été condamné par jugement du 4 décembre 2014 à un mois d'emprisonnement, en octobre 2013 à Rive-de-Gier pour lesquels il a été condamné par ordonnance pénale du 5 décembre 2016 à une amende de 200 euros et en novembre 2016 à Lyon pour lesquels il a été condamné par ordonnance pénale du 3 mars 2017 à une amende de 200 euros. Si, dans l'arrêté en litige, le préfet n'a mentionné que la condamnation à trois mois d'emprisonnement prononcée par jugement du 7 novembre 2017, son arrêté est fondé sur la menace que représente M. B... pour l'ordre public en France. Pour établir la réalité de cette menace, le préfet pouvait faire valoir devant le premier juge les antécédents judiciaires de l'intéressé sans que leur prise en compte implique une demande de substitution de motif. Eu égard à l'ensemble de ces antécédents, à leur nature et à leur nombre, le préfet du Rhône n'a pas commis d'erreur d'appréciation en estimant que la présence en France de M. B... constitue une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour la sécurité publique, qui constitue un intérêt fondamental de la société française.

5. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français : / 10° L'étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié (...) " et aux termes de l'article R. 511-1 du même code : " L'état de santé défini au 10° de l'article L. 511-4 est constaté au vu d'un avis émis par un collège de médecins à compétence nationale de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. (...) ".

6. Il ne ressort pas des pièces du dossier que M. B... ne pourrait bénéficier en Pologne d'une prise en charge médicale appropriée à son état de santé qui, selon le certificat médical du 18 janvier 2018 qu'il a produit en première instance, est stabilisé et nécessite seulement un suivi annuel et une surveillance régulière. Le préfet du Rhône n'a ainsi, en tout état de cause, pas entaché sa décision d'un vice de procédure au regard des dispositions de l'article R. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en ne saisissant pas l'OFII du cas de l'intéressé.

7. Il résulte de ce qui précède que le préfet du Rhône est fondé à soutenir que c'est à tort que, pour prononcer l'annulation de son arrêté du 17 janvier 2018, le premier juge s'est fondé sur les motifs rappelés au point 2. Il y a lieu dès lors, au titre de l'effet dévolutif, d'examiner les autres moyens de M. B....

8. En premier lieu, il ressort des pièces produites par le préfet que le moyen selon lequel il ne serait pas établi que le signataire de l'arrêté en litige disposait à cet effet d'une délégation régulière manque en fait.

9. En deuxième lieu, l'arrêt attaqué, qui énonce les considérations de droit et les éléments de fait propres à la situation particulière de M. B... sur lesquels il se fonde, est suffisamment motivé.

10. En troisième lieu, eu égard à la nature, au nombre et au caractère répété des délits commis par M. B... tout au long de son séjour en France et des condamnations dont il a fait l'objet, à l'absence d'insertion particulière dans la société française que la commission répétée de ces délits révèle et à l'absence d'attaches, notamment familiales, de l'intéressé en France, le préfet n'a pas commis d'erreur d'appréciation en estimant qu'il y avait urgence à l'éloigner sans délai après sa sortie de la maison d'arrêt où il purgeait la peine de trois mois d'emprisonnement prononcée par le jugement correctionnel du 7 novembre 2017.

11. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 511-3-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut, par décision motivée, assortir l'obligation de quitter le territoire français prononcée en application des 2° et 3° de l'article L. 511-3-1 d'une interdiction de circulation sur le territoire français d'une durée maximale de trois ans. / L'autorité administrative peut à tout moment abroger l'interdiction de circulation sur le territoire français. Lorsque l'étranger sollicite l'abrogation de l'interdiction de circulation sur le territoire français, sa demande n'est recevable que s'il justifie résider hors de France depuis un an au moins. (...) ".

12. Si M. B...soutient que ces dispositions créent une discrimination méconnaissant le droit de l'Union européenne en subordonnant la possibilité, pour un citoyen d'un Etat membre de l'Union européenne, de présenter une demande d'abrogation d'une interdiction de circuler sur le territoire français à la justification d'une résidence hors de France depuis au moins un an, alors qu'aucun délai n'est imposé aux ressortissants de pays tiers pour demander l'abrogation d'une interdiction de retour sur le territoire français, un tel moyen est en tout état de cause inopérant à l'appui de conclusions tendant à l'annulation, non d'une demande d'abrogation d'une interdiction de circuler, mais de l'interdiction elle-même.

13. Pour les motifs exposés au point 4, le moyen de M. B... selon lequel sa présence en France ne constituerait pas une menace suffisamment grave pour justifier une interdiction de circulation sur le territoire pour une durée d'un an doit être écarté. Par ailleurs, au regard de la durée du séjour en France de M. B..., de son absence d'attaches familiales et d'intégration sociale en France, de la présence en Pologne de membres de sa famille et des éléments relatifs à son état de santé mentionnés au point 6, le préfet, qui a pris en compte ces différents éléments dans les motifs de son arrêté, n'a pas pris une mesure disproportionnée en prononçant à l'encontre de l'intéressé une interdiction de circuler sur le territoire pour une durée d'un an.

14. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet du Rhône est fondé à soutenir que c'est à tort que, par l'article 2 du jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lyon a annulé son arrêté du 17 janvier 2018 et à demander l'annulation de cet article 2 ainsi que le rejet des conclusions de M. B... dirigées contre cet arrêté.

15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la somme dont M. B... demande le versement à son avocat au titre des frais exposés à l'occasion du présent litige soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas partie perdante.

DECIDE :

Article 1er : L'article 2 du jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lyon du 24 janvier 2018 est annulé.

Article 2 : Les conclusions de la demande de M. B... devant le tribunal administratif de Lyon tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet du Rhône du 17 janvier 2018 et ses conclusions en appel tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative au bénéfice de son avocat sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. A... B....

Copie en sera adressée au préfet du Rhône.

Délibéré après l'audience du 5 février 2019 à laquelle siégeaient :

M. Yves Boucher, président de chambre ;

M. Antoine Gille, premier conseiller ;

Mme Christine Psilakis, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 12 mars 2019.

2

N° 18LY00360

dm


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 1ère chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 18LY00360
Date de la décision : 12/03/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. BOUCHER
Rapporteur ?: M. Yves BOUCHER
Rapporteur public ?: Mme VACCARO-PLANCHET
Avocat(s) : BAILLY-COLLIARD JULIE

Origine de la décision
Date de l'import : 02/04/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2019-03-12;18ly00360 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award